Le devoir du franchisé de se renseigner sur la légalité de son activité

YVER Katia

Avocat

CA Paris, 7 septembre 2018, n°17/06933

La Cour fait interdiction à deux franchisés de pratiquer ou de faire pratiquer des actes d’épilation définitive par lumière pulsée par des personnes non autorisées à exercer la médecine en France et prononce la résiliation de leurs contrats de franchise, qui ne peuvent se poursuivre du fait de l’interdiction prononcée.

Ce qu’il faut retenir : La Cour fait interdiction à deux franchisés de pratiquer ou de faire pratiquer des actes d’épilation définitive par lumière pulsée par des personnes non autorisées à exercer la médecine en France et prononce la résiliation de leurs contrats de franchise, qui ne peuvent se poursuivre du fait de l’interdiction prononcée. La Cour déboute les franchisés de leurs demandes indemnitaires formées à l’encontre du franchiseur, au motif que cette situation n’est pas imputable au seul franchiseur, et que les franchisés, professionnels de l’épilation, ne pouvaient ignorer que l’interprétation de l’arrêté du 6 janvier 1962 donnée par le franchiseur était sujette à contestation. Ils avaient connaissance de cette problématique dès la conclusion des contrats de franchise et ont fait le choix de commencer et de poursuivre l’activité illicite.

Pour approfondir : La société C.L.M. a pour objet social « la location et la mise à disposition de matériel médical et paramédical ». Elle indique fournir, uniquement à des médecins diplômés et exerçant régulièrement la médecine en France, un plateau technique complet composé des moyens matériels nécessaires à leur activité et plus particulièrement s’agissant d’un centre laser, mettre à disposition des médecins et de leurs patients tant des locaux que des lasers à des fins d’élimination définitive du système pileux.

Le client souhaitant bénéficier d’un acte d’épilation définitive, est pris en charge par son médecin sur le plateau technique fourni par la société C.L.M. grâce aux matériels fournis par cette dernière.

Le client verse directement au médecin les honoraires correspondant à l’acte pratiqué et à la société C.L.M. le prix de la location du matériel.

La société A.S. et Madame C. ont tous deux conclu un contrat de franchise avec la société C.D.C.A., qui a développé un réseau de franchise sous l’enseigne D.T. afin de proposer des soins de dépilation par lumière pulsée et de photo rajeunissement.

Pour être en mesure de vérifier les conditions d’exercice des activités de ces deux franchisés, la société C.L.M. a été autorisée, par ordonnances sur requête, à faire intervenir un huissier de justice dans les locaux exploités par ces franchisés. Les deux procès-verbaux ont permis de relever que le matériel présent était bien un matériel à lumière pulsée et qu’il était utilisé par des non-médecins pour réaliser des actes d’épilation définitive. Reprochant aux deux franchisés d’exercer des actes de médecine illégaux, ainsi que des actes de concurrence déloyale lui portant préjudice, la société C.L.M. a saisi le Tribunal de commerce de Lyon d’une action en concurrence déloyale.

Les deux franchisés ont appelé leur franchiseur en garantie de toutes éventuelles condamnations.

Par jugement contradictoire du 9 novembre 2016, le Tribunal de commerce de Lyon a considéré que les franchisés n’ont pas pratiqué d’acte illégal de la médecine et n’ont donc pas commis d’actes de concurrence déloyale, ni de publicité trompeuse, à l’égard de la société C.L.M. et a donc débouté cette dernière de l’intégralité de ses demandes.

La société C.L.M. a interjeté appel de cette décision.

Par un arrêt rendu le 7 septembre 2018, la Cour d’appel de Paris vient d’infirmer le jugement, en considérant que c’est à tort que le Tribunal a jugé que les franchisés n’avaient pas pratiqué d’acte illégal de la médecine, en se fondant sur l’article 2 de l’arrêté du 6 janvier 1962 (dans sa version modifiée par l’arrêté du 13 avril 2007) aux termes duquel :

« Ne peuvent être pratiqués que par les docteurs en médecine, conformément à l’article L.372 (1°) du Code de la santé publique (aujourd’hui L.4161-1) les actes médicaux suivants : (…)

5° Tout mode d’épilation, sauf les épilations à la pince ou à la cire »

La Cour considère ainsi que « seuls les médecins peuvent pratiquer sur autrui toute épilation, sauf si celle-ci est pratiquée à la pince ou à la cire. Dès lors, il importe peu que l’épilation pratiquée par Madame C. et la société A.S. se fasse à la lumière pulsée et non au laser. Il est également indifférent que des appareils à lumière pulsée soient librement commercialisés permettant à chacun de réaliser des actes d’épilation avec le matériel ainsi acheté ».

Par suite, la Cour a considéré que « cette pratique a nécessairement eu pour conséquences de perturber le marché en plaçant cette société dans une situation anormalement favorable par rapport à ses concurrents respectant ladite réglementation et causé un trouble commercial générant un préjudice à la société C.L.M. privée des rémunérations qu’elle reçoit tant des médecins que des clients ».

La Cour a donc condamné la société A.S. et Madame C. à payer chacune une somme de 15.000 euros à la société C.L.M. à titre de dommages et intérêts au titre des actes de concurrence déloyale, in solidum avec le franchiseur en considérant que « en sa qualité de franchiseur, [elle] a participé aux actes de concurrence déloyale qui sont reprochés en fournissant aux franchisés les moyens de leur exercice, concourant ainsi au préjudice subi par la société C.L.M. ».

