Rupture brutale des relations commerciales établies et fardeau probatoire

GUILLÉ Jérôme

Avocat

CA Paris, 27 septembre 2017, n°16/05050

C’est à la partie qui revendique le caractère établi et l’ancienneté des relations commerciales de les démontrer.

Ce qu’il faut retenir : C’est à la partie qui revendique le caractère établi et l’ancienneté des relations commerciales de les démontrer.

Pour approfondir : La société M, spécialisée dans la fabrication et la conception d’outillages pour pièces équipant l’intérieur de véhicules automobiles d’intérieur de véhicules automobiles, a fourni en pièces la société F spécialisée dans le développement, la fabrication et la commercialisation de composants, ensembles, sous-ensembles, destinés à l’équipement intérieur de véhicules automobiles.

En 2010, la société M a connu des difficultés financières et estimé qu’elles étaient imputables à la société F, à laquelle elle a demandé réparation de son préjudice et qu’elle prenne des engagements de commandes afin de lui venir en aide.

Aucun accord n’a été trouvé entre la société F et la société M, puis cette dernière a fait l’objet d’une procédure de liquidation judiciaire en décembre 2010.

Par acte du 17 juin 2013, le liquidateur de la société M a assigné la société F en réparation d’un préjudice résultant d’une prétendue rupture brutale de relations commerciales établies sur le fondement de l’article L. 442-6, I, 5° du code de commerce.

En l’espèce, le liquidateur de la société M se prévalait d’une relation ancienne de plus de 40 ans entre les sociétés M et F, et d’une rupture brutale de ladite relation, fautive en application de l’article L. 442-6, I, 5° du code de commerce, puis demandait la condamnation de la société F au versement de la somme de 1.721.830 euros.

Par l’arrêt commenté, la Cour d’appel de Paris a confirmé le jugement du Tribunal de commerce de Paris du 8 février 2016 et débouté le liquidateur de la société M de sa demande de réparation.

La Cour rappelle le principe selon lequel la charge de la preuve d’un fait repose sur celui qui s’en prévaut.

Or, en l’espèce, la Cour retient que la société M échoue à la fois à rapporter la preuve du caractère « établi » de la relation – condition d’application de l’article L. 442-6, I, 5° du code de commerce – et celle de l’ancienneté de la relation – condition d’appréciation du préavis raisonnable à donner en cas de rupture.

S’agissant du déficit probatoire relatif au caractère « établi » de la relation, les motifs retenus par la Cour sont les suivants :

  • le bilan économique social et environnemental de la société M établi par l’administrateur judiciaire, qui fait état de l’ancienneté et de l’importance des relations commerciales avec la société F, ne saurait justifier par lui-même que ces relations présentent le caractère établi prévu par l’article L.442-6, I, 5° du code de commerce, faute de production de pièces justificatives complémentaires,
  • de la même façon, l’indication dans un accord transactionnel non signé par aucune des deux sociétés, que la société M était un « fournisseur historique » de la société F ne saurait démontrer l’existence de relations commerciales établies au sens dudit article,
  • pas plus que les tableaux et graphiques dressés par la société M elle-même.

En définitive, bien que l’adage selon lequel « Nul ne peut se constituer une preuve à soi-même » ne s’applique pas, classiquement, au fait juridique (Cass. civ. 2ème, 6 mars 2014, n°13-14.295, Publié au Bulletin), la Cour ne se satisfait pas des preuves que la société M « s’est constituée à elle-même » pour caractériser le caractère « établi » de sa relation avec la société F.

S’agissant du déficit probatoire relatif à l’ancienneté de la relation, la Cour rappelle solennellement : « C’est à la partie qui revendique une ancienneté de relations commerciales de la démontrer ».

Par suite, après avoir rappelé que la société la société M ne pouvait reprocher à la société F de ne pas produire de pièces relatives à l’historique de leurs relations, le fardeau probatoire pesant sur la société M seule, la Cour d’appel de Paris se livre à une analyse très précise des pièces de l’appelante pour retenir qu’il ne peut être déduit des pièces qui démontrent uniquement l’existence de relations entre les années 1979 et 1985, et entre 1999 et 2002, que les relations commerciales seraient « établies » depuis 1970.

En définitive, la société M échouant à rapporter la preuve de l’existence d’une relation commerciale établie au jour de la rupture alléguée, la Cour ne peut que constater que les conditions d’application de l’article L. 442-6, I, 5° du code de commerce ne sont pas réunies.

Cette décision devra être saluée pour la rigueur du raisonnement des Conseillers quant au périmètre de la preuve à rapporter par le demandeur à une action en « rupture brutale de relations commerciales établies ».

A rapprocher : Cass. civ. 2ème, 6 mars 2014, n°13-14.295, Publié au Bulletin

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