Nullité de la marque « Giant » : suite et fin

CA Paris, 3 juillet 2018, n°17/17762

Lors du choix d’une marque, il convient de faire preuve d’une grande vigilance : entre le signe descriptif, évocateur ou descriptif la frontière n’est pas toujours aisée à déterminer, les enjeux sont pourtant conséquents : la validité ou non de la marque.

Ce qu’il faut retenir : Lors du choix d’une marque, il convient de faire preuve d’une grande vigilance : entre le signe descriptif, évocateur ou descriptif la frontière n’est pas toujours aisée à déterminer, les enjeux sont pourtant conséquents : la validité ou non de la marque. La marque « Giant » qui désigne une caractéristique des produits désignés, est dépourvue de caractère distinctif et n’est donc pas valable.

Pour approfondir :

1. La marque « Giant » vient de suivre un long parcours procédural qui s’achève par cet arrêt de la Cour d’appel de Paris rendu le 3 juillet 2018, sur renvoi après cassation. La Cour confirme le jugement des juges de première instance, et la position que nous défendions quant à l’absence de distinctivité du signe et, par conséquent, la nullité de la marque.

2. Revenons sur les faits : la compagnie Quick, titulaire de la marque « Giant » désignant des produits relevant des classes 29, 30, et des services de la classe 43, et dans les faits un des hamburgers commercialisés dans la chaîne de fast-foods Quick, avait engagé une action en contrefaçon de cette marque à l’encontre de la société Sodebo, estimant que le dépôt de la marque « Pizza Giant Sodebo » pour désigner des produits relevant des classes 29 et 30 et l’apposition sur des parts individuelles de pizza de la mention « Pizza Giant » (outre la marque Sodebo) portaient atteinte à ses droits.

3. En défense, la société Sodebo contestait en premier lieu la validité de la marque « Giant » et, subsidiairement, les actes prétendus de contrefaçon.

En particulier, le caractère distinctif de la marque était contesté sur le fondement de l’article L.711-2 du CPI selon lequel : « Le caractère distinctif d’un signe de nature à constituer une marque s’apprécie à l’égard des produits et services désignés. Sont dépourvus de caractère distinctif :

a) Les signes ou dénominations qui, dans le langage courant ou professionnel, sont exclusivement la désignation nécessaire, générique ou usuelle du produit ou du service ;

b) Les signes ou dénominations pouvant servir à désigner une caractéristique du produit ou du service, et notamment l’espèce, la qualité, la quantité, la destination, la valeur, la provenance géographique, l’époque de la production du bien ou de la prestation de services ;

c) Les signes constitués exclusivement par la forme imposée par la nature ou la fonction du produit, ou conférant à celui-ci sa valeur substantielle ».

Le signe qui ne présenterait pas de caractère distinctif n’est pas valable et doit donc être annulé (article L.714-3 CPI).

4. Le TGI de Paris, par jugement du 24 octobre 2013 (RG n°12/10515) a prononcé la nullité de la marque pour des motifs dont on se félicitait à l’époque : les juges ont considéré que le mot « GIANT » est un adjectif anglais signifiant géant ou encore énorme en langue française très facilement compris par le consommateur français. Ce terme a vocation à désigner la dimension importante de l’aliment et ne sera perçu que comme tel par le consommateur, il est en conséquence dépourvu de toute distinctivité.

Les juges avaient également rejeté l’idée selon laquelle la marque aurait acquis un caractère distinctif par l’usage marque.

5. La Cour d’appel de Paris avait cru devoir infirmer ce jugement (CA Paris, 14 avr. 2015, n°087/2015), estimant que la marque était valable aux motifs que « le fait qu’une entreprise souhaite ainsi conférer une image positive à ses produits ou services, indirectement et de façon abstraite, sans pour autant informer directement le consommateur de l’une des qualités ou des caractéristiques déterminantes des produits et services concernés, relève de l’évocation et non de la désignation au sens de l’article L711-2 sous b) ». La validité de la marque prétendument contrefaite étant admise, les juges d’appel avaient ensuite examiné le grief de contrefaçon et retenu celle-ci.

6. Cette position, consistant à considérer que la marque litigieuse présenterait un caractère simplement évocateur mais suffisant pour remplir la condition de distinctivité en se référant aux caractéristiques déterminantes, a été censurée par la Haute Cour. La Cour de cassation (Cass.com., 8 juin 2017, pourvoi n°15-20966, v. notre commentaire Marque « Giant » : signe distinctif, évocateur ou descriptif ?, Lettre des Réseaux Juillet-Août 2017) a considéré que la motivation de la Cour d’appel n’était pas satisfaisante : « Qu’en statuant ainsi, alors que sont dépourvus de caractère distinctif les signes ou dénominations pouvant servir à désigner une caractéristique des produits ou services couverts par la marque et qu’il est indifférent que les caractéristiques des produits ou services qui sont susceptibles d’être décrites soient essentielles sur le plan commercial ou accessoires, la Cour d’appel a violé les textes susvisés ».

7. C’est dans ces conditions que l’affaire revenait devant la Cour d’appel de Paris, les juges devant à nouveau statuer sur la validité de la marque en tenant compte de la position de la Cour de cassation ci-avant rappelée. Tirant les enseignements de cet arrêt, les juges d’appel confirment que la marque GIANT est dépourvue de tout caractère distinctif : « le signe était, à la date du dépôt de la marque, nécessairement compris par le consommateur francophone de produits alimentaires et de restauration et, en particulier, d’articles de fast-food comme signifiant géant et, par extension, énorme et que ce signe désignait ainsi une caractéristique des produits désignés par la marque, en l’espèce leur quantité ».

Les juges ajoutent également que, dans le domaine des hamburgers, des quantités importantes sont souvent mises en avant dans la dénomination même des produits, systématiquement anglaise, et que « la banalité de l’usage des termes « long », « big », « double », « XL » ou tous autres exprimant la quantité dans le secteur du fast-food impose que ces signes usuels restent à la disposition de toutes les personnes qui y exercent leur activité et qu’aucun concurrent puisse les monopoliser et priver les autres de leur libre usage dans la profession »

La Cour ne retient pas davantage que le signe ait pu acquérir un caractère distinctif par l’usage qui en a été fait.

8. Cette affaire est l’occasion d’insister sur la vigilance dont il faut faire preuve lors du choix d’une marque : entre le signe descriptif, évocateur ou descriptif la frontière n’est pas toujours aisée à déterminer, les enjeux sont pourtant conséquents : la validité ou non de la marque …

A rapprocher : article L.711-2 du code de la propriété intellectuelle

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