Procédures collectives et cession forcée du contrat de distribution à un tiers

La question de savoir si le contrat de distribution en cours lors de l’ouverture de la procédure collective et dont la poursuite a été décidée par l’administrateur peut faire l’objet d’une transmission à un tiers reste particulièrement agitée.

Ce qu’il faut retenir :

La question de savoir si le contrat de distribution en cours lors de l’ouverture de la procédure collective et dont la poursuite a été décidée par l’administrateur peut faire l’objet d’une transmission à un tiers reste particulièrement agitée : la doctrine est divisée, la jurisprudence a hésité, et la réforme issue de la loi du 26 juillet 2005 n’a pas fait disparaître toutes ces incertitudes.

 

Pour approfondir :

Dans l’hypothèse où un plan de cession de l’entreprise est arrêté, se pose notamment la question de savoir si le contrat de distribution en cours lors de l’ouverture de la procédure collective et dont la poursuite a été décidée par l’administrateur, peut faire l’objet d’une transmission à un tiers (V. sur la question, C. Maury, Les contrats de concession et de franchisage dans le redressement et la liquidation judiciaires, 2004, n°71 et suiv). L’article L. 642-7 du code de commerce, qui prend pour l’essentiel les dispositions de l’ancien article L. 621-88 du même code, dispose à ce titre : « le tribunal détermine les contrats de (…) fourniture de biens ou services nécessaires au maintien de l’activité au vu des observations des cocontractants du débiteur transmises au liquidateur ou à l’administrateur lorsqu’il en a été désigné ». Il est permis d’objecter que le caractère intuitu personae du contrat de distribution (lorsqu’il s’agit par exemple d’un contrat de franchise) s’oppose au principe même de sa cession ; la réponse ne va pas de soi (v. sur la question, Ph. Le Tourneau, Les contrats de franchisage, Litec, 2007, 2ème éd., spéc. n°334 à 337).

La doctrine est divisée, la jurisprudence a hésité, et la réforme issue de la loi du 26 juillet 2005 n’a pas fait disparaître ces incertitudes.

En premier lieu, la doctrine reste divisée sur le point de savoir si, compte tenu de son caractère intuitus personae, le contrat de distribution peut être cédé. Certains auteurs écartent toute cession lorsqu’elle porte atteinte à une obligation essentielle de ce contrat (F. Pérochon et R. Bonhomme, Entreprises en difficultés, Instruments de crédit et de paiement, LGDJ, 2002, n°346 ; Ph. Pétel, Le sort des contrats conclus avec l’entreprise en difficulté, LPA, 18 mai 1992, n°60, p. 29) ou que les qualités personnelles du cessionnaire sont déterminantes (B. Soinne, Traité des procédures collectives, Litec, 1995, spéc. n°1704-1705 ; D. Fabiani, Les conditions de la cession judiciaire des contrats dans la loi du 25 janvier 1985, RJ com. 1987, p. 41 ; v. aussi, Y. Marot, note sous CA Orléans, 14 sept. 2000, D. 2001, Jurispr., p. 1020, spéc. n°6 : posant l’exigence que le cessionnaire soit apte à mettre en œuvre le savoir-faire et à répondre aux exigences propres à l’identité du réseau) ; d’autres considèrent que la cession du contrat de distribution est impossible lorsque le franchiseur est soumis à une procédure collective (F. Collart-Dutilleul et Ph. Delebecque, Contrats civils et commerciaux, D. 2004, n°956 ; C. Saint Alary-Houin, Droit des entreprises en difficulté, Montchrestien 2001, n°958). En matière de franchise, Un auteur suggère de distinguer selon qu’il s’agit d’un contrat de franchise de distribution et de services, considérant que la possibilité de cession du contrat de franchise ne devrait être admise que pour la franchise de distribution (Ph. Le Tourneau, Les contrats de franchisage, Litec, 2007, 2ème éd., spéc. n°336). Et, sur ce point, le professeur Le Tourneau souligne opportunément sans doute que « les dispositions de l’ancien article L. 621-88 du code de commerce, étant exorbitantes du droit commun, doivent s’interpréter strictement. Elles ne semblent donc pas applicables aux contrats de franchisage de service, car le contrat liant le franchiseur en redressement judiciaire à ses franchisés, nettement plus complexe, n’est pas simplement de « fournitures de biens ou de services ». De plus, impliquant une coopération étroite entre les partenaires, il est difficilement imaginable d’imposer celle-ci à un nouvel intervenant, ce qu’une cession impose implicitement ».

