Rupture brutale et reprise d’activité par un tiers : de nouvelles précisions

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ZANETTE Alissia

Avocat

Cass. com., 10 février 2021, n°19-15.369, Publié au bulletin

La partie qui s’estime victime d’une rupture brutale des relations commerciales établies ne peut se prévaloir de la relation qu’elle avait nouée antérieurement à un plan de cession, sauf à démontrer l’intention du tiers cessionnaire de poursuivre les relations initiales. Les juges du fond restent néanmoins tenus d’apprécier le caractère suffisant de chacun des préavis en cas de ruptures échelonnées d’activités distinctes.

La société Noël a confié le transport de ses marchandises à la société Rave en novembre 2011. Des suites du prononcé de son redressement judiciaire, la société Noël a cédé la totalité de ses actifs à la société Franciaflex en septembre 2012. Cependant, cette cession ne consistait pas en une cession de fonds de commerce et ne prévoyait pas la cession du contrat avec la société Noël. Pour autant, la société Franciaflex (cessionnaire de l’activité de la société Rave) a échangé avec la société Noël pour lui confier également le transport de ces marchandises, ce qui a abouti à un nouvel accord sur les tarifs pratiqués conclu en novembre 2012.

En réaction à l’augmentation des tarifs de la société Rave et à l’échec des négociations engagées entre les parties, la société Franciaflex a mis un terme, en 2014, à la relation commerciale qui les liait. Cette rupture a eu lieu en trois temps :

  1. Rupture des activités « distribution » par lettre du 1er aout 2014, à effet au 5 septembre 2014 ;
  2. Rupture des activités « tournées » par courriel du 24 octobre 2014, à effet la semaine suivante ;
  3. Rupture des activités « locations exclusives » par le même courriel, à effet au 1er décembre 2014.

S’estimant victime d’une rupture brutale des relations commerciales établies pour chacune des 3 activités en question, la société Rave a assigné la société Franciaflex en réparation de son préjudice au titre de l’ancien article L.442-6, I, 5° du Code de commerce.

Dans un premier temps, la Cour de cassation se prononce sur l’incidence d’une cession d’activité dans le cadre d’une procédure collective pour calculer la durée de la relation commerciale établie. Pour rejeter la demande de la société Rave, la cour d’appel de Paris a retenu que seule la relation avec le cessionnaire devait être intégrée au calcul (soit 2 ans). La société Rave soutient au contraire que, dès lors que les relations se sont poursuivies avec le cessionnaire, la durée des relations commerciales initialement nouées avec le cédant (la société Rave) devait être prise en compte pour fixer la durée d’une relation commerciale établie (soit 1 an + 2 ans).

La Cour de cassation vient confirmer l’arrêt de la cour d’appel sur ce point. Elle rappelle que « la seule circonstance qu’un tiers, ayant repris l’activité ou partie de l’activité d’une personne, continue une relation commerciale que celle-ci entretenait précédemment ne suffit pas à établir que c’est la même relation commerciale qui s’est poursuivie avec le partenaire concerné, si ne s’y ajoutent des éléments démontrant que telle était la commune intention des parties ». Or, la Cour de cassation relève deux éléments permettant de démontrer l’absence de volonté du cessionnaire de continuer la relation initiale :

  • Le plan de cession ne prévoyait pas celle du fonds de commerce, seuls quelques éléments du fonds ayant été cédés ;
  • Un nouveau contrat a été conclu et négocié entre la société Rave et la cessionnaire.

Ainsi, la Cour de cassation retient que c’est à bon droit que la cour d’appel a retenu que la cessionnaire n’avait pas poursuivi la relation initialement nouée avec la société Rave, même si elle était finalement identique.

Dans un second temps, la Cour de cassation se prononce sur l’appréciation de la durée suffisante du préavis en cas de ruptures distinctes et échelonnées des activités d’un même cocontractant. La cour d’appel a considéré que, pour une relation commerciale d’une durée de deux années et eu égard à l’activité en cause, le préavis d’un mois mis en œuvre pour les activités « affrètement » et « locations exclusives » apparaissait d’une durée suffisante, sans s’expliquer sur le préavis de la rupture de la relation s’agissant de l’activité « tournées ».

Après avoir rappelé le texte de l’article L.442-6, I, 5° du Code de commerce, la Cour de cassation retient qu’en s’abstenant de préciser la raison pour laquelle la durée d’une semaine du préavis notifié pour l’activité « tournées » était suffisante, la cour d’appel n’a pas statué sur le caractère suffisant de l’ensemble des préavis alors même qu’il existait plusieurs relations commerciales distinctes. Autrement dit, si un cocontractant veut rompre une relation établie en distinguant parmi les missions données au cocontractant, il devra accorder à la rupture de chacune de ces missions un préavis suffisant.

A rapprocher : Cass. com., 2 novembre 2011, n°10-25.323

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