La fin programmée de l’interdiction de revente à perte ? – CJUE, ord. 7 mars 2013, aff. C-343/12

TOUSSAINT-DAVID Gaëlle

Avocat

Après, notamment l’interdiction générale des ventes liées et celles des loteries avec obligation d’achat et des ventes avec prime, la CJCE remet en cause l’interdiction générale de revente à perte.

Après, notamment, l’interdiction générale des ventes liées, et celles des loteries avec obligation d’achat et des ventes avec prime, la Cour de justice de l’Union européenne remet cette fois en cause l’interdiction générale de revente à perte, comme n’étant pas conforme à la directive sur les pratiques commerciales déloyales (directive°2005/29/CE du 11 mai 2005).

Deux sociétés belges avaient été mises en cause par un concurrent devant les juridictions belges, étant soupçonnées d’avoir proposé à la vente des appareils photo (associés à des garanties) à des prix si bas qu’ils ne pouvaient, selon le concurrent, que constituer des reventes à perte.

Saisi du litige, le rechtbank van koophandel te Gent (Tribunal de commerce de Gant) a interrogé la CJUE afin de déterminer si la législation belge, qui pose une interdiction générale de revente à perte, était contraire à la directive sur les pratiques commerciales déloyales.

L’issue de cette affaire ne faisait guère de doute, dans la mesure où, très logiquement, la Cour de justice allait adopter le même raisonnement que celui mené dans des affaires précédentes pour vérifier la conformité, ou non, d’une réglementation d’interdiction générale à la directive. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle la CJUE, jugeant que la réponse à la question préjudicielle pouvait être clairement déduite de la jurisprudence, a rendu sa décision par voie d’ordonnance.

La directive précitée de 2005 étant un texte d’harmonisation complète, elle prévoyait l’interdiction pour les législations nationales de prévoir des mesures plus restrictives que celles prévues par la directive. Ainsi, si la revente à perte était qualifiée de pratique réputée déloyale per se (« en toutes circonstances ») par la directive, c’est-à-dire si la revente à perte faisait partie des pratiques visées à l’annexe I de la directive, elle pourrait faire l’objet d’une interdiction générale par la réglementation nationale.

Tel n’était pas le cas ; ainsi, la pratique n’étant pas interdite per se, elle ne pouvait être sanctionnée que si elle faisait l’objet d’une appréciation au cas par cas, révélant qu’en l’espèce, la pratique revêtait un caractère déloyal (à l’égard du consommateur). Une interdiction générale étant donc exclue.

La Cour de justice décide en conséquence que « la directive sur les pratiques commerciales déloyales doit être interprétée en ce sens qu’elle s’oppose à une disposition nationale, telle que celle en cause au principal, qui prévoit une interdiction générale d’offrir à la vente ou de vendre des biens à perte, pour autant que cette disposition poursuit des finalités tenant à la protection des consommateurs. »

Qu’en est-il de la portée de la décision de la CJUE à l’égard du droit français ?

Bien que la décision en cause concerne la réglementation belge, elle est à notre sens parfaitement transposable en France. En effet, l’article L.442-2 du code de commerce impose une interdiction générale de revendre ou d’annoncer la revente d’un bien à perte : « Le fait, pour tout commerçant, de revendre ou d’annoncer la revente d’un produit en l’état à un prix inférieur à son prix d’achat effectif est puni de 75 000 euros d’amende ».

En cela, la réglementation française impose bien une interdiction générale, qui serait nécessairement jugée incompatible avec la directive du 11 mai 2005 si elle était soumise à l’appréciation de la Cour de justice de l’Union européenne.

Une nuance s’impose cependant dans cette analyse, dans la mesure où la remise en cause de l’interdiction de revente à perte ne se pose en principe qu’à l’égard des consommateurs. Ainsi, l’interdiction générale de revente à perte pourrait être maintenue dans la législation française pour les seuls rapports entre professionnels, et faire l’objet d’une suppression, ou encore d’une adaptation pour les ventes effectuées à l’égard des consommateurs (par exemple, comme pour les autres réglementations précédemment sanctionnées par la CJUE, par la simple introduction d’une condition à cette interdiction : que la pratique en cause soit déloyale).

Ainsi, deux régimes pourrait se côtoyer au long de la chaîne de distribution, selon la qualité du client, professionnel ou consommateur, seule la revente à ce dernier pouvant être effectuée à perte. Il n’en demeure pas moins que cette nouvelle évolution pourrait parfaitement constituer l’occasion d’une suppression pure et simple de l’interdiction de revente à perte, discutée depuis plusieurs années à chaque réforme du droit de la distribution. 


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