Autonomie de l’action du ministre fondée sur l’article L.442-6 du Code de commerce

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SIMON François-Luc

Avocat Associé-Gérant - Docteur en droit

Cass. civ. 1ère, 6 juillet 2016, pourvoi n°15-21.811, Publié au Bulletin

L’action du ministre de l’économie fondée sur l’article L. 442-6 du Code de commerce présente un caractère « autonome » et ne peut manifestement pas relever de la compétence d’une juridiction arbitrale.

Ce qu’il faut retenir : L’action du ministre de l’économie fondée sur l’article L. 442-6 du Code de commerce présente un caractère « autonome » et ne peut manifestement pas relever de la compétence d’une juridiction arbitrale.

Pour approfondir : Cet arrêt de principe doit être situé dans son contexte, ce qui implique d’évoquer successivement l’action prévue à l’article L. 442-6 du Code de commerce, sa conformité au bloc de constitutionnalité, sa nature quasi-délictuelle, son caractère autonome, avant d’aborder la question que posait précisément le litige soumis à la Cour de cassation.

L’action prévue à l’article L. 442-6 du Code de commerce : On le sait, conformément à l’article L. 442-6, III du Code de commerce, le ministre chargé de l’économie et le ministère public peuvent demander à la juridiction saisie d’ordonner la cessation des pratiques mentionnées à l’article L. 442-6 du code de commerce. Ils peuvent aussi, pour toutes ces pratiques, faire constater la nullité des clauses ou contrats illicites et demander la répétition de l’indu. Ils peuvent également demander le prononcé d’une amende civile dont le montant ne peut être supérieur à 2 millions d’euros.

Toutefois, cette amende peut être portée au triple du montant des sommes indûment versées ou, de manière proportionnée aux avantages tirés du manquement, à 5 % du chiffre d’affaires hors taxes réalisé en France par l’auteur des pratiques lors du dernier exercice clos depuis l’exercice précédant celui au cours duquel les pratiques mentionnées au présent article ont été mises en œuvre. La réparation des préjudices subis peut également être demandée.

La juridiction peut ordonner la publication, la diffusion ou l’affichage de sa décision ou d’un extrait de celle-ci, tout comme l’insertion de la décision ou de l’extrait de celle-ci dans le rapport établi sur les opérations de l’exercice par les gérants, le conseil d’administration ou le directoire de l’entreprise. La juridiction peut ordonner l’exécution de sa décision sous astreinte. Cette amende civile peut se cumuler avec les autres sanctions prévues par le texte, notamment la restitution des sommes indûment versées laquelle, après son prononcé par le juge, sera effectuée entre les mains du Trésor Public, qui en fera ensuite la répartition entre les victimes (par ex. CA Paris 1er juill. 2015, inédit, n° 13/19251, et notre commentaire).

Conformité de l’action au bloc de constitutionnalité : par une décision n° 2011-126 QPC du 13 mai 2011, le Conseil constitutionnel a confirmé la constitutionnalité de cette action (v. aussi, décision n° 2016-542 QPC du 18 mai 2016).  La Cour européenne des droits de l’homme a également, par une décision du 17 janvier 2012, confirmé la conformité à la convention de cette action.

Nature quasi-délictuelle de l’action : par une décision publiée au Bulletin, la Cour de cassation s’est prononcée en faveur de la nature quasi-délictuelle de l’action (Cass. com., 18 oct. 2011, n° 10-28.005, Publié au Bulletin), ce qui permet au ministre de l’économie et au ministère public d’agir à leur choix devant la juridiction du lieu où demeure le défendeur, du lieu du fait dommageable ou du lieu où le préjudice a été subi. Cela permet de privilégier la victime de la pratique restrictive, le ministre de l’économie et le ministère public optant généralement pour la juridiction du lieu où demeure le demandeur (lieu du dommage ou du préjudice subi).

Caractère autonome de l’action : on le sait, par un arrêt du 8 juillet 2008, la Cour de cassation a qualifié l’action que le ministre engage sur le fondement de l’article L. 442-6-III du code de commerce « d’action autonome de protection du marché ».

