Etude générale : les vices du consentement dans les contrats de distribution

Avant et après la réforme du droit des contrats

La réforme du droit des contrats opère des bouleversements importants en matière de vices du consentement. La présente étude examine les notions d’erreur et de dol (laissant de côté la notion de violence), avant d’envisager la question – souvent problématique en pratique – des conséquences de l’existence d’un vice du consentement.

Ce qu’il faut retenir : La réforme du droit des contrats opère des bouleversements importants en matière de vices du consentement. La présente étude examine les notions d’erreur et de dol (laissant de côté la notion de violence), avant d’envisager la question – souvent problématique en pratique – des conséquences de l’existence d’un vice du consentement.

Pour approfondir :

D’après l’article 1109 du Code civil, « il n’y a point de consentement valable, si le consentement n’a été donné que par erreur, ou s’il a été extorqué par violence ou surpris par dol ». Le consentement est éclairé lorsque la partie s’est fait une exacte représentation des circonstances de fait et de droit avant de consentir. Tel n’est pas le cas si elle a commis une erreur. A ce titre l’on distingue deux types d’erreurs : il y a l’erreur commise spontanément par l’errans et l’erreur provoquée par autrui. On parle tout simplement d’erreur dans le premier cas (I), de dol, dans le second (II). Il conviendra ensuite d’envisager la question des conséquences de l’existence d’un vice du consentement (III).

NB : Les passages relatifs à la réforme du droit des contrats sont signalés en gras.
 

I. L’erreur

A – Les cas d’erreur

Le Code civil prévoit la nullité du contrat seulement pour certaines fausses représentations, certaines erreurs (1). Pourtant, à certaines conditions, d’autres fausses représentations, d’autres erreurs, peuvent également donner lieu à nullité (2).
 

1 – Les cas d’erreurs prévus par le Code civil

On distingue la fausse représentation portant sur des circonstances de fait, l’erreur de fait, de la fausse représentation portant sur l’état du droit, l’erreur de droit. En droit de la distribution, le contentieux concerne l’erreur de fait, non l’erreur de droit. On n’envisagera donc que la première. D’après l’ancien article 1110, « [l]’erreur n’est cause de nullité de la convention que lorsqu’elle tombe sur la substance même de la chose qui en est l’objet. Elle n’est point une cause de nullité lorsqu’elle ne tombe que sur la personne avec laquelle on a l’intention de contracter, à moins que la considération de cette personne ne soit la cause principale de cette convention ».

NB : Réforme du droit des contrats. – On retrouve ces deux types d’erreur, autrement nommées, dans les nouvelles dispositions du Code civil. D’après le nouvel article 1132 du Code civil, « [l]’erreur de droit ou de fait, à moins qu’elle ne soit inexcusable, est une cause de nullité du contrat lorsqu’elle porte sur les qualités essentielles de la prestation due ou sur celles du cocontractant. ».

On distingue donc l’erreur qui porte sur la « substance de la chose » (a) de celle qui porte sur la personne du cocontractant (b).
 

a. L’erreur sur la substance de la chose

L’expression d’erreur sur la « substance de la chose » doit être doublement précisée, dans ses deux termes.

En premier lieu, le terme de « chose » doit être entendu le plus largement possible, comme la prestation due par une partie à une autre, peu important que cette prestation porte sur une chose. Par exemple, l’erreur peut porter sur la substance de la voiture vendue – sur son kilométrage –, mais aussi sur la substance du travail promis par un franchiseur – sur l’étendue de l’assistance promise.

En second lieu, le terme de « substance » peut être entendu de différentes façons. Dans une acception stricte, la substance désigne la matière de la chose : suivant un exemple emprunté à Pothier, « Si, croyant acheter des chandeliers en argent, j’achète des chandeliers en cuivre, il y a erreur sur la matière, donc sur la substance de la chose. ». Mais dans une acception plus large, qui est celle retenue par la jurisprudence, la substance désigne l’ensemble des qualités substantielles de la chose, c’est-à-dire non seulement la matière, mais aussi d’autres qualités de la chose : par exemple, il y aura erreur sur la substance si j’achète des chandeliers que je croyais avoir appartenu à Napoléon, alors que tel n’est pas le cas. La difficulté est de déterminer quelles sont les qualités substantielles d’une chose ou plus généralement d’une prestation. Tout dépend des circonstances.

NB : Réforme du droit des contrats. – D’après le nouvel article 1133 du Code civil, « [l]es qualités essentielles de la prestation sont celles qui ont été expressément ou tacitement convenues et en considération desquelles les parties ont contracté. ». Cette disposition retient de la notion de « qualités essentielles » une appréciation subjective. Sont considérées comme telles celles qui ont été expressément ou tacitement convenues ET celles en considération desquelles les parties ont contracté. En réalité, les parties n’ont pas toutes deux à s’être trompées. Ce qui importe est que celui qui réclame la nullité se soit trompé.
 

b. L’erreur sur la personne

D’après l’ancien article 1110 du Code civil, l’erreur sur la personne du cocontractant n’est pas prise en compte, « à moins que la considération de cette personne ne soit la cause principale de la convention », si et seulement si le contrat a été conclu intuitu personae, en considération de cette identité ou de ces qualités. Par où l’on voit que l’exigence posée renvoie directement au caractère déterminant de l’erreur (v. infra).

Exemple :

En considération de l’identité : c’est le cas dans une donation, spécialement en ce qui concerne l’identité du donataire. Aussi, celui qui donne un bien à une personne qu’elle croit être son fils peut en demander la nullité si le donataire s’avère ne pas être son fils ;

En considération des qualités : c’est le cas notamment de la caution qui s’engage en considération de certaines qualités du débiteur, avec cette particularité qu’il est tiers au contrat, ce dernier étant conclu avec le créancier. Aussi, celui qui cautionne la dette d’un débiteur principal sans savoir qu’il était frappé de l’interdiction d’exercer une activité commerciale pourra demander la nullité du cautionnement (Cass. com., 19 novembre 2003, B. 172).

Dire que le contrat de franchise est conclu intuitu personae est insuffisant pour considérer que toute erreur commise sur telle qualité du franchiseur est de nature à emporter la nullité du contrat. Il convient de se demander si le franchisé s’est bien engagé en considération de cette qualité.

