Clause de non-concurrence post-contractuelles et interdiction de créer un « réseau concurrent »

CA Paris, Pôle 5, chambre 4, 23 janvier 2019, n° 16/15238

Les clauses de non-concurrence post-contractuelles s’interprètent restrictivement. Dès lors, un ensemble de points de vente exerçant la même activité sous une enseigne commune ne constitue pas un « réseau concurrent », ce qui implique l’existence de contrats de franchise comportant des obligations réciproques entre une tête de réseau décisionnaire et ses affiliés, ainsi qu’une organisation commune.

Ce qu’il faut retenir :

Les clauses de non-concurrence post-contractuelles s’interprètent restrictivement. Dès lors, un ensemble de points de vente exerçant la même activité sous une enseigne commune ne constitue pas un « réseau concurrent », lequel implique l’existence de contrats de franchise comportant des obligations réciproques entre une tête de réseau décisionnaire et ses affiliés, ainsi qu’une organisation commune.

 

Pour approfondir : 

1. Les faits : Monsieur X… exploite, à travers deux sociétés franchisées, neuf instituts de beauté spécialisés dans les soins de beauté, l’épilation, le bronzage et la manucure, sous l’enseigne Beauty Succes. Estimant que Monsieur X, ès-qualités, avait enfreint les clauses de non-concurrence post-contractuelles, et afin d’obtenir les paiement des redevances, qui, selon elle, lui étaient dues, la société franchiseur a saisi le tribunal de commerce de Paris aux fins, notamment, d’obtenir le paiement de factures, de voir prononcer la résiliation des contrats de franchise aux torts exclusifs des sociétés franchisées et d’obtenir réparation de ses préjudices du fait de la résiliation anticipée de ces contrats de franchise.

2. Prétentions des parties : Devant la Cour d’appel, le franchiseur indique que Monsieur X devait s’interdire tant à titre personnel qu’ès-qualités de gérant de la société franchisée d’adopter la même enseigne sur l’ensemble de ses instituts et qu’il a ainsi violé son l’obligation de non création d’un réseau concurrent prévue à l’article 19.4 des contrats de franchises, faisant interdiction de « créer un réseau concurrent (dans le même domaine) sur toutes les villes où sont implantés les instituts franchisés (…), et ce pendant un an à compter de la cessation du présent contrat ». La validité de cette première clause ne semblait pas contestée, celle-ci étant au demeurant triplement limité : limitée dans le temps (un an) ; limitée dans l’espace (puisque la non création d’un réseau concurrent vise les instituts qui étaient exploités par le franchisé) ; limitée quant à l’objet (« dans le même domaine ») ; le franchiseur ajoute que ladite clause était rendue nécessaire par la préservation du réseau, et qu’elle n’est pas disproportionnée par rapport aux intérêts de l’ancien franchisé, celui-ci pouvant continuer à exercer son commerce, dès lors qu’il ne rallie pas une enseigne concurrente ou ne poursuit pas comme en l’espèce l’exploitation de ses instituts sous une enseigne commune. De plus, le franchiseur invoque par ailleurs l’article 17.4 des contrats de franchises stipulant une clause de non-affiliation post contractuelle, également limitée aussi dans le temps (un an) et dans l’espace (à la France métropolitaine).

3. Solution et Motivation : L’arrêt commenté ne remet pas en cause la validité desdites clauses mais rejette la demande du franchiseur aux motifs que :

  • les sociétés franchisés n’ont ni adhéré ni créé un nouveau réseau concurrent, ce qui implique l’existence de contrats de franchise comportant des obligations réciproques entre une tête de réseau décisionnaire et ses affiliés, ainsi qu’une organisation commune,
  • l’adoption par tous leurs magasins d’une enseigne commune ne suffit pas à constituer un réseau,
  • cette faculté ne leur est pas interdite par les contrats de franchise,
  • la circonstance que plusieurs magasins, dont deux anciens franchisés, aient adopté la même enseigne ne démontre pas en soi la création d’un réseau.

L’arrêt commenté appelle de notre part trois séries d’observations.

4. Commune intention des parties : si l’on considère l’intention des parties, il nous semble qu’en faisant interdiction de « créer un réseau concurrent », le franchiseur a entendu préserver le réseau de franchise de toute situation mettant en présence un ensemble d’instituts sous la même enseigne, sans distinguer selon la situation juridique de ces points de vente. L’objectif d’une telle clause est un objectif d’ordre économique voire stratégique ; il se conçoit et se justifie – selon nous – indépendamment de la nature juridique des points de vente. Ainsi, il nous semble que la recherche de la commune intention des parties aurait du conduire les juges du fond à une solution opposée.