En deuxième lieu, en matière de contrat de franchise, les juridictions du fond appliquent au cas par cas les dispositions relatives à la transmissibilité des contrats en cours. Si les décisions peuvent paraître contradictoires, il convient d’essayer de cerner une certaine « ligne directrice » au sein de la jurisprudence. Il convient dans un premier temps de distinguer si la procédure collective concerne la tête de réseau ou le distributeur. Il convient dans un second temps de distinguer si le contrat est une franchise de services ou une franchise de distribution. Certaines juridictions ont refusé d’ordonner le transfert du contrat de franchise de services lorsqu’il s’agissait  de procéder à une substitution de franchiseur (CA Orléans, 14 sept. 2000, D. 2001, jur. p. 1017, note Y. Marot ; CA Versailles, 28 mars 1996, RJDA 1996, n°973 ; Rev. proc. coll. 1998, p. 379, obs. B. Soinne ; CA Paris, 15 déc. 1992, JCP E, 1993, I, 275, n°6, obs. Ph. Pétel ; JCP G, 1994, II, 22205, note Ch. Jamin ; RJ com. 1993, p. 151, note A. Martin-Serf : pour une cession s’accompagnant d’une modification du contrat). Dans cette hypothèse, l’exécution du contrat de franchise dépend en effet des qualités intrinsèques du franchiseur et de son savoir-faire. Une Cour d’appel avait autorisé la substitution de franchiseur dans le cadre d’une franchise de services (CA Versailles, 23 juin 1988, Gaz. Pal. 1989, 1, somm. p. 112) ; celle-ci est néanmoins revenue sur sa position à l’occasion d’une décision plus récente (CA Versailles, 28 mars 1996, RJDA 1996, n°973 ; Rev. proc. coll. 1998, p. 379, obs. B. Soinne). Par ailleurs, et s’agissant d’un contrat de franchise de distribution, celui-ci pourrait être transféré et une substitution de franchiseur opérée (CA Versailles, 13 mai 1993, Rev. proc. coll. 1995, p. 172, obs. B. Soinne). A contrario, il pourrait être considéré que le contrat de franchise peut être cédé lorsqu’il s’agit de substituer le franchisé. Cette ligne directrice paraît relever d’une certaine logique. En effet, si l’exécution du contrat de franchise dépend des compétences personnelles du franchiseur, ce qui est le cas en matière de franchise de services, la cession forcée du contrat engendrerait une modification de ses conditions. Or, l’alinéa 3 de l’article L. 642-7 du code de commerce, reprenant les dispositions de l’ancien article L. 621-88 du même code, prévoit que les contrats cédés doivent être exécutés selon les conditions en vigueur au jour de l’ouverture de la procédure collective. En tout état de cause, et conformément aux termes de l’article L. 642-7 du code de commerce, le transfert du contrat de franchise ne sera autorisé que s’il est nécessaire au maintien de l’activité exercé par le cédant (CA Douai, 25 sept. 2007, RG n°06/00864, inédit).

En troisième lieu, selon une jurisprudence constante de la Cour de cassation, la cession judiciaire forcée des contrats de fournitures de biens ou de services était impossible en cas de liquidation judiciaire de l’entreprise (Cass. com., 19 déc. 1996, JCP E, 1996, I, Pan. n°554 ; Cass. com., 19 déc. 1995, Bull. civ. 1995, IV, n°303 ; D. 1997, somm. p. 3, obs. F. Derrida ; D. affaires 1996, p. 18 ; Cass. com., 4 févr. 2003, RJDA 2003, no 747; RD banc. fin. 2003, no 151, obs. F.-X. Lucas ; Rev. proc. coll. 2003, 243, obs. Roussel Galle ; Cass. com., 13 mai 2003, LPA 8 déc. 2003, p. 12, obs. Mottet). Pour la Cour de cassation, l’ancien article L. 621-88 du code de commerce devait être interprété strictement, car inséré dans le chapitre du dudit code consacré à la procédure de redressement judiciaire, lui-même dérogatoire au droit commun. La Cour de cassation excluait toute assimilation du plan de redressement par voie de cession a la cession d’unités de production prévue en cas de liquidation judiciaire (Cass. com., 19 déc. 1995, Bull. civ. 1995, IV, n°303 ; D. 1997, somm. p. 3, obs. F. Derrida ; D. affaires 1996, p. 18). En cas de liquidation judiciaire, le droit de commun des contrats s’appliquait et la cession des contrats s’envisageait selon leurs conditions contractuelles et leur nature. Aussi, lorsqu’un contrat de distribution, incessible par nature, ne comportait pas de clause autorisant la cession, la cession forcée ne pouvait être ordonnée dans le cadre d’une procédure de liquidation judiciaire. Depuis la réforme de 2005, la position doit sans doute être nuancée. L’article L. 642-7 du code de commerce, qui a repris les dispositions de l’ancien article L. 621-88 du même code, figure désormais dans le titre relatif à la liquidation judiciaire. Pour le législateur de 2005, le redressement judiciaire d’une entreprise ne s’envisage désormais que par l’adoption du seul plan de continuation. Dès lors, le fondement de la construction prétorienne édifiée sous l’empire de la loi du 25 janvier 1985 n’a plus de pertinence.

 

A rapprocher : F.-L. Simon, Théorie de Pratique du droit de la franchise, éditions JOLY, févr. 2009, spéc. §§.754-757

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