Quand le nom d’une commune appartient à un tiers, le cas Laguiole – CA Paris, 4 avril 2014, RG n°12/20559

Les mésaventures judiciaires de la commune de Laguiole pour retrouver le libre usage de son nom démontrent tout l’intérêt de l’instauration, par la loi Hamon du 17 mars 2014, du régime spécifique des indications géographiques protégées pour les produits manufacturés.

La commune de Laguiole, dans l’Aubrac, connue pour ses couteaux et son fromage, vient de connaître une nouvelle célébrité, dont elle se serait probablement passée, en raison de l’issue de son combat judiciaire pour retrouver le libre usage de son nom. En effet, un homme d’affaires a déposé une série de marques comportant en tout ou partie la partie verbale « Laguiole », concédées en licence à de nombreuses sociétés pour l’exploitation d’une multiplicité de produits tels que des briquets, des chaussures, des barbecues, des parfums, des casseroles, etc. La commune a entrepris de défendre son nom à l’encontre de 14 codéfendeurs, titulaires ou licenciés des marques comportant le terme « Laguiole », à qui elle reprochait de s’être constitués un portefeuille de marques, empêchant par là-même la commune d’exploiter son propre nom, et utilisées dans des conditions de nature à créer un rattachement trompeur à la commune et à la région.

La commune de Laguiole faisait grief à chacun des codéfendeurs, de commettre à son détriment des pratiques commerciales trompeuses telles que réprimées par l’article L.121-1 du Code de la consommation qui dispose : « Une pratique commerciale est trompeuse (…) : 1° lorsqu’elle crée une confusion avec un autre bien ou service, une marque, un nom commercial ou un autre signe distinctif, 2° lorsqu’elle repose sur des allégations, indications ou présentations fausses ou de nature à induire en erreur et portant sur l’un des ou plusieurs des éléments suivants : (…) b/ les caractéristiques essentielles du bien ou du service, à savoir ses qualités substantielles, sa composition, ses accessoires, son origine, sa quantité, son mode et son procédé de fabrication (…) ».

L’ensemble des demandes sur ce fondement sont rejetées par la Cour qui, prenant appui sur la lettre du texte, considère que doit être rapportée la preuve d’une confusion et non d’un risque de confusion. Elle poursuit en affirmant qu’il incombait donc à la commune de Laguiole de rapporter la preuve que l’achat par un nombre significatif de personnes des produits marqués Laguiole est déterminée par les pratiques dénoncées. Allant plus loin, la Cour considère que cela suppose que Laguiole bénéficie d’une réputation pour les produits exploités sous les marques. Or, les juges d’appel, à l’instar des premiers juges, considèrent que la réputation du terme « laguiole » est uniquement associée aux couteaux et au fromage et que la preuve d’une confusion effective n’est pas rapportée. En définitive, la Cour d’appel considère que la commune de Laguiole n’est pas victime de pratiques commerciales trompeuses génératrices de confusion pour le consommateur moyen quant à l’origine des produits commercialisés sous les marques Laguiole du fait de l’indication de son nom. La commune poursuivait également la nullité de 27 marques ayant toutes une partie verbale comportant le terme « laguiole ». Seule dix d’entre elles vont faire l’objet d’une appréciation, les autres étant « sauvées » pour des raisons procédurales. Cinq motifs de nullité étaient présentés mais aucun d’entre eux n’est retenu dans cet arrêt.

La Cour refuse de prononcer la nullité des dépôts dont le caractère frauduleux était dénoncé considérant que la preuve d’une intention de nuire au jour du dépôt n’est pas rapportée. La Cour juge même que les marques ne peuvent voir leur caractère distinctif remis en cause bien qu’elles soient composées d’une indication de provenance. De même, la déceptivité des signes est écartée par la Cour qui décide que la preuve que le consommateur moyen puisse envisager que les produits et services désignés par les marques puissent provenir de la commune Laguiole n’est pas rapportée. Enfin, la Cour rejette également le grief de nullité pour atteinte au nom, à l’image et à la renommée de la collectivité territoriale, jugeant que le texte n’interdit pas le dépôt de marques comportant le nom d’une commune de nature à porter atteinte aux intérêts publics ou à préjudicier à ses administrés.

Au vu des conséquences de cette décision pour la commune de Laguiole, on se félicitera que, dans la loi Hamon du 17 mars 2014, le législateur ait instauré un régime juridique de protection pour les indications géographiques protégées qui concernent les produits manufacturés (art. L.721-2 et s. CPI). Il n’en demeure pas moins que le « Laguiole Bazar » (l’expression est empruntée à Ch. Le Stanc, Propr. industr. avril 2013) a encore de beaux jours devant lui faute d’effet rétroactif de la loi Hamon.

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