5. Interprétation stricte : Toutefois, il est vrai que, par nature, les clauses de non-concurrence post-contractuelle sont d’interprétation stricte. Conformément à l’article 1162 du Code civil, la clause de non-concurrence s’interprète en faveur du débiteur (CA Rennes, 8 févr. 1990 : JurisData n° 1990-044280). Cette clause est d’interprétation stricte (V. par ex., CA Aix-en-Provence, 28 févr. 2005 : JurisData n° 2005-272824). 

Fallait-il pour autant attribuer à la notion de « réseau concurrent » l’acception que la Cour d’appel de Paris a ainsi retenue ? La difficulté d’interprétation vient du fait qu’il n’existe pas de notion juridique du terme de « réseau ».

6. Notion à géométrie variableEn l’espèce, les points de vente étaient liés entre eux par une enseigne commune et, d’un point de vue concurrentiel, il nous semble que ceux-ci formaient ainsi un véritable « réseau », l’enseigne constituant un signe de ralliement immédiatement visible et donc identifiable par la clientèle. L’interprétation retenue au cas présent est stricte – trop stricte ? – puisqu’elle subordonne l’existence d’un réseau à la double condition, d’une part, de l’existence de contrats entre une tête de réseau et des distributeurs et, d’autre part, l’existence d’une organisation commune. Le décalage pouvant exister entre l’acception du mot « réseau » retenue par les juges du fond, et celle retenue par les praticiens, ressort à travers deux exemples ; en effet : 1°/ les praticiens utilisent communément le terme de « réseau » pour désigner la situation des « réseaux intégrés » ; de tels réseaux sont soumis à une organisation commune, mais certainement pas à un contrat liant une tête de réseau à des affiliés ; 2°/ tout aussi bien, les praticiens utilisent communément le terme de « réseau » pour désigner la situation des « réseaux en licence de marque » ; dans ce cas, une tête de réseau est bien liée par un contrat à des licenciés (ce contrat se limitant à définir les droits sur une marque), mais les points de ventes licenciés ne sont pas (du moins peuvent ne pas être) soumis à une organisation commune.

Dans une affaire comparable (TC Montpellier, 7 janvier 2013, n°2010025038), un ex-franchisé d’une enseigne immobilière nationale, soumis à une clause lui interdisant de s’affilier à un « réseau concurrent », avait poursuivi son activité en apposant lui-même une nouvelle enseigne et en convaincant deux autres franchisés de reprendre l’enseigne ainsi nouvellement créée. Il indiquait n’avoir créé ou adhéré à aucun « réseau » dès lors que les « partenaires » n’étaient liés entre eux par aucun contrat, qu’il n’existait aucune obligation, aucune redevance, aucun droit d’entrée, aucun fichier commun, aucun logiciel commun, chaque agence disposant enfin de son propre site internet. Par cette décision, le Tribunal de commerce de Montpellier retient néanmoins en ces termes qu’un véritable réseau était constitué : « le terme de réseau est explicitement employé sur le site concurrent [de l’ex-franchisé] dans la page relative à l’agence de Perpignan (pièce 9 dem) et sur la page de la Ste Cat immo « Pôle entreprise ». Que ce réseau de distributeurs est animé par un intérêt commun au sein d’une organisation présentant une homogénéité commerciale et quelle est dirigée par un concédant (PIC). Ce terme de «concédant» étant repris page 8 dans les écritures du défendeur : « D’ailleurs la concluante qui pourrait être qualifiée de « concédant ». Les adresses internet ont la même racine (pièce 2 dem) -La signalétique des agences est identiques (pièce 2 dem) -Le logo « Pôle habitat » figure sur les trois agences (…). Le tribunal considérera qu’il s’agit d’un contrat tacite de réseau d’agences immobilières entre les trois entités CIURS/PIC car présenté comme tel vis-à-vis des prospects et des clients ».

7. Bonne résolution … : Quoiqu’il en soit, il convient de tenir compte de la décision commentée dans la rédaction des clauses de non-concurrence post-contractuelles. La solution radicale peut consister à préférer une clause de non-concurrence post-contractuelle portant sur l’activité toute entière ; une solution plus souple peut consister à retenir une clause qui, laissant à son débiteur quelques aspérités, devra alors être particulièrement précise sur le champ exact de l’interdiction, ce qui pourra conduire à contractualiser certaines définitions.

 

A rapprocher : voir de manière plus systématique, La clause de non-concurrence post-contractuelle dans les contrats de distribution : Panorama de jurisprudence et Prospective

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