La clause instituant une « période d’essai » dans un contrat de distribution

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SIMON François-Luc

Avocat Associé-Gérant - Docteur en droit

Cass. com., 21 juin 2017, n°16-15.365

Selon l’arrêt commenté, il ne saurait y avoir rupture abusive d’un contrat de distribution lorsque la décision de rompre intervient au cours de la période d’essai.

Ce qu’il faut retenir : Selon l’arrêt commenté, il ne saurait y avoir rupture abusive d’un contrat de distribution lorsque la décision de rompre intervient au cours de la période d’essai.

Pour approfondir : Pour la première fois à notre connaissance, la Cour de cassation se prononce sur la validité d’une clause instaurant une période d’essai dans un contrat de distribution (ici, un contrat de franchise).

En l’espèce, un contrat de franchise (d’une durée de cinq ans) comportait une période de deux ans, durant laquelle :

  • chacune des deux parties pouvait mettre un terme au contrat,
  • sans indemnité de part et d’autre,
  • sans avoir à en justifier,
  • suivant un préavis de trois mois.

Neuf mois après la signature de ce contrat, le franchiseur se prévalait de cette stipulation contractuelle pour informer le franchisé, sans plus d’explication, de sa volonté de mettre fin à leur collaboration.

Le franchisé assignait le franchiseur en vue de solliciter, entre autres prétentions, l’octroi de dommages-intérêts pour rupture abusive du contrat de franchise ; il faisait grief à l’arrêt l’ayant débouté (CA Riom, 10 févr. 2016) d’avoir retenu que la rupture du contrat était régulièrement intervenue au cours de la période d’essai, alors que, selon le pourvoi, la Cour d’appel aurait dû rechercher, comme elle y était invitée, si le franchiseur n’avait pas abusé de son droit de résilier le contrat, en mettant, en connaissance de cause, le franchisé dans l’impossibilité d’amortir les investissements qui lui avaient été imposés lors de la conclusion du contrat, alors que rien ne justifiait la décision d’y mettre fin.

L’arrêt commenté rejette le pourvoi en ces termes :

« Mais attendu que l’arrêt relève que les parties ont conclu un contrat d’une durée de cinq ans, dont l’article 14 prévoyait une période probatoire d’une durée de deux années, durant laquelle chacune des deux parties pouvait mettre un terme à cette collaboration avec un préavis de trois mois, sans avoir à en justifier et sans indemnité d’aucune sorte ; qu’il retient, dans l’exercice de son pouvoir souverain d’appréciation, que la société D… a procédé à la notification d’un préavis d’un mois, à la suite d’une erreur, rectifiée avant l’expiration de ce préavis, que la société M… a bénéficié de l’intégralité du préavis de trois mois prévu au contrat et qu’elle n’établit pas le grief subi à raison de cette situation ; qu’en l’état de ces constatations et appréciations, faisant ressortir que le franchisé s’était engagé en connaissance du caractère précaire de son contrat, dont il avait accepté les modalités d’exécution, la cour d’appel, qui a procédé aux recherches invoquées par la première branche, a pu retenir, sans avoir à effectuer celle invoquée par la seconde branche, que ses constatations et appréciations rendaient inopérante, que la résiliation n’était pas abusive et que la société D… ne pouvait être condamnée à rembourser à la société M… le montant de ses investissements initiaux ; que le moyen n’est fondé en aucune de ses branches ».

Cette décision inspire deux séries de remarques.

En premier lieu, selon l’arrêt commenté, il ne saurait y avoir rupture abusive d’un contrat de franchise lorsque la décision de rompre intervient au cours de la période d’essai. Autrement dit, la précarité de la période d’essai chasserait toute possibilité d’abus dans l’exercice du droit de résilier.

Le franchisé se plaçait ici sur le terrain de l’abus du droit de résilier le contrat, au motif qu’il ne pouvait avoir amorti ses investissements au cours de la période d’essai, et que rien ne justifiait – en l’espèce – de mettre un terme au contrat.

La Cour de cassation écarte par principe un tel raisonnement, en y apportant une réponse tout à fait nette : selon l’arrêt, en effet, la stipulation dont s’agit interdit à elle seule toute possibilité d’abus (« la cour d’appel, qui a procédé aux recherches invoquées par la première branche, a pu retenir, sans avoir à effectuer celle invoquée par la seconde branche »).

Cette solution peut sembler justifiée si l’on considère que le contrat de franchise précisait que la décision de rompre pouvait être prise au cours de la période d’essai « sans avoir à en justifier », mais – en définitive – autoriser une partie à ne pas extérioriser le motif de la rupture est une chose, écarter par principe tout possibilité d’abus en est une autre.