NB : Réforme du droit des contrats. – D’après le nouvel article 1134 du Code civil, « [l]’erreur sur les qualités essentielles du cocontractant n’est une cause de nullité que dans les contrats conclus en considération de la personne ». La notion de « qualités essentielles » n’est pas ici définie. La référence au contrat conclu « en considération de la personne » est insuffisante. Ce qui importe est que l’erreur ait porté sur une qualité en considération de laquelle l’errans s’était engagé et semble-t-il que les parties en soient « expressément ou tacitement convenues » (par renvoi à ce qui est prévu au sujet de l’erreur sur les qualités essentielles de la prestation).
 

2. Le cas d’erreur non prévu par le Code civil : « l’erreur sur les motifs »

L’ « erreur sur les motifs » désigne toute erreur portant sur des considérations qui ont conduit l’errans à s’engager et qui ne portent pas sur la « substance de la chose » ou sur les qualités de la personne du cocontractant. Par exemple, une personne acquiert des tuiles qui résistent au gel car elle pense à tort que les siennes n’y résistent pas. De telles erreurs ne sont prises en compte que très restrictivement, en vue d’assurer la sécurité juridique.

L’erreur sur les motifs n’est pas mentionnée par le Code civil, sauf à considérer qu’elle est la « fausse cause » de l’ancien article 1131 du Code civil. Quoi qu’il en soit, la jurisprudence la retenait (Cass. civ. 1ère, 13 février 2001, B. 31 ; Com. 30 mai 2006, n°04-15356).

NB : Réforme du droit des contrats. – Les nouvelles dispositions du Code civil y font désormais expressément référence, en parlant d’erreur « sur un simple motif ». D’après le nouvel article 1135 alinéa 1 du Code civil, « [l]’erreur sur un simple motif, étranger aux qualités essentielles de la prestation due ou du cocontractant, n’est pas une cause de nullité, à moins que les parties n’en aient fait expressément un élément déterminant de leur consentement. ».
 

B – Les caractères de l’erreur

L’erreur doit présenter trois caractères pour donner lieu à l’annulation du contrat : déterminant (1), convenu (2), excusable (3).
 

1 – Le caractère déterminant

Il s’agit là d’une exigence de bon sens qui ressortait implicitement des anciennes dispositions du Code civil : le contrat ne sera annulé que s’il est établi que l’errans n’aurait pas contracté ou aurait contracté à des conditions différentes s’il ne s’était pas trompé.

NB : Réforme du droit des contrats. – Cette exigence ressort de la disposition générale du nouvel article 1130 du Code civil, « [l]’erreur, le dol et la violence vicient le consentement lorsqu’ils sont de telle nature que, sans eux, l’une des parties n’aurait pas contracté ou aurait contracté à des conditions substantiellement différentes ». On notera néanmoins que la victime devra établir qu’elle n’aurait pas conclu le contrat ou qu’elle ne l’aurait pas conclu à des conditions substantiellement différentes. Autrement dit, si le défendeur parvient à démontrer que l’errans aurait contracté à des conditions qui n’auraient pas été substantiellement différentes, la nullité ne sera pas prononcée.
 

2 – Le caractère convenu

Il s’agit là d’une exigence de nature à assurer un minimum de sécurité juridique et qui n’est exigée qu’en vue d’annuler des contrats à titre onéreux, non à titre gratuit. Elle ressortait implicitement des anciennes dispositions du Code civil. La portée de cette exigence varie suivant que l’erreur alléguée est une erreur sur la substance ou la personne d’une part et sur les motifs d’autre part.

En présence d’une erreur sur la substance ou la personne, il doit être établi que le caractère déterminant de l’élément sur lequel a porté l’erreur devait être au moins connu du cocontractant. Cela sera d’autant plus facile à établir que l’élément sur lequel a porté l’erreur était déterminant pour tous et qu’il ne pouvait donc être ignoré par le cocontractant que l’élément en question était bien déterminant : par exemple, la vente d’un tableau présenté comme ayant été peint par tel artiste célèbre alors que tel n’est pas le cas sera sans difficulté annulée car le caractère déterminant de l’élément sur lequel a porté l’erreur ne pouvait être ignoré du cocontractant. 

En revanche, lorsque l’erreur porte sur un élément qui n’est pas considéré par tous comme étant déterminant, cela sera plus difficile à établir, mais évidemment possible. Par exemple : Cass. com., 13 mars 2012, n°11-13077. Un professionnel des travaux agricoles avait acquis d’une société une moissonneuse-batteuse d’une marque X et une barre de coupe repliable d’une marque Y pour une somme globale. Ayant ultérieurement constaté l’incompatibilité des deux matériels, l’acheteur assigna le vendeur en nullité du contrat pour erreur sur les qualités substantielles de la chose vendue. La nullité fut prononcée dans la mesure où différents indices (notamment l’unicité de la commande et leurs relations passées) devaient laisser à penser au vendeur que l’adaptabilité de la barre de coupe à la moissonneuse-batteuse était déterminante pour l’acheteur).

En présence d’une erreur sur les motifs, il faut que le caractère déterminant de l’élément sur lequel a porté l’erreur ait, par une stipulation expresse, été érigé en condition de l’accord (Cass. civ. 1ère, 13 février 2001, B. 31 ; Cass. com., 30 mai 2006, n°04-15356). Cette exigence accrue s’explique par la menace que ferait planer sur la sécurité juridique la prise en considération de n’importe quel motif extérieur au contrat permettant à un cocontractant d’annuler le contrat.

NB : Réforme du droit des contrats. – Les nouvelles dispositions sont plus précises et peut-être plus exigeantes. S’agissant de l’erreur sur les « qualités essentielles », au moins celles portant sur la prestation (rien n’est dit sur celles concernant la personne), les qualités sur lesquelles a porté l’erreur doivent avoir « été expressément ou tacitement convenues » (nouvel art. 1133 C. civ.).Il ne suffit donc pas que telle qualité ait été portée à la connaissance du cocontractant. S’agissant de l’erreur sur un « simple motif », les parties doivent avoir fait du motif « expressément un élément déterminant de leur consentement » (nouvel art. 1135 C. civ.), ce qui est conforme à la jurisprudence antérieure.
 

