Déchéance de la marque et évolution du signe

Photo de profil - SIMON François-Luc | Avocat Associé-Gérant - Docteur en droit | Lettre des réseaux

SIMON François-Luc

Avocat Associé-Gérant - Docteur en droit

CA Paris, Pôle 5, chambre 1, 20 octobre 2015, RG n°14/14554

Constitue un usage faisant obstacle à l’action en déchéance, l’usage de la marque sous une forme modifiée n’altérant pas le caractère distinctif dans la forme sous laquelle celle-ci a été enregistrée, peu important par ailleurs que la marque modifiée ait été elle-même enregistrée.

Ce qu’il faut retenir : Constitue un usage faisant obstacle à l’action en déchéance, l’usage de la marque sous une forme modifiée n’altérant pas le caractère distinctif dans la forme sous laquelle celle-ci a été enregistrée, peu important par ailleurs que la marque modifiée ait été elle-même enregistrée.

Pour approfondir : Cette affaire constitue l’épilogue judiciaire du litige ayant opposé, d’un côté, les sociétés Cofra et C&A France, respectivement titulaire et licenciée des marques « RODEO » et, de l’autre, la société Dolce & Gabbana, poursuivie pour contrefaçon de marques.

Il faut tout d’abord rappeler qu’en l’espèce la société Cofra était titulaire de deux marques :

  • marque internationale verbale « RODEO » désignant la France, déposée le 06 octobre 1986 et enregistrée sous le numéro 507 294, renouvelée le 06 octobre 2006, pour désigner des produits des classes 9, 25 et 28, notamment les vêtements, chaussures, chapellerie,
  • marque communautaire verbale « RODEO », déposée le 01 avril 1996 et enregistrée sous le numéro 000 106 252 le 12 mai 1998 pour désigner des produits des classes 18, 25 et 28, notamment les vêtements, chaussures, chapellerie.

Ces marques étaient exploitées en France par la société C&A France en vertu d’un contrat de licence inscrit au Registre des marques internationales et au Registre des marques communautaires puis publié à la gazette de l’OMPI.

Ayant constaté la mise en ligne, par Dolce & Gabbana France, sur la partie française de son site Internet, de photographies du défilé de mode printemps-été 2010 où des mannequins portaient des vêtements sur lesquels figurait le signe RODEO et leur reprise sur les sites Internet français des magazines Elle et Marie-Claire, outre la diffusion du film de ce défilé sur  d’autres sites Internet, les sociétés Cofra et C&A   France ont fait procéder, le 07 avril 2010, à un procès-verbal de constat de l’existence de ces        photographies et film ; suite à une mise en demeure de cesser la commercialisation des produits comportant le signe RODEO en date du 07 mai 2010, restée infructueuse, les sociétés Cofra et C&A France ont fait assigner devant le tribunal de grande instance la SARL Dolce & Gabbana en contrefaçon de marques ; reconventionnellement, la SARL Dolce & Gabbana a sollicité la déchéance desdites marques sur une partie des produits désignés.

En première instance, le tribunal de grande instance avait prononcé la déchéance de la partie française de la marque internationale « RODEO » dont la société Cofra est titulaire, déposée le 06 octobre 1986 et enregistrée sous le numéro 507 294 pour désigner des produits des classes 9, 25 et 28 avec effet au 28 décembre 1996 et de la marque communautaire « RODEO » dont la société Cofra est titulaire, déposée le 01 avril 1996 et enregistrée sous le numéro 000 106 252 pour désigner des produits des classes 18, 25 et 28 avec effet à compter du 12 mai 2003.

