Déséquilibre significatif et bail commercial

Cass. civ. 3ème, 15 février 2018, n°17-11.329, Publié au bulletin

Les règles des pratiques restrictives de concurrence – notamment le déséquilibre significatif – ne s’appliquent qu’aux seules activités de production, de distribution ou de services.

Ce qu’il faut retenir : Les règles des pratiques restrictives de concurrence – notamment le déséquilibre significatif – ne s’appliquent qu’aux seules activités de production, de distribution ou de services.

Pour approfondir : En l’espèce, la société A, locataire d’un local situé dans un centre commercial appartenant à la société B, l’a assignée devant le TGI de Paris en indemnisation sur le fondement des articles 1134 et 1719 du Code civil pour manquement à ses obligations contractuelles et de délivrance, et sur le fondement de l’article L.442-6, I, 2°, du Code de commerce au motif que les clauses de non-responsabilité et de fixation du loyer à un minimum garanti, contenues dans le bail, traduiraient un déséquilibre significatif. Motif pris qu’une des demandes, fût-elle présentée à titre subsidiaire, ressortait de la compétence du Tribunal de grande instance de Paris par application de l’article D.442- 4 du Code de commerce, le juge de la mise en état a déclaré le Tribunal de grande instance de Paris seul compétent pour statuer sur l’entier litige.

Pour dire que la société A invoque en vain l’application au litige des dispositions des articles L.442-6 I 2° et D.442-4 du Code de commerce pour voir retenir la compétence exclusive du TGI de Paris, la Cour d’appel (CA Paris, 25 novembre 2016, n°16/08557) retient que :

  • les dispositions du statut des baux commerciaux qui tendent dans leur ensemble à assurer l’équilibre des droits de chaque partie au contrat de bail sont exclusives de toute application conjointe ou alternative des dispositions de l’article L.442- 6 du Code de commerce qui visent pour leur part à réguler les relations commerciales entre professionnels, portant sur la fourniture ou la distribution de produits ou de services ;
  • au cas d’espèce, bailleur et preneur ne concourent pas ensemble à des actes portant sur une activité de production, de distribution ou de service au sens de l’article L.442-6 du Code de commerce ;
  • le fait que le loyer prévu soit binaire et dépende pour une part du chiffre d’affaires du commerçant locataire ne fait pas pour autant du bailleur l’associé ou le partenaire commercial du locataire même si au sein d’un centre commercial, le locataire participe par son activité propre à l’attractivité du centre ; la décision précitée du Conseil d’état qui approuve une cour administrative d’appel d’avoir qualifié de commerciale l’activité de la société bailleresse en raison de ‘sa participation aux résultats de la locataire’ ne vaut qu’au regard des dispositions fiscales applicables et elle est sans portée pour qualifier la nature des relations bailleur-preneur au sens des dispositions applicables du Code de commerce et du Code civil.

La société A fait grief à l’arrêt d’infirmer cette ordonnance et de désigner le TGI de Bobigny compétent pour connaître du litige, alors, selon le moyen : 1°/ que les dispositions des articles L.442-6, D.442-3 et D.442-4 du Code de commerce investissent les juridictions qu’elles désignent du pouvoir exclusif de juger les litiges relatifs à l’application de l’article L.442-6 du Code de commerce ; qu’en considérant que le juge de la mise en état était saisi d’une question de compétence lui imposant de trancher la question préalable de l’application de l’article L.442-6 du Code de commerce au litige, quand il n’appartenait pas au juge de la mise en état de se prononcer sur le bien-fondé de la demande présentée par la société A, la Cour d’appel a violé les articles L.442-6 et D.442-4 du Code de commerce, ensemble l’article R.145-23 du Code de commerce ; 2°/ qu’en jugeant que les dispositions du statut des baux commerciaux étaient exclusives de toute application conjointe ou alternative des dispositions de l’article L.442-6 du Code de commerce, la Cour d’appel a violé l’article L.442-6 du Code de commerce ; 3°/ et que la société A ayant assigné la SCI B en responsabilité sur le fondement des articles 1134 et 1719 du Code civil (dans leur rédaction applicable) et l’article L.442-6 du Code de commerce, soutenant notamment que les stipulations du contrat de bail traduisaient un déséquilibre significatif engageant la responsabilité de la SCI B, le TGI de Bobigny n’était pas investi du pouvoir de connaître de cette demande ; qu’en désignant cette juridiction pour connaître du litige, la Cour d’appel a violé les articles L.442-6 et D.442-4 du Code de commerce, ensemble l’article R.145-23 du Code de commerce et commis un excès de pouvoir.

Par l’arrêt commenté (Cass. civ. 3ème, 15 février 2018, n°17-11.329), la Cour de cassation rejette le pourvoi et retient à ce titre :

« Mais attendu qu’ayant retenu à bon droit que seules les activités de production, de distribution ou de services entrent dans le champ d’application de l’article L.442-6, I, 2°, du Code de commerce, la Cour d’appel, sans excéder ses pouvoirs, en a exactement déduit que le litige, qui portait sur l’exécution d’un bail commercial, ne relevait pas des juridictions spécialement désignées pour statuer en application de ce texte ».

Fondée en droit, cette solution est aussi satisfaisante au plan de la politique juridique puisque la loi Pinel assure aux preneurs des mécanismes de protection contre les tentatives d’abus du bailleur et que l’article 1171 du Code civil relatif au contrat d’adhésion énonce que « toute clause qui crée un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat est réputée non écrite ».

A rapprocher : Déséquilibre significatif (article 442-6, I, 2° du Code de commerce) ; Panorama de jurisprudence 2016-2017 – 116 décisions et avis commentés 

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