Le sort des clauses sanctionnant un retard dans l’exécution d’un contrat et Covid-19 :

GRIMALDI Cyril

Professeur à l'Université Paris 13

GRIMALDI Cyril

Agrégé des facultés de droit, professeur à l Université Paris 13

GRIMALDI Cyril

Agrégé des Facultés de Droit - Professeur à l'Université Paris XIII

GRIMALDI Cyril

Agrégé des Facultés de Droit - Professeur à l'Université Paris XIII

L’apport de la jurisprudence rendue en application de la loi du 31 juillet 1968 relative aux forclusions encourues du fait des événements de mai et juin 1968

La mise en perspective des dispositions d’exception qui ont été prises par le législateur en vertu de la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de covid-19 et de celles de la Loi n° 68-696 du 31 juillet 1968 relative aux forclusions encourues du fait des événements de mai et juin 1968 (ci-après, la Loi de 1968) est saisissante.

Cet article peut être cité comme suit : « C. Grimaldi, F.-L. Simon, J.-Ch. Simon, Le sort des clauses sanctionnant un retard dans l’exécution d’un contrat et Covid-19 : L’apport de la jurisprudence rendue en application de la loi du 31 juillet 1968 relative aux forclusions encourues du fait des événements de mai et juin 1968, LDR, 27 avril 2020 »

 

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Synthèse de l’article :

  • Les crises exceptionnelles de Mai 1968 et du Covid-19 ont rendu nécessaire l’élaboration d’une législation d’exception destinée à aménager les règles du droit commun au cours de la période troublée.
  • Si la législation d’exception fut adoptée ex post en 1968 alors qu’elle le fut ex ante s’agissant du Covid-19, celle-ci s’inspire largement de celle-là.
  • Comment dès lors ne pas s’intéresser à la jurisprudence qui se rapporta à législation de 1968, précieux guide en vue d’analyser la législation relative à la crise sanitaire que nous traversons ?
  • L’interprétation des dispositions prévoyant le gel de certaines clauses sanctionnant un retard en matière contractuelle fournit une bonne illustration d’une telle démarche.
 
***
 

Certes, la situation est inédite. Certes, les grèves ne sont pas épidémies. Et pourtant… La mise en perspective des dispositions d’exception qui ont été prises par le législateur en vertu de la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de covid-19 et de celles de la Loi n° 68-696 du 31 juillet 1968 relative aux forclusions encourues du fait des événements de mai et juin 1968 (ci-après, la Loi de 1968) est saisissante.

Qu’on en juge avec l’Ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020 relative à la prorogation des délais échus pendant la période d’urgence sanitaire et à l’adaptation des procédures pendant cette même période, modifiée par l’Ordonnance n° 2020-427 du 15 avril 2020 portant diverses dispositions en matière de délais pour faire face à l’épidémie de covid-19 (ci-après l’Ordonnance de 2020), dont certaines dispositions sont largement reprises de celle de la Loi de 1968.

La Loi de 1968 ayant par la force des choses donné lieu à l’interprétation des tribunaux, celle-ci est nécessairement très précieuse lorsqu’il s’agit d’interpréter les dispositions de l’Ordonnance de 2020.

On peut le vérifier tout particulièrement lorsque l’on rapproche les articles 3 et 4 de la Loi de 1968 et l’article 4 de l’Ordonnance de 2020.

Dans ses articles 3 et 4, la Loi de 1968 prévoyait :

« Art. 3 – Les astreintes, les clauses pénales, les clauses résolutoires[1] ainsi que les clauses prévoyant une déchéance, lorsqu’elles ont pour objet de sanctionner l’inexécution d’une obligation dans un certain délai, sont réputées n’avoir pas pris cours ou produit effet si ledit délai a expiré entre le 10 mai 1968 et le 1er juillet 1968 inclus.

Ces astreintes prendront cours et ces clauses produiront leurs effets à compter du 16 septembre 1968 si le débiteur n’a pas exécuté son obligation avant cette date.

Art. 4 – Le cours des astreintes et l’application des clauses pénales qui ont pris effet avant le 10 mai 1968 sont suspendus entre cette date et le 1er juillet 1968 inclus. »

Dans son article 4, l’Ordonnance de 2020 indique, quant à elle :

« Les astreintes, les clauses pénales, les clauses résolutoires ainsi que les clauses prévoyant une déchéance, lorsqu’elles ont pour objet de sanctionner l’inexécution d’une obligation dans un délai déterminé, sont réputées n’avoir pas pris cours ou produit effet, si ce délai a expiré pendant la période définie au I de l’article 1er.

Si le débiteur n’a pas exécuté son obligation, la date à laquelle ces astreintes prennent cours et ces clauses produisent leurs effets est reportée d’une durée, calculée après la fin de cette période, égale au temps écoulé entre, d’une part, le 12 mars 2020 ou, si elle est plus tardive, la date à laquelle l’obligation est née et, d’autre part, la date à laquelle elle aurait dû être exécutée.

