Le choix de l’emplacement du local : aspects juridiques

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SIMON François-Luc

Avocat Associé-Gérant - Docteur en droit

CA Rouen, 28 oct. 2010, RG n°08/05216

La mise en cause de la responsabilité du franchiseur à raison du choix du local est un point relativement peu examiné en jurisprudence, de sorte qu’il nous semble intéressant de revenir sur les termes de l’arrêt récemment rendu sur ce point par la Cour d’appel de Rouen.

1. La mise en cause de la responsabilité du franchiseur à raison du choix du local est un point relativement peu examiné en jurisprudence, de sorte qu’il nous semble intéressant de revenir sur les termes de l’arrêt récemment rendu sur ce point par la Cour d’appel de Rouen.

Il convient de rappeler tout d’abord que, statuant sur l’appel interjeté par le franchiseur et le franchisé d’un jugement rendu par le Tribunal de commerce de Rouen le 29 septembre 2008 qui :

  • « déboute (le franchisé) de sa demande de nullité des contrats et de sa demande subsidiaire de résiliation aux torts exclusifs (du franchiseur),
  • prononce la résiliation du contrat de franchise et des contrats liés et accessoires aux torts partagés des parties, sans indemnité de part ni d’autre,
  • fait interdiction (au franchisé) de continuer à exploiter sous l’enseigne et avec les signes distinctifs (du franchiseur), sous 60 jours calendaires à compter de la signification de la décision,
  • condamne (la centrale d’achats) à rembourser (au franchisé) les sommes facturées sur la base des 26% des ventes, dans la limite de 5.295,25 €, avec intérêt au taux légal à compter du 23 mai 2006,
  • condamne (la centrale d’achats) à payer (au franchisé) la somme de 262,95 € avec intérêt au taux légal à compté du 13 juin 2006,
  • dit n’y avoir lieu à exécution provisoire du présent jugement,
  • dit n’y avoir lieu à application de l’article 700 du code de procédure civile ».

La Cour d’appel de Rouen a finalement fait droit à l’ensemble des demandes du franchiseur. L’arrêt commenté comporte différents aspects, pour l’essentiel d’ordre factuel, qui conduiront, dans le cadre du présent commentaire, à ne retenir que celui relatif au choix du local. L’intérêt de cette décision n’est pas neutre quand on sait que le franchiseur participe, souvent de manière active, au choix du local qu’il fournit ou qu’il agrée (v. par ex., CA Montpellier, 15 déc. 2004, Juris-Data n°265655 ; CA Toulouse, 9 déc. 2004, Juris-Data n°269354 ; CA Riom, 29 juin 2004, Juris-Data n°253480 ; CA Nancy, 4 déc. 2002, Juris-Data n°206150), cette démarche étant souvent nécessaire à la conservation de l’image du réseau, dont le contrôle par le franchiseur est légitime.

2. A bien y regarder, le jugement dont appel ne se prononçait pas véritablement sur la qualité de l’emplacement choisi par le franchisé pour établir son commerce. Tout au plus affirmait-il sur ce point que « la question de la qualité de l’emplacement reste discutable ». Or, pour qualifier de fautive l’appréciation du potentiel d’un l’emplacement, il faut avoir préalablement établi l’absence de potentiel dudit emplacement. C’est précisément ce que le Tribunal se refusait de faire estimant, de façon contradictoire, que la « qualité de l’emplacement reste discutable ». En conséquence, sans se prononcer clairement sur le potentiel de l’emplacement, le Tribunal ne pouvait ni établir – ni même présumer – le caractère fautif du choix de l’emplacement.

3. Devant la Cour d’appel de Rouen, le franchiseur faisait valoir qu’il incombe au franchisé de démontrer que l’emplacement était de mauvaise qualité, et soulignait que plusieurs éléments objectifs confirmaient bien en l’espèce, si besoin était, la qualité de l’emplacement considéré. Le franchiseur attirait ainsi l’attention de la Cour sur pas moins de huit arguments propres à stigmatiser la qualité de l’emplacement litigieux et, corrélativement, l’absence de faute du franchiseur ; il avançait en effet ce qui suit :

En premier lieu, dans la description sommaire en annexe I du contrat de franchise, l’emplacement du local commercial (du franchisé) est décrit comme bénéficiant d’un « fort passage de voitures  à un carrefour majeur d’un axe entrant et sortant ». Le magasin, qui présente une large vitrine, se situe à proximité du rond-point le plus fréquenté de la ville avec un passage de 25.000 véhicules par jour, ce que le franchisé ne tente pas même de démentir. Ce chiffre est largement corroboré par le constat effectué le 26 mai 2006 à la demande (du franchisé), qui rapporte le chiffre de 100.000 véhicules/jour passant sur l’avenue de Bruay « selon l’estimation commune de parties ». Ceci s’explique par le fait que le magasin se situe sur une départementale, la D943, qui est un passage incontournable pour effectuer le trajet depuis Béthune-centre jusqu’à l’autoroute A26, laquelle dessert Calais et Paris via Saint-Quentin.

