Les contours du droit de préemption du preneur titulaire d’un bail commercial

Jurisprudence

Le droit de préférence du preneur instauré par la loi Pinel étant d’ordre public, les professionnels de l’immobilier et les rédacteurs ont grand intérêt à pouvoir appréhender les contours de celui-ci, toute vente conclue en violation du droit de préemption encourant la nullité. Focus sur les enseignements tirés de la jurisprudence rendue depuis ladite loi. 

Depuis la loi n°2014-626 « Pinel » du 18 juin 2014, le preneur d’un local à usage commercial ou artisanal dispose, en vertu de l’article L.145-46-1 du code de commerce, du droit de se porter acquéreur, par préférence, dudit local, lorsque son propriétaire envisagede le vendre.

Ces dispositions ont, dès leur adoption, fait l’objet de nombreuses critiques à raison de la difficulté pour appréhender leur champ d’application au regard des exceptions également prévues, et pour cause :

« Le présent article n’est pas applicable en cas de cession unique de plusieurs locaux d’un ensemble commercial, de cession unique de locaux commerciaux distincts ou de cession d’un local commercial au copropriétaire d’un ensemble commercial. Il n’est pas non plus applicable à la cession globale d’un immeuble comprenant des locaux commerciaux ou à la cession d’un local au conjoint du bailleur, ou à un ascendant ou un descendant du bailleur ou de son conjoint ».

Les rédacteurs de baux ont parfois été tentés de faire renoncer les preneurs à tout droit de préemption afin d’éviter la difficulté.

Toutefois, ces renonciations sont désormais inopérantes puisque la Cour de cassation a souhaité récemment préciser que ce droit, institué pour protéger le locataire commercial, était d’ordre public, ce alors même que l’article L.145-46-1 du code de commerce n’est pas visé dans la liste donnée par l’article L.145-15 des dispositions auxquelles les parties ne peuvent pas déroger (Cass. civ. 3ème, 28 juin 2018, n°17-14.605).

L’intérêt de connaitre les contours du droit de préférence ressurgit dès lors de plus fort. Nous présentons ci-après les cas dans lesquels la jurisprudence a pu affirmer que le droit de preneur peut être valablement exclu.

Une première exclusion est relative à l’opération dans laquelle s’inscrit la vente, exclusion visée directement par le texte en son alinéa 6 : la cession globale d’un immeuble comprenant des locaux commerciaux ne permet pas au preneur de ces derniers de se prévaloir du droit (Cass. civ. 3ème, 17 mai 2018, n°17-16.113).

Dans une réponse du 14 août 2018, le Ministre de la cohésion des territoires a précisé que le droit de préférence n’avait pas vocation à s’appliquer lorsque l’immeuble vendu ne comprend qu’un seul et unique local commercial (Rép. min. n° 5054 : JOAN Q 14 août 2018).

Nous observons qu’une seconde exclusion peut être déduite de la destination des locaux : seuls ceux ayant un usage commercial ou artisanal sont concernés de sorte que les locaux à usage de bureaux, à usage industriel, les entrepôts ou les terrains nus par exemple seraient exclus du dispositif (CA Aix-en-Provence, 30 janv. 2018, n°16/19016) de sorte qu’une grande partie des preneurs ne bénéficieraient du droit.

Une troisième exclusion concerne les ventes qui ne résultent pas de la volonté du propriétaire. Seule la vente de locaux dont le prix a été déterminé par le propriétaire envisageant cette vente étant soumise au droit de préférence du preneur. La jurisprudence a été riche d’enseignement à ce titre :

  • Le droit de préférence du preneur est exclu en cas de liquidation amiable de la bailleresse (CA Aix-en-Provence, 14 fév. 2017, n°15/13116) ;
  • La jurisprudence a confirmé son exclusion en cas de vente judiciaire des locaux (Cass. civ. 3ème, 17 mai 2018, n°17-16.113).

On pourrait alors en déduire que les cessions suivantes sont également exclues : vente par adjudication, cessions réalisées dans le cadre de procédures collectives, vente par l’administration des domaines dans le cadre de successions vacantes.

La sanction prévue par le texte étant sévère, à savoir la nullité de la vente, il est recommandé aux rédacteurs de baux de s’en tenir à la lettre de l’article L.145-46-1 et de purger le droit de préemption en cas de doute.

A rapprocher : Le droit de préférence du locataire est d’ordre public ; l’offre de vente au locataire ne peut inclure des honoraires de négociation

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