Bail commercial : incendie et responsabilité du bailleur

GRIOT Mirentxu

Élève-Avocat

Cass. civ. 3ème, 12 juillet 2018, n°17-20.696, Publié au Bulletin

L’incendie d’origine indéterminée qui se déclare dans un local voisin puis se propage dans un local donné à bail ne constitue pas un cas fortuit au sens de l’article 1722 du code civil. Dès lors, le bailleur est tenu d’indemniser le preneur pour les troubles de jouissance subis du fait de l’incendie.

Aux termes de l’article 1722 du code civil, si au cours du bail la chose louée est détruite en totalité par cas fortuit, le bail est résilié de plein droit ; si elle n’est détruite qu’en partie, le preneur peut, suivant les circonstances, demander soit une diminution du prix, soit la résiliation du bail. En tout état de cause, l’article précise qu’il n’y a lieu à aucun dédommagement du preneur.

Encore faut-il que soit caractérisé un cas fortuit, c’est-à-dire un évènement indépendant de la volonté des parties et que l’on ne peut imputer à la faute de l’une d’elle. Qu’en est-il de l’incendie ayant pris naissance dans un local voisin et dont la cause est indéterminée ?

Dans cette affaire, un incendie se déclare dans une salle de spectacle parisienne et se propage dans deux locaux voisins pris à bail et exploités dans le même immeuble. La cause de l’incendie reste indéterminée.

Se prévalant des dispositions de l’article 1722 du code civil, le bailleur notifie alors à chacune des sociétés locataires la résiliation de plein droit de leur bail.

De leur côté, les preneurs assignent le bailleur et ses assureurs en indemnisation des troubles de jouissance subis du fait de l’incendie.

Les preneurs sont déboutés de leur demande en appel. La Cour d’appel estime que le bailleur est exonéré de tout dédommagement car la cause de l’incendie est indéterminée. Autrement dit, les faits constituent un cas fortuit au sens de l’article 1722 du code civil, ce qui justifie, en cas de destruction totale des locaux loués, la résiliation de plein droit du bail sans indemnisation du preneur.

L’arrêt de la Cour d’appel est cassé. D’une part, la Cour de cassation considère que les juges du fond ont fait une fausse application de l’article 1722 du code civil : l’incendie qui se déclare dans un local voisin et dont la cause n’est pas déterminée ne caractérise pas un cas fortuit. D’autre part, la Cour de cassation retient que la Cour d’appel a refusé de faire application de l’article 1719 du code civil qui met à la charge du bailleur une obligation de jouissance paisible pendant la durée du bail. Par conséquent, le bailleur est responsable envers ses locataires des troubles de jouissance subis du fait de l’incendie.

La solution de la Cour de cassation, qui n’est pas nouvelle, repose sur la cause indéterminée de l’incendie. En 2010, la Cour avait déjà refusé de caractériser le cas fortuit en présence d’un incendie dont la cause exacte n’avait pu être déterminée. Ainsi, la circonstance que la cause de l’incendie reste inconnue ne suffit pas à démontrer que le sinistre est indépendant de la volonté des parties. Autrement dit, ce n’est pas parce que la destruction des locaux loués a pour origine une communication d’incendie que la cause de l’incendie ne peut être imputée au bailleur ou au preneur. En l’absence de certitudes, la qualification de cas fortuit ne peut être retenue.

On notera par ailleurs que la présomption de responsabilité du locataire en cas d’incendie, prévue à l’article 1733 du code civil, ne pouvait pas jouer en l’espèce. Conformément à cet article, le preneur répond de l’incendie à moins qu’il ne prouve que celui-ci est arrivé soit par cas fortuit ou force majeure, soit qu’il est imputable à un vice de construction, soit enfin que le feu a été communiqué par un bâtiment voisin. Dès lors, et même si les faits d’espèce ne constituent pas un cas fortuit, la communication d’incendie suffit à exonérer les preneurs de tout responsabilité.

A rapprocher :  Article 1719 du code civil ; Article 1722 du code civil ; Article 1733 du code civil ; Article 1741 du code civil ; Cass. civ. 3ème, 9 novembre 2010, n°09-69.910

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