3 – Le caractère excusable

Il s’agit là d’une exigence morale qui vise à interdire à celui qui s’est trompé par une négligence caractérisée de demander la nullité du contrat. Si l’erreur était facilement décelable, ou si elle n’a pu être décelée à la suite d’une faute commise par l’errans, elle sera considérée comme inexcusable : De non vigilantibus non curat praetor.

Le caractère inexcusable s’apprécie in concreto, en considération de la nature du contrat envisagé, de la nature de la chose ou du travail sur lequel il porte, de la qualité des parties. Par exemple : Cass. civ. 1ère, 16 décembre 1964, B. 575 : Un acheteur « amateur d’art, appartenant à un milieu social élevé, ne pouvait ignorer que la mention « signé Courbet » ne s’appliquait qu’à la matérialité de la signature figurant sur le tableau et que la mention « attribué à Courbet », si elle rendait vraisemblable l’identité du peintre auteur du tableau, n’en laissait pas moins subsister un doute sur cette identité. »

Par principe, est considérée comme étant inexcusable l’erreur sur la valeur d’une chose ou d’une prestation, car chacun doit s’assurer de la valeur des choses ou des prestations qu’il fournit ou reçoit. Par ailleurs, prendre en compte l’erreur sur la valeur conduirait le plus souvent à sanctionner la lésion, laquelle n’est pas en principe sanctionnée en droit français. Il reste que si l’erreur sur la valeur prend sa source dans une erreur sur la substance, le contrat pourra être annulé. Par exemple, des chandeliers en cuivre ont été payés au-delà de leur valeur, l’acheteur les ayant cru lors de l’acquisition être en argent.

NB : Réforme du droit des contrats. – Cette exigence est reprise au nouvel article 1132 du Code civil : « [l]’erreur de droit ou de fait, à moins qu’elle ne soit inexcusable, est une cause de nullité du contrat lorsqu’elle porte sur les qualités essentielles de la prestation due ou sur celles du cocontractant. ».

Illustration : la rentabilité d’un bien. Un industriel acquiert une machine pensant que son chiffre d’affaires s’en trouvera amélioré ou encore un commerçant se franchise dans le même espoir ; or ni la machine ni la franchise ne permettent de dégager le chiffre d’affaires escompté.

Illustration : la rentabilité d’un contrat (franchise). Traditionnellement, la Cour de cassation considérait que « l’appréciation erronée de la rentabilité économique de l’opération n’était pas constitutive d’une erreur sur la substance de nature à vicier le consentement » (Cass. civ. 3ème, 31 mars 2005, B. 81).

Mais elle semble changer de voie : elle a ainsi envisagé la possibilité d’une nullité d’un contrat pour « erreur substantielle sur la rentabilité de l’entreprise » (Cass. com., 4 octobre 2011, n°10-10956 : mauvais prévisionnels transmis au franchisé). Adde Cass. com., 12 juin 2012, n° 11-19047 : « ayant retenu que les chiffres prévisionnels contenus dans ce document, fournis par le franchiseur, sont exagérément optimistes au regard de l’écart très important qu’ils présentent avec les chiffres d’affaires réalisés par la société Chrysalide, à laquelle il n’est reproché aucune faute de gestion, et relevé que ces données portent sur la substance même du contrat de franchise, pour lequel l’espérance de gain est déterminante, la cour d’appel, (…) qui a fait ressortir le caractère déterminant des chiffres communiqués, a caractérisé le vice du consentement qu’elle a retenu pour prononcer l’annulation du contrat »). Adde Cass. com., 17 mars 2015, n°13-24853 et 14-10365 : « la société X… avait été déterminée à conclure le contrat de franchise sur la base d’informations erronées et trompeuses et d’un prévisionnel non sérieux, laissant escompter des résultats bénéficiaires qui n’étaient pas réalisables, et que son consentement avait dès lors été vicié ».

La jurisprudence de la Cour de cassation peut être critiquée.

En premier lieu, on peut se demander si l’« erreur sur la rentabilité » est techniquement une véritable erreur. L’erreur, en droit, consiste en une fausse représentation de l’état de fait ou de droit existant lors de l’engagement et ne saurait résulter rétrospectivement de prévisions qui se sont avérées erronées. Or il n’est en général pas possible de savoir si tel ou tel contrat sera effectivement rentable et dans quelle mesure (certes, certaines choses sont en elles-mêmes plus ou moins rentables et cela se vérifiera dans l’avenir de sorte que l’on serait en présence d’une véritable erreur. Néanmoins, de même qu’un arbre mal planté mais bien arrosé peut donner de beaux fruits, un arbre bien né mais mal entretenu pourra ne donner que des fruits gâtés. C’est ainsi qu’une opération a priori non rentable pourra s’avérer rentable, et inversement. Pour cette raison, qui tient à ce que l’avenir n’est jamais certain, et qu’en matière de vice du consentement, on ne saurait se livrer à une appréciation rétrospective, l’erreur sur la rentabilité ne devrait pas être considérée comme une erreur cause de nullité). D’ailleurs, on trouve une preuve de l’inanité du concept d’« erreur sur la rentabilité » avec la possibilité qu’auraient les parties d’ériger en condition (au sens d’événement futur et incertain) telle rentabilité de l’exploitation du franchisé ; or ce qui peut être érigé en condition ne peut être la source d’une erreur. S’agissant précisément de la rentabilité économique de la franchise, le plus simple serait encore pour celui qui veut se voir garantir la rentabilité de la chose acquise, qu’il intègre au contrat une clause de garantie de son contractant. On en trouve une autre lorsque les juges retiennent l’absence de responsabilité du franchiseur quand la différence entre les chiffres du prévisionnel et ceux réalisés par le franchisé sont imputables à des circonstances relevant de la force majeure, ce qui montre bien que la question relève de l’exécution du contrat et non de la théorie des vices du consentement. Au final, soit les parties ont choisi d’ériger en condition résolutoire la non-obtention de certains résultats (ce qui suppose une appréciation de l’imputabilité du succès ou de l’insuccès…), soit elles ne l’ont pas fait et le contrat ne saurait être annulé pour erreur.

