Absence de déséquilibre significatif et clause pénale applicable à un seul contractant

CA Paris, 13 octobre 2017, n°15/03694

La clause résolutoire mettant à la charge d’une seule des parties à un contrat le paiement d’une indemnité en cas de résiliation de celui-ci à ses torts exclusifs n’est pas constitutive d’un déséquilibre significatif dès lors qu’elle vise à réparer forfaitairement le préjudice…

Ce qu’il faut retenir : La clause résolutoire mettant à la charge d’une seule des parties à un contrat le paiement d’une indemnité en cas de résiliation de celui-ci à ses torts exclusifs n’est pas constitutive d’un déséquilibre significatif dès lors qu’elle vise à réparer forfaitairement le préjudice effectivement subi par la partie victime des manquements ayant entraîné la résiliation et que, ne concernant que ces manquements, elle n’a pas, par définition, vocation à s’appliquer dans l’hypothèse où l’autre partie n’exécuterait pas elle-même ses propres obligations et où le contrat serait résilié à ses torts.

Pour approfondir : Dans cette affaire, deux sociétés ont conclu des contrats de location de matériel de vidéosurveillance et de prestation de maintenance à effet au 10 juin 2008 pour une durée de 60 mois (soit jusqu’en juin 2013).

La société locataire a notifié à la société loueur la résiliation anticipée des contrats de location aux torts exclusifs de cette dernière avec effet en février 2012 et a, en conséquence, cessé de payer les loyers à compter de cette date. En réponse, la société loueur a assigné la société locataire aux fins de voir prononcer la résiliation des contrats à ses torts exclusifs et de la voir condamner à lui payer la somme de 4.162,08 € en application de la clause résolutoire prévue à l’article 10 des contrats.

Cette somme correspond aux montants des loyers que le loueur aurait pu percevoir si le contrat avait été exécuté jusqu’à son terme contractuel.

Pour tenter de se dégager de ses obligations, la société locataire a soutenu que la clause résolutoire stipulée dans le contrat de location en son article 10 et l’indemnité y étant prévue, en cas de résiliation imputable au locataire, seraient de nature à créer un déséquilibre significatif dans les droits et les obligations des parties au sens de l’article L. 442-6, I, 2° du Code de commerce, en défaveur de la société locataire.

La Cour d’appel rejette cette prétention et affirme que la clause susvisée n’est pas constitutive d’un déséquilibre significatif. Partant, ayant constaté que la résiliation doit être prononcée aux torts exclusifs de la société locataire, la Cour condamne cette dernière au paiement de la clause pénale stipulée dans la clause résolutoire.

La Cour d’appel conclut au défaut de caractère déséquilibré de la clause résolutoire, au terme du raisonnement suivant :

« Considérant que [la société loueur] est, en application de l’article 10 des conditions générales des contrats, fondée à obtenir le paiement des loyers impayés ; que, contrairement à ce qu’affirme la société [locataire], la clause résolutoire de l’article 10 n’est pas de nature à créer un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties au sens de l’article L.442-6 I 2° du Code de commerce, en défaveur du locataire, dès lors que :

  • elle répond à la situation spécifique des manquements contractuels imputables au locataire puisqu’elle vise d’une part à contraindre ce dernier à l’exécution du contrat, d’autre part à réparer forfaitairement le préjudice effectivement subi par le bailleur en cas de résiliation de la convention ;

  • ne concernant que ces manquements, elle n’a pas, par définition, vocation à s’appliquer dans l’hypothèse où le loueur n’exécuterait pas lui-même ses propres obligations et où le contrat serait résilié à ses torts ; (…) ».

Cet arrêt a le mérite de réaffirmer que la clause pénale prévue dans une clause résolutoire n’a pas être réciproque pour être valable et ne saurait être constitutive d’un déséquilibre significatif du seul fait qu’elle n’est applicable qu’à l’une des parties en cas de manquements de sa part à ses obligations.

