Le marketing émotionnel, une source d’enjeux juridiques

Laboratoire d’Innovation Numérique de la CNIL, 26 novembre 2018

L’utilisation des technologies d’intelligence artificielle ouvre la voie à de nouvelles perspectives dans de nombreux domaines d’activité.

L’utilisation des technologies d’intelligence artificielle ouvre la voie à de nouvelles perspectives dans de nombreux domaines d’activité. Le secteur du marketing souhaite également faire usage d’outils innovants afin de développer des formes de publicités personnalisées et ciblées selon les émotions et le profil psychologique du consommateur. En effet, les techniques de marketing modernes ont pour but de tenir compte de traits de personnalité précis : ouverture d’esprit, organisation, extraversion, agréabilité et sensibilité. Ces informations font ensuite l’objet d’analyses pour dresser un profil individuel.

L’origine des données utilisées pour établir un profil psychologique peut être variée, et située en dehors d’un contexte de consommation. L’analyse des contenus postés ou des réactions des utilisateurs sur les réseaux sociaux permettent d’ores et déjà de cerner les opinons et les préférences des utilisateurs de façon précise. Au même titre, les smartphones, outils du quotidien, sont des sources précieuses d’informations à exploiter, puisqu’ils permettent d’en savoir tout autant sur les goûts et les habitudes de son utilisateur (applications installées, géolocalisation, historique de recherche, etc.).

Le ciblage psychologique a initialement pour objectif de catégoriser les individus, afin de planifier des stratégies marketing ciblées, plus qualitatives et rentables qu’une campagne marketing de masse. Les futurs outils basés sur l’intelligence artificielle promettent d’affiner d’autant plus ce ciblage en mesurant en temps réel les émotions ressenties par l’individu.

Par exemple, la caméra frontale d’un smartphone pourrait être exploitée à l’aide d’une technologie de reconnaissance faciale afin de déterminer l’état émotionnel de la personne et de lui envoyer directement une publicité adaptée à son humeur, sa localisation et ses centres d’intérêt. Mais cette pratique pourrait être de nature à exploiter les vulnérabilités du consommateur.

Face à ces nouvelles méthodes, plusieurs enjeux juridiques se dégagent, en particulier sous l’angle de la protection des données personnelles et du droit de la consommation.

Tout d’abord, ces pratiques pourraient ne pas être licites en vertu du droit de la consommation. L’article L.121-1 du Code de la consommation prohibe tout pratique commerciale déloyale, qui peut se caractériser lorsqu’elle « altère ou est susceptible d’altérer de manière substantielle le comportement économique du consommateur normalement informé et raisonnablement attentif et avisé, à l’égard d’un bien ou d’un service ».

Le recours à une publicité ciblée selon les émotions du consommateur pourrait même être qualifié de pratique commerciale agressive, en raison de la contrainte morale qu’elle peut représenter, notamment lorsqu’il y a « exploitation, en connaissance de cause, par le professionnel, de tout malheur ou circonstance particulière d’une gravité propre à altérer le jugement du consommateur, dans le but d’influencer la décision du consommateur à l’égard du produit », selon l’alinéa 2-3° de l’article L.121-6.

En outre, l’utilisation de technologie d’intelligence artificielle et de personnalisation des annonces publicitaires requièrent une quantité importante de données, qui doivent être préalablement collectées afin de déterminer le profil des individus. Sur ce point, les acteurs devront respecter les dispositions du Règlement Général sur la Protection des Données (RGPD).

Le recueil d’un consentement libre, spécifique, éclairé et univoque des individus est nécessaire afin d’opérer un traitement ayant pour finalité un ciblage publicitaire, comme l’a rappelé la CNIL le 8 octobre 2018, en mettant en demeure une entreprise de ciblage publicitaire qui exploitait la géolocalisation des internautes, sans avoir préalablement recueilli leur consentement.

La collecte de données faciales et vocales, essentielles pour le ciblage émotionnel, risque également d’être soumise au régime plus protecteur des données sensibles, car elles sont susceptibles d’être qualifiées de données biométriques, en particulier si la finalité du traitement est l’identification de la personne.

La mise en œuvre de ces nouvelles techniques de marketing, toujours plus centrées sur l’individu, risque de trouver ses limites face à la règlementation en vigueur. Si les acteurs du secteur souhaitent tout de même opter pour ces nouvelles solutions, nul doute qu’une régulation sera nécessaire à l’avenir afin d’encadrer ces pratiques.

A rapprocher : Les solutions pour la publicité – CNIL ; Décision n°MED-2018-043 du 8 octobre 2018

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