En second lieu, à supposer même que l’on puisse parler d’erreur, ce n’est pas d’erreur sur les « qualités essentielles de la prestation » dont il est question, mais d’une « erreur sur les motifs », c’est-à-dire sur les raisons extrinsèques qui ont conduit une personne à contracter. C’est la démarche adoptée par la Cour d’appel de Lyon, dans une décision du 5 juin 2014, dans laquelle elle a considéré qu’ « à supposer que les intimés veuillent parler d’une erreur sur la rentabilité économique de l’opération (…), celle-ci ne constitue pas une erreur sur la substance » et que « dès lors que le dol n’est pas constitué et que les parties n’ont pas fait de ces motifs la condition de leur accord, les motifs vrais ou erronés qui peuvent inciter une partie à conclure une opération à titre onéreux avec une autre partie sont sans influence sur la validité de l’opération » (CA Lyon, 5 juin 2014, RG n°13/03651). Cela aurait pour conséquence, en application du nouvel article 1135 du Code civil, que l’annulation pour erreur serait subordonnée à un accord « exprès » des parties sur le caractère déterminant de ce motif (en tout état de cause, le contrat resterait annulable pour dol, à supposer bien entendu que les conditions en soient réunies).

 

II. Le dol

A – La notion de dol

Non défini par le Code civil, le dol était mentionné par le Code civil à l’ancien article 1116 C. civ. : « Le dol est une cause de nullité de la convention lorsque les manœuvres pratiquées par l’une des parties sont telles, qu’il est évident que, sans ces manœuvres, l’autre partie n’aurait pas contracté » (al. 1).

Il désigne le comportement d’une personne destiné à induire en erreur une autre pour la décider à conclure un contrat. Le dol n’est donc rien d’autre qu’une erreur provoquée intentionnellement.

Le dol présente deux avantages pour la victime par rapport à l’erreur. En premier lieu, il permet de prendre en considération des erreurs qui ne sont normalement pas sanctionnées sur le terrain de l’erreur. C’est le cas, d’une part, des erreurs inexcusables (Cass. civ. 3ème, 21 février 2001, B. 20 ; Cass. civ. 1ère, 18 janvier 2005, n°03-15115 ; Cass. com., 13 février 2007, n°04-16520), des erreurs normalement non prises en compte en raison du devoir qu’avait l’errans de s’informer. C’est le cas, d’autre part, des erreurs qui ne sont pas convenues (Cass. civ. 3ème, 22 juin 2005, B. 137). En second lieu, il permet à la victime d’obtenir des dommages-intérêts.

NB : Réforme du droit des contrats. – Le fait que le dol rende toujours l’erreur excusable figure au nouvel article 1139 du Code civil : « L’erreur qui résulte d’un dol est toujours excusable ; elle est une cause de nullité alors même qu’elle porterait sur la valeur de la prestation ou sur un simple motif du contrat. ».

Le dol est constitué d’un élément matériel (1) et d’un élément moral (2).

 

1 – Elément matériel

Il y a dol par action lorsque l’auteur du dol accomplit des manœuvres, auxquelles se référait l’ancien article 1116 du Code civil. Il peut s’agir d’un simple mensonge ou encore d’une mise en scène plus élaborée. Il convient en tout état de cause de réserver ce que l’on appelle parfois l’« argument de vente ». De fait, l’exagération qui n’est en réalité qu’un argument de vente est autorisée. On y voit un dolus bonus, par opposition au dolus malus. Le contractant doit en effet s’attendre à de telles pratiques et se montrer curieux de la réalité : dans la vente, l’on dit Emptor debet esse curiosus.

On parle de dol par abstention en cas de silence coupable gardé par l’auteur du dol : on parle alors de réticence dolosive. Or le silence n’est coupable que lorsque celui qui s’est tu, était tenu d’informer. Il ne saurait y avoir de réticence dolosive sans obligation précontractuelle d’information. Par exemple : aucune obligation d’information ne pesant sur l’acheteur d’informer le vendeur de la valeur de ce qui lui est vendu, il ne saurait y avoir de réticence dolosive (Cass. civ. 1ère, 3 mai 2000, B. 131), même si l’acheteur est professionnel (Cass. civ. 3ème, 17 janvier 2007, B. 5).  De même, aucune obligation d’information ne pesant sur une entreprise d’informer le contractant qu’elle est en redressement judiciaire, il ne saurait y avoir de réticence dolosive (Cass. com., 24 septembre 2003, n°00-21863). 

NB : Réforme du droit des contrats. – La diversité des dols ressort du nouvel article 1137 du Code civil : « Le dol est le fait pour un contractant d’obtenir le consentement de l’autre par des manœuvres ou des mensonges.(al. 1) Constitue également un dol la dissimulation intentionnelle par l’un des contractants d’une information dont il sait le caractère déterminant pour l’autre partie. (al. 2). ».

 

2 – Elément moral

Le dol ne sera retenu que pour autant que l’auteur de l’élément matériel a eu l’intention de tromper son cocontractant. A défaut, il y aura seulement manquement à une obligation d’information : la nullité du contrat ne pourra être obtenue que sur le fondement de l’erreur.

Il y a eu parfois un manque de rigueur en jurisprudence, spécialement s’agissant de la réticence dolosive. Dans un arrêt de la première chambre civile, la Cour de cassation a admis la réticence d’un garagiste au motif que celui-ci « ne pouvait ignorer que le compteur indiquait un kilométrage bien inférieur à celui que la voiture avait parcouru en réalité » (Cass. civ. 1ère, 19 janvier 1977, B. 40). Et très clairement, un arrêt de la troisième chambre civile a considéré que la réticence dolosive pouvait être sanctionnée alors même qu’elle n’était pas intentionnelle (Cass. civ. 3ème, 11 mai 2005, B. 101). Toutefois, la Chambre commerciale de la Cour de cassation a réaffirmé que « le manquement à une obligation précontractuelle d’information, à le supposer établi, ne peut suffire à caractériser le dol par réticence, si ne s’y ajoute la constatation du caractère intentionnel de ce manquement » (Cass. com., 28 juin 2005, B. 140).

