Étendue géographique de la clause de non-concurrence post-contractuelle

GUILLÉ Jérôme

Avocat

CA Paris, 13 décembre 2019, n°19/02615

L’interdiction d’exercer une activité similaire ou identique à celle exercée par le franchisé dans un rayon de 150 km fait apparaître le caractère disproportionné de la clause de non-concurrence post-contractuelle au regard de la protection des intérêts légitimes du franchiseur et apporte une restriction excessive à la liberté d’exercice de la profession exercée par le franchisé.

Le 17 mars 2009, la société Educinvest, franchiseur du réseau d’enseignement supérieur privé Supinfo ayant pour objet la formation d’ingénieurs informaticiens, a conclu avec la société Sud-Ouest Campus deux contrats de franchise pour la gestion et l’exploitation de deux établissements à l’enseigne Supinfo, dont un à Bordeaux et un à Toulouse, ces contrats d’une durée de dix ans prenant effet au 1er juillet 2009.

Par courrier recommandé du 6 novembre 2009, la société Educinvest a demandé à la société Sud- Ouest Campus le paiement des redevances, de l’occupation des locaux, et par courrier du 26 novembre 2009 l’a mise en demeure d’exécuter diverses obligations contractuelles dans un délai de huit jours sous peine de résiliation des contrats.

Par lettre recommandée du 18 décembre 2009 la société Educinvest a notifié la résiliation immédiate des contrats de franchise puis a fait délivrer assignation à bref délai devant le tribunal de commerce de Paris le 11 janvier 2010.

S’y opposant, la société Sud-Ouest Campus a demandé, au fond ; à titre principal : le maintien sans résiliation, sous astreinte, des contrats de franchise ; à titre subsidiaire : la résiliation des contrats aux torts exclusifs de la société Educinvest.

Par jugement assorti de l’exécution provisoire en date du 19 décembre 2012, le tribunal de commerce de Paris a notamment débouté la société Sud-Ouest Campus de ses demandes tendant à la requalification des contrats de franchise, la nullité des contrats de franchise, la nullité de la clause résolutoire.

Par arrêt du 3 mai 2017 la cour d’appel de Paris a notamment confirmé le jugement du 19 décembre 2012 en ce qu’il a débouté la société Sud-Ouest Campus de sa demande de nullité des contrats de franchise pour dol.

Par arrêt 28 novembre 2018, la Cour de cassation a cassé et annulé l’arrêt du 3 mai 2017 mais seulement en ce qu’il :

  • dit que « la société Educinvest était fondée à prononcer la résiliation des deux contrats de franchise par courrier du 18 décembre 2009,
  • rejette la demande de la société Sud-Ouest Campus en résolution judiciaire aux torts de la société Educinvest et les demandes en paiement formées contre celle-ci au titre des droits d’entrée et de la perte de marge brute,
  • condamne la société Sud-Ouest Campus au paiement de sommes au titre de la clause pénale, de la clause de non-concurrence, et de la perte de chance de bénéficier d’un franchisé ».

S’agissant de la question spécifique de la clause de non-concurrence, la Cour de cassation retient que sans rechercher, comme elle y était invitée, si l’interdiction d’exercer, directement ou indirectement, en quelque qualité que ce soit, une activité d’enseignement similaire ou identique à celle exercée par le franchisé à la date de conclusion du contrat, de s’affilier à un autre réseau de franchisés concurrent ou de commercialiser sous la forme de franchise ou autrement des enseignements identiques ou semblables, dans un rayon de 150 kilomètres autour de l’école visée au contrat, n’apportait pas une restriction excessive à la liberté d’exercice de la profession de son débiteur, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision.

Devant la cour d’appel de renvoi, la société Sud-Ouest Campus conteste la validité de la clause de non concurrence post-contractuelle sur le fondement juridique du principe de liberté du commerce et de l’industrie, rappelant qu’une clause de non- concurrence n’est valable que si elle est limitée dans son objet, dans le temps et dans l’espace et si elle est proportionnée par rapport à’ l’objet du contrat et nécessaire à la protection des intérêts légitimes de son bénéficiaire.

En l’espèce, le franchisé soutient que la société Educinvest ne justifie pas d’un savoir-faire suffisamment original pour justifier l’étendue territoriale de 150 km, soit un quart du territoire français, et que le savoir-faire en cause ne répond pas aux critères de protection. Elle ajoute que la résiliation fautive des contrats prive la société Educinvest du bénéfice de la clause.

Dans sa décision commentée ici, la cour d’appel de Paris rappelle que, pour être valable, une clause de non-concurrence doit être non seulement limitée dans le temps et dans l’espace, mais aussi proportionnée par rapport à l’objet du contrat et nécessaire à la protection des intérêts légitimes de son bénéficiaire.

Il appartient au franchiseur de faire la preuve d’intérêts légitimes à protéger justifiant qu’il soit apporté légitimement une limitation à la liberté du commerce et de l’industrie, en l’espèce la protection d’un savoir -faire.

En l’espèce, le moyen d’un savoir-faire du franchiseur dépourvu de caractère original est écarté.

En outre, pour justifier du caractère proportionné de l’obligation de non-concurrence, le franchiseur soutient qu’il justifie de cette limitation géographique par son expérience, ce qui permettait au franchisé de pouvoir créer une nouvelle école informatique mais dans une autre région laissant la possibilité pour le franchiseur d’exploiter en propre ou de conférer une nouvelle franchise à Bordeaux et à Toulouse.

En effet, pour ce qui concerne les contrats résiliés ou arrivés à terme avant l’entrée en vigueur des dispositions de l’article L. 341-2 du Code de commerce – ce texte ne s’applique qu’aux contrats conclus à compter du 6 août 2015 ainsi qu’aux contrats en cours à la date du 6 août 2016 –, l’appréciation du caractère excessif (ou non) de la limitation dans l’espace est effectuée in concreto.

En l’espèce, la durée de la clause de non-concurrence post-contractuelle insérée dans le contrat de franchise est limitée à douze mois et le périmètre géographique de cette clause est déterminé par un rayon de 150 kilomètres autour de l’Ecole.

Toutefois, l’interdiction d’exercer une activité d’enseignement similaire ou identique à celle exercée par le franchisé dans un rayon de 150 km se traduit en réalité par une interdiction d’exercer dans un nombre important de départements se situant à une distance de 150 km des deux villes de Toulouse et Bordeaux, comprenant un bassin important de population évalué par l’appelante elle-même à 5 millions de personnes, dont un nombre élevé d’étudiants intéressés par la formation dispensée, en sorte que le rayon de 150 km convenu fait apparaître le caractère disproportionné de la clause au regard de la protection des intérêts légitimes de la société Educinvest et apporte une restriction excessive à la liberté d’exercice de la profession exercée par le franchisé.

Pour la cour d’appel, il en résulte le caractère illicite de la clause de non-concurrence stipulée aux contrats de franchise.

On regrettera que la sanction de la clause de non-concurrence post-contractuelle jugée excessive en ce qu’elle ne serait pas suffisamment limitée dans l’espace ne soit pas la réduction de la limitation territoriale qu’elle stipule.

A rapprocher : La clause de non-concurrence post-contractuelle dans les contrats de distribution

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