Plafonnement du loyer déplafonné : qui définit les modalités de l’échéancier ?

Cass. civ. 3ème, 9 mars 2018, n°17-70.040, Publié au bulletin

Dans un avis rendu le 8 mars 2018, la 3ème chambre civile de la Cour de cassation précise qu’il revient aux parties et non au juge des loyers commerciaux d’établir l’échéancier de l’augmentation progressive du loyer que le bailleur est en droit de percevoir.

Ce qu’il faut retenir :  Il n’entre pas dans l’office du juge des loyers commerciaux d’arrêter l’échéancier des loyers qui seront exigibles durant la période au cours de laquelle s’applique l’étalement de la hausse du loyer instauré par l’article L.145-34 du Code de commerce. Cet étalement de l’augmentation du loyer plafonné prévu doit s’opérer chaque année par une majoration non modulable de 10 % du loyer de l’année précédente.

Pour approfondir : Aux termes du dernier alinéa de l’article L.145-34 du Code de commerce, « en cas de modification notable des éléments mentionnés aux 1° à 4° de l’article L.145-33, ou s’il est fait exception aux règles du plafonnement par suite d’une clause du contrat relative à la durée du bail, la variation de loyer qui en découle ne peut conduire à des augmentations supérieures, pour une année, à 10 % du loyer acquitté au cours de l’année précédente ».

Ce mécanisme appelé « plafonnement du déplafonnement » ou « lissage », instauré par la loi PINEL et visant atténuer pour le locataire l’effet d’une hausse du loyer fixé à la valeur locative dans le cadre du renouvellement du bail, a déjà suscité de nombreuses questions.

Parmi celles-ci, on s’est interrogé sur la notion de loyer « acquitté ». S’agit-il du loyer dû ou du loyer effectivement payé ? La raison commande de retenir la première hypothèse alors que la lettre du texte permet de privilégier la seconde.

On s’est également interrogé sur ce que devait signifier « l’année précédente ». S’agit-il de l’année civile ou des douze mois calendaires précédents ? Faut-il retenir pour chaque année le quantum de l’augmentation initiale de 10 % en référence au loyer acquitté au cours de l’année précédant le renouvellement du bail ?

Enfin, il a été relevé que la combinaison des mécanismes d’indexation avec le mécanisme de l’étalement de l’augmentation du loyer mis en place par l’article L.145-34 pouvait conduire en définitive à plus de six méthodes de calcul (voir en ce sens l’article de Jean-Pierre DUMUR – MRICS, Loi PINEL et « Plafonnement du déplafonnement » : Quadrature du cercle et casse-tête chinois ! – AJDI – juin 2014, p. 405).

C’est au titre de ce même article qu’en application des dispositions de l’article 1031-1 du Code de procédure civile, le juge des loyers du Tribunal de grande instance de Dieppe a pris l’initiative de formuler une demande d’avis le 4 décembre 2017. Il demandait à la Cour de cassation de l’éclairer sur le point de savoir si :

  • La compétence du juge des loyers se limitait à fixer le montant du loyer déplafonné à la date du renouvellement du bail, les parties s’accordant ensuite librement pour définir les modalités d’application du taux plafond de 10 % mais n’interdisant pas des augmentations comprises entre 0,1 et 10 % ?
  • La compétence du juge des loyers se limitait à la fixation du montant du loyer déplafonné, les augmentations ultérieures s’effectuant automatiquement par paliers de 10 % jusqu’à épuisement du loyer plafonné sans discussion entre les parties ?
  • Le juge des loyers avait compétence pour fixer le montant du loyer déplafonné lors du renouvellement mais également dans le cadre d’une échéancier pour chacune des neuf années suivant ce renouvellement du bail en faisant application d’un taux annuel de progression de 10 % automatiquement ou de moins de 10 % le cas échéant ?

En restant dans la métaphore capillaire, la question posée par le juge des loyers sur les modalités d’application du lissage du loyer du bail renouvelé pourrait se résumer, à savoir 1) qui doit manier le fer à friser, et 2) quelles sont les modalités de réglage du cran ?

A la première question, la Cour de cassation répond qu’il incombe aux parties, et non au juge des loyers commerciaux, d’arrêter l’échéancier.

Il est rappelé que l’office du juge des loyers commerciaux se limite aux contestations relatives à la fixation du prix du bail révisé ou renouvelé.

Il s’agit là d’une interprétation stricte des dispositions de l’article R.145-23 du Code de commerce.

Cela ne signifie pas nécessairement qu’un juge ne sera jamais amené à statuer, le cas échéant, sur la question des modalités de l’échéancier en cas de désaccord des parties. Cependant, dans cette hypothèse, c’est le Tribunal de grande instance qui doit être saisi et non le juge des loyers commerciaux en application de l’article R.145-23 alinéa 2 du Code de commerce.

A la seconde question, la Cour de cassation vient préciser que l’étalement de l’augmentation du loyer déplafonné prévu par le dernier alinéa de l’article L.145-34 du Code de commerce s’opère chaque année par une majoration non modulable de 10 % du loyer de l’année précédente.

On peut remarquer que la Cour de cassation ne fait pas référence à la notion de loyer « acquitté ».

Par ailleurs, alors que le texte, ainsi que l’avait relevé le juge de Dieppe, pouvait laisser penser que l’augmentation pouvait être inférieure à 10 % dès lors qu’il était mentionné que cette augmentation ne pouvait pas être « supérieure », la Cour de cassation met fin à ce débat en affirmant que l’augmentation s’effectue chaque année par une majoration non modulable de 10%.

En réalité, cette majoration pourra être inférieure lorsque, par l’effet des augmentations successives effectuées chaque année, le montant du loyer du bail renouvelé aura été atteint.

Enfin, la Cour de cassation profite de cet avis pour rappeler que l’étalement n’étant pas d’ordre public, les parties peuvent convenir de ne pas l’appliquer.

En effet, l’article L.145-34 du Code de commerce n’est pas visé parmi les dispositions d’ordre public auxquelles il n’est pas possible de déroger en application de l’article L.145-15.

Les parties, et les bailleurs institutionnels le pratiquent couramment, peuvent par conséquent, dès la signature du bail, exclure le mécanisme du lissage.

Cela leur évitera de se faire des cheveux blancs…

A rapprocher : Article L.145-15 du Code de commerce ; Article L.145-33 du Code de commerce ; Article L.145-34 du Code de commerce ; Article R.145-23 du Code de commerce 

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