Quoi qu’il en soit, s’il n’y a manquement à une obligation précontractuelle d’information de façon non intentionnelle, seuls des dommages-intérêts pourront être accordés à la victime, car il y a bien néanmoins une faute.

 

B – Les caractères du dol

L’article 1116 dispose que le « dol est une cause de nullité de la convention lorsque les manœuvres pratiquées par l’une des parties sont telles, qu’il est évident que, sans ces manœuvres, l’autre partie n’aurait pas contracté ». On en déduit deux caractères, qui concernent l’origine du dol (1) et son caractère déterminant (2).

 

1 – Le caractère déterminant

Celui qui se prétend victime d’un dol doit démontrer que l’élément sur lequel il a été trompé revêtait pour lui une importance telle que, s’il avait été au courant de la réalité, il n’aurait pas conclu. Cette exigence, que l’on retrouve aussi pour l’erreur, est évidente car on ne voit pas pourquoi on annulerait un contrat qui de toute façon aurait été conclu.

Illustration en franchise : la simple méconnaissance de la loi dite « Doubin » ne peut emporter l’annulation du contrat si le consentement du franchisé n’a pas été vicié (Cass. com., 10 février 1998, B. 71).

Il reste que la jurisprudence n’annulait pas le contrat lorsque la victime établissait seulement qu’elle aurait néanmoins conclu le contrat à d’autres conditions, plus avantageuses pour elle ; en ce cas, elle se contentait d’allouer des dommages-intérêts. De là est née la distinction entre le dol principal (le contrat n’aurait pas été conclu) du dol incident (le contrat aurait été conclu à des conditions différentes). La distinction était critiquable : dire que le contrat aurait été conclu à d’autres conditions revient à dire que le contrat litigieux n’aurait pas été conclu. C’est ce qui a conduit la Cour de cassation à procéder à un revirement de jurisprudence : la troisième chambre (Cass. civ. 3ème, 22 juin 2005, CCC 2005, comm. no 186, obs. L. Leveneur, RDC 2005, p. 1025, obs. Ph. Stoffel-Munck) a admis que le dol incident ouvre, comme le dol principal, la voie à l’annulation du contrat ; la première chambre civile l’a semble-t-il rejointe (Cass. civ. 1ère, 28 mai 2008, B. 154).

 

2 – Origine du dol

L’article 1116 du Code civil impose que le dol soit le fait du cocontractant. S’il est provoqué par un tiers au contrat, il n’entraînera pas l’annulation du contrat mais simplement l’allocation de dommages intérêts de la part de ce tiers sur le fondement de la responsabilité extracontractuelle (Cass. civ. 1ère, 27 juin 1973, B. 219). Cette solution évite de causer une atteinte excessive aux intérêts du cocontractant innocent qui ne se verra pas imposer l’annulation du contrat en raison du fait d’un tiers. Cette raison justifie en revanche que le dol d’un tiers soit cause de nullité lorsqu’il a été commis sur les directives (Cass. civ. 3ème, 7 avril 2015, n°14-13738) ou en représentation (Cass. com., 25 mars 1974, B. 104) du contractant. En tout état de cause, « l’erreur consécutive au dol d’un tiers à la convention est cause de nullité lorsqu’elle porte sur la substance même du contrat », car dans ce cas, le contrat aurait de toute façon pu être annulé sur le fondement de l’erreur (Cass. civ. 1ère, 3 juillet 1996, B. 288).

NB : Réforme du droit des contrats. – La jurisprudence est consolidée au nouvel article 1138 du Code civil : « Le dol est également constitué s’il émane du représentant, gérant d’affaires, préposé ou porte­fort du contractant.(al. 1) Il l’est encore lorsqu’il émane d’un tiers de connivence. (al. 2) ».

 

III. les conséquences de l’existence d’un vice du consentement

A – La nullité

Lorsque le contrat est annulable pour erreur ou pour dol, c’est l’entier contrat qui sera annulé. Il en va également en principe de même lorsque la cause d’annulation réside dans le défaut de cause. Le contrat qui ne comporte pas de cause ou qui comporte une cause dérisoire est nul de nullité relative. Toutefois, lorsque ce n’est pas l’équilibre du contrat qui est atteint, mais une obligation accessoire qui est dépourvue de cause, la nullité est en général circonscrite à l’obligation accessoire. Par exemple : pour les clauses de non-concurrence, Cass. com., 15 mars 2011, B. 39 : « Vu le principe fondamental de libre exercice d’une activité professionnelle, ensemble l’article 1131 du Code civil ; lorsqu’elle a pour effet d’entraver la liberté de se rétablir d’un salarié, actionnaire ou associé de la société qui l’emploie, la clause de non-concurrence signée par lui, n’est licite que si elle est indispensable à la protection des intérêts légitimes de l’entreprise, limitée dans le temps et dans l’espace, qu’elle tient compte des spécificités de l’emploi du salarié et comporte l’obligation pour la société de verser à ce dernier une contrepartie financière, ces conditions étant cumulatives ».

NB : Réforme du droit des contrats. – En premier lieu, d’après le nouvel article 1178 du Code civil, « [u]n contrat qui ne remplit pas les conditions requises pour sa validité est nul. (al. 1) La nullité doit être prononcée par le juge, à moins que les parties ne la constatent d’un commun accord. (al. 2) Le contrat annulé est censé n’avoir jamais existé(al. 3) (…) ». La nouveauté réside donc dans la possibilité de convenir de la nullité entre les parties. En deuxième lieu, le nouvel article 1184 du Code civil traite de la nullité partielle en précisant que « [l]orsque la cause de nullité n’affecte qu’une ou plusieurs clauses du contrat, elle n’emporte nullité de l’acte tout entier que si cette ou ces clauses ont constitué un élément déterminant de l’engagement des parties ou de l’une d’elles.(al. 1) Le contrat est maintenu lorsque la loi répute la clause non écrite, ou lorsque les fins de la règle méconnue exigent son maintien. (al. 2) ». En troisième lieu, le nouvel article 1183 du Code civil introduit une action interrogatoire, ce qui est nouveau : « [u]ne partie peut demander par écrit à celle qui pourrait se prévaloir de la nullité soit de confirmer le contrat soit d’agir en nullité dans un délai de six mois à peine de forclusion. La cause de la nullité doit avoir cessé. L’écrit mentionne expressément qu’à défaut d’action en nullité exercée avant l’expiration du délai de six mois, le contrat sera réputé confirmé. ».

