Refus d’agrément d’un concessionnaire dans un réseau de distribution sélective quantitative

YVER Katia

Avocat

Cass. com., 27 mars 2019, n°17-22.083

L’exigence de bonne foi ne requiert pas, de la part de la tête d’un réseau de distribution sélective quantitative, la détermination et la mise en œuvre d’un processus de sélection de ses distributeurs sur le fondement de critères définis, objectivement fixés et appliqués de manière non-discriminatoire.

La société C. A. était concessionnaire des marques Chrysler, Jeep et Dodge depuis 2001. Le 25 mai 2010, la société Chrysler France a résilié l’ensemble des contrats de distribution de véhicules neufs, de vente de pièces détachées et d’après-vente à effet au 31 mai 2011. La société Chrysler France a cédé son fonds de commerce à la société Fiat France, aux droits de laquelle est venue la société FCA France. Cette dernière a annoncé aux distributeurs du réseau qu’elle reprenait la distribution en France des marques Lancia et Jeep et les a invitées à faire acte de candidature pour la signature de nouveaux contrats. La société C.A., candidate pour la distribution de véhicules neufs et l’activité de réparation, a transmis, le 19 juillet 2010, à la société FCA le dossier de candidature. Cette dernière l’a cependant informée de sa décision de refus d’agrément. Contestant ce refus et reprochant à la société FCA d’avoir confié la représentation des marques en cause à une société S., qui était le distributeur Lancia sur le même marché de référence, la société C.A. a assigné le constructeur, sur le fondement de l’article 1382 ancien, devenu 1240, du Code civil, en réparation des préjudices résultant de son refus fautif d’agrément et de son retard dans la notification de ce dernier.

La cour d’appel de Paris a fait droit aux demandes du concessionnaire en considérant, d’une part, que le constructeur avait engagé sa responsabilité délictuelle en refusant d’agréer ce concessionnaire et, d’autre part, que la tardiveté de notification de ce refus constituait également une faute, condamnant le constructeur à lui payer une somme de 268.236 € en indemnisation de ses préjudices (CA Paris, 24 mai 2017, n°15/12129).

Par un arrêt du 27 mars 2019, la Cour de cassation a cassé en toutes ses dispositions l’arrêt de la cour d’appel en considérant qu’en énonçant « que le « concédant » est tenu, dès la phase précontractuelle, de respecter son obligation générale de bonne foi dans le choix de son cocontractant et en déduit que le titulaire du réseau doit sélectionner ses distributeurs sur le fondement de critères définis et objectivement fixés et appliquer ceux-ci de manière non-discriminatoire » après avoir constaté que la société FCA était à la tête d’un réseau de distribution sélective quantitative, « alors que l’exigence de bonne foi ne requiert pas, de la part de la tête d’un réseau de distribution la détermination et la mise en œuvre d’un tel processus de sélection, la cour d’appel a violé l’article 1382, devenu 1240, du Code civil, ensemble les principes de liberté contractuelle et de liberté du commerce et de l’industrie » (Cass. com., 27 mars 2019, n°17-22083).

La Cour de cassation a également censuré l’arrêt d’appel en considérant qu’en retenant que le concédant avait par la lettre adressée le 31 mai 2010 au concessionnaire ainsi qu’à l’ensemble des anciens distributeurs Lancia et Chrysler-Jeep-Dodge « fait part de son souhait de maintenir les relations avec tous les concessionnaires » a indûment entretenu le concessionnaire dans l’espoir d’être agréé dans le nouveau réseau et lui a donné une incitation contraire à la reconversion, que le préavis d’un an avait pour but de permettre, alors que la lettre du 31 mai 2010 mentionnait que « l’un des principaux objectifs de Chrysler et Fiat sera de préserver, dans toute la mesure du possible, leurs réseaux de distribution actuels et leurs relations avec la plupart des distributeurs actuels » et que « Chrysler et Fiat envisagent donc de proposer à la plupart de leurs distributeurs actuels de participer à la nouvelle opportunité de développement, en concluant un nouveau contrat de distributeur agréé », la cour d’appel a dénaturé les termes clairs et précis de ce document et a méconnu le principe de « l’obligation pour le juge de ne pas dénaturer l’écrit qui lui est soumis » (Cass. com., 27 mars 2019, n°17-22083).

Cet arrêt a été rendu dans la droite ligne de la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne ayant considéré « qu’il n’est pas nécessaire qu’un système de distribution sélective quantitative repose sur des critères qui sont objectivement justifiés et appliqués de manière uniforme et non différenciée à l’égard de tous les candidats à l’agrément » pourvu que les critères définis soient précis et vérifiables (CJUE, 14 juin 2012, aff. C-158/11, Auto 24 / Jaguar Land Rover France ; Cf. également Cass. com., 15 janvier 2013, n°10-12734).

Pour rappel, le règlement n°1400/2002 de la Commission européenne du 31 juillet 2002 concernant l’application de l’article 81, paragraphe 3, du Traité à des catégories d’accords verticaux et de pratiques concertées dans le secteur automobile, dont la cour a fait application en l’espèce, définit à l’article 1 g) un « système de distribution sélective quantitative » comme « un système de distribution sélective dans lequel le fournisseur applique, pour sélectionner les distributeurs et les réparateurs, des critères qui limitent directement le nombre de ceux-ci ».