La date à laquelle ces astreintes prennent cours et ces clauses prennent effet, lorsqu’elles ont pour objet de sanctionner l’inexécution d’une obligation, autre que de sommes d’argent, dans un délai déterminé expirant après la période définie au I de l’article 1er, est reportée d’une durée égale au temps écoulé entre, d’une part, le 12 mars 2020 ou, si elle est plus tardive, la date à laquelle l’obligation est née et, d’autre part, la fin de cette période.

Le cours des astreintes et l’application des clauses pénales qui ont pris effet avant le 12 mars 2020 sont suspendus pendant la période définie au I de l’article 1er. »

Si on laisse de côté les techniques d’allongement des délais qui diffèrent en partie, les dispositions de 1968 et de 2020, en substance, paralysent le jeu de certaines clauses sanctionnant un retard dans l’exécution. L’idée sous-jacente étant qu’il s’agit de « redonner » au débiteur le temps dont il a été privé au cours de la période juridiquement protégé, pour s’exécuter et éviter de voir sanctionné son retard.

Ces deux séries de dispositions, qui visent « l’inexécution d’une obligation dans un certain délai » ou un « délai déterminé », soulèvent une difficulté majeure d’interprétation. Une lecture littérale de celles-ci laisse en effet à penser que la date pertinente est celle de l’échéance de l’obligation inexécutée.

Pourtant, il est rare que les clauses visées (clauses pénales, les clauses résolutoires ainsi que les clauses prévoyant une déchéance) jouent en raison du seul retard dans l’exécution et dès ce retard.

En effet, une mise en demeure est le plus souvent exigée, qui laisse au débiteur le temps de s’exécuter. En bref, une seconde chance… Et ce n’est qu’à l’échéance, non pas de l’obligation, mais de la mise en demeure, que le créancier peut alors mettre en œuvre une de ces clauses par une notification (à moins que la clause ne joue alors de plein droit).

Dès lors, ne faut-il pas considérer que ce qui importe n’est pas la date d’échéance de l’obligation inexécutée, mais plutôt celle de l’échéance de la mise en demeure n’ayant toujours pas donné lieu à une exécution ?

La question présente un intérêt majeur chaque fois que l’échéance de l’obligation et l’échéance de la mise en demeure n’ont pas eu lieu toutes deux au cours de la période dite « juridiquement protégée » :

  • soit que l’inexécution ait eu lieu antérieurement à la période juridiquement protégée, et la mise en demeure, au cours de ladite période,
  • soit que l’inexécution ait eu lieu au cours de cette période, mais la mise en demeure, postérieurement[2].

La Circulaire de présentation des dispositions du titre I de l’ordonnance n° 2020-427 du 15 avril 2020 portant diverses dispositions en matière de délais pour faire face à l’épidémie de covid-19 ne s’embarrasse pas de cette distinction et retient la date d’échéance de l’obligation comme élément décisif, sans pour autant s’être inquiétée de l’exigence d’une mise en demeure, notion qui n’est d’ailleurs pas mentionnée une seule fois dans le texte !

Pourtant, interprétant la Loi de 1968, un arrêt avait clairement retenu comme date pertinente, non pas celle de l’inexécution, mais celle de l’échéance de la mise en demeure… Dans une décision rendue en 1970, la Troisième Chambre civile de la Cour de cassation (Cass. civ. 3ème, 22 mai 1970, Bull. III, n°352) avait en effet estimé, au sujet de la mise en œuvre d’une clause résolutoire stipulée dans un bail commercial, que la loi de 1968 n’était pas applicable dès lors que « l’obligation dont la clause résolutoire sanctionnait l’inexécution par la résiliation de plein droit était celle de payer dans le mois du commandement du 3 juillet 1968 », alors même que l’obligation était venue à échéance entre le 10 mai et le 1er juillet 1968 (période de référence pour causer un allongement des délais).

Pourquoi, dans ces circonstances, la solution serait différente lorsqu’il s’agira d’interpréter l’Ordonnance de 2020 ?

Voir aussi : Comparatif Loi 31 juillet 1968

 

Cyril GRIMALDI, Professeur à l’Université Paris 13

François-Luc SIMON, Avocat associé-gérant, Simon Associés

Jean-Charles SIMON, Avocat associé-gérant, Simon Associés



[1] Seules les clauses résolutoires sont paralysées, non la résolution unilatérale ou la résolution judiciaire.

[2] Il convient également de tenir compte du correctif apporté par l’Ordonnance n° 2020-427 du 15 avril 2020 portant diverses dispositions en matière de délais pour faire face à l’épidémie de covid-19 et qui prévoit un report des astreintes, des clauses pénales, des clauses résolutoires ainsi que des clauses prévoyant une déchéance sanctionnant l’inexécution d’une obligation dans un délai déterminé qui expire après la période juridiquement protégée (art. 4 al. 3).

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