Amiante : le diagnostiqueur contraint de dépasser ses obligations réglementaires

Cass. civ. 3ème, 14 septembre 2017, n°16-21.942

La Cour de cassation se montre décidément particulièrement sévère à l’égard des diagnostiqueurs en les contraignant à dépasser leurs obligations réglementaires en matière de repérage de l’amiante dans le bâti. 

Ce qu’il faut retenir : La Cour de cassation se montre décidément particulièrement sévère à l’égard des diagnostiqueurs en les contraignant à dépasser leurs obligations réglementaires en matière de repérage de l’amiante dans le bâti. Elle juge qu’ils ne peuvent pas limiter leur intervention à un simple contrôle visuel mais doivent, sous peine d’engager leur responsabilité, effectuer des sondages non destructifs. En outre, elle les contraint à émettre des réserves sur la présence d’amiante dans les parties même non visibles du bâti. 

Pour approfondir : Dans cette affaire, des époux ont acquis une maison d’habitation, suivant acte notarié auquel était annexé un diagnostic de repérage amiante en date du 28 octobre 2010 établi par un diagnostiqueur. Ils ont ensuite décidé d’engager des travaux de rénovation. Avant le démarrage de ces travaux, ils se sont interrogés sur la présence d’amiante dans la maison et ont fait part de leurs doutes à leur assureur protection juridique qui a désigné un expert.

Ce dernier a conclu à la présence de matériaux et produits contenant de l’amiante après avoir réalisé des « tests sonores » sur les cloisons et doublages des murs d’habitation. Les acquéreurs ont alors assigné, le 7 décembre 2012, le diagnostiqueur devant le Tribunal de Grande Instance d’Amiens afin d’obtenir la désignation d’un expert judiciaire. L’expert judiciaire a conclu que « bien que ce dispositif ne relève d’aucune règlementation, il est d’usage que, le diagnostiqueur procède à une campagne d’identification des parois « par choc » à l’aide d’un outil de type marteau ou dos de tournevis. Cette méthode permet de repérer les parois présentant des résonnances particulières, susceptibles d’être en amiante ciment. »

C’est sur la base de ce rapport que les acquéreurs ont assigné le diagnostiqueur afin d’obtenir sa condamnation au paiement de dommages et intérêts.

Néanmoins, le Tribunal de Grande Instance et ensuite la Cour d’appel d’Amiens, par un arrêt du 13 mai 2016 (CA Amiens, 13 mai 2016, n°14/04621), ont débouté les acquéreurs de toutes leurs demandes.

La Cour d’appel rappelle dans son arrêt, outre les dispositions règlementaires, que le repérage amiante (hors travaux) s’effectue de « visu sur les seuls produits et matériaux accessibles sans travaux destructifs ». Elle souligne qu’en l’espèce, « l’ensemble des parois des murs et cloisons était recouvert de papiers peints, de sorte que les éventuelles plaques murales comportant de l’amiante n’étaient pas décelables de visu » et conclut par conséquent que le diagnostiqueur a parfaitement réalisé la mission qui lui était confiée.

Par ailleurs, elle revient sur la question de l’obligation pour le diagnostiqueur de réaliser des « tests sonores » pour détecter la présence d’amiante. Alors même que l’expert judiciaire a estimé que le diagnostiqueur aurait dû réaliser une « campagne sonore » et « émettre des réserves quant à la nature des matériaux constitutifs des cloisons et doublages », la Cour d’appel relève que la norme NFX 46-020 relative au repérage de matériaux et produits susceptibles de contenir de l’amiante dans les immeubles bâtis n’évoque pas cette méthode et juge donc, au contraire, que le diagnostiqueur a rempli tant ses obligations contractuelles que règlementaires.

La Cour de cassation casse et annule l’arrêt d’appel. Elle juge, à l’inverse, que le diagnostiqueur n’aurait pas dû limiter son intervention à un simple contrôle visuel mais aurait dû mettre en œuvre les moyens nécessaires à la bonne exécution de sa mission, notamment effectuer des sondages non destructifs. Elle reproche également au diagnostiqueur de n’avoir émis aucune réserve et conclu à l’absence d’amiante y compris dans les parties non visibles du bâti.

La solution dégagée par la Cour de cassation dans cet arrêt n’est pas nouvelle et entre dans la droite ligne de la jurisprudence en la matière (Cf. « à rapprocher »). Néanmoins, la Cour de cassation apporte une précision par rapport à la jurisprudence antérieure quant aux obligations du diagnostiqueur : dès lors qu’il n’a pas fait de repérage sur les parties non visibles du bâti, il ne peut pas conclure à l’absence d’amiante et doit dès lors émettre des réserves.

Cette solution est particulièrement sévère pour le diagnostiqueur, condamné alors même qu’il a pleinement respecté ses obligations règlementaires en matière de détection de l’amiante, mais s’explique probablement par sa qualité de professionnel par rapport aux acquéreurs, profanes en cette matière. En tout état de cause, les potentiels acquéreurs d’un bien, qui prévoient d’ores et déjà de réaliser des travaux, peuvent, par mesure de prudence, commander un diagnostic amiante avant travaux ou DAAT (article L.4412-2 du Code du travail), avant même d’acquérir le bien.

Pour mémoire, l’article L.271-6 du Code de la construction et de l’habitation prévoit que les diagnostics techniques doivent être établis par une personne présentant des garanties de compétence et ayant souscrit une assurance permettant de couvrir les conséquences d’un engagement de sa responsabilité en raison de ses interventions.

A rapprocher : Dans une affaire où la réalisation de travaux d’aménagement par un locataire commercial avait révélé la présence d’amiante alors même qu’un rapport mentionnant l’absence de fibres amiante était annexé au bail, la Cour de cassation avait déjà estimé que le diagnostiqueur était tenu d’une obligation de conseil et devait s’enquérir, par lui-même, des caractéristiques complètes de l’immeuble concernant la présence éventuelle d’amiante et ne pouvait se contenter de constatations visuelles « à partir de ce que le bailleur offre à sa vue » (Cass. civ. 3ème, 2 juillet 2003, n°01-16.246).

Par un arrêt du 21 mai 2014, elle avait également jugé que le diagnostiqueur avait commis une faute dans l’accomplissement de sa mission en se contentant d’un contrôle purement visuel et l’avait condamné à réparer l’entier préjudice de l’acquéreur, à savoir le coût des travaux de désamiantage (Cass.civ. 3ème, 21 mai 2014, n°13-14.891). Cette solution a depuis été confirmée par plusieurs arrêts : Cass. civ. 3ème, 19 mai 2016, n°15-12.408 ; Cass. civ. 3ème, 30 juin 2016 n°14-28.839

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