Procédures collectives et compensation des dettes connexes entre le franchiseur et le franchisé

L’apurement des comptes entre le franchiseur et le franchisé reste réalisable, sous certaines conditions, par voie de compensation.

Ce qu’il faut retenir :

Le contrat de franchise donne naissance à des créances du franchiseur sur ses franchisés ; ces créances sont de nature diverses : redevances de franchise, redevance de publicité, participation à la communication, prix des marchandises livrées, prêt d’argent, etc. On le sait, lorsque le franchisé fait l’objet d’une procédure collective, ce paiement devient impossible en vertu de l’article L. 622-7 du code de commerce ; ce texte prévoit en effet que le jugement ouvrant la procédure emporte, de plein droit, interdiction absolue de payer toute créance née antérieurement au jugement d’ouverture du redressement judiciaire, à peine de nullité d’un tel paiement. Corrélativement, le jugement d’ouverture interdit toute action visant au paiement d’une créance antérieure à la procédure, conformément à l’article L. 622-21 du code de commerce. Toutefois, l‘apurement des comptes entre le franchiseur et le franchisé reste réalisable, sous certaines conditions, par voie de compensation.

 

Pour approfondir :

En premier lieu, il convient d’évoquer tout d’abord la question du paiement par compensation postérieurement à l’ouverture de la procédure collective. L’alinéa 1er de l’article L. 622-7 du code de commerce, reprenant l’essentiel des dispositions de l’ancien article L. 621-24 l’alinéa 1er de ce code, fait exception au principe même de l’interdiction des paiements des créances antérieures, en autorisant expressément le paiement par compensation pour dettes connexes. Les compensations conventionnelles, judiciaires et légales de l’article 1290 du code de civil peuvent toujours intervenir avant le jugement d’ouverture. Toutefois, la compensation conventionnelle intervenue en période suspecte, c’est-à-dire après la date de cessation des paiements, est considérée comme un mode de paiement anormal ; elle peut donc donner lieu à annulation (C. com., art. L. 632-1) ; cette question est connue (Cass. com., 19, dec. 2000, D. 2001, AJ P. 306, obs. A. Lienhard).

En second lieu, il convient de s’interroger sur les conditions de la compensation pour « dettes connexes ». En effet, sous l’empire de la loi du 25 janvier 1985, et ainsi qu’en avait décidé la jurisprudence (Cass. com.,15 oct. 1991, Bull. civ. IV, no 290 ; Cass. com., 14 mars 1995, Bull. civ. IV, no 77 ; D. 1996, Somm. 82, obs. Honorat ; Cass. com., 4 févr. 1997, D. 1997, IR, 66 ; Cass. com., 23 mai 2000, Act. proc. coll. 2000, no 164 ; Cass. com,  3 avr. 2001, Act. proc. coll. 2001, no120), le créancier devait préalablement à toute compensation avoir déclaré sa créance ; à défaut de déclaration, sa créance se trouvait éteinte. La loi du 26 juillet 2005 a substitué la sanction originelle de l’extinction par celle de l’inopposabilité de la créance à la procédure (C. com., art. L. 622-26). D’aucuns se sont interrogés sur le maintien de l’exigence de la déclaration de créance. Au vu de la nouvelle sanction attachée au défaut de déclaration, l’exigence d’une déclaration de créance préalable à toute compensation doit toutefois être maintenue. Si les conditions de la compensation légale ne sont pas exigées, la créance dont dispose le créancier doit être certaine (Cass. com., 6 févr. 1996, Bull. civ. IV, no34 ; D. 1997. 353, note Boccara ; D. Affaires 1996. 324), à défaut d’être exigible. La solution paraît logique. La compensation peut encore s’opérer lorsqu’un plan de sauvegarde ou de redressement a été adopté et que la créance dont dispose le créancier est soumise aux dispositions de ce plan (Cass. com., 24 oct. 1995, Bull. civ. IV, no252; D. 1995. IR. 244 ; D. Affaires 1995, 201 ; Bull. Joly 1996, 154). Précisons également que si, en pratique, la compensation joue le plus souvent pour le créancier par voie d’exception, rien ne lui interdit en définitive de faire constater la compensation par voie d’action (Cass. com., 7 mars 2006, RJDA 2006, no 805).