 

B – Les restitutions

Parce que l’on doit faire comme si le contrat n’avait jamais été conclu (nullité), le contrat n’aurait pas dû être exécuté, ce qui va obliger les parties à se restituer ce qu’elles ont reçu depuis, et ce qui peut avoir des conséquences à l’égard des tiers. Les restitutions peuvent se faire en nature ou par équivalent. Elles se font normalement en nature : les parties doivent procéder à la restitution en nature des prestations qu’elles avaient reçues en exécution du contrat rétroactivement anéanti. Si la restitution en nature est impossible, elle se fait par équivalent. Lorsque, et c’est le cas au moins en partie en franchise, le contrat en cause porte sur une prestation de services ou sur la jouissance d’une chose, il n’est pas possible de restituer un équivalent de ce qui a été reçu, une indemnité. Le juge est libre de fixer le montant de cette indemnité, laquelle ne sera pas forcément égale au montant des loyers stipulés ou à la rémunération convenue de l’entrepreneur (Cass. civ. 3ème, 12 janvier 1988, B. 7 : indemnité d’occupation ; Cass. civ. 1ère 13 septembre 2006, B. 175 : coût réel des travaux) : cela reviendrait en effet à exécuter un contrat nul. De même, si à la suite de l’anéantissement d’un contrat de travail, il est impossible aux parties de se restituer réciproquement ce qu’elles ont reçu, il y a lieu de tenir compte de la valeur des prestations de chacune d’elles et de l’avantage que l’autre en a retiré (Cass. Soc., 10 juin 1965, B. 441).

NB : Réforme du droit des contrats. – Les règles anciennes dégagées par la jurisprudence ont été reprises par les nouvelles dispositions du Code civil, au nouvel art. 1352 C. civ. : « La restitution d’une chose autre que d’une somme d’argent a lieu en nature ou, lorsque cela est impossible, en valeur, estimée au jour de la restitution. ». Nouvel art. 1352­1 C. civ. : « Celui qui restitue la chose répond des dégradations et détériorations qui en ont diminué la valeur, à moins qu’il ne soit de bonne foi et que celles-ci ne soient pas dues à sa faute. ». Nouvel art. 1352­2 C. civ. : « Celui qui l’ayant reçue de bonne foi a vendu la chose ne doit restituer que le prix de la vente.« S’il l’a reçue de mauvaise foi, il en doit la valeur au jour de la restitution lorsqu’elle est supérieure au prix. »

La Cour de cassation ne cherchait pas à remettre les parties dans l’état dans lequel elles se trouveraient avant la date jusqu’à laquelle est remontée l’anéantissement du contrat. C’est pourquoi le vendeur n’obtenait que la restitution de la chose, sans indemnité de jouissance et que l’acheteur ne pouvait être indemnisé des frais de jouissance. La Cour de cassation a jugé que « le vendeur n’est pas fondé, en raison de l’effet rétroactif de l’annulation de la vente, à obtenir une indemnité correspondant à la seule occupation de l’immeuble » (Ch. Mixte 9 juillet 2004, Fioro, B. 2). La solution est inique car l’acheteur a profité gratuitement d’un bien pendant cinq ans, même s’il présente un défaut, et le vendeur récupère un bien qui, dans le cas présent, est un bien d’obsolescence rapide…. Cass. civ. 1ère, 19 février 2014, n°12-13668, au sujet de la résolution de la vente d’un cheval boiteux, l’acheteur avait demandé à être indemnisé pour les frais de pension et de maréchalerie. La Cour de cassation décide que la cour d’appel « a exactement retenu [que ces frais] étaient la contrepartie de la jouissance du cheval dont elle avait pu profiter hors compétition ». On observera cependant que la Cour de cassation note bien que l’acheteur avait tiré profit du cheval, d’une certaine manière. Si tel n’avait pas été le cas, l’acheteur aurait probablement été indemnisé pour ces dépenses.

NB : Réforme du droit des contrats. – Cette jurisprudence a été brisée par les nouvelles règles du Code civil. Le nouvel article 1352-3 alinéa 1 du Code civil prévoit que « [l]a restitution inclut les fruits et la valeur de la jouissance que la chose a procurée ». En contrepoint, d’après le nouvel article 1352-5 du Code civil, « [p]our fixer le montant des restitutions, il est tenu compte à celui qui doit restituer des dépenses nécessaires à la conservation de la chose et de celles qui en ont augmenté la valeur, dans la limite de la plus­value estimée au jour de la restitution ». L’acheteur devra donc désormais restituer les fruits produits par la chose (par exemple les loyers si la chose avait été louée) ou, à défaut, une indemnité pour la jouissance du bien. Il sera en revanche redevable des frais de conservation de la chose. Toutefois, cette règle doit être mise en perspective avec une disposition importante du droit des biens : en présence d’un contrat portant sur l’acquisition d’une chose, si l’acquéreur était de bonne foi, c’est-à-dire s’il a conclu le contrat sans en connaître alors la cause de nullité, il peut conserver les fruits produits par la chose (art. 549 C. civ.). De fait, jusqu’à l’anéantissement, il s’est cru valable propriétaire des fruits et a pu les consommer ou, à tout le moins, compter sur eux. Le nouvel article 1352-7 C. civ. conforte cette règle : « celui qui a reçu de mauvaise foi doit les intérêts, les fruits qu’il a perçus ou la valeur de la jouissance à compter du paiement » alors que « [c]elui qui a reçu de bonne foi ne les doit qu’à compter du jour de la demande. ».

 

C – l’octroi de dommages-intérêts

L’auteur d’une faute ayant conduit à l’annulation du contrat (dol ou manquement non dolosif à une obligation d’information ayant causé une erreur) s’expose à voir sa responsabilité engagée par la victime, que celle-ci ait ou non fait le choix d’agir en nullité. Trois hypothèses peuvent être distinguées : seule l’action en nullité est exercée (1) ; seule l’action en responsabilité est exercée (2) ; les actions en nullité et en responsabilité sont toutes deux exercées (3).