La solution paraît logique ; par essence, la clause pénale permet aux parties de s’accorder, dès la conclusion du contrat, sur le fait que celui qui n’exécutera pas l’obligation principale pesant sur lui versera à l’autre partie contractante une somme d’argent déterminée ou déterminable à l’avance.

La clause pénale implique un manquement du débiteur à son obligation et devra donc préciser les hypothèses dans lesquelles elle trouve à s’appliquer.

La clause pénale prévue en l’espèce ne prévoyait par avance que les dommages et intérêts dus par le locataire en cas d’inexécution par celui-ci de l’une de ses obligations contractuelles et non, à l’inverse l’indemnité qui serait due par le loueur en cas de manquement de sa part à l’une des obligations.

Néanmoins, rien n’interdisait en soit aux parties de prévoir cette hypothèse ; elles ont fait le choix de ne pas insérer cette prévision. Il importe peu dès lors que la clause ne soit pas réciproque, le principe de la liberté contractuelle prévaut.

Dans la lignée de cet arrêt et de la position des juridictions en faveur de la validité de la clause pénale, il convient de mentionner un arrêt rendu récemment par la Cour d’appel de Bordeaux dans lequel la cour n’a pas jugé « manifestement abusive » une clause prévoyant qu’en cas de violation par le franchisé d’une clause de non-concurrence post-contractuelle, une pénalité de 50.000 euros serait due au franchiseur :

« La clause 15-4 du contrat était rédigée dans les termes suivants : toute rupture anticipée du présent contrat, imputable au franchisé, emportera obligation pour le franchisé de payer au franchiseur une somme correspondant à 50.000 euros au titre du préjudice subi par le franchiseur du fait de la rupture anticipée du présent contrat.

Dès lors que cette clause est applicable et que l’appelante, qui ne s’explique pas sur ce point, ne donne aucun élément qui permettrait d’envisager son caractère manifestement abusif, il y a bien lieu à condamnation au paiement de la somme de 50.000 euros.

La clause de non concurrence était stipulée pour une durée d’un an à compter de la rupture du contrat et dans un rayon de 5 kilomètres autour du local exploité. Il a été rappelé ci-dessusque c’est dans les deux mois que la société Sigma a ouvert un établissement ayant le même objet dans le même local. La pénalité stipulée était là encore de 50.000 euros. L’appelante ne donne pas davantage d’éléments qui permettraient d’envisager son caractère manifestement abusif, il y a bien lieu à condamnation au paiement de la somme de 50.000 euros » (CA Bordeaux 10 mai 2017, n°15/05374).

Cette tendance des juridictions est compréhensible dès lors que le juge dispose d’un pouvoir modérateur lui permettant de réduire ou d’augmenter le montant de la clause pénale défini par le contrat lorsque ce montant est, au regard des circonstances de la cause, manifestement excessif ou dérisoire (v. par ex., CA Colmar, 13 août 2013, n°12/04063 : réduisant le montant de la clause pénale faute de préjudice effectif ; CA Colmar, 17 juin 2013, n°12/03155 et CA Paris, 27 juin 2012, n°11/01181 : réduisant le montant de la clause pénale en raison d’objectifs irréalisables).

Ceci précisé, il est cependant nécessaire d’apporter une réserve à la solution retenue dans l’arrêt rendu par la Cour d’appel de Paris le 13 octobre 2017. En effet, cet arrêt concerne un contrat conclu antérieurement au 1er octobre 2016, c’est-à-dire avant l’entrée en vigueur de la réforme du droit des obligations et du nouvel article 1171 du Code civil, lequel institue la notion déséquilibre significatif dans le droit commun des contrats dans les termes suivants : « Dans un contrat d’adhésion, toute clause qui crée un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat est réputée non écrite ».

Le texte étant encore très récent, aucune décision n’est encore à ce jour intervenu pour se prononcer sur l’interprétation à retenir de ce texte et de la notion qu’il comporte. Il conviendra donc de rester attentif aux décisions à intervenir afin de vérifier si la solution de cet arrêt est confirmée ou non.

A rapprocher : Commentaire du nouvel article 1231-5 du Code civil

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