La sanction de l’assignation abusive en redressement judiciaire initiée par un créancier éventuel

TC Lille, 5 mars 2018, Juris-data n°2018-001176

En l’absence de certitude quant à l’existence d’une créance, l’assignation en redressement judiciaire ne doit pas constituer, pour le créancier éventuel, un moyen de pression afin de se faire payer.

Ce qu’il faut retenir : En l’absence de certitude quant à l’existence d’une créance, l’assignation en redressement judiciaire ne doit pas constituer, pour le créancier éventuel, un moyen de pression afin de se faire payer. Dès lors, le créancier ayant initié l’action contentieuse peut engager sa responsabilité au titre d’un abus de droit.

Pour approfondir : En l’espèce, un entraîneur professionnel de football, Monsieur B, est engagé le 1er juillet 2017 par la SA LOSC LILLE, club de football professionnel.

Le 15 décembre 2017, soit moins de 6 mois après son arrivée, l’entraîneur professionnel est licencié par la SA LOSC LILLE pour faute grave.

Le 21 décembre 2017, soit quelques jours plus tard, ce salarié met en demeure le club de football de lui régler la somme de 6 456 936 €, somme que le club conteste intégralement.

L’entraîneur professionnel décide alors de contester son licenciement.

Parallèlement, il assigne le club de football en ouverture d’une procédure de redressement judiciaire prétextant avoir été informé de l’état financier catastrophique du club de football et se prévalant d’une créance d’un montant de 18 682 958 €.

En effet, selon le salarié, l’état de cessation des paiements est caractérisé dans la mesure où la créance qu’il invoque est plus élevée que le solde bancaire du club de football lequel s’élève à 11 834 015,68 € au 1er février 2018.

De ce fait, l’entraîneur professionnel considère que l’actif disponible de la SA LOSC LILLE est insuffisant pour faire face au passif exigible. L’état de cessation des paiements est ainsi caractérisé, selon lui. Le club de football réfute totalement la caractérisation d’un état de cessation des paiements.

Au soutien de son argumentation, la SA LOSC LILLE produit l’ensemble des attestations des organismes sociaux et fiscaux confirmant qu’elle est à jour de ses règlements.

En outre, le club de football forme une demande reconventionnelle à l’encontre de l’entraîneur.

La SA LOSC LILLE considère, en effet, que l’assignation de l’entraîneur professionnel a été détournée de son objectif et ne tend qu’à faire pression sur le club de football pour obtenir le recouvrement d’une créance non exigible.

Face à une créance incertaine, le Tribunal de commerce de Lille rejette, par décision du 5 mars 2018, la demande d’ouverture d’une procédure de redressement judiciaire formée par le salarié.

La juridiction consulaire considère que la créance invoquée par l’entraîneur professionnel, aussi élevée soit-elle, ne doit pas être prise en compte dans le calcul du passif exigible puisqu’elle n’est pas elle-même exigible.

De ce fait et compte tenu des éléments produits par la SA LOSC LILLE, l’état de cessation des paiements n’est pas caractérisé.

A cet égard, le Tribunal de commerce précise qu’ « il appartient au demandeur de prouver l’état de cessation des paiements du débiteur ».

Or, faute de détenir les éléments comptables du débiteur, il s’avère difficile, si ce n’est impossible, pour un créancier de démontrer cet état de cessation des paiements.

C’est la raison pour laquelle le Code de commerce prévoit, en son article L.621-1, la possibilité pour le Tribunal de commettre un juge pour recueillir tous renseignements sur la situation financière, économique et sociale de l’entreprise.

En l’espèce, l’entraîneur a fait cette demande d’enquête qui a été néanmoins refusée.

Le refus du Tribunal se justifie très certainement par l’absence de caractère exigible de la créance dont se prévaut l’entraîneur. En outre, il faut relever qu’en l’espèce l’assignation constitue la première démarche judiciaire initiée par l’entraîneur professionnel à l’encontre du club de football pour recouvrir sa créance. Or, il s’avère nécessaire pour les créanciers d’engager des démarches judiciaires préalables à toute assignation en redressement judiciaire ou liquidation judiciaire, faute de quoi, la demande d’enquête peut être refusée. Par ailleurs, et plus exceptionnellement, le Tribunal de commerce de Lille fait droit à la demande reconventionnelle du club de football en condamnant l’entraîneur au paiement d’une somme de 300 000,00 € au titre des dommages et intérêts. En effet, la juridiction consulaire estime que l’assignation en redressement judiciaire initiée par Monsieur B, tend : « en réalité à détourner la demande de redressement judiciaire de sa vocation et à faire ainsi pression sur sa débitrice alléguée ». Cette sanction peut apparaître sévère compte tenu de la réalité de la pratique dans la mesure où l’assignation en redressement judiciaire est souvent utilisée comme un moyen de pression qui peut s’avérer efficace dès lors que le bien-fondé de la créance n’est pas contesté par le débiteur. Il en résulte que le créancier qui souhaiterait assigner un débiteur en redressement judiciaire, et ce afin d’exercer un moyen de pression sur celui-ci, doit s’assurer de détenir une créance certaine, liquide et exigible et mettre en œuvre des procédures judiciaires préalables.

A rapprocher : Articles L.621-1 et L.631-1 du Code de commerce ; TGI Nanterre, 4 février 2016, n°13/09256

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