Atteinte au droit sui generis du producteur de base de données

TGI Paris, 1er septembre 2017, n°17-06.908

Un site de petites annonces peut constituer une base de données dont l’exploitant peut être considéré comme le producteur et bénéficier du droit sui generis lui permettant, sous certaines conditions, de s’opposer à l’extraction de données.

Ce qu’il faut retenir : Un site de petites annonces peut constituer une base de données dont l’exploitant peut être considéré comme le producteur et bénéficier du droit sui generis lui permettant, sous certaines conditions, de s’opposer à l’extraction de données.

Pour approfondir : Rares sont les décisions ayant à se prononcer sur le droit sui generis du producteur d’une base de données, aussi le jugement rendu par le TGI de Paris le 1er septembre 2017 a retenu toute notre attention.

Le site leboncoin.fr était au cœur de cette affaire : ce site diffuse des annonces de particuliers répertoriées selon des règles de diffusion et classées par région, département, ville ou code postal ainsi que par rubriques (immobilier, loisirs, maisons, etc.). La société exploitant ce site s’opposait aux agissements de la société exploitant un site proposant à des particuliers un service payant d’annonces essentiellement immobilières lesquelles lui étaient fournies par une société de piges immobilières qui collecte et transmet à ses abonnés professionnels toutes les nouvelles annonces immobilières publiées par les particuliers sur différent supports dont internet.

Les griefs portaient en particulier sur le fait que le procédé utilisé par la société poursuivie constituait une extraction répétée et systématique de la base de données immobilière du site leboncoin.fr, visant la même clientèle et proposant les mêmes services

Le code de la propriété intellectuelle comporte des dispositions spécifiques aux bases de données, en particulier en faveur du producteur d’une base de données (articles L341-1 et s. du code de la propriété intellectuelle) qui dispose sur celle-ci d’un droit sui generis lui permettant de s’opposer, dans certaines conditions, aux actes d’extraction des données de la base. Cette protection est distincte et indépendante de celle des données composant la base.

Dans son jugement du 1er septembre 2017, le Tribunal a successivement examiné : la qualification de base de données, la qualité de producteur de base de données, les actes d’extraction :

  • la qualification de base de données résulte de l’article L112-3 du code de la propriété intellectuelle selon lequel : « On entend par base de données un recueil d’œuvres, de données ou d’autres éléments indépendants, disposés de manière systématique ou méthodique, et individuellement accessibles par des moyens électroniques ou par tout autre moyen ». En l’espèce, le Tribunal va conclure que le site constitue une base de données au sens de ce texte dès lors que : les annonces constituent des données au sens de l’article précité et que les instructions détaillées d’utilisation démontrent l’existence d’une architecture élaborée de classement des données collectées ;

« Le producteur d’une base de données, entendu comme la personne qui prend l’initiative et le risque des investissements correspondants, bénéficie d’une protection du contenu de la base lorsque la constitution, la vérification ou la présentation de celui-ci atteste d’un investissement financier, matériel ou humain substantiel. Cette protection est indépendante et s’exerce sans préjudice de celles résultant du droit d’auteur ou d’un autre droit sur la base de données ou un de ses éléments constitutifs », le Tribunal va considérer que la demanderesse répond à la définition proposée et peut donc solliciter la protection spécifique reconnue par ce texte.

La qualité de producteur de base de données était contestée par la société poursuivie qui faisait valoir le fait que l’exploitant actuel du site avait acquis cette qualité en 2011 suite à une opération d’apport partiel d’actifs comprenant le site mis en ligne depuis 2006, aussi il ne pouvait donc être considérée comme ayant « pris l’initiative et les risque des investissements ».

Cet argument était contesté aux motifs, notamment, que par suite de l’opération elle avait continué à investir des moyens humains, matériels et financiers pour enrichir la base de nouveaux contenus, attirer les annonceurs, améliorer la vérification des annonces, la modération et la présentation des annonces en particulier par le développement d’un logiciel élaboré de filtrage des annonces, la communication.

