Entente anticoncurrentielle et prix de revente des produits aux consommateurs

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RICHARD Sandrine

Avocat associée

Décision de l’ADLC n°09-D-23, du 30 juin 2009

L’Autorité de la concurrence a rendu le 30 juin 2009 une décision particulièrement intéressante en matière de droit de la distribution, relative au réseau de distribution de prêt-à-porter féminin à l’enseigne « MANGO », géré par la société de droit espagnol Punto Fa SL et, en France, par sa filiale MANGO FRANCE.

Propos introductif

Le débat relatif à la justification de l’interdiction des prix imposés n’est pas nouveau. En effet, bien que l’interdiction des prix imposés soit généralement considérée comme parfaitement établie, cette pratique étant l’une des premières sanctionnées par le droit de la concurrence, cette question – et notamment celle de l’interdiction per se de l’imposition des prix – fait de nouveau débat en doctrine et parmi les praticiens, notamment au niveau européen. En octobre 2008, elle a d’ailleurs fait l’objet d’échanges houleux lors d’une table ronde organisée par l’OCDE, intitulée « Resale Price Maintenance », dont les actes ont été récemment publiés, au cours de laquelle la légitimité de l’interdiction per se a été remise en cause à la suite notamment de sa suppression en droit américain. Les Etats-Unis ont en effet choisi, depuis 2007, de ne pas condamner automatiquement la pratique de prix imposés mais de la soumettre préalablement au test de la règle de raison, laquelle permettant de mettre en balance ses effets anticoncurrentiels potentiels et les gains d’efficience susceptibles d’en découler.

Dans ce contexte, l’Autorité de la concurrence a rendu le 30 juin 2009 une décision particulièrement intéressante en matière de droit de la distribution, relative au réseau de distribution de prêt-à-porter féminin à l’enseigne « MANGO », géré par la société de droit espagnol Punto Fa SL et, en France, par sa filiale MANGO FRANCE.

La société Punto Fa SL a fait l’objet d’une enquête des services de concurrence, aboutissant sur un rapport de la DGCCRF, laquelle considérait avoir identifié l’existence d’une entente anticoncurrentielle entre Punto Fa et ses distributeurs indépendants situés en France, portant sur les prix de revente des produits aux consommateurs.

Contrairement à ce que ce rapport pouvait laisser présager pour les entreprises en cause, la décision de l’Autorité de la concurrence a conclu à l’absence de violation par la société Punto Fa SL des interdictions française et communautaire des ententes verticales sur les prix (respectivement sanctionnées par les articles L.420-1 et suivants du code de commerce et l’article 81 du Traité CE) et, en conséquence, à la licéité du système mis en place au regard du droit de la concurrence.

A la différence de certaines autres affaires, dans lesquelles l’auteur présumé des pratiques anticoncurrentielles n’est généralement pas condamné compte tenu de l’absence ou de l’insuffisance des preuves des pratiques qui lui sont reprochées, force est de constater que, en l’espèce, les pratiques en cause étaient établies et, pour la plupart, pas même contestées par la société Punto Fa SL (bien que cette dernière ait soutenu que les distributeurs n’étaient pas contraints de respecter les prix de vente indiqués par elle).

La décision

Il serait inexact de la résumer à un blanc-seing de l’Autorité de la concurrence permettant aux têtes de réseaux de fixer les prix de revente de leurs produits aux consommateurs. En réalité, la décision se borne à considérer que le réseau de Punto Fa SL en France n’entre pas dans le champ d’application des dispositions relatives aux ententes anticoncurrentielles, en raison de l’absence d’autonomie commerciale des distributeurs (ces derniers n’étant pas en mesure de décider de leur stratégie commerciale indépendamment de Punto Fa SL, et n’assumant pas de risques substantiels dans le cadre de leur activité). En effet, sans autonomie commerciale, les distributeurs ne sont pas en mesure de prendre des décisions, telle que celle de s’accorder avec Punto Fa SL sur les prix de revente.

