Comptes prévisionnels irréalistes et devoir de mise en garde de la Banque

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SIMON François-Luc

Avocat Associé-Gérant - Docteur en droit

CA Versailles, 5 nov. 2015, n°13/06537

Une Banque peut engager sa responsabilité à l’égard de la société franchisée et de son dirigeant caution, pour manquement à son devoir de mise en garde, lorsque ceux-ci ne sont pas « avertis » et qu’il existe un risque  d’endettement significatif, résultant par exemple du caractère « manifestement irréaliste » des comptes prévisionnels sur la base desquels le projet a été financé.

Ce qu’il faut retenir : Une Banque peut engager sa responsabilité à l’égard de la société franchisée et de son dirigeant caution, pour manquement à son devoir de mise en garde, lorsque ceux-ci ne sont pas « avertis » et qu’il existe un risque  d’endettement significatif, résultant par exemple du caractère « manifestement irréaliste » des comptes prévisionnels sur la base desquels le projet a été financé.

Pour approfondir : La décision commentée permet de revenir sur la situation classique suivante : le candidat à la franchise entame différentes démarches auprès du franchiseur, se voit remettre un document d’information précontractuelle, réalise en tant que commerçant indépendant les démarches qu’il estime nécessaires pour être suffisamment informé de l’opportunité de son choix, en réalisant une étude de marché, puis des comptes prévisionnels, puis un dossier qu’il remet à la banque pour justifier la viabilité de son projet, avant d’obtenir le crédit souhaité en se portant caution personnel. Lorsque les choses tournent mal, que la société franchisée dépose le bilan et qu’il s’avère que les comptes prévisionnels étaient manifestement irréalistes, se pose alors (notamment) la question de savoir à quelles conditions la société franchisée emprunteur et/ou son dirigeant caution peuvent engager la responsabilité de la banque pour manquement à son « devoir de mise en garde » ? Pour le dire autrement, quelles sont donc les conditions de mise en œuvre de la responsabilité de la Banque par suite de l’octroi de crédits à la société franchisée cautionnés par son gérant ?

En l’espèce, les faits soumis à l’appréciation de la Cour d’appel de Versailles se rapprochaient de ce schéma classique ; il faut néanmoins revenir en détail sur le déroulement des faits de l’espèce pour mieux comprendre la portée de la décision rendue. Au cas présent, une société franchisée S. avait ouvert un compte courant dans les livres d’une Banque et avait souscrit auprès de cet établissement, le 19 mai 2009, un prêt de 185.927 euros remboursable en 85 mensualités ; le 22 mai 2009, Monsieur S., gérant de la société S., s’est rendu caution solidaire des engagements de la société S. dans la limite de la somme de 241.705,10 euros en principal, intérêts, et le cas échéant, des pénalités ou intérêts de retard, et ce pour une durée de 133 mois ; son épouse donnait alors son accord au cautionnement le même jour. Par acte sous seing privé du 17 février 2012, Monsieur S. s’était rendu caution solidaire de la société S. dans la limite de 7.800 euros pour une durée de sept mois. Par jugement du 22 mars 2012, le tribunal de commerce d’Évreux avait ouvert une procédure de redressement judiciaire au bénéfice de la société S. La liquidation judiciaire était prononcée le 17 janvier 2013. Par lettre RAR du 16 mai 2012, la Banque déclarait au passif une créance chirographaire de 6.187,74 euros (au titre du solde débiteur du compte courant) et une créance privilégiée de (152.060,05 euros au titre du prêt). Le même jour, la Banque avait informé Monsieur S. du montant de sa déclaration de créance en l’informant qu’elle lui réclamerait le paiement de la somme de 158.247,79 euros en principal à la fin de la période d’observation fixée au 22 septembre 2012. Puis, par jugement du 17 janvier 2013, le tribunal prononçait la liquidation judiciaire de la société S. C’est dans ce contexte que la Banque poursuivait la caution en exécution de ses engagements devant le Tribunal de commerce de Versailles et, par jugement assorti de l’exécution provisoire (Trib. Com. Versailles, 5 juillet 2013, RG n°2013F00195) devait condamner la caution à lui payer, d’une part, 241.705,10 euros au titre de son engagement de caution sur le prêt et, d’autre part, 7.533,17 euros au titre de son engagement de caution sur le compte courant, tout en ordonnant, comme il est d’usage, la capitalisation des intérêts au taux légal sur la somme de 5.733,17 euros et au taux annuel de 7,85 % sur la somme de 128.718,51 euros.

