La clause de non-sollicitation de personnel est d’interprétation stricte

CA Paris, 11 juin 2018, n°16/12549

La clause de non-sollicitation de personnel, interdisant à une entreprise cliente ou un fournisseur de solliciter ou d’embaucher, pendant une période déterminée, les salariés et/ou les collaborateurs de l’entreprise prestataire, est en principe valable…

Ce qu’il faut retenir : La clause de non-sollicitation de personnel, interdisant à une entreprise cliente ou un fournisseur de solliciter ou d’embaucher, pendant une période déterminée, les salariés et/ou les collaborateurs de l’entreprise prestataire, est en principe valable. Toutefois, une telle clause, même licite, est d’interprétation stricte au motif qu’elle peut constituer une restriction à la liberté contractuelle.

Pour approfondir : La clause de non-sollicitation de personnel – différente de la clause de non-sollicitation de clientèle – est celle par laquelle une entreprise cliente ou un fournisseur s’engage à ne pas solliciter ou embaucher, pendant une période déterminée, les salariés et/ou les collaborateurs de l’entreprise prestataire. Par ailleurs, l’objet de cette clause n’est pas d’empêcher un employeur concurrent d’embaucher le salarié.

La clause de non-sollicitation de personnel est licite. En effet, sa validité est admise par la Cour de cassation car elle se différencie de la clause de non-concurrence (Cass. com., 11 juill. 2006, n° 04-20.438 ; Contrats, conc. consom. 2006, comm. n° 232, note M. Malaurie-Vignal ; D. 2006, Pan. 2923, obs. M. Gomy ; RTD civ. 2007, p. 111, obs. J. Mestre et B. Fages). N’étant « ni une variante ni une précision » de la clause de non-concurrence, la clause de non-sollicitation de personnel n’a donc pas l’obligation d’être limitée dans le temps ou dans l’espace ; de même elle n’a pas à contenir de contrepartie financière à l’égard des salariés et/ou les collaborateurs concernés. Une telle clause est couramment utilisée par les entreprises, notamment dans les réseaux de distribution. Ainsi, le salarié, qui n’est pas partie au contrat comportant l’interdiction d’embaucher, ne peut prétendre à une contrepartie financière. Cependant, lorsque la clause de non-sollicitation porte une atteinte manifestement excessive à sa liberté de travailler, le salarié pourrait engager une action en responsabilité, en réparation du préjudice qui lui est causé par ladite clause (Cass. soc., 2 mars 2011, n° 09-40.547, Juris-Data n° 2011-002675  ; JCP S 2011, 1181  ; Contrats, conc. consom. 2011, comm., 139 ; v. aussi, S. Benilsi, La clause de non-sollicitation, JCP, S, 2017, 1976 ; Cass. com., 10 mai 2006, n°04-10696, Bull. civ. 2006, IV, n° 116).

En l’espèce, la société A lance deux appels d’offre que remportent deux sociétés différentes, la société B et la société C. La société B confie une partie de ses prestations à la société C, objet du contrat-cadre signé par cette dernière avec la société A. Pour cette mission, la société C a recours à sa filiale, la société D, qui embauche un consultant par le canal de sa société E.

A la fin du contrat de sous-traitance, la société B conclut un nouveau contrat avec une société F. La société E, sous-traitant de la filiale de la société C, met fin à son contrat avec la société D, pour entamer un nouveau contrat de sous-traitance avec la société F pour le compte de la société B.

Estimant que la société E a poursuivi la mission qui lui aurait été confiée auprès de la société B, la société C et sa filiale la société D reprochent une violation du contrat aux sociétés E et B, et les assignent donc devant le tribunal de commerce de Paris.

Le Tribunal de commerce de Paris juge que la clause de non-sollicitation de personnel ne s’applique pas en l’espèce. La société C saisit la cour d’appel de Paris et invoque notamment la violation de la clause de non-sollicitation de personnel.

Dans son arrêt du 11 juin 2018, la cour d’appel de Paris constate que c’est l’article 11-8 de l’annexe descriptif du contrat régissant les relations contractuelles entre la société B et la société C, qui est relatif à la clause de non-sollicitation et qui « indique que chacune des parties renonce à embaucher tout collaborateur de l’autre partie participant à la réalisation des prestations dans les services du client final ». Or, la cour d’appel de Paris considère que le champ d’application de cet article doit être analysé à la lumière de deux éléments, à savoir que les sociétés C et E n’étaient pas cocontractants ; et que la société D, filiale de la société C, a recruté la société E pour accomplir des missions à durée déterminée en qualité de sous-traitant.

Pour statuer sur la violation de la clause de non-sollicitation de personnel, la cour d’appel de Paris reprend le moyen formulé par la société B, en ce que « la clause de non-sollicitation constitue une restriction à la liberté contractuelle, de sorte qu’elle doit être interprétée de manière stricte. ». En effet, la cour d’appel dispose que « la société [E] n’a pas été recrutée en qualité de salariée par la société [C] » mais « par le sous-traitant de sa filiale, en qualité de sous-traitant ». En exposant ainsi les faits, la cour confirme la position du tribunal en adoptant ses motifs et juge que la clause de non-sollicitation ne pouvait s’appliquer en l’espèce.

Ici, la cour d’appel est attentive au contenu rédactionnel de la clause de non-sollicitation. Comme mentionné précédemment, il est vrai qu’une telle clause est licite, conformément au principe de la liberté contractuelle, formellement reconnu et posé à l’article 1102 du code civil. Toutefois, comme l’énonce la cour d’appel de Paris dans son arrêt ici commenté, la clause de non-sollicitation est aussi constitutive d’une restriction de liberté contractuelle, en ce qu’elle restreint la liberté du salarié. Par conséquent, elle doit être interprétée de manière stricte et pas au-delà de ses termes.

La Cour d’appel de Paris confirme ici que la clause de non-sollicitation de personnel est d’interprétation stricte ; elle anticipe ainsi une cassation de l’arrêt rendu. La Haute juridiction procède à un contrôle systématique de l’interprétation retenue par les juridictions du fond (Cass. com., 11 juill. 2006, n° 04-20.438, préc. (Cassation au visa de l’article 1134 du code civil, la cour d’appel ayant « dénaturé les termes clairs et précis » de la clause de non-sollicitation de personnel).

A rapprocher : La clause de non-sollicitation de personnel (Etude d’ensemble, LDR, 6 mars 2018)

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