Comptes d’exploitation prévisionnels et défaut de responsabilité de la banque – CA Metz, 26 mai 2015, RG n°14/00446

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RICHARD Sandrine

Avocat associée

Dès lors que l’emprunteur et la caution n’établissent pas la preuve du caractère « manifestement irréaliste » des comptes d’exploitation prévisionnels sur la base desquels l’établissement de crédit a financé l’opération, ce dernier ne peut – sauf circonstances particulières non établies au cas présent – voir sa responsabilité engagée pour manquement à son devoir de mise en garde.

On le sait, l’existence de comptes d’exploitation prévisionnels exagérément optimistes peut parfois justifier une action en responsabilité de l’emprunteur et/ou de la caution à l’encontre de l’établissement dispensateur de crédit. Ainsi, un établissement de crédit peut éventuellement engager sa responsabilité à l’égard de la société franchisée et/ou  de la caution, pour avoir failli à son devoir de mise en garde, lorsque l’emprunteur et/ou la caution ne sont pas des opérateurs avertis et qu’il existe un risque d’endettement significatif ; selon la décision commentée, tel ne peut être le cas lorsque, comme en l’espèce, l’emprunteur et la caution n’établissent pas la preuve du caractère « manifestement irréaliste » des comptes d’exploitation prévisionnels sur la base desquels l’établissement de crédit a financé l’opération.

La règle est simple. L’obligation de mise en garde qui pèse sur l’établissement de crédit est subordonnée à la réunion de deux conditions, à savoir : d’une part, la qualité d’emprunteur ou de caution non averti(e) et, d’autre part, l’existence d’un risque d’endettement significatif.

Revenons sur chacune de ces deux conditions.

Sur la première condition :

Dans cette affaire, les juges du premier degré avaient jugé que la caution devait être considérée comme une caution avertie dans la mesure où celle-ci était parfaitement averti des risques liés à l’opération compte tenu de sa qualité d’associé détenant 36 % des parts sociales de la société cautionnée et alors qu’il avait été en mesure d’apprécier les capacités de remboursement de cette société en considération des comptes prévisionnels sur la base desquels le prêt avait été accordé, ledit dossier prévisionnel ne faisant apparaître aucun risque particulier autre que celui lié à tout investissement lors de la création d’une société, de sorte que les demandes et prétentions des cautions ont été également repoussées quant à ce chef du litige.

Pour ce qui concerne cette première condition, la Cour d’appel de Metz écarte la solution des premiers juges : « Attendu que des conclusions des parties et des pièces qu’elles ont produites il découle que (la caution) ne peut être considéré comme étant une caution avertie du seul fait de sa qualité d’associé, à concurrence de 36 % des parts sociales, de la société emprunteuse et cautionnée ou encore en sa qualité de beau-père du gérant de cette société et alors qu’il n’a nullement été allégué qu’il se serait immiscé dans la gestion de la société (franchisée) ou qu’il en aurait été le gérant de fait ; Que la banque admet que Mme C… peut quant à elle se voir reconnaître la qualité de caution profane ; Attendu que par suite il y a lieu de juger que la banque était effectivement tenue à l’égard des cautions d’un devoir de mise en garde concernant les risques découlant de l’endettement né de l’octroi du crédit consenti à la débitrice principale et concernant leurs capacités financières à supporter les conséquences de la défaillance de l’emprunteur ».

Sur la seconde condition :

Pour ce qui concerne la fiabilité de l’opération financée grâce au prêt de la Banque, les juges du second degré relèvent ensuite que cette fiabilité pouvait être considérée comme établie à l’égard de celle-ci par la production des comptes prévisionnels qui lui ont été soumis, les cautions ne démontrant par que la conclusion par la société franchisée d’un contrat de franchise avait pour conséquence un « aléa spécifique » ou supérieur de nature à affecter le succès de cette entreprise et susceptible de générer un risque d’endettement accru à la fois pour la débitrice principale et les cautions, devant être observé que la débitrice principale a fait l’objet d’une procédure de redressement judiciaire en juin 2008 et d’une procédure de liquidation judiciaire en octobre 2008, soit également postérieurement à la souscription de leurs engagements. Autrement dit, dès lors que l’emprunteur et la caution n’établissent pas la preuve du caractère « manifestement irréaliste » des comptes d’exploitation prévisionnels sur la base desquels l’établissement de crédit a financé l’opération, ce dernier ne peut – sauf circonstances particulières non établies au cas présent – voir sa responsabilité engagée pour manquement à son devoir de mise en garde.

En l’espèce, la Cour d’appel ajoute, au surplus, que « la banque est tout à fait fondée à se prévaloir de la déloyauté (des cautions), au sujet desquels il a été définitivement jugé qu’ils lui ne lui ont pas fourni, lors de l’établissement de la fiche de renseignements et de la souscription du cautionnement, des renseignements exacts relativement aux prêts déjà en cours en novembre 2005, avec cette conséquence que (l’établissement de crédit) n’a pas été mis lui-même en mesure d’apprécier le risque d’endettement pouvant exister au détriment (des cautions) par la souscription du cautionnement litigieux, puisque précisément cet établissement bancaire ignorait une partie des charges de ce couple ».

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