 

1 – Seule l’action en nullité est exercée

Par hypothèse, aucuns dommages-intérêts ne seront octroyés.

 

2 – Seule l’action en responsabilité est exercée

Cette situation appelle trois observations.

Première observation : il est tout à fait possible d’agir en responsabilité sans demander la nullité du contrat vicié (Cass. com., 14 mars 1972, n 70-12659 ; Cass. civ. 1ère, 4 février 1975, n 72-13217 ; Cass. com., 3 décembre 1991, n 90-13754 ; Cass. civ. 3ème, 23 mai 2012, n 11-11796. ; v. aussi, Cass. com., 27 janv. 2009, n 07-21616 : « Vu l’article L. 330-3 du Code de commerce ; Attendu que pour rejeter la demande de la société Phone pratique tendant à la condamnation de la Société française de radiotéléphone (SFR) au paiement de dommages-intérêts pour manquement à l’obligation d’information résultant de l’article L. 330-3 du Code de commerce, l’arrêt retient, par motifs substitués, que cette société fait valoir que SFR aurait manqué à trois reprises de lui communiquer le document prévu, et qu’il suffit, pour déclarer ce moyen inopérant, de relever que la société Phone pratique, qui soutient l’existence d’un dol constitutif d’un vice du consentement, sollicite en réparation uniquement l’octroi de dommages-intérêts, alors que la sanction d’une convention contractée avec dol suppose nécessairement une demande en nullité des contrats litigieux, conformément à l’article 1117 du code civil ; Attendu qu’en statuant ainsi, sans constater que le dommage dont le franchisé réclamait réparation à raison de ce manquement n’était dû qu’à sa propre faute, peu important qu’il ne poursuive pas l’annulation du contrat de franchise, la cour d’appel a violé le texte susvisé »).

Deuxième observation : d’après certains arrêts, l’action en responsabilité peut prospérer alors même que la victime ne rapporte pas la preuve d’un vice du consentement ; seul le manquement, dolosif ou non, à une obligation d’information est établi (Cass. com., 9 oct. 2007, n 05-14118 : « pour rejeter les demandes du liquidateur de la société ETE tendant à la condamnation de la société SFR au paiement de dommages-intérêts à raison de fautes commises lors du renouvellement et de l’exécution des contrats renouvelés, l’arrêt retient que l’obligation d’information résultant du texte susvisé n’est susceptible d’entraîner la nullité du contrat qu’autant qu’elle a vicié le consentement du franchisé, et que tel ne peut être le cas, la société ETE étant en charge de plusieurs magasins pour lesquels les contrats ont été renouvelés, ce qui suffit à démontrer qu’elle était parfaitement informée ; Attendu qu’en se déterminant ainsi, alors qu’elle relevait que le franchiseur avait manqué à son obligation d’information à l’occasion du renouvellement, fût-il tacite, des accords de franchisage, et sans constater que le dommage dont le franchisé, qui ne poursuivait pas l’annulation de ces contrats, réclamait réparation à raison de ce manquement n’était dû qu’à sa propre faute, la cour d’appel, qui s’est prononcée par motifs inopérants pris de l’absence de vice du consentement, n’a pas donné de base légale à sa décision »).

Troisième observation : d’après la jurisprudence, la victime peut être indemnisée de la perte de chance de contracter à des conditions plus avantageuses avec son cocontractant (Cass. com., 10 juillet 2012, B. 149 : « l‘arrêt retient que la société X… peut obtenir réparation de la perte de chance de conclure un contrat plus avantageux sans avoir demandé la nullité du contrat affecté de dol ; qu’il ajoute que la perte de chance pour la société X…de réaliser une meilleure opération si elle avait été complètement informée est sans lien avec la conservation des actions de la société Y… dans son patrimoine, le préjudice résultant de cette perte de chance s’étant produit au moment de la réalisation de l’opération ; qu’il retient encore que la décision de la société X…de maintenir le contrat n’a pas rompu le lien de causalité entre la faute pré-contractuelle et le préjudice dont il est demandé réparation ; Attendu qu’en statuant ainsi, alors que la société X…ayant fait le choix de ne pas demander l’annulation du contrat, son préjudice réparable correspondait uniquement à la perte d’une chance d’avoir pu contracter à des conditions plus avantageuses, la cour d’appel a violé les textes susvisés. »).

D’après la jurisprudence, la victime peut semble-t-il aussi être indemnisée de la perte de chance de ne pas avoir contracté, mais on ne voit pas bien ici quelles conséquences en tirer au regard de l’arrêt ci-dessous (Cass. com., 21 juin 2016, n° 14-29874 : « pour condamner M. et Mme X… à payer une certaine somme à la société Y… à titre de dommages-intérêts au titre des pertes subies et du gain manqué causés par le dol, l’arrêt relève que cette dernière leur réclame paiement de la somme de 450 000 euros au titre du gain manqué sur les exercices 2006 à 2008, soit 150 000 euros par exercice ; qu’il retient qu’il est justifié qu’à compter de l’exercice 2005/2006 le chiffre d’affaires a diminué et les résultats sont devenus déficitaires et que ces mauvais résultats, notamment ceux du dernier exercice, peuvent s’expliquer en partie par la décision prise en 2006 de vendre le terrain et partant de fermer le magasin, décision de nature à ralentir l’activité, ce qui a été fait en septembre 2008 ;  Qu’en statuant ainsi, alors que la société Y… ayant fait le choix de ne pas demander l’annulation du contrat à la suite du dol dont elle avait été victime, son préjudice réparable correspondait uniquement à la perte d’une chance d’avoir pu contracter à des conditions plus avantageuses, ou de ne pas contracter, la cour d’appel a violé les textes susvisés. »).