Ce faisant, l’action du ministre de l’économie et du ministère public est recevable même si les victimes n’y ont pas consenti ; ils disposent d’une action autonome de protection du marché et de la concurrence qui n’est pas soumise au consentement ou à la présence des victimes. L’information des parties n’est exigée que lorsque les sanctions sont dans l’intérêt des victimes uniquement et non du marché dans son ensemble (Cass. com., 3 mars 2015, n° 13-27.525, Publié au Bulletin).

Arbitrabilité de l’action : lorsque l’action fondée sur l’article L. 442-6 du Code de commerce est engagée par l’une des parties au contrat (ou à la relation contractuelle), il ne fait pas de doute qu’une telle action peut être soumise à un tribunal arbitral ; cette solution (logique) est connue (Cass. civ. 1ère, 21 octobre 2015, pourvoi n°14-25.080, Publié au Bulletin, et notre commentaire).

Positionnement du problème : La question posée était de savoir si le juge étatique saisi par le ministre de l’économie, sur le fondement de l’article L. 442-6 précité, d’un litige concernant un contrat comportant une clause d’arbitrage devait (ou non) se déclarer incompétent, afin que l’arbitre statue par priorité sur sa compétence, en application de l’article 1448 du Code de procédure civile, qui érige le principe dit de « compétence compétence » ; selon ce texte, il appartient à l’arbitre, et à lui seul, de statuer prioritairement sur la validité ou les limites de sa propre compétence, sous le contrôle du juge de l’annulation ; autrement dit, le juge étatique doit donc se déclarer incompétent lorsqu’un litige relève d’une convention d’arbitrage, sauf – précise le texte – « si le tribunal arbitral n’est pas encore saisi et si la convention d’arbitrage est manifestement nulle ou manifestement inapplicable ». Ce principe doit s’interpréter restrictivement (v. en ce sens, Cass. civ. 1ère, 1er avril 2015, pourvois n°14-11.587 et n°14-13.648, et notre commentaire ; et, en doctrine : E. Loquin, Juris-Classeur Procédure civile, Fasc. 1020. Arbitrage, §.67 ; Th. Clay, note sous Cass. civ. 1ère, 6 octobre 2010, pourvoi n°09-68731, D.2010, p.2441).

L’apport de l’arrêt : lorsque l’action fondée sur l’article L. 442-6 du Code de commerce est engagée par le ministre de l’économie, une telle action ne relève manifestement pas d’une juridiction arbitrale. C’est l’apport de l’arrêt commenté, publié au Bulletin.

Au cas présent, le pourvoi faisait grief à l’arrêt critiqué (CA Paris, 19 mai 2015, inédit) d’avoir retenu que :

  • l’article L. 442-6 du code de commerce réserve au ministère public, au ministre chargé de l’Economie et au président du Conseil de la concurrence la faculté de saisir les juridictions compétentes désignées par l’article D. 442-3 du code de commerce, aux fins de voir obtenir la cessation de pratiques illicites et l’application d’amendes civiles aux différents opérateurs économiques contrevenants ;
     
  • l’action attribuée à ces autorités publiques dans le cadre de leur mission de gardiens de l’ordre public économique et qui vise à la protection du fonctionnement du marché et de la concurrence, et non à celle des intérêts immédiats des contractants lésés, est une action autonome dont l’exercice n’est d’ailleurs pas soumis à l’accord des victimes des pratiques restrictives ni à leur mise en cause devant le juge saisi mais seulement à leur information ;
     
  • la circonstance que l’autorité qui poursuit la cessation de pratiques discriminatoires puisse également faire constater la nullité des clauses ou contrats illicites et demander la répétition de l’indu, n’est pas de nature à modifier le caractère de cette action distincte par son objet de défense de l’intérêt général de celle que la victime peut elle-même engager pour la sauvegarde de ses droits propres et la réparation de son préjudice personnel ;
     
