Illustration de la sanction du dépôt frauduleux de marque en franchise – Cass. com., 14 fév. 2012, pourvoi n°10-30.872

Dans cette affaire, la Cour de cassation sanctionne un dépôt frauduleux de marque au détriment de la tête de réseau qui a été rétablie dans ses droits.

On ne recommande jamais assez de déposer à titre de marque les signes utilisés par l’entreprise dès lors qu’ils répondent aux conditions de validité du droit des marques. L’enregistrement de la marque confère en effet à son titulaire un droit privatif sur le signe permettant de se défendre efficacement et d’agir en contrefaçon à l’encontre de ceux qui empièteraient sur le domaine ainsi réservé.

Toutefois, celui qui n’a pas pris cette précaution n’est pas pour autant totalement démuni ; le cas se rencontre lorsqu’un tiers le prend de vitesse et, ayant eu vent des intentions de dépôt sur un signe, procède à ce dépôt le premier.

Le code de la propriété intellectuelle réserve en effet l’hypothèse du dépôt frauduleux ; l’article L.712-6 dispose ainsi : « Si un enregistrement a été demandé soit en fraude des droits d’un tiers, soit en violation d’une obligation légale ou conventionnelle, la personne qui estime avoir un droit sur la marque peut revendiquer sa propriété en justice. A moins que le déposant ne soit de mauvaise foi, l’action en revendication se prescrit par trois ans ».

Dans cette affaire, la tête de réseau avait informé les franchisés de ses projets de développement d’une autre marque. Or, elle n’avait pas pris la précaution de procéder immédiatement au dépôt de ladite marque et ce, avant toute communication sur ses projets. Cette faiblesse n’avait pas échappé à certains « indélicats ». En effet, l’époux de la gérante d’une société franchisée (dont le contrat fut résilié) décidait de déposer une marque quasi identique, ne se distinguant que par une seule lettre, puis développait un réseau concurrent, en l’espèce de services de coiffure, empruntant en outre les mêmes méthodes commerciales.

La tête de réseau assignait alors le déposant, ainsi que les membres de son jeune réseau, au rang desquels figuraient la société également anciennement membre de son réseau ainsi que sa gérante, épouse de l’entrepreneur indélicat, pour revendiquer la marque frauduleusement déposée et obtenir réparation du préjudice subi du fait des actes de concurrence déloyale commis à son encontre.

Le pourvoi reprochait à l’arrêt d’avoir retenu l’existence d’un dépôt frauduleux et d’avoir ordonné la « restitution » de la marque, sans que la preuve de l’existence d’intérêts sciemment méconnus ne soit rapportée. Selon le pourvoi, en effet, le simple travail sur une marque, sans utilisation publique ou preuve d’un projet certain de dépôt, ne pouvait constituer un intérêt protégeable, tout tiers pouvant avoir un projet identique. Or, la Cour souligne que l’action en revendication pour fraude ne nécessite pas la preuve d’une utilisation publique antérieure mais celle d’intérêts légitimes sciemment méconnus par le déposant. En l’espèce, une telle preuve était rapportée dès lors que le dépôt litigieux, rapide et précipité, avait été effectué par celui qui avait connaissance de la marque en cours de création.

Il s’agit d’une application justifiée du texte dans la mesure où l’action en revendication ne nécessite pas de pouvoir justifier de droits antérieurs, ceux-là mêmes qui permettent notamment de demander la nullité d’un dépôt. En effet, l’action en revendication pour fraude se distingue de l’action en nullité fondée sur des droits antérieurs énumérés à l’article L.711-4 du code de la propriété intellectuelle. Il convient toutefois de rapporter la preuve de la violation d’intérêts légitimes (lesquels résident le plus souvent, mais pas seulement, dans l’utilisation du signe), méconnus sciemment. Cette condition implique une intention maligne, condition supplémentaire que la jurisprudence induit parfois de la connaissance des intérêts méconnus.

Les demandes fondées sur la concurrence déloyale et parasitaire sont également accueillies par la Cour d’appel, approuvée par la Cour de cassation.

Après avoir relevé que les juges s’étaient fondés sur des faits distincts de ceux constitutifs de manquements contractuels (ayant par ailleurs justifié la résiliation du contrat de franchise), elle considère que la confusion créée dans l’esprit de la clientèle ainsi que le détournement des investissements et du savoir-faire sont établis ; les anciens membres de son réseau ayant activement contribué à cet état de fait notamment en permettant l’utilisation des tableaux de tarifs promotionnels.


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