Le Tribunal va prendre appui sur une décision de la CJUE (CJUE, 9 nov. 2004, aff. C- 203/02) qui a contribué à éclairer la notion de producteur et dit pour droit que :

« la notion d’investissement lié à l’obtention du contenu d’une base de donnée au sens de l’article 7 §1 de la directive du … doit s’entendre comme désignant les moyens consacrés à la recherche d’éléments existants et à leur rassemblement dans ladite base » à l’exclusion des « moyens mis en œuvre pour la création des éléments constitutifs du contenu d’une base de données » et que la « notion d’investissements liés à la vérification du contenu de la base de données doit être compris comme visant les moyens consacrés en vue d’assurer la fiabilité de l’information contenue dans ladite base, au contrôle de l’exactitude des éléments recherchés, lors de la constitution de la base ainsi que pendant la période de fonctionnement de celle-ci » à l’exclusion « des moyens consacrés à des opérations de vérification au cours de la phase de création d’éléments par la suite rassemblés dans une base de données ».

Le Tribunal va donc s’attacher à rechercher la réalisation d’investissements par la demanderesse postérieurement à l’opération d’apport. Sur la base de multiples attestations, il va conclure à l’existence d’investissements consacrés à la collecte et à l’organisation des données (et non à leur création qui est le fait de l’annonceur étant en outre précisé que les sommes investies pour les activités de modération et de signalement ne peuvent s’analyser comme des opération de vérification au cours de la phase de création des données puisqu’elles interviennent après la mise en ligne).

La demanderesse est donc considérée comme le producteur d’une base de données et bénéficie donc, à ce titre du droit sui generis.

Sur la commission d’actes d’extraction de contenu au sens des articles L.342-1 et L.342-2 du code de la propriété intellectuelle selon lesquels « Le producteur de bases de données a le droit d’interdire :

1° L’extraction, par transfert permanent ou temporaire de la totalité ou d’une partie qualitativement ou quantitativement substantielle du contenu d’une base de données sur un autre support, par tout moyen et sous toute forme que ce soit ;

2° La réutilisation, par la mise à la disposition du public de la totalité ou d’une partie qualitativement ou quantitativement substantielle du contenu de la base, quelle qu’en soit la forme.

Ces droits peuvent être transmis ou cédés ou faire l’objet d’une licence (…) » et  « Le producteur peut également interdire l’extraction ou la réutilisation répétée et systématique de parties qualitativement ou quantitativement non substantielles du contenu de la base lorsque ces opérations excèdent manifestement les conditions d’utilisation normale de la base de donnée ».

Le premier de ces textes nécessite d’établir que l’extraction porte sur une partie qualitativement ou quantitativement substantielle de la base, or le Tribunal juge que cette condition n’est pas remplie dans la mesure où les annonces immobilières représentent 10% de la totalité des annonces postées, et que d’un point de vue qualitatif la preuve n’est pas davantage rapportée d’une extraction d’une partie qualitativement substantielle au regard des annonces.

En revanche, sur le fondement du second des textes ci-dessus, le Tribunal va caractériser les actes illicites. En effet, l’article L.342-2 susvisé sanctionne l’extraction ou la réutilisation répétée et systématique lorsqu’elles excèdent les conditions d’utilisation normale de la base.

L’examen du contrat conclu par la défenderesse avec la société de pige immobilière a permis d’établir ce caractère systématique et répété pour les annonces immobilières. Précisons ici que certaines annonces étaient disponibles sur le site litigieux mais l’internaute cliquant sur celles-ci était renvoyé sur le site leboncoin.fr, de sorte que pour ces annonces en particulier il s’agissait d’une indexation et non d’une extraction qui n’a pas été jugé illicite.

Le Tribunal est donc entré en voie de condamnation.

A rapprocher : Article L.112-3 du code de la propriété intellectuelleArticle L.341-1 du code de la propriété intellectuelleArticles L.342-1 et L.342-2 du code de la propriété intellectuelle

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