Ainsi, aucun accord de volonté n’étant intervenu entre les sociétés, il ne peut exister aucune entente entre elles : les dispositions interdisant les ententes anticoncurrentielles ne sont donc pas applicables. En droit de la concurrence, l’existence d’une concordance de volontés entre au moins deux entreprises est indispensable à l’existence d’une entente. Ainsi que le rappelle l’Autorité de la concurrence, cette concordance de volontés exige que l’on soit en présence d’ « entreprises autonomes au sens du droit de la concurrence ».

Analyse de la décision

On l’a vu, la pratique reprochée par la DGCCRF à Punto Fa SL était constituée par une fixation des prix de revente aux consommateurs. On peut d’ailleurs s’étonner à ce titre que seule la société Punto Fa SL ait été mise en cause, les distributeurs étant – selon la DGCCRF – parties prenantes à la pratique reprochée, puisqu’ils déterminaient les prix lors d’un showroom et les appliquaient en pratique ; on se souvient par exemple de l’entente sur les prix sanctionnée à l’égard à la fois des fournisseurs et des distributeurs dans l’affaire des parfums (Décision n° 06-D-04 de l’Autorité de la concurrence, du 13 mars 2006, relative à des pratiques relevées dans le secteur de la parfumerie de luxe).

Si dans la plupart des réseaux de distribution, une telle pratique est fermement condamnée, dans cette affaire – et c’est là que réside l’intérêt de la décision – elle est autorisée dans le réseau MANGO en raison de l’unité économique qui unit la tête de réseau et ses distributeurs, et interdit de les considérer comme des entreprises distinctes au sens du droit de la concurrence.

Pour comprendre la décision de l’Autorité de la concurrence, il convient de garder à l’esprit l’approche économique de celle-ci : bien que les entreprises soient juridiquement distinctes, l’Autorité de la concurrence peut les considérer comme constituant une seule et même entité économique dès lors que les distributeurs ne sont pas économiquement et commercialement indépendants du fournisseur.

L’Autorité de la concurrence applique ici la jurisprudence nationale et communautaire qui définit la notion d’ « entreprise » au sens du droit de la concurrence, c’est-à-dire au sens économique et non juridique. En particulier, elle se fonde sur différentes décisions, notamment une décision du Tribunal de Première Instance des Communautés européennes (TPICE, arrêt du 15 septembre 2005, aff. Daimler Chrysler contre Commission (T-325/01)), qui a pris en considération, parmi les critères permettant de définir l’autonomie ou la dépendance du distributeur, l’importance de la maîtrise du stock et la détermination du prix de vente au consommateur final ;

L’Autorité de la concurrence liste les principales décisions que le distributeur doit en principe assumer lorsqu’il exerce son activité en toute indépendance : « Il doit être notamment en mesure de décider librement du lieu d’implantation de son activité, de l’aménagement de son point de vente, de la promotion de son activité, de l’approvisionnement de son point de vente, de la détermination des prix et des conditions commerciales à la clientèle. L’ensemble de ces éléments contribue à établir la capacité entrepreneuriale du distributeur en tant qu’entité économique autonome. Pour ce qui concerne l’activité de distribution de prêt-à-porter féminin, fortement influencée par la mode et le renouvellement rapide des collections, la maîtrise de l’approvisionnement, du réassort et du déstockage est un facteur réellement déterminant. »

En l’espèce, s’agissant du réseau MANGO, ces décisions relèvent du pouvoir de la tête de réseau.