  • par suite, l’action du Ministre étant, au regard de sa nature et de son objet, de celles dont la connaissance est réservée aux juridictions étatiques, la clause compromissoire stipulée dans le contrat en ce qu’elle est manifestement inapplicable, ne peut lui être opposée ce qui rend inopérants les moyens tirés tant des dispositions de l’article 1448 du Code civil que de ce que la clause compromissoire ne figure pas au nombre de celles dont le Ministre poursuit l’annulation ; que c’est, dès lors, à bon droit, que les premiers juges dont la décision doit être confirmée, ont retenu leur compétence ;
     
  • l’action du ministre s’inscrit dans le cadre de sa mission de gardien de l’ordre public économique aux fins de rétablissement de celui-ci ;
     
  • la clause compromissoire contenue dans le contrat de distribution s’applique qu’aux parties et que le ministre chargé de l’économie est tiers à ce contrat ;
     
  • le principe « compétence compétence » ne peut s’appliquer qu’à des engagements souscrits entre des parties à un ou plusieurs contrats ;
     
  • l’action du ministre de l’économie sur le fondement de l’article L. 442-6 du Code de commerce est dès lors une action autonome.

Ce faisant, le pourvoi faisait grief à l’arrêt critiqué d’avoir violé les articles 1448 et 1506 du Code de procédure civile, ainsi que le principe compétence-compétence, dès lors que, selon le pourvoi :

  • le juge saisi d’un litige relatif à un contrat comportant une clause d’arbitrage doit se déclarer incompétent, afin que l’arbitre statue, par priorité, sur sa compétence, sauf nullité manifeste ou inapplicabilité manifeste de la clause ; qu’une telle inapplicabilité manifeste de la clause d’arbitrage à un litige ne saurait se déduire de la seule qualité de tiers au contrat du demandeur à l’action ; qu’en énonçant, pour rejeter le contredit, que la clause compromissoire contenue dans le contrat de distribution (…) ne s’applique qu’aux parties ; que le ministre chargé de l’économie est tiers à ce contrat (…), et que le principe compétence-compétence ne pouvait s’appliquer qu’à des engagements souscrits entre des parties à un ou plusieurs contrats (…), la cour d’appel a violé les articles 1448 et 1506 du code de procédure civile, ensemble le principe compétence-compétence ;
     
  • le juge saisi d’un litige relatif à un contrat comportant une clause d’arbitrage doit se déclarer incompétent, afin que l’arbitre statue, en premier, sur sa compétence, sauf nullité ou inapplicabilité manifestes de la clause ;
     
  • et qu’en déduisant du caractère « autonome » de l’action engagée par le ministre contre la société A…, le caractère manifestement inapplicable de la clause d’arbitrage, pour trancher ainsi elle-même immédiatement la question de compétence, la cour d’appel a statué par un motif impropre à caractériser le caractère manifestement inapplicable de la clause d’arbitrage au litige et violé les articles 1448 et 1506 du Code de procédure civile, ensemble le principe compétence compétence.

La Cour de cassation rejette le pourvoi en ces termes :

« Mais attendu qu’après avoir rappelé que l’article L. 442-6, III, du code de commerce réserve au ministre chargé de l’économie la faculté de saisir le juge pour faire cesser des pratiques illicites et prononcer des amendes civiles, l’arrêt énonce, à bon droit, que l’action ainsi attribuée au titre d’une mission de gardien de l’ordre public économique pour protéger le fonctionnement du marché et de la concurrence est une action autonome dont la connaissance est réservée aux juridictions étatiques au regard de sa nature et de son objet ; que, le ministre n’agissant ni comme partie au contrat ni sur le fondement de celui-ci, la cour d’appel a caractérisé l’inapplicabilité manifeste au litige de la convention d’arbitrage du contrat de distribution ; que le moyen n’est pas fondé ».

A rapprocher : Cass. civ. 1ère, 13 juill. 2016, n°15-19.389, Publié au Bulletin ; Cass. civ. 1ère, 6 juill. 2016, n°15-19.521, Publié au Bulletin ; Cass. com. 8 juill. 2008, n° 07-16.761, Bull. civ. 2008, IV n° 143 ; Cass. com., 16 déc. 2008, n° 08-13.162

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