Face à cette solution, la caution faisait valoir devant la Cour d’appel de Versailles que les cautionnements étaient disproportionnés à ses biens et revenus lors de leurs conclusions, et qu’au jour où il était appelé, il ne disposait pas davantage d’un patrimoine lui permettant de faire face à son obligation. Il invoquait par ailleurs un manquement de la Banque, d’une part, à son obligation d’information sur la portée de l’engagement et, d’autre part, à son obligation de mise en garde à l’égard de l’emprunteur et à son égard ; la caution soulignait être « non avertie », n’avoir aucune expérience dans le secteur d’activité de la société franchisée, n’avoir même jamais géré de société commerciale, et avoir été incapable de percevoir l’aspect irréaliste du compte d’exploitation prévisionnel établi par le franchiseur, alors que selon lui :

  • la Banque, spécialisée dans la franchise et bénéficiaire des services de son pôle national franchise, disposait d’informations sur les risques et la viabilité de l’opération financée que lui-même ignorait ;
  • l’opération était particulièrement risquée puisque le prévisionnel établi par le franchiseur et communiqué à la banque était avéré totalement idéaliste et insincère, ce que la Caisse aurait dû déceler. Il en déduisait être fondé à obtenir la décharge de son engagement et la réparation de son préjudice, caractérisé par la perte des sommes qu’il avait personnellement investies dans l’opération, soit 192.409,87 euros.

La solution issue de la décision commentée : La décision commentée infirme la solution des premiers juges puisqu’elle retient :

  • d’une part, que le cautionnement souscrit le 22 mai 2009 en garantie du prêt consenti par la Banque à la société S. n’était pas manifestement disproportionné à ses revenus et à ses biens au moment de sa conclusion, de sorte que la Banque pouvait valablement s’en prévaloir (à ce titre la caution est ici condamnée au paiement de la somme de 152.060,05 euros) ;
  • d’autre part, que la Banque a toutefois manqué à son « devoir de mise en garde » concernant le second cautionnement, consenti le 17 février 2012, de sorte que la Banque ne peut s’en prévaloir (à ce titre la demande de condamnation de la caution est ici rejetée et la Banque se trouve par ailleurs condamnée au paiement de la somme de 50.000 euros, à titre de dommages-intérêts).

Au-delà de la solution ainsi dégagée par la Cour d’appel de Versailles, c’est sa motivation qui retient avant tout l’attention, motivation dont la présentation implique de différencier successivement la question (ici préalable) du caractère manifestement disproportionné (ou non) des cautionnements litigieux, puis celle – plus générale – du manquement (ou non) de la Banque à son devoir de mise en garde. Il conviendra, pour chacune de ces deux questions, d’envisager distinctement les deux cautionnements, intervenus dans des circonstances différentes, et conduisant la Cour d’appel à dégager des solutions elles-mêmes différentes.

Sur le caractère manifestement disproportionné (ou non) des cautionnements litigieux : En droit, il faut rappeler tout d’abord le sens des dispositions de l’article L. 341-4 du code de la consommation, selon lequel « un créancier professionnel (telle une Banque) ne peut se prévaloir d’un contrat de cautionnement conclu par une personne physique :

  • dont l’engagement était, lors de sa conclusion, manifestement disproportionné à ses biens et revenus,
  • à moins que le patrimoine de cette caution, au moment où celle-ci est appelée, ne lui permette de faire face à son obligation ».

Autrement dit, l’appréciation porte donc sur deux instants « t » bien distincts l’un de l’autre : le premier à la souscription de la caution ; le second à la date à laquelle celle-ci est appelée.

