Les antériorités aux marques, une complexité parfois cachée

CA Paris, 16 mai 2017, RG n°15/01332

Contrairement à une idée trop communément admise, il ne suffit pas de vérifier l’existence de marques antérieures avant de procéder à un dépôt de marque.

Contrairement à une idée trop communément admise, il ne suffit pas de vérifier l’existence de marques antérieures avant de procéder à un dépôt de marque. En effet, les signes susceptibles de constituer des antériorités empêchant le libre usage d’une marque ne résident pas simplement dans les marques antérieures, il peut aussi s’agir d’autres types de signes distinctifs (et même de droits d’auteur).

L’article L.711-4 du Code de la propriété intellectuelle mentionne en effet :

« Ne peut être adopté comme marque un signe portant atteinte à des droits antérieurs, et notamment :
a) A une marque antérieure enregistrée ou notoirement connue au sens de l’article 6 bis de la convention de Paris pour la protection de la propriété industrielle ;
b) A une dénomination ou raison sociale, s’il existe un risque de confusion dans l’esprit du public ;
c) A un nom commercial ou à une enseigne connus sur l’ensemble du territoire national, s’il existe un risque de confusion dans l’esprit du public ;
d) A une appellation d’origine protégée ou à une indication géographique ;
e) Aux droits d’auteur ;
f) Aux droits résultant d’un dessin ou modèle protégé ;
g) Au droit de la personnalité d’un tiers, notamment à son nom patronymique, à son pseudonyme ou à son image ;
h) Au nom, à l’image ou à la renommée d’une collectivité territoriale ».

Une marque déposée en violation de l’un de ces droits antérieurs est donc susceptible d’être annulée ainsi que le prévoit l’article L.714-3 du Code de la propriété intellectuelle.

C’est donc pour sécuriser le dépôt et l’exploitation de la marque, que nous invitons systématiquement les déposants à faire procéder à une recherche préalable d’antériorités.

L’arrêt rendu par la Cour d’appel de Paris le 16 mai 2017 (RG n°15/01332) nous donne l’occasion de revenir sur cette question des antériorités et des conditions propres de chacune, dans une espèce où chaque partie se considérait comme titulaire de droits antérieurs opposable à l’autre.

L’Université Panthéon-Assas d’une part, et les sociétés Ecole d’Assas Centre d’enseignement pratique de massothérapie et pédicurie et Assas Formation Continue d’autre part, s’opposaient des droits antérieurs.

L’affaire avait débuté par l’opposition formée par l’Université Panthéon-Assas à l’enregistrement de la marque Ecole d’Assas sur le fondement de ses marques antérieures : Assas, Assas Formation et Ecole de droit d’Assas respectivement déposées en 2009 et 2010. En dépit de deux suspensions de cette procédure, aucun accord n’avait pu être trouvé entre les parties.

Les sociétés Ecole d’Assas Centre d’enseignement pratique de massothérapie et pédicurie et Assas Formation Continue prirent l’initiative judiciaire en assignant l’Université Panthéon Assas en nullité des marques Assas, Assas Formation Continue et Ecole de Droit d’Assas déposées en 2009 et 2010 sur le fondement de droits antérieurs consistant en des noms commerciaux et une dénomination sociale.

D’un côté donc, les sociétés Ecole d’Assas et Assas Formation Continue, respectivement créées en 1965 et 2006, titulaires des marques Ecole d’Assas Centre d’enseignement pratique de massothérapie et pédicurie et Ecole d’Assas déposées en 2003 et en 2012 qui faisaient valoir l’antériorité des noms commerciaux Ecole d’Assas et Assas ainsi que de la dénomination sociale Assas Formation Continue. De l’autre côté, l’Université Panthéon Assas titulaire des marques Assas, Assas Formation et Ecole de droit d’Assas, qui entendait limiter l’usage des signes qui lui étaient opposés.

La Cour rappelle en premier lieu que la dénomination sociale, le nom commercial, l’enseigne peuvent constituer des antériorités opposables à une marque et que ces signes d’usage ne sont protégés qu’à compter de la date de leur exploitation effective dans le commerce indépendamment de l’accomplissement de toutes formalités présidant à leur publicité ou à leur enregistrement. Ils ne peuvent fonder l’annulation de l’enregistrement de la marque postérieure que si un risque de confusion dans l’esprit du public est démontré en considération de l’identité ou la similitude des signes ainsi que des produits et services enregistrés et objets de l’activité couverte, la protection du nom commercial supposant en outre sa connaissance sur l’ensemble du territoire national.

Ce rappel étant fait, la Cour va examiner chacune des antériorités opposées aux marques de l’Université Panthéon-Assas.

Concernant la dénomination « Ecole d’Assas » qui était invoquée à titre de nom commercial antérieur : les juges vont retenir au vu de l’ensemble des pièces versées qu’il était justifié de son usage public dès avant l’immatriculation de la société en 1965, ce nom commercial étant connu sur l’ensemble de territoire national. Cette preuve étant rapportée, encore faut-il établir un risque de confusion. Or, les juges vont considérer que les différences entre ce nom commercial, d’une part, et les marques contestées : Assas, Assas Formation et Ecole de droit d’Assas, d’autre part, excluent tout risque de confusion, selon une motivation qui nous paraît à certains égards assez contestable.

La dénomination sociale « Assas Formation Continue » était également opposée aux marques litigieuses, celle-ci existant depuis 2006, soit dès avant le dépôt des marques. En dépit de son antériorité, cette dénomination sociale ne va pas permettre d’annuler les marques litigieuses faute de risque de confusion. Les juges vont conclure à l’absence d’un tel risque, renforcé selon eux par le fait que la référence à la nature médicale ou paramédicale de l’enseignement concerné, systématiquement faite lors de l’usage de la dénomination sociale, sans lien avec la nature juridique des enseignements dispensés par l’Université Panthéon-Assas.

Enfin, s’agissant du terme Assas utilisé à titre de nom commercial, les demanderesses vont échouer à rapporter la preuve de l’utilisation de ce terme seul à titre de nom commercial.

En définitive, en dépit de la preuve de l’antériorité des noms commerciaux et de la dénomination sociale, l’absence de risque de confusion va bloquer l’effet de ces antériorités.

De son côté, l’Université Panthéon-Assas sollicitait des mesures d’interdiction sur le fondement de l’article L.713-6 du Code de propriété intellectuelle. Ce texte permet en effet la poursuite de l’utilisation de dénomination sociale, nom commercial, enseigne lorsqu’ils sont antérieurs au dépôt d’une marque, sauf si cette utilisation porte atteinte aux droits du titulaire de la marque. Or, les juges vont considérer que la preuve d’une perturbation dans l’exploitation des marques n’est pas rapportée, et que la coexistence paisible a d’ailleurs été possible pendant des années. 

En définitive, aucune des parties n’obtient gain de cause et chacune va pouvoir poursuivre l’usage de ses signes distinctifs, lesquels vont coexister avec ceux de l’autre partie.

Cette affaire illustre donc la complexité cachée du jeu des antériorités à vérifier préalablement au dépôt d’une marque et tout l’intérêt de consulter un spécialiste préalablement au dépôt pour s’assurer de la disponibilité du signe.

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