En deuxième lieu, l’emplacement bénéficie de l’attraction de clientèle que génère l’hypermarché AUCHAN (et plus généralement de l’ensemble du centre commercial) situé à proximité. En effet, selon le constat d’huissier effectué à la demande du franchisé lui-même, lequel tenait notamment à vérifier si le franchisé bénéficiait ou non « de l’attraction de la clientèle de l’hypermarché AUCHAN », sur huit clients interrogés par l’huissier, trois d’entre eux ont visité le magasin franchisé suite à des courses effectuées dans le centre commercial voisin (deux d’entre eux venant de chez AUCHAN et le troisième provenant de chez BOULANGER, magasin d’électroménager). Autrement dit, 37,5% de la clientèle vient grâce à la synergie créée par le centre commercial voisin.

En troisième lieu, le rapport d’ouverture du 6 octobre 2005 spécifie à juste titre qu’au-delà de la forte affluence automobile, le magasin est « un magasin de quartier » qui bénéficie d’un passage piétons non « négligeable » et d’un entourage de commerce de proximité tel qu’une boulangerie, un assureur ou encore une agence d’intérim. Ces éléments objectifs ne sont pas davantage contestables.

En quatrième lieu, la concurrence reste éloignée de plusieurs kilomètres.

En cinquième lieu, l’accessibilité du magasin est aisée puisque celui-ci dispose de cinq places de stationnement se situant directement face au magasin.

En sixième lieu, la qualité de l’emplacement du local commercial occupé par le franchisé est attestée par les résultats du premier mois d’exploitation qui s’est avéré être légèrement supérieur au prévisionnel remis à ISSAGI. Dès lors, ce démarrage supérieur aux prévisions prouve que l’emplacement ne souffrait ni d’une visibilité insuffisante, ni d’une accessibilité restreinte, ni de l’insuffisance de ses places de stationnement comme ont pu le soutenir les demandeurs.

En septième lieu, le fait de poursuivre l’activité au sein du même local atteste de la viabilité du projet (CA Paris, 26 septembre 2001, Juris-Data n°155594 : soulignant à juste titre que le franchisé « continue à ce jour à exploiter le même magasin (…), ce qui témoigne de la viabilité du projet »).

En huitième et dernier lieu, si la qualité de l’emplacement avait été médiocre, la responsabilité de ce choix incomberait exclusivement au franchisé qui a fait preuve d’une légèreté blâmable en ne réalisant pas l’étude de marché préalable, bien qu’il ait été averti par deux fois au moins de cette nécessité.

Ainsi, selon le franchiseur, ces éléments objectifs attestaient de manière indiscutable de la bonne qualité de l’emplacement, lequel correspondait d’ailleurs point par point aux critères de recherche de magasins établis par le franchiseur au sein de son réseau.

4. Par l’arrêt commenté (CA Rouen, 28 oct. 2010, RG n°08/05216), la Cour relève qu’en l’état des observations du franchiseur « rien ne démontre ni la tromperie du franchiseur dans le choix du local, ni surtout que le local serait inadapté au regard des objectifs poursuivis lors de la signature du contrat ». Pour le dire autrement, la Cour d’appel de Rouen retient deux motifs majeurs faisant obstacle à la mise en cause de la responsabilité du franchiseur :

En premier lieu, en relevant que « rien ne démontre (…) que le local serait inadapté au regard des objectifs poursuivis lors de la signature du contrat », la Cour d’appel considère donc qu’il appartient au franchisé de rapporter la preuve de la mauvaise qualité de l’emplacement, preuve non démontrée au cas présent (v. par ex., pour des exemples de sanction du franchiseur en raison de la mauvaise qualité du conseil donné à son franchisé dans le choix du point de vente, v. CA Paris, 15 févr. 1995, Juris-Data n°021422 ; CA Limoges, 5 janv. 1988, Juris-Data n°044191).

A cet égard, il convient également d’ajouter qu’il n’est pas neutre que le franchisé critiquant le choix de l’emplacement continue à y exploiter son activité (CA Paris, 7 juin 2006, Juris-Data n°312420 ; 5 juill. 2006, Juris-Data n°312416 : retenant que l’emplacement choisi se trouvait dans une zone de chalandise suffisamment bien située pour avoir conduit le franchisé à conserver ultérieurement le local afin d’y exercer une nouvelle activité professionnelle une fois le contrat de franchise résilié ; v. aussi, CA Paris, 26 septembre 2001, Juris-Data n°155594 : soulignant à juste titre que le franchisé « continue à ce jour à exploiter le même magasin (…), ce qui témoigne de la viabilité du projet »).

En deuxième lieu, en relevant que « rien ne démontre (…) la tromperie du franchiseur dans le choix du local », la Cour d’appel considère donc qu’il appartient au franchisé de rapporter la preuve de l’intention dolosive du franchiseur.

Et il exact, au regard de la jurisprudence, que le franchiseur n’a une telle obligation envers le franchisé que lorsque le contrat le prévoit expressément (CA Angers, 27 mai 2002, Juris-Data n°107620) et sa responsabilité ne saurait être engagée lorsqu’il n’impose pas le lieu d’implantation, mais ne fait qu’offrir son aide dans le choix du local (CA Rennes, 25 sept. 2007, Juris-Data n°367062).

 

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