Statuant sur l’appel des sociétés Cofra et C&A France, la Cour d’appel de Paris (CA, Paris, pôle 5, chambre 2, 1er mars 2013) a :

  • infirmé le jugement déféré en ce qu’il a prononcé la déchéance de la partie française de la marque internationale « RODEO » dont la société Cofra est titulaire, déposée le 06 octobre 1986 et enregistrée sous le numéro 507 294 pour désigner des produits des classes 9, 25 et 28 avec effet au 28 décembre 1996 d’une part et de la marque communautaire « RODEO » dont la société Cofra est titulaire, déposée le 01 avril 1996 et enregistrée sous le numéro 000 106 252 pour désigner des produits des classes 18, 25 et 28 avec effet à compter du 12 mai 2003,
  • confirmé le jugement pour le surplus,
  • prononcé en conséquence la déchéance
  • de la partie française de la marque internationale « RODEO » dont la société Cofra est titulaire, déposée le 06 octobre 1986 et enregistrée sous le numéro 507 294 pour désigner des produits de la classe 25 avec effet au 28 décembre 1996,
     
  • et de la marque communautaire « RODEO » dont la société Cofra est titulaire, déposée le 01 avril 1996 et enregistrée sous le numéro 000 106 252 pour désigner des produits de la classe 25 avec effet à compter du 12 mai 2003,
  • débouté les sociétés appelantes de l’ensemble de leurs demandes.

Sur pourvoi des sociétés Cofra et C&A France, la Cour de cassation (Cass. com., 3 juin 2014, n°13-17.769, Publié au Bulletin, et notre commentaire de cette décision) a cassé l’arrêt rendu par la Cour d’appel en toutes ses dispositions, au visa des articles 15 du Règlement CE du 26 février 2009 et de l’article L.714-5 du CPI, au motif que la CJUE a dit pour droit son arrêt Rintisch (25 octobre 2012), que les textes précités ne s’opposent pas « à ce que le titulaire d’une marque enregistrée puisse, aux fins d’établir l’usage de celle-ci au sens de cette disposition, se prévaloir de son utilisation dans une forme qui diffère de celle sous laquelle cette marque a été enregistrée sans que les différences entre ces deux formes altèrent le caractère distinctif de cette marque et ce, nonobstant le fait que cette forme différente est elle-même enregistrée en tant que marque ». Ainsi, la Cour de cassation a cassé l’arrêt rendu par la Cour d’appel qui avait, au contraire, jugé qu’en déposant plusieurs marques, la société avait entendu les distinguer de telle sorte que l’usage de l’une ne pouvait pas servir à établir l’usage d’une autre pour échapper à la déchéance.

Statuant sur renvoi après cassation, la Cour d’appel de Paris retient en substance qu’il ressort des documents versés aux débats (Attestation des CAC sur les volumes de vente de produits de la classe 25 sous la marque « RODEO », attestations quant à la commercialisation en France par la société C&A France depuis au moins 1991, d’articles vestimentaires et accessoires sous ladite marque, catalogues, copies d’écran des sites de C&A et procès-verbaux établis par huissier) que les marques verbales « RODEO » sont notamment exploitées sous une forme modifiée correspondant à une marque semi-figurative, également déposée par la société Cofra le 03 avril 1998, elle-même présentée dans une configuration nouvelle, à savoir le signe « RODEO » dans une police de caractères particulière traversée à l’horizontale en son milieu par un trait de couleur, placé à l’intérieur d’un rectangle sur fond marron, l’initiale « R » étant de couleur orange.

La Cour d’appel de Paris rappelle que, d’une part, selon les articles L. 714-5 du code de la propriété intellectuelle et 15 du règlement (UE) n° 207/209 du 26 février 2009, est considéré comme « usage » au sens de ces textes, l’usage de la marque sous une forme modifiée n’altérant pas le caractère distinctif dans la forme sous laquelle celle-ci a été enregistrée et que, d’autre part, ces textes doivent être interprétés à la lumière de la directive (CE) n° 89/104 du 21 décembre 1988 (codifiée par la directive n° 2008/95 du 22 octobre 2008), rapprochant les législations des États membres sur les marques.

