La toponymie d’une parcelle viticole n’excuse pas le caractère déceptif d’une marque de vin – Cass. com., 7 janvier 2014, pourvoi n°12-28.041

Une marque de vin utilisant la toponymie de la parcelle dénommée CHEVAL BLANC d’où est issu le vin désigné peut être déceptive à l’égard de son prestigieux voisin CHATEAU CHEVAL BLANC.

La société Cheval blanc détenant la marque du même nom désignant l’un des plus célèbres vins de Saint-Emilion (l’un des cinq 1er grands crus classés A), a assigné la société Chaussie de Cheval Blanc aux fins (i) de nullité de ses marques « Domaine du Cheval Blanc » et « Château Relais du Cheval Blanc », (ii) d’interdiction d’utiliser la dénomination portant les termes « Cheval Blanc », (iii) et de condamnation pour contrefaçon.

La société Cheval Blanc faisait notamment valoir le caractère déceptif de la dénomination sociale et des marques litigieuses pouvant tromper le public sur l’origine du vin. A travers cette demande, la société Cheval Blanc souhaitait en fait éviter que le public n’assimile par erreur ces noms à un second vin de son célèbre « Château Cheval Blanc » (ce dernier existant déjà sous le nom « Petit Cheval »).

La difficulté – que n’a pas manqué de soulever la société Chaussie de Cheval Blanc – résidait dans le fait que la parcelle exploitée dont était tiré le vin sous marque « Domaine de Cheval Blanc »  portait le toponyme « Cheval Blanc » (!) ; elle estimait en conséquence légitime que ses signes distinctifs puissent nommément y faire référence.

La Cour d’appel de Bordeaux lui a d’ailleurs accordé « le privilège du toponyme » lui permettant de faire un usage licite des termes « Cheval Blanc » pour sa dénomination et pour la marque désignant son vin – la Cour d’appel prenant soin de préciser que la parcelle « Cheval Blanc » représente 2/3 de la superficie exploitée.

La Cour d’appel prononce toutefois la nullité de la marque « Château Relais du Cheval Blanc » mais écarte toute contrefaçon au visa de l’article L.716-5 du code de la propriété intellectuelle qui rend irrecevable toute action en contrefaçon d’une marque postérieure enregistrée dont l’usage a été toléré pendant cinq ans, la société Cheval Blanc ne pouvant ignorer l’existence du vin sous marque « Domaine du Cheval Blanc ».

La Cour de cassation casse partiellement l’arrêt :

– S’agissant de la dénomination sociale, elle confirme la licéité de son usage mais en se fondant sur la finalité de la dénomination sociale qui est de permettre au public « d’identifier une société » et non « son origine géographique » ; dès lors, le grief de « tromperie sur l’origine géographique » par la dénomination sociale est infondé.

– S’agissant du caractère déceptif de la marque « Domaine de Cheval Blanc », elle fait grief à la Cour d’appel de ne pas avoir répondu sur « le risque de tromperie du consommateur sur la qualité et la provenance du vin désigné sous cette marque en lui faisant croire qu’il s’agirait d’un second vin de « Cheval Blanc » » ; la toponymie ne peut ainsi écarter per se le caractère prétendument déceptif de la marque.

– S’agissant enfin du caractère forclos de l’action en contrefaçon au visa de l’article L.716-5 précité, elle casse l’arrêt dès lors que « la forclusion par tolérance ne peut être opposée à une action en contrefaçon de marque dirigée contre une dénomination sociale » ; en d’autres termes, la Cour d’appel pouvait valablement écarter le droit pour la société Cheval Blanc d’agir en contrefaçon s’agissant de l’utilisation de la marque « Château Relais du Cheval Blanc » mais non de la dénomination sociale « Chaussie de Cheval Blanc ».

Cette décision confortera les grandes propriétés viticoles bordelaises qui cherchent à se protéger, faute d’une notoriété suffisante dans le grand public de leur second vin (dont le marché est devenu très rentable), de toute confusion avec leurs voisins géographiques bénéficiant d’une toponymie avantageuse en ce qu’elle comporte en toute ou partie le nom d’un vin prestigieux.

Il n’est toutefois pas certain que cette décision eut été si stricte si la demanderesse n’avait pas été le producteur du célèbre Château Cheval Blanc…

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