Cette disposition s’applique à toutes les cautions qu’elles soient averties ou novices, dirigeantes ou non, dès lors que leur engagement a été souscrit pour un montant excédant manifestement leurs facultés financières (V. récemment, en ce sens, CA Pau, 22 juin 2015, RG n°14/00310).

Concernant le premier point, la disproportion de l’engagement de caution s’apprécie à la date de la conclusion du cautionnement sur la base des éléments alors connus et l’appréciation de la disproportion doit être effectuée au vu des déclarations de la caution concernant ses biens et revenus dont le créancier, en l’absence d’anomalies apparentes, n’a pas à vérifier l’exactitude ; au sens de ce texte, la disproportion s’apprécie, lors de la conclusion du contrat de cautionnement, au regard du montant de l’engagement ainsi souscrit et des biens et revenus de la caution, en prenant en considération son endettement global dont le créancier avait (ou pouvait avoir connaissance) en tant que professionnel normalement avisé et vigilant, y compris l’endettement résultant d’autres engagements de caution (V . très récemment, sur cette question : CA Poitiers, 24 novembre 2015, RG n° 14/04201). Par ailleurs, il résulte du texte précité que l’inopposabilité du cautionnement à la caution est conditionnée par l’existence, lors de sa souscription, d’une double disproportion manifeste de l’engagement, à ses revenus d’une part, et à ses biens d’autre part, et ce cumulativement et non alternativement. Ajoutons également que la preuve du caractère disproportionné du cautionnement au moment de sa souscription pèse sur la caution qui s’en prévaut et ce en application des dispositions de l’article précité.

Concernant le second point, il convient de rappeler qu’en présence d’un cautionnement qui n’était pas disproportionné lors de sa conclusion, il est alors inopérant de rechercher s’il est devenu disproportionné au moment où la caution est appelée.

Ceci étant rappelé, en l’espèce, pour ce qui concerne la souscription du premier cautionnement, le 22 mai 2009, la Cour d’appel retient « que le cautionnement souscrit à concurrence de 241.705,10 euros en regard d’un patrimoine immobilier commun de 200.000 euros et d’un patrimoine mobilier de 60.000 euros, fût-il amputé de la somme de 54.000 euros, et d’un revenu annuel d’environ 50.000 euros pour garantir le remboursement d’un emprunt à raison de mensualités de 2.748,04 euros n’apparaît pas manifestement disproportionné aux biens et revenus de la caution à la date de sa souscription » et « qu’il n’y a donc pas lieu de rechercher si Monsieur S. peut y faire face au moment où il est appelé ».

Pour ce qui concerne la souscription du second cautionnement, le 17 février 2012, la Cour d’appel retient qu’ « aucune fiche d’information sur les revenus et les biens de Monsieur S. n’a été établie de sorte qu’il peut apporter la preuve qui lui incombe de la disproportion manifeste de ce cautionne-ment à ses biens et revenus par tout moyen », « qu’en février 2012, alors qu’il était déjà engagé à concurrence de 241.705,10 euros au titre du premier cautionnement, Monsieur S. avait perçu (…) 98.130,50 euros, amputé d’un capital de 50 000 euros dû au titre de la prestation compensatoire de 62.500 euros mise à sa charge (…) » et « qu’il a déclaré avoir perçu en 2012 la somme de 76 euros ; que les avances en compte courant d’associé réalisés par Monsieur S. se sont élevées à la somme totale de 166.497,34 euros au 30 septembre 2011, et s’il faut relever que M. S. ne fournit aucune in-formation sur le montant de son compte courant d’associé en février 2012, il convient de le suivre lorsqu’il affirme que, compte tenu de la situation de la société S. en février 2012, laquelle sera mise en redressement judiciaire un mois plus tard, le remboursement de ce compte courant était illu-soire ». La Cour d’appel conclut « qu’en considération de ces divers éléments d’appréciation, il faut retenir que le cautionnement supplémentaire des engagements de la société S. à concurrence de 7.800 euros le 17 février 2012 était manifestement disproportionné aux biens et revenus de M. S. » et que la Banque « sur laquelle pèse la charge de la preuve d’un retour à meilleure fortune de la cau-tion, ne soutient pas que Monsieur S. peut faire face à cet engagement au moment où il est appelé, de sorte qu’il convient de dire qu’elle ne peut se prévaloir du cautionnement du 17 février 2012 ».

