La relation entre un avocat et son client confrontée au droit économique

Cass. com., 24 novembre 2015, pourvoi n°14-22.578

L’article L.442-6 du Code de commerce n’est pas applicable à la relation nouée entre un avocat et son client, la profession d’avocat étant en effet incompatible avec toute activité à caractère commercial.

Ce qu’il faut retenir : L’article L.442-6 du Code de commerce n’est pas applicable à la relation nouée entre un avocat et son client, la profession d’avocat étant en effet incompatible avec toute activité à caractère commercial. L’existence d’une convention-cadre conclue entre l’avocat et son client doit être prouvée, et la constance des relations entre les parties se traduisant par un flux de dossiers confiés par le client à l’avocat pendant une longue période ne suffisant pas à démontrer que ces relations étaient encadrées.

Pour approfondir : Dans cette affaire, une société d’avocats a assigné l’un de ses anciens clients – une banque – (i) en responsabilité pour rupture brutale d’une relation commerciale établie, sur le fondement de l’article L.442-6, I, 5° du Code de commerce, et (ii) subsidiairement, sur le fondement des articles 1134 et 1147 du Code civil arguant qu’il existait entre eux une convention-cadre dans le contexte de laquelle s’inscrivait chaque dossier confié par le client et que la rupture brutale de celle-ci par le client lui avait causé un préjudice.

Cet arrêt apporte ainsi des précisions intéressantes, d’une part, sur les contours de la notion de « relation commerciale établie » et l’applicabilité de celle-ci dans le cadre de la relation entre un avocat et son client et, d’autre part, sur la possibilité de caractériser l’existence d’une convention-cadre entre les deux parties.

▪ Le rejet de l’existence d’une relation commerciale établie entre un avocat et son client. La profession d’avocat est une profession réglementée et soumise à un statut composé d’un corpus de règles strictes. L’article 111 du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991 édicte notamment que « la profession d’avocat est incompatible avec toutes les activités de caractère commercial, qu’elles soient exercées directement ou par personne interposée ».

Cette règle est l’une des plus ancrées de la profession d’avocat ; elle est justifiée par le fait que l’exercice de la profession d’avocat n’est pas supposée avoir pour considération essentielle la recherche du profit – qui caractérise la relation commerciale -, l’article 3 du décret n°2005-790 du 12 juillet 2005 prévoyant au contraire que l’avocat doit faire preuve de désintéressement dans l’exercice de sa fonction et dans sa relation avec son client.

Ainsi que le rappelle la Cour d’appel, l’avocat doit prioritairement avoir le souci de nouer avec le client une relation reposant d’abord sur la confiance réciproque.

Dans son pourvoi, la société d’avocats a soutenu, d’une part, que le caractère non lucratif d’une activité de service ne fait pas obstacle à l’existence d’une relation commerciale au sens de l’article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce. Dès lors, en estimant que ce texte n’était pas applicable dans les relations entre un avocat et son client en raison du désintéressement dont doit faire preuve l’avocat dans ses rapports avec son client, la Cour d’appel a ajouté au texte susvisé une restriction qu’il ne comporte pas, et a ainsi violé, par refus d’application, l’article L.442-6, I, 5° du Code de commerce et, par fausse application, l’article 3 du décret n°2005-790 du 12 juillet 2005.

D’autre part, la société d’avocats a relevé que l’interdiction faite aux avocats d’accomplir des actes de commerce ne faisait pas obstacle à la caractérisation d’une relation de nature commerciale entre l’avocat et son client, condition de mise en œuvre des dispositions de l’article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce. En effet,  l’avocat, qui exerce, contre rémunération, une activité qui le conduit à offrir des services dans le domaine économique, se trouve avec son client, a fortiori s’agissant d’une banque commerciale, dans une relation qui est elle-même de nature commerciale, et qui entre ainsi dans le champ du texte susvisé.