La Cour a également fait interdiction aux franchisés de pratiquer ou de faire pratiquer des actes d’épilation autres que ceux pratiqués à la pince à épiler ou à la cire par des personnes non autorisées à exercer la médecine en France, sous astreinte de 500 euros par infraction constatée à compter de la signification de l’arrêt, et a ordonné la publication du dispositif de son arrêt dans deux journaux aux frais des franchisés.

La Cour a, par ailleurs, débouté les franchisés de leur appel en garantie formé à l’encontre du franchiseur, en considérant qu’ils avaient été informés de la problématique juridique posée par le cadre juridique de l’épilation, notamment au travers des plaquettes publicitaires qui leur avaient été remises par le franchiseur, qui reproduisaient les termes exacts de l’arrêté de 1962 tout en faisant une lecture personnelle de la législation, en affirmant que si la technique du laser ou de l’électrolyse sont des modes d’épilation à visée médicale réservés aux médecins, telle n’est pas le cas de la lumière pulsée. De même, le document d’information précontractuelle précisait que la dépilation à lumière pulsée entre pleinement dans le champ de compétence de l’esthéticienne car elle n’a pas de finalité médicale.

La Cour a donc considéré que « les franchisés, professionnels de l’épilation, étaient parfaitement informés de la problématique juridique posée par l’arrêté du 6 janvier 1962 dans sa version modifiée par l’arrêté du 13 avril 2007 et savaient que ce texte imposait que l’épilation réalisée par d’autres moyens que la cire ou la pince soit réalisée par des médecins. Ils ne pouvaient ignorer que l’interprétation de ce texte donnée par la société D.T. était sujette à contestation. Ils avaient connaissance de cette problématique dès la conclusion des contrats de franchise et ont fait le choix non seulement de contracter mais de poursuivre leur activité durant plus de 5 années alors même qu’ils avaient été mis en demeure de cesser par la société C.L.M. ».

Les franchisés avaient, par ailleurs, demandé subsidiairement à la Cour, dans l’hypothèse où celle-ci ordonnerait la cessation de pratiquer l’épilation à la lumière pulsée, de prononcer la nullité des contrats de franchise pour dol et subsidiairement pour cause illicite, ou à tout le moins leur résolution, outre l’allocation de dommages et intérêts.

Les franchisés ont cependant été déboutés de leur demande de nullité pour dol, la Cour considérant   qu’ils ne justifiaient « d’aucune manœuvre hormis une lecture erronée donnée par la société D.T. de l’arrêté du 6 janvier 1962 dans sa version modifiée par l’arrêté du 13 avril 2007 qu’elle était à même de vérifier » et que « l’information donnée par la société la société D.T. sur l’interprétation qu’elle faisait des textes en vigueur n’exonérait pas les co-contractants de vérifier les textes applicables et de s’assurer en leur qualité de professionnels qu’ils ne commettaient pas d’actes illégaux en pratiquant sans médecin l’épilation par la technique de la lumière pulsée ».

En revanche, la Cour a prononcé la résiliation des contrats de franchise en considérant que : « Le contrat de franchise a pour objet la création d’un réseau de licenciés ouvrant des lieux, telles des boutiques ou des instituts, de photo dépilation et de photo rajeunissement exercées par des non médecins sous licence de la marque, du logo et de l’enseigne. Il prévoit l’apprentissage de ces techniques aux non-médecins et la fourniture des machines permettant cette activité commerciale. Comme jugé ci-dessus cette pratique de l’épilation par lumière pulsée par des non médecins n’est pas licite et des mesures d’interdictions sont prononcées par le présent arrêt. Dès lors, le contrat de franchise doit être résilié puisqu’il ne peut, en vertu du présent arrêt et de l’interdiction prononcée, se poursuivre ». Pour autant, les franchisés ont été déboutés de leurs demandes indemnitaires formées contre le franchiseur au motif que « cette situation n’est pas imputable à la seule société D.T., les franchisés ont fait choix de commencer et de poursuivre l’activité illicite ».

Cet arrêt rappelle donc avec force qu’un franchisé, en sa qualité de professionnel, a le devoir de se renseigner avant de conclure un contrat de franchise, notamment sur la légalité de l’activité envisagée.

Le devoir de se renseigner se justifie par la nature même du franchisé, que la jurisprudence qualifie à juste titre de « professionnel » (Cass. com., 7 octobre 2014, pourvoi n°13-23.119, soulignant que le contrat de franchise correspond à une « relation d’affaires entre professionnels ») et de « commerçant indépendant et responsable » (Cass. com., 5 janvier 2016, pourvois n°14-15710, 14-15705 et 14-15702 ; Cass. com., 10 janvier 1995, pourvoi n°92-17892).

La négligence des franchisés était d’autant moins excusable en l’espèce, qu’ils ont été informés de cette problématique juridique avant même de signer les contrats de franchise, au travers notamment des plaquettes publicitaires du franchiseur qui reproduisaient intégralement les termes de l’arrêté de 1962. Ils ont donc commencé et poursuivi cette activité en toute connaissance de cause, au risque de devoir en assumer les conséquences.

A rapprocher : F.-L. SIMON, Le devoir du franchisé de « se » renseigner, Etude d’ensemble, LDR Mai 2015

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