Tandis que le même règlement définit à l’article 1 h) un « système de distribution sélective qualitative » comme « un système de distribution sélective dans lequel le fournisseur applique, pour sélectionner les distributeurs ou les réparateurs, des critères purement qualitatifs, requis par la nature des biens ou des services contractuels, établis uniformément pour tous les distributeurs ou réparateurs souhaitant adhérer au système de distribution, et appliqués d’une manière non discriminatoire et ne limitant pas directement le nombre de distributeurs ou de réparateurs ».

Le règlement d’exemption n°1400/2002 permet d’exonérer, au titre de leur contribution au progrès économique sur le fondement de l’alinéa 3 de l’article 101 du TFUE, les ententes résultant de pratiques menées au sein des réseaux de distribution sélective quantitatif qui seraient qualifiables sur le fondement de l’alinéa 1 de l’article 101 du TFUE, dès lors que le concédant détient une part de marché inférieure à 40 %.

En l’espèce, après avoir constaté que la part de marché de la société FCA France sur le marché de la distribution des véhicules neufs des marques Jeep et Lancia est inférieure à 40 % et lui permet donc de faire bénéficier son réseau de l’exemption automatique, sous réserve des éventuelles pratiques caractérisées qu’elle pourrait mettre en œuvre, la cour d’appel a considéré que « les refus d’agrément discriminatoires ou injustifiés, ne constituant pas des « restrictions caractérisées », sont couverts par les seuils de minimis et le règlement d’exemption ».

La cour a cependant considéré que :

« l’exemption d’un refus d’agrément, qui le fait échapper à la qualification de pratique anticoncurrentielle, ne le fait pas pour autant échapper au droit général des contrats, le concédant étant tenu, dès la phase précontractuelle, de respecter son obligation générale de bonne foi dans le choix de son cocontractant.

Indépendamment de l’article L 420-1 du code de commerce ou de l’article 101 du TFUE, s’il appartient, en stricte application du principe de la liberté du commerce et de l’industrie, à tout fournisseur d’organiser le mode de distribution de ses produits et de procéder aux modifications et rationalisations jugées nécessaires sans que ses cocontractants ne bénéficient d’un droit acquis à y demeurer, le titulaire du réseau se doit, néanmoins, de sélectionner ses distributeurs sur le fondement de critères définis et objectivement fixés et d’appliquer ceux-ci de manière non-discriminatoire » (CA Paris, 24 mai 2017, n°15/12129).

Sous couvert de « l’obligation générale de bonne foi » dans la phase précontractuelle, la cour d’appel a donc imposé au concédant la nécessité de sélectionner ses distributeurs sur la base de « critères définis et objectivement fixés et d’appliquer ceux-ci de manière non-discriminatoire » dans le cadre d’un système de distribution sélective quantitative.

C’est sur ce point que la Cour de cassation a censuré l’arrêt d’appel en considérant que « l’exigence de bonne foi ne requiert pas, de la part de la tête d’un réseau de distribution la détermination et la mise en œuvre d’un tel processus de sélection » (Cass. com., 27 mars 2019, n°17-22083).

La Cour de cassation suit en cela l’analyse que la Commission européenne avait développée dans le cadre d’une affaire GREMEAU / DAIMLER CHRYSLER FRANCE dans les conclusions qu’elle avait déposées devant la cour d’appel de Paris désignée comme juridiction de renvoi à la suite d’un arrêt de la Cour de cassation du 28 Juin 2015 (Cass. com., 28 juin 2015, n°04-15279) en attirant l’attention de la cour sur le fait qu’une fois la condition préalable du seuil de 40 % de parts de marché satisfaite pour entrer dans la catégorie des accords de distribution sélective :

« l’article 1 g) du Règlement définit la distribution sélective quantitative sur la base d’une seule condition additionnelle, à savoir le fait que le fournisseur ait retenu pour agréer ses distributeurs des « critères qui limitent directement le nombre de ceux-ci », donc des critères quantitatifs.

L’article 1 g) du Règlement ne mentionne pas la nécessité pour le fournisseur (1) de définir des critères de sélection quantitatifs qui auraient un caractère objectif, ni (2) de définir également des critères objectifs d’ordre qualitatif, pour que son système de distribution puisse relever de la distribution sélective quantitative et donc bénéficier de l’exemption au titre du Règlement dans les conditions prévues par ce dernier.

La distribution sélective quantitative se distingue ainsi clairement de la distribution sélective qualitative, qui suppose à la fois que le fournisseur ait retenu des critères « purement » qualitatifs et que ces critères soient objectifs, c’est-à-dire « requis par la nature des biens ou des services contractuels. »

En ce qui concerne cette dernière condition, la Commission considère qu’un critère objectif est un critère indispensable pour la distribution optimale des produits, compte tenu de la nature de ceux-ci. Un tel critère doit donc correspondre à une réalité et à une rationalité économique et non au simple choix subjectif du fournisseur.

S’agissant en revanche d’un système de distribution sélective quantitative, la question de savoir si et comment le fournisseur a également défini des critères qualitatifs et/ou quantitatifs objectifs, n’est pas pertinente pour statuer sur la question du bénéfice éventuel d’une exemption au titre du Règlement.

Dans le contexte d’un litige portant sur un système de distribution présenté comme relevant de la distribution sélective quantitative, le contrôle exercé par le juge ne devrait pas aller au-delà de la vérification de la présence dans les accords de ce contenu minimum dont il a été question plus haut, d’une interdiction de revente à des distributeurs non agréés et de critères qui limitent directement le nombre de distributeurs. »

A rapprocher : CJUE, 14 juin 2012, aff. C-158/11, Auto 24 / Jaguar Land Rover France ; Cass. com., 28 juin 2015, n°04-15279 ; Cass. com., 15 janvier 2013, n°10-12734

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