Sur le devoir de mise en garde de la Banque : En droit, il convient tout d’abord de rappeler quatre observations de principe. En premier lieu, les contours du « devoir de mise en garde » ne sont pas précisément définis, ni par la loi (qui n’en donne aucune définition), ni par la jurisprudence, la cour de cassation laissant ce soin aux juridictions du fond, sans doute car l’intensité même de ce devoir relève de la casuistique ; en substance, le devoir de mise en garde imposerait à l’établissement d’alerter l’emprunteur (ou la caution) sur le caractère excessif du prêt qu’il sollicite (ou qu’il cautionne) ; autrement dit, il s’agirait pour le banquier d’insister sur les risques ou les conséquences négatives de l’octroi du prêt. En deuxième lieu, l’on peut comprendre, à la lumière de ce qui semble constituer les premiers contours de ce devoir de mise en garde que le banquier dispensateur de crédit n’y soit tenu qu’en présence de conditions relativement contraignantes ; or, selon la jurisprudence, ce devoir s’impose tant à l’égard de l’emprunteur non averti qu’à celui de la caution non avertie, à raison de leurs capacités financières et des risques d’endettement nés de l’octroi du prêt qui constitue l’opération cautionnée. Autrement dit, l’obligation de mise en garde est ainsi subordonnée à deux conditions cumulatives, la qualité d’emprunteur (ou de caution) non averti(e) et l’existence d’un risque d’endettement ; on y reviendra. En troisième lieu, lorsque ces deux conditions cumulatives sont vérifiées et que le Banque se trouve alors tenue par ce devoir de mise en garde, il appartient alors à cette dernière de rapporter la preuve de ce qu’elle y a satisfait. En quatrième lieu, la sanction d’un manquement du banquier dispensateur de crédit à son obligation de mise en garde réside dans la réparation de la perte de chance pour la caution de ne pas contracter pouvant, le cas échéant, donner lieu à l’octroi de dommages-intérêts ; il ne prive pas cependant le banquier de la possibilité de se prévaloir du cautionnement, pas plus qu’il n’entraîne la décharge de la caution.

Ce rappel juridique préalable effectué, il convient de revenir sur les faits de l’espèce. Pour ce qui concerne l’octroi le 22 mai 2009 à la société S., nouvellement constituée, d’un prêt de 185.927 eu-ros, destiné à financer les investissements liés à la création du fonds de commerce de centre de bronzage sous franchise à Evreux, la Cour d’appel retient :