Toujours est-il que la solution retenue par la chambre commerciale de la Cour de cassation diffère :

  • d’une part, de celle classiquement adoptée par la chambre sociale dans le contentieux bien plus fréquent de la rupture de la période d’essai du contrat de travail, qui retient que le droit de rompre la période d’essai peut bel et bien dégénérer en abus lorsque l’employeur met fin à l’essai pour un motif étranger à sa finalité (Cass. soc., 20 nov. 2007, n°06-41.212, Bull. V, n°194), soit que l’employeur n’a pas laissé au salarié le temps de faire ses preuves (Cass. soc., 5 mai 2004, n° 02-41.224 ; Cass. soc., 17 juill. 1996, n° 93-46.494) ou de travailler dans des conditions normales (Cass. soc., 2 févr. 1994, n° 90-43.836), soit même que la résiliation du contrat de travail est intervenue au cours de la période d’essai pour un motif non inhérent à la personne du salarié (Cass. soc., 20 nov. 2007, n°06-41.212) ;
  • d’autre part, de celle jusqu’alors dégagée par la Cour d’appel de Paris au regard du droit commun des contrats dans l’un des rares contentieux dont elle a eu à connaitre sur ce point (CA Paris, 1er févr. 2013, n°11/06560 : « Considérant que le droit de résiliation, pendant une période de quatre mois moyennant un préavis de sept jours étant prévu au contrat, sa mise en œuvre ne saurait engager la responsabilité de la société Direct Energie qu’en cas d’abus démontré (…) ; Considérant que l’abus du droit de rupture, parce qu’il est discrétionnaire pendant la période d’essai, ne résulte que d’une résiliation motivée par des considérations, sinon illicites, à tout le moins indépendantes des conditions d’exécution du contrat ; Qu’en l’espèce, aucune circonstance de cette nature n’est démontrée, alors que la société D…, à qui n’incombe pas la charge de la preuve, démontre que le démarchage commercial des préposés de la société C… encourait les mêmes critiques que celui de la société T…, qui sera examiné ci-après ; Considérant en conséquence que c’est à bon droit que les premiers juges ont rejeté la demande d’indemnisation formée à ce titre par la société C… »).

Au regard de ce qui précède, un prochain revirement de jurisprudence de la chambre commerciale de la Cour de cassation n’est pas à exclure ; et, après tout, il n’y aurait rien de choquant à voir sanctionnée la rupture du contrat intervenue au cours de la période de préavis par la notion d’abus, lorsqu’il est avéré que celle-ci a été motivée par des considérations étrangères à la finalité de la période de préavis.

En second lieu, se pose la question de savoir si une telle clause viole (ou non) les dispositions de l’article L.442-6, I, 2° du code de commerce, relatif au déséquilibre significatif. La question n’est certes pas posée par l’affaire commentée, mais la question se pose néanmoins (v. sur ce point, F.-L. Simon, Tour d’horizon sur le déséquilibre significatif, Etude LDC, 14 mars 2017).

Il nous semble qu’à partir du moment où la clause permet aux deux parties de mettre unilatéralement fin au contrat durant la période d’essai, le déséquilibre significatif ne peut qu’être écartée. Cette solution se justifie dans la mesure où, ainsi que le rappelle la Commission d’examen des pratiques commerciales (CEPC, avis n° 14-06, 30 sept. 2014, relatif à une demande d’avis d’un syndicat de fabricants du secteur automobile sur les nouvelles conditions générales d’achat proposées à ses membres par un constructeur français d’automobiles, spéc. §. I-2), les stipulations conférant un pouvoir unilatéral sont susceptibles de révéler un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties lorsque ce pouvoir est réservé à un seul contractant et laissé à sa discrétion. C’est d’ailleurs la solution retenue par la Cour d’appel de Paris en présence d’une situation analogue à celle de la décision commentée (CA Paris, 1er févr. 2013, n°11/06560 : « Considérant encore que la société C… se prévaut des dispositions de l’article L. 442-6, I, 2° du code de commerce, sanctionnant le fait de « soumettre ou tenter de soumettre un partenaire commercial à des obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties » ; Mais considérant que l’article 16 du contrat permettait aux deux parties de mettre unilatéralement fin au contrat dans la période envisagée de sorte que le déséquilibre sanctionné par le texte précité n’est pas établi »).

Il est fréquemment objecté que la circonstance que le contrat accorde un droit (ici de rompre) aux deux parties est factice lorsque l’une des parties se trouve, de facto, dans l’impossibilité de l’exercer ; il en irait ainsi du franchisé qui, par ses investissements, ne pourrait se permettre de mettre un terme au contrat au cours de la période de préavis.

Une telle argumentation – qui n’a fort heureusement jamais été consacrée – n’est aucunement justifiée selon nous.

Sauf cas exceptionnel, il nous semble totalement exagéré d’indiquer que le franchisé serait dans l’« impossibilité » de rompre le contrat en pareille hypothèse ; le franchisé revendiquera même l’exercice d’une telle faculté, notamment lorsque son activité sera déficitaire.

Quant au franchiseur, il n’aura strictement aucun intérêt à rompre le contrat si l’essai est concluant, dès lors que la signature du contrat de distribution emporte des investissements pour la tête de réseau et que la cessation du contrat emporte mécaniquement un effet négatif pour l’image du réseau et un frein à son développement, compte tenu notamment des dispositions de l’article R. 330-1 du code de commerce.

On le voit, l’intérêt commun des deux parties commandera le plus souvent de rompre le contrat si l’essai révèle un échec (ou augure d’un déficit d’exploitation croissant) et, au contraire, d’en poursuivre l’exécution si l’essai s’avère concluant.

Concrètement, l’idée – souvent admise en pratique par les deux partenaires – peut consister à indiquer les critères (si possible objectifs) en considération desquels l’essai sera réputé concluant ou non.

A rapprocher (sur la liberté de rompre un contrat d’agent commercial au cours de la période d’essai sans versement d’indemnité compensatrice) : Cass. com., 23 juin 2015, n°14-17894, Publié au bulletin ; v. aussi, Cass. com., 17 juill. 2001, n°97-17.539

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