D’après la jurisprudence, la victime peut éventuellement être indemnisée pour les gains escomptés en raison du manquement du cocontractant. La jurisprudence relative aux œuvres d’art est intéressante. La Cour de cassation considère en effet que l’acquéreur d’un faux subit un préjudice égal à la différence entre la valeur de l’œuvre si elle avait été authentique et la valeur de l’objet acquis, ces valeurs étant appréciées à la date de la décision (Cass. civ. 1ère, 3 juin 1997, n°95-11308 : « Attendu que Mme X… reproche à l’arrêt de l’avoir condamnée à payer une somme de 250 000 francs à M. Y…, alors selon, le moyen, que, d’une part, le préjudice né de l’acquisition pour vrai d’un meuble faux est égal à la différence entre le prix payé et la valeur réelle du bien acquis et conservé ; qu’il ressort des propres motifs de l’arrêt attaqué que le prix payé par l’acquéreur, qui croyait acheter un bien authentique, était de 241 694,46 francs ; qu’en condamnant Mme X… à payer à cet acquéreur 250 000 francs, sans indiquer quel était le prix réel du bien faux à l’époque de la vente, qui devait être soustrait du prix payé pour déterminer le préjudice, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard de l’article 1382 du Code civil ; alors que, d’autre part, en ne s’expliquant pas sur l’écart existant entre le prix payé en vente publique et le montant supérieur de la condamnation, tout en ne prétendant réparer aucun préjudice complémentaire, la cour d’appel a, à nouveau, privé sa décision de base légale ; Mais attendu que la cour d’appel, tenue d’évaluer le préjudice à la date de sa décision et de le réparer intégralement, en tenant compte de la valeur d’un bien équivalent à cette date et de celle se trouvant dans le patrimoine de l’acheteur, a pu statuer comme elle a fait après avoir souverainement relevé que le bureau, s’il était d’époque, aurait alors valu entre 300 000 francs et 400  000 francs, alors que le meuble acquis par M. Y… valait au même moment entre 60 000 francs et 70 000 francs »). Comme on l’a relevé, « l’acheteur, voire le sous-acquéreur, qui découvre que l’œuvre présentée comme authentique par le commissaire-priseur et éventuellement l’expert ne l’est pas, peut, on l’a vu, plutôt que d’agir en nullité de la vente pour erreur sur la substance contre son vendeur, choisir d’agir exclusivement en responsabilité contre ceux qui ont procédé à cette attribution inexacte. D’une hypothèse à l’autre, les résultats de l’action seront, à considérer la jurisprudence, profondément différents. En cas de nullité, l’acheteur restituera le bien acquis et récupèrera le prix qu’il avait versé en contrepartie. En cas d’action en responsabilité, il conservera le bien acquis et recevra, à suivre la jurisprudence, une indemnité correspondant à la valeur que l’œuvre aurait eue au jour du jugement si elle avait été authentique, diminuée de la valeur du bien qu’il a conservé ». (Y. Lequette, « Responsabilité civile », v. « Vices du consentement », in Mélanges en l’honneur de Marie Stéphanie Payet, p. 369, n°7, Dalloz 2010).

En franchise, la solution pourrait être la même, si l’on interprète a contrario un arrêt rendu par la chambre commerciale (Cass. com., 21 juin 2016, n°15-10028 : « l’arrêt retient que le contrat annulé étant censé n’avoir jamais existé, la franchisée ne peut, sauf à méconnaître les conséquences de la nullité prononcée, réclamer l’indemnisation d’un préjudice financier correspondant au défaut d’obtention de résultats commerciaux qu’elle eût été en droit d’attendre de l’exploitation de la franchise en sorte que la demande relative au gain manqué doit être rejetée ; (…) ainsi, la cour d’appel a légalement justifié sa décision. »).
 

3 – Les actions en nullité et en responsabilité sont toutes deux exercées

L’action en responsabilité permettra à la victime d’obtenir réparation du préjudice subsistant après les restitutions.

On considère en général, par une interprétation a contrario des arrêts précédemment cités que la victime peut être indemnisée de la perte de chance de ne pas avoir contracté ou de la perte de chance de ne pas avoir pu contracter avec un tiers, et des dépenses et pertes subies en raison de la conclusion du contrat (Cass. com., 14 janvier 2014, n°12-28209 : « attendu que l’arrêt retient que le préjudice subi au titre des pertes réalisées correspond aux dépenses effectuées pour les travaux et investissements rendus nécessaires pour l’exploitation des fonds en exécution des contrats, ces dépenses trouvant leur cause, fût-ce pour partie dans la signature des contrats de franchise annulés ; qu’ayant ainsi fait ressortir l’existence d’un lien de causalité entre la faute et le préjudice subi, la cour d’appel a légalement justifié sa décision. » ; CA Paris, 16 novembre 2016, RG n°14/08533 : le franchisé « ne saurait obtenir réparation de toutes les pertes d’exploitation subies pendant l’exécution du contrat, seules une part d’entre elles ayant un lien de causalité certain avec la faute de l’auteur du dol » ; le franchisé « a emprunté la somme de 130 000 euros pour réaliser les travaux et investissements correspondant au coût d’aménagement des locaux. Cette somme dépensée pour l’exécution du contrat doit lui être restituée. »).

De même, on considère en général, que la victime ne peut être indemnisée ni de la perte de chance d’avoir conclu à des conditions plus avantageuses, ni de la perte de chance d’avoir obtenu les gains escomptés (Cass. com., 21 juin 2016, n°15-10028 : « l‘arrêt retient que le contrat annulé étant censé n’avoir jamais existé, la franchisée ne peut, sauf à méconnaître les conséquences de la nullité prononcée, réclamer l’indemnisation d’un préjudice financier correspondant au défaut d’obtention de résultats commerciaux qu’elle eût été en droit d’attendre de l’exploitation de la franchise en sorte que la demande relative au gain manqué doit être rejetée ; (…) ainsi, la cour d’appel a légalement justifié sa décision » ; V. déjà, Cass. com., 25 novembre 2014, n°13-24658 : « le préjudice résultant du manquement à une obligation précontractuelle d’information est constitué par la perte de la chance de ne pas contracter ou de contracter à des conditions plus avantageuses et non par celle d’obtenir les gains attendus » ; cassation de la décision ayant indemnisé la « perte de chance de percevoir la somme figurant dans les prévisionnels » (les termes sont généraux mais la nullité du contrat avait été prononcée).

A rapprocher : Cass. com., 27 janv. 2009, n°07-21.616 et notre commentaire : Non-respect de la loi « Doubin » : nullité du contrat ou octroi de dommages-intérêts

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