  • qu’il est intervenu après la remise par Monsieur S. à la Banque d’un document intitulé « synthèse du compte de résultat prévisionnel » qui, selon Monsieur S., aurait été établi di-rectement par le franchiseur et serait insincère ;
  • que le document d’information pré-contractuelle communiqué par le franchiseur à Mon-sieur S. versé aux débats stipule en son article II, B, 4, que « le franchiseur remet au franchi-sé … un modèle-type de compte de résultat prévisionnel, ainsi que le montant des investis-sements, les principaux ratios, les principales charges permettant au franchisé d’établir son propre compte d’exploitation prévisionnel, avec l’aide de ses propres conseils et en fonction des facteurs locaux de son implantation » et que « le franchisé reconnaît que la responsabi-lité du franchiseur ne pourra, en aucun cas, être recherchée en cas de non-réalisation des prévisions dans la mesure, notamment, où d’une part le franchisé a une part prépondé-rante dans la réussite de l’exploitation de son centre, d’autre part, qu’il lui appartient de faire procéder à toute étude de marché approfondie en fonction du choix qu’il fait de son emplacement, enfin, parce que les outils prévisionnels ne peuvent préjuger du comporte-ment d’une population locale spécifique pour un produit de confort proposé dans le cadre d’un concept original » ;
  • que le prévisionnel était « manifestement irréaliste » dans les circonstances de l’espèce ;
  • « que l’octroi du prêt présentait de sérieux risques d’endettement et excédait les capacités financières prévisibles de la société S. ; que Monsieur S. était le créateur de l’entreprise, n’avait aucune qualification ni compétence ni expérience dans la gestion d’un commerce ou dans la finance, exploitant de surcroît un domaine d’activité totalement étranger à sa pro-fession habituelle d’ingénieur en informatique ; que la société S. doit donc en conséquence être considérée comme un emprunteur non averti, de même que Monsieur S. doit être quali-fié de caution non avertie ; que (la Banque), qui, dans le cadre de son obligation de pru-dence et de vigilance, devait se renseigner sur la viabilité du projet et les capacités finan-cières de la société S. sans s’en tenir aux informations contenues dans des documents peu fiables ou irréalistes, était débitrice d’une obligation de mise en garde qu’elle ne justifie par avoir remplie » ;
  • et qu’en conséquence que Monsieur S. est « en droit d’obtenir la réparation de la perte de chance de ne pas contracter qui ne saurait correspondre au montant de la dette, ni au mon-tant de toutes les sommes engagées pour financer la création et l’exploitation du fonds de commerce » ;
  • qu’en l’espèce il y a lieu de retenir que « s’il est certain que le défaut d’exécution du devoir de mise en garde a privé Monsieur S. de l’éventualité favorable qu’aurait constitué pour lui le fait de renoncer à son projet, l’éventualité de ce renoncement apparaît faible, de sorte que le préjudice sera réparé par l’allocation d’une somme de 50 000 euros à titre de dom-mages-intérêts, venant se compenser avec le montant de la condamnation restant à dé-terminer (…) ».

Par sa motivation, la décision commentée reprend donc successivement les deux conditions cumulatives auxquelles le devoir de mise en garde de la Banque est subordonné : la qualité d’emprunteur non averti et l’existence d’un risque significatif d’endettement. Chacune de ces conditions mérite quelques commentaires supplémentaires.

Le caractère « averti » (ou non) de l’emprunteur est par nature une question subjective. Elle se rattache néanmoins à des critères, un peu plus objectifs, tels que notamment :

  • le profil de l’intéressé bien sûr, encore que, contrairement à une idée reçue, cet élément ne constitue pas le seul élément à prendre en considération (Th. Favario, Les contours jurisprudentiels du devoir de mise en garde du banquier à l’égard de l’emprunteur non averti,  Revue de Droit bancaire et financier n° 3, Mai 2010, étude 12 : soulignant même, à propos des deux arrêts rendus le 27 juin 2007 par la chambre mixte de la cour de cassation, que l’un laissait entendre qu’un agriculteur empruntant pour les besoins de son exploitation n’était pas nécessairement un emprunteur averti, et que l’autre suggérait qu’une institutrice co-emprunteur avec son époux d’un prêt pour l’achat d’un fonds de commerce n’était pas nécessairement un emprunteur non averti) ;
  • la durée pendant laquelle l’emprunteur (ou son dirigeant) ont pu exercer l’activité professionnelle financée par le prêt litigieux et/ou une activité impliquant des compétences financières ; en l’espèce, il n’est pas neutre de relever qu’il s’agissait d’un emprunteur non averti dès lors que « Monsieur S., créateur de l’entreprise (emprunteuse), n’avait aucune qualification ni compétence ni expérience dans la gestion d’un commerce ou dans la finance, exploitant de surcroît un domaine d’activité totalement étranger à sa profession habituelle d’ingénieur en informatique » (v. par ailleurs, pour un exemple récent d’emprunteur « averti » : CA Aix-en-Provence, 25 Juin 2015, RG n° 14/06188 ; CA Amiens, 22 janvier 2015, RG n°13/02916) ;
  • le nombre de prêts professionnels que l’emprunteur (ou son dirigeant) ont pu contracter par le passé,
  • la présence ou non de professionnels ayant pu entourer l’emprunteur avant la souscription du crédit litigieux (v. en ce sens, CA Pau, 22 juin 2015, RG n°14/00310 : soulignant que le dirigeant « a donc su s’entourer de l’avis de professionnels et a pu en conséquence prendre une décision réfléchie et éclairée lorsqu’il a souscrit son engagement de caution »)
  • étant précisé que la cour de cassation se livre régulièrement à un contrôle de la notion d’emprunteur averti ou de caution avertie (v. par ex., Cass. civ. 1ère, 27 février 2013, n°12-13.950) et qu’il appartient au demandeur et à lui seul de rapporter la preuve de sa qualité de profane (v. CA Rouen, 23 avril 2015, RG n° 13/02791 ; v. surtout, Cass. com., 17 nov. 2009, Juris-Data n° 2009-050458).