La condition de la connexité suppose que le fondement des créances soit contractuel ; cette exigence ne prête pas à discussion (Cass. com. 14 mai 1996, Bull. civ. IV, no 133 ; D. 1996. Somm. 332, obs. Delebecque ; D. 1996, Somm. 340, obs. Honorat ; RTD com. 1997. 680, obs. Martin-Serf ; Cass. com. 22 avr. 1997, Bull. civ. IV, no 101; D. Affaires 1997, 864 ; Rev. dr. bancaire 1997, 129, obs. Campana et Calendini ; JCP E, 1997, I, 681, no 18, obs. Ph. Pétel ; Cass. com. 18 sept. 2007, D. 2007, AJ, 2476 ; JCP E, 2008, 1207, no 16, obs. Ph. Pétel). La notion de dettes connexes a fait l’objet d’une évolution jurisprudentielle. Depuis l’origine, sont réputées connexes les créances issues de l’exécution (ou de l’inexécution) d’un seul et même contrat (v. not., Cass. civ. 1ère, 9 mai 2001, Juris-Data n°009966 ; Cass. civ. 3ème, 13 févr. 2002, Juris-Data n°012962 ; Cass. com., 15 mars 2005, Juris-Data n°027601). Les créances résultant d’un même contrat de franchise relèvent donc de la catégorie des créances connexes. Ainsi, en cas de redressement judiciaire du franchisé,  la créance de condamnation du franchiseur à payer des dommages intérêts se compense avec la créance de condamnation du franchisé à payer le montant de factures, dès lors que, d’une part, la créance du franchiseur résultait de factures établies en exécution de ce même contrat et que, d’autre part, celle du franchisé est liée à un manquement aux obligations stipulées par ce même contrat (Cass. com., 8 juill. 2003, Juris-Data n°020082 ; RJDA 2004, n°1, p. 25) ; il en va de même de la créance correspondant aux remises de fin d’année avec celle relative à la fourniture de matériel au franchisé (CA Paris, 29 févr. 1996, Juris-Data n°020426 : l’arrêt fait toutefois état d’un accord intervenu à cet égard entre les parties). En cas de redressement judiciaire du franchiseur, la créance indemnitaire du franchisé se compense avec les dettes provenant de l’exécution du contrat de franchise (CA Grenoble, 28 avr. 1999, Juris-Data n°041210 ; CA Aix-en-Provence, 26 avr. 1996, Juris-Data n°040969 ; v. aussi, en ce qui concerne un contrat de concession, Cass. com., 19 déc. 1989, Bull. civ. IV, n°327 ; D. 1991, jur. p. 60, note J.-P. Sortais : faisant jouer la compensation entre la dette de dommages-intérêts due par un concédant pour violation de ses obligations contractuelles et sa créance à l’encontre de son concessionnaire). La jurisprudence a élargi la notion en admettant la connexité entre des créances nées de ventes et achats conclus en exécution d’une convention ayant défini, entre les parties, le cadre du développement de leurs relations d’affaire (v. not., Cass. com., 19 avr. 2005, Gaz. Pal. 2005, p. 2296, n°2, obs. R. Bonhomme ; Cass. com., 1er mars 2005, JCP E, 2005, 857, obs. E. Scholastique), puis en l’appliquant à des créances réciproques se rattachant à plusieurs conventions constituant les éléments d’un ensemble contractuel unique servant de cadre général à ces relations  (Cass. civ. 3ème, 4 juin 2003, Bull. civ., IV, n°142 ; RD bancaire et financier 2003, sept.-oct., p. 294, comm. 194, obs. F.-X. Lucas ; Juris-Data n°000745).

Dès lors, doivent être considérées connexes les créances réciproques nées de l’ensemble contractuel constitué par exemple :

  • d’un contrat de franchise et d’un contrat d’approvisionnement,
  • d’un contrat de franchise et d’un contrat de location-gérance (CA Lyon, 3 juin 2004, Juris-Data n°246758). Dans ce cas, il existe alors un lien de connexité entre :
    • d’une part, la créance de fourniture du franchiseur (en application du contrat de franchise),
    • d’autre part, la créance de restitution du franchisé, correspondant au montant des redevances de franchise et de publicité (consécutive au prononcé de l’annulation du contrat de franchise) ainsi que des redevances de location-gérance (consécutive au prononcé de l’annulation du contrat de location-gérance).

Enfin, rappelons que la compensation pourra encore s’opérer entre la créance indemnitaire contractuelle due par le franchisé, lorsque l’administrateur aura choisi de ne pas poursuivre la convention, et la dette éventuellement due par le franchiseur.

 

A rapprocher : F.-L. Simon, Théorie de Pratique du droit de la franchise, éditions JOLY, févr. 2009, spéc. §§.760-762

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