L’Autorité de la concurrence considère que, pour les raisons ci-après, les distributeurs MANGO disposent d’une autonomie commerciale quasi-inexistante :

  • absence de liberté du distributeur quant à l’implantation et à l’installation de son point de vente (l’Autorité précise à ce stade que cette absence de liberté pourrait être justifiée dans le cadre d’une franchise, en raison de l’existence d’une contrepartie : la transmission d’un savoir-faire) ;
  • absence de propriété de la marchandise, qui appartient à Punto Fa SL jusqu’à sa vente au consommateur final ;
  • absence de risque pour le distributeur lié aux invendus (risque clé dans l’activité concernée) ou encore aux produits défectueux, la marchandise ne lui appartenant pas, et prise de risques mineurs dans le cadre de l’exercice de son activité (garantie bancaire couvrant le stock etc.) ;
  • absence de maîtrise de l’assortiment et du réassort/renouvellement du stock, notamment due à l’utilisation obligatoire d’un logiciel de gestion de stock imposé par la tête de réseau ;
  • absence de maîtrise des publicités et promotions ;
  • absence de maîtrise des prix de vente aux consommateurs (déterminés conjointement avec MANGO FRANCE, et prévus dans le contrat par une obligation de respect des marges et notamment celle de Punto Fa SL, ainsi que par le pré-étiquetage des produits et la diffusion des prix des produits dans les catalogues destinés aux consommateurs).

A la lecture de ces éléments, les professionnels de la franchise identifient immédiatement l’impossibilité pour un franchiseur de transposer ce système dans un réseau de franchise, avec pour unique but de pouvoir uniformiser les prix de revente à l’intérieur de son réseau. En effet, et les décisions récentes l’ont d’ailleurs rappelé, la réduction de l’autonomie commerciale du franchisé peut entraîner la requalification du contrat de franchise, ou encore l’application des dispositions du droit du travail au dirigeant de la société franchisée.

L’exclusion de toute relation de franchise

Le contrat précisait lui-même, s’agissant de sa qualification juridique, qu’il constituait un contrat sui generis (l’une des clauses du contrat indiquait en effet qu’il devait « être considéré complexe et atypique »). Les distributeurs avaient parfois été, en pratique, dénommés « franchisés », et leur relation avec  et MANGO FRANCE empruntait certains instruments familiers de nombreuses franchises de distribution, notamment dans le secteur du prêt-à-porter, tels que le paiement d’un droit d’entrée, l’exclusivité de vente des produits de la marque MANGO, l’interdiction pour le distributeur de fabriquer, vendre ou distribuer des produits concurrents de ladite marque, l’octroi au distributeur d’une exclusivité territoriale, respect du concept architecturale et graphique de l’enseigne, formation du personnel du distributeur. Néanmoins, l’Autorité de la concurrence a insisté sur le fait que dans cette affaire, il ne s’agissait en aucun cas d’une relation de franchise, en l’absence de transfert effectif de savoir-faire et de transfert de propriété de la marchandise mise en vente. Sur ce dernier point, nous émettrons quelques réserves quant à la pertinence de l’argumentation de l’Autorité de la concurrence, l’absence de propriété du stock n’étant pas exclusive d’une relation de franchise ; en réalité, seule l’absence de transmission d’un savoir-faire aux distributeurs partenaires permettait réellement d’exclure l’existence d’un contrat de franchise entre MANGO FRANCE et ses adhérents.

L’autorisation de pratiques interdites en matière de franchise

En substance, le système mis en place par MANGO FRANCE lui permet d’encadrer dans son réseau des éléments que les franchiseurs doivent souvent abandonner à la décision des franchisés, au risque de préjudicier à une certaine homogénéité du réseau. En effet, dans sa décision, l’Autorité de la concurrence valide différentes interventions de la tête de réseau, qui seraient interdites ou à tout le moins risquées dans le cadre d’un réseau de franchise (et que – il faut bien l’avouer – bon nombre de franchiseurs ont souhaité, au moins ponctuellement, pouvoir imposer à leur franchisés) :