L’existence d’un risque significatif (ou non) d’endettement est également une question subjective. Elle se rattache néanmoins à des critères, un peu plus objectifs, tels que notamment :

  • l’existence (ou non) d’une disproportion entre l’engagement de l’emprunteur (ou de la caution) et la capacité de remboursement du crédit par l’emprunteur (les revenus et patrimoine de la caution), induisant un risque d’endettement excessif (V. très récemment, sur cette question : CA Poitiers, 24 novembre 2015, RG n° 14/04201) ;
  • l’existence (ou non) d’informations financières communiquées à la Banque (CA Versailles, 19 juin 2014, RG n°12/03725 : soulignant au cas particulier « que la banque, qui ne justifie d’aucune demande de renseignements vis à vis des cautions, quant à leur capacités financières, ce dont il résulte qu’elle n’a pas vérifié la proportionnalité de leur engagement à leurs biens et revenus, ne peut sérieusement prétendre, alors qu’elle était le partenaire financier du vendeur, avoir ignoré la fragilité de la situation économique et financière de la société cédante et partant, les risques d’endettement encourus par les appelants en leur qualité de cautions de la société cessionnaire » ; v. aussi sur ce point, CA Angers, 30 mai 2014, RG n°12/02571, Juris-Data n°2014-012089) ;
  • lorsque des informations financières ont communiquées à la Banque – ce qui le cas en règle générale évidemment –, leur exactitude (CA Metz, 26 Mai 2015 RG n° 14/00446), sinon même l’existence (ou non) d’anomalies apparentes dans les éléments transmis à la Banque (CA Rouen, 23 avril 2015 – RG n° 13/02791 : soulignant que « la banque, qui n’a pas à s’im-miscer dans la gestion des affaires de ses clients pour apprécier la viabilité et la rentabilité de leurs projets, qui n’avait pas à procéder à des investigations supplémentaires sur la situa-tion de la société au vu de documents qui étaient cohérents et sans anomalie apparente, dont il n’est pas démontré qu’elle aurait eu, sur le projet financé et la situation de la société des informations qui n’étaient pas en possession de la caution, a pu accorder le prêt » ) ; dans l’espèce commentée, la Cour infère le devoir de mise en garde de la Banque de ce que le prévisionnel, établi par le franchiseur, était « manifestement irréaliste » ;
  • l’existence (ou non) d’informations connues de la Banque et ignorées de l’expert-comptable ayant réalisé les comptes prévisionnels (CA Amiens, 22 janvier 2015, RG n°13/02916) ;
  • étant précisé qu’il appartient par nature au demandeur de rapporter la preuve que la Banque lui a fait prendre un risque inconsidéré d’endettement (v. récemment en ce sens, CA Metz, 26 Mai 2015, RG n° 14/00446).

A rapprocher : Cass. ch. mixte, 29 juin 2007 (deux arrêts) : Juris-Data n° 2007-039908 et 2007-039909 ; RTD civ. 2007, p. 779, note P. Jourdain ; JCP G 2007, II, 10146, note A. Gourio ; D. 2007, p. 2081, note S. Piedelièvre ; JCP E 2008, 2105, note D. Legeais

 

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