Ce faisant, la Cour d’appel de Paris retient que :

  • que la CJUE a dit pour droit dans son arrêt Rintisch du 25 octobre 2012 que l’article 10, § 2, sous a) de la directive (CE) n° 89/104 du 21 décembre 1988 « doit être interprété en ce sens qu’il ne s’oppose pas à ce que le titulaire d’une marque enregistrée puisse, aux fins d’établir l’usage de celle-ci au sens de cette disposition, se prévaloir de son utilisation dans une forme qui diffère de celle sous laquelle cette marque a été enregistrée sans que les différences entre ces deux formes altèrent le caractère distinctif de cette marque, et ce nonobstant le fait que cette forme différente est elle-même enregistrée en tant que marque » ;
  • dans une marque semi-figurative, le  consommateur d’attention moyenne attachera plus d’importance à l’élément verbal, en l’espèce le  signe « RODEO » aisément lisible nonobstant sa police de caractère et la mise en couleurs de son initiale ;
  • que le choix d’exploiter les marques verbales « RODEO » sous cette forme correspond à une modification revendiquée par la société Cofra de retravailler tous ses logos en vue de créer un concept visuel nouveau tout en gardant un lien avec l’ancien logo en vue de s’adapter à des groupes de clients ciblés, et qu’ainsi cette forme stylisée n’altère pas le caractère distinctif des marques verbales « RODEO » constitué par le signe Rodéo puisque celui-ci est toujours mis en valeur et est aisément identifiable dans l’exploitation qui en est faite par les sociétés Cofra et C&A France ;
  • qu’il importe peu par ailleurs que la marque ainsi modifiée ait été elle-même enregistrée ;
  • en conséquence que les sociétés Cofra et C&A France justifient de l’usage sérieux des marques verbales « RODEO » pendant une période ininterrompue de cinq ans.

A rapprocher : Cass. com., 3 juin 2014, n°13-17.769, Publié au Bulletin.

Sommaire

Autres articles

some
Publication d’un avis de la Commission Supérieure du Numérique et des Postes portant recommandations dans le domaine de la sécurité numérique
La CSNP a publié [...] un avis portant recommandations dans le domaine de la sécurité numérique, et plaidant notamment pour la création d’un parquet national consacré à la cybercriminalité et pour la création d’un dispositif dédié au paiement des rançons
some
Le Conseil d’Etat se prononce sur la conservation des données de connexion à des fins de sauvegarde de la sécurité nationale
Dans une décision en date du 21 avril 2021, le Conseil d’Etat s’est prononcé sur la conformité du droit français au droit européen en matière de conservation des données de connexion par les fournisseurs de services de communications électroniques.
some
La cour d’appel de Paris apporte des précisions sur le régime applicable en matière de violation de licence de logiciel
La cour d’appel de Paris a, dans un arrêt du 19 mars 2021, considéré que la violation d’un contrat de licence de logiciel ne relevait pas de la responsabilité délictuelle mais de la responsabilité contractuelle.
some
Le révolutionnaire avis client
À l’heure où le marketing traditionnel est remis en cause, l’importance de l’avis client est grandissante. 88 % des internautes consultent les avis clients avant un achat en ligne et 73 % avant un achat en boutique .
some
La Commission européenne apporte des éclaircissements concernant les transferts de données personnelles vers le Royaume Uni
La Commission européenne a annoncé avoir engagé des démarches pour autoriser de façon générale les transferts de données à caractère personnel vers le Royaume Uni en publiant le 19 février 2021 deux projets de décisions dites « d’adéquation ».
some
Recours administratif à l’encontre d’un brevet d’invention : publication de l’ordonnance n°2020-116
Le 13 février 2020, a été publiée au Journal Officiel l’ordonnance n°2020-116, adoptée la veille et portant création d’un droit d’opposition aux brevets d’invention délivrés par l’Institut National de la Propriété Intellectuelle (INPI).