  • fixation des prix de revente (détermination des tarifs entre le fournisseur et les distributeurs au cours d’un show-room ; pré-étiquetage des produits, sans possibilité pour le distributeur de modifier le prix étiqueté ; indication du prix de revente sur les catalogues élaborés par le fournisseur et remis aux distributeurs à destination de la clientèle) ;
  • détermination de la politique promotionnelle et publicitaire des distributeurs ;
  • obligation de recourir à l’architecte et à l’étalagiste imposés par la tête de réseau (au prix convenu contractuellement) ;
  • obligation pour le distributeur d’acquérir les consommables accessoires à l’activité principale imposés par la tête de réseau : tickets de caisse, sacs, emballages ;
  • équipements accessoires à l’activité principale imposés par la tête de réseau (en l’espèce, celle-ci fournit les rayonnages, cintres, mannequins…).

Une décision séduisante mais non transposable à la franchise

Ainsi que nous l’avons déjà exposé, la décision n°09-D-23 de l’Autorité de la concurrence est loin de constituer une porte ouverte pour les fournisseurs vers une fixation légalisée des prix à l’intérieur des réseaux de distribution. Cette remarque s’impose d’autant plus s’agissant de la franchise, puisqu’il s’agit d’un système par lequel l’indépendance du franchisé à l’égard du franchiseur est constamment réaffirmée et constitue même l’une des clés de voute de ce mode de distribution.

On anticipe bien entendu que le système mis en place par MANGO FRANCE puisse séduire un franchiseur auquel les contraintes imposées en matière de franchise peuvent parfois sembler lourdes, notamment d’un point de vue commercial. Néanmoins, il convient, selon nous, de mettre en garde ce même franchiseur s’il souhaitait adopter ce système dans son réseau : il s’agit ici d’un fonctionnement fondamentalement différent de celui qui préside en matière de franchise : si le franchiseur peut imposer plus de contraintes à ses distributeurs, que ce soit en matières de prix, d’architecture, de fournisseur de matériels accessoires à l’activité etc., il s’agit uniquement d’une contrepartie d’un investissement beaucoup plus substantiel de la tête de réseau dans l’activité quotidienne de ses distributeurs. En effet, alors que dans le cadre de la franchise le franchisé détermine sa stratégie commerciale et en assume les risques, dans le « système MANGO » il n’en n’est rien : c’est à la tête de réseau qu’il appartient d’assumer l’ensemble des risques et de prendre chacune des décisions commerciales pour chacun des points de vente. En réalité, la tête de réseau assume ici les fonctions d’un succursaliste ; or, il est peu probable qu’un franchiseur ayant précisément choisi, pour des questions de coûts, de risques et/ou de stratégie commerciale, de développer son réseau par le biais de la franchise – en lieu et place d’un développement en succursales – choisisse de recourir à un type de distribution similaire à celui mis en place par MANGO, revêtant presque tous les traits d’un développement en succursales. Une telle décision se trouverait probablement en décalage avec la stratégie de développement du franchiseur, et serait par ailleurs génératrice de risques. A ce titre, on soulignera que les risques sont augmentés dans des situations telles que celle du réseau MANGO, dont l’Autorité de la concurrence considère que l’activité est susceptible d’affecter le commerce intra-communautaire, rendant ainsi potentiellement applicables les sanctions du droit communautaire de la concurrence.

En effet, il serait déconseillé à un franchiseur de transformer son réseau de franchise en réseau « sui generis » tel que celui de MANGO. Le risque serait alors pour le franchiseur de ne pas assumer l’ensemble des fonctions actuellement assurées par Punto Fa SL dans son réseau, et ainsi de maintenir une relation hybride, située à mi-chemin entre le « système MANGO » et la franchise. Dans un tel cas, le distributeur bénéficiant d’un degré d’indépendance supérieur celui des distributeurs MANGO, il pourrait alors être considéré comme une entreprise indépendante du franchiseur au sens du droit de la concurrence, rendant ainsi applicables les dispositions françaises et communautaires relatives à l’interdiction des ententes (lesquelles sanctionneraient par exemple toute pratique de prix imposés).

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