L’extension de la procédure d’abus de droit aux opérations ayant un motif principalement fiscal

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MONTCHAUD Patrice

Avocat associé

Loi n°2018-1317 du 28 décembre 2018 de finances pour 2019

La loi de finances pour 2019 a étendu la notion d’abus de droit de l’article L.64 du Livre des procédures fiscales aux opérations ayant un motif principalement fiscal, et non plus exclusivement fiscal. 

Validée par le Conseil constitutionnel dans une décision du 28 décembre 2018, cette disposition nouvellement insérée à l’article L.64 A du Livre des procédures fiscales s’inscrit dans une lutte contre la fraude et l’évasion fiscale menée aux niveaux interne et international.

***

Le 28 décembre 2018, le Conseil constitutionnel a partiellement validé le projet de loi de finances pour 2019.

Cette décision entérine l’article 48 bis du projet de loi de finances qui insère au sein du Livre des procédures fiscales (LPF) l’article L.64 A, lequel étend la procédure de l’abus de droit aux opérations ayant un motif principalement fiscal, et non plus exclusivement fiscal.

Il est alors question d’un « abus de droit à deux étages », en ce qu’au mécanisme traditionnel de l’abus de droit de l’article L.64 du LPF vient s’ajouter celui de l’article L.64 A nouveau qui s’appliquera aux rectifications notifiées à compter du 1er janvier 2021 et portant sur des actes réalisés à compter du 1er janvier 2020. Derrière cette expression pouvant s’avérer abstraite, se cache un environnement législatif dense qu’il convient de présenter. Avant l’adoption de la loi de finances pour 2019, la procédure d’abus de droit était régie par l’article L.64 du LPF et concernait tous les impôts. Elle pouvait être déclenchée par l’administration fiscale en cas de fictivité, lorsque les actes qui lui étaient présentés ne correspondaient pas à la réalité des opérations et en cas de fraude à la loi visant les montages motivés par un motif exclusivement fiscal. Le montant de l’impôt dû par le contribuable pouvait ainsi être, d’une part, rectifié en sus d’intérêts de retard et, d’autre part, majoré conformément à l’article 1729 b du Code général des impôts (CGI) instituant ces sanctions fiscales (caractère répressif de l’abus de droit).

Depuis quelques années, le développement des mesures de lutte contre la fraude et l’évasion fiscale ne cesse de s’accroître sous l’influence du droit de l’Union européenne et de l’OCDE. La naissance des clauses anti-abus européennes générales et sectorielles du régime mère-fille ou encore du régime spécial des fusions en est une illustration incontestable. En insérant l’article L.64 A nouveau, le législateur a souhaité aligner le champ d’application de l’abus de droit sur ces clauses anti-abus européennes.

La distinction entre la notion d’abus de droit au sens de l’article L.64 du LPF et les clauses anti-abus est primordiale : l’article L.64 du LPF permet de rectifier le montant de l’impôt dû et de sanctionner le contribuable le cas échéant, tandis qu’une clause anti-abus est une règle d’assiette qui certes rectifie, mais ne sanctionne pas en tant que tel le contribuable.

Autrement dit, le fait pour le législateur d’avoir aligné l’article L.64 A nouveau sur ces clauses anti-abus signifie que le mécanisme nouvellement inséré est une règle d’assiette, ce qui empêche l’administration de prononcer de façon automatique une sanction fiscale à l’égard du contribuable, qui pourra en revanche faire l’objet d’une rectification. En tant que règle d’assiette, la majoration de 80 % prévue à l’article 1729 b du CGI ne trouve donc pas à s’appliquer aux opérations ayant « pour motif principal d’éluder ou d’atténuer les charges fiscales que l’intéressé, si ces actes n’avaient pas été passés ou réalisés, aurait normalement supportées eu égard à sa situation ou à ses activités réelles ».

L’expression d’abus de droit à deux étages prend alors tout son sens : au rez-de-chaussée se situe l’abus de droit de l’article L.64 A du LPF visant les opérations motivées par un motif principalement fiscal auxquelles l’article 1729 b du CGI ne trouve pas à s’appliquer et à l’étage l’abus de droit de l’article L.64 du LPF visant la simulation et les opérations motivées par un motif exclusivement fiscal auxquelles s’applique la majoration de 80 %.

À noter que la compétence du comité de l’abus de droit fiscal ainsi que la procédure de rescrit prévue à l’article L.64 B du LPF est étendue à cette nouvelle procédure d’abus de droit. Cette volonté d’élargir la notion d’abus de droit aux opérations à but principalement fiscal n’est toutefois pas nouvelle. En effet, le Conseil constitutionnel s’était déjà prononcé dans une décision rendue le 29 décembre 2013 en censurant une disposition du projet de loi de finances pour 2014 qui avait vocation à étendre le champ d’application de l’article L.64 du LPF aux montages à but principalement fiscal et par là-même les sanctions de l’article 1729 b du CGI. Pour éviter une nouvelle censure du Conseil constitutionnel, l’insertion de l’article L.64 A s’est donc faite sur le schéma des clauses anti-abus faisant ainsi obstacle à l’application de l’article 1729 b du CGI.

Enfin, il semble nécessaire de souligner la connexité des articles L.64 A du LPF et 205 A du CGI. À travers la loi de finances pour 2019, le législateur a également eu la volonté de transposer en droit français l’article 6 de la directive « ATAD » (Anti-Tax Avoidance Directive) du 12 juillet 2006 visant à introduire une clause anti-abus en matière d’impôts sur les sociétés (IS).

L’article 205 A du CGI reprend cette clause anti-abus générale en matière d’IS en permettant à l’administration fiscale d’écarter tout montage dont l’objectif principal est d’obtenir un avantage fiscal ou qui n’est pas authentique.

Ainsi, les deux articles sont complémentaires en ce que l’article 205 A du CGI s’applique en matière d’IS tandis que l’article L.64 A du CGI trouve à s’appliquer pour l’ensemble des impôts.

A rapprocher : Décision n°2018-777 DC du 28 décembre 2018 ; Art. L.64 A du Livre des procédures fiscales ; Art. L.64 du Livre des procédures fiscales ; Art. 1729 b du Code général des impôts ; Décision n°2013-685 DC du 29 décembre 2013

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