La société conclut qu’en jugeant le contraire, au motif que la profession d’avocat était incompatible avec une activité de commerce, la Cour d’appel a violé l’article L.442-6, I, 5° du Code de commerce par refus d’application et l’article 111 du décret n°91-1197 du 27 novembre 1991 par fausse application. Cependant dans un attendu de principe catégorique, la Cour de cassation a estimé « qu’ayant énoncé que, selon l’article 111 du décret n°91-1197 du 27 novembre 1991, la profession d’avocat est incompatible avec toutes les activités de caractère commercial, qu’elles soient exercées directement ou par personne interposée, l’arrêt retient que les textes organisant la profession d’avocat excluent expressément que l’avocat puisse exercer une activité s’apparentant à une activité commerciale ; que de ces seules énonciations et appréciations […] la cour d’appel a exactement déduit que l’article L. 442-6 I 5° du Code de commerce n’était pas applicable à la relation nouée entre la Selarl et son client ».

La Cour de cassation est stricte, la profession d’avocat est incompatible avec l’exercice de toute activité s’apparentant à une activité commerciale ; la relation nouée entre un avocat et son client ne saurait donc s’apparenter de quelque manière que ce soit à une relation commerciale.

En conséquence, à l’instar d’autres professions libérales telles les notaires ou encore les médecins, les avocats se voient exclus du bénéfice de l’action en responsabilité instaurée par l’article L.442-6, I, 5° du Code de commerce en matière de rupture brutale d’une relation commerciale établie.

▪ Le rejet de l’existence d’une convention-cadre établie entre l’avocat et son client. La société d’avocats a ensuite soutenu que sa cliente a résilié unilatéralement la convention-cadre existant entre elles, violant l’article 1134 du Code civil et lui causant ainsi un préjudice dont elle demande réparation sur le fondement de l’article 1147 du Code civil.

La convention-cadre est l’accord dans le cadre duquel viennent s’inscrire des contrats particuliers et dont le régime ne se confond pas avec celui de chacun de ces contrats particuliers. La société d’avocats, sur laquelle repose la charge de la preuve de l’existence de la convention alléguée, a soutenu que les liens entre les parties étaient caractérisés par « la constance de leurs relations communes qui s’est traduite par un flux de dossiers relevant de la compétence des juridictions quimpéroises que la [banque] a confié à la société d’avocats pendant une trentaine d’années », ce dont résultait nécessairement l’existence d’une convention-cadre dans le contexte de laquelle s’inscrivait chaque dossier confié à l’avocat.

La Cour de cassation, suivant en ce sens le raisonnement tenu par le client devant les juges du fond, a retenu que la société recevait mandat, dossier par dossier, de représenter et défendre les intérêts de sa cliente et que la constance des relations entre les parties se traduisant par un flux de dossiers confiés par la banque à son avocat pendant une trentaine d’années ne suffit pas à démontrer que les relations étaient encadrées.

La Haute juridiction en déduit que la société d’avocats n’a pas rapporté la preuve de l’existence de la convention-cadre invoquée et confirme en conséquence la solution retenue par la Cour d’appel.

Toutefois, la Haute Cour ne répond pas à l’argument de l’avocat sur le point de savoir si l’intuitu personae prévalant dans les relations entre l’avocat et son client est, ou non, par nature incompatible avec l’existence d’une convention-cadre entre les parties. La banque prétendait en effet que le lien unissant l’avocat à son client étant avant tout un lien de confiance, lorsque celui-ci, à tort ou à raison, est rompu, la relation fondée sur l’intuitu personae qui en découle ne peut perdurer ; elle en déduisait que le client avait la faculté de mettre un terme à cette relation sans être tenue de respecter un quelconque délai de préavis, peu important le bien ou mal fondé des critiques ayant pu expliquer sa décision, le motif de la perte de confiance étant indifférent.

La solution retenue par la Cour de cassation ne semble donc pas devoir être généralisée. En effet, la Haute juridiction n’apparaît pas exclure de manière catégorique toute convention-cadre pouvant exister entre un client et son avocat comme elle l’a fait en revanche s’agissant de l’existence d’une relation commerciale établie.

A rapprocher : Cass. com., 23 octobre 2007, pourvoi n°06-16.774 ; Cass. com., 20 janvier 2009, pourvoi n°07-17.556

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