Conditions de validité de la clause de non-concurrence post contractuelle

CA Paris, 3 octobre 2018, n°16/11454

Une clause de non-concurrence post-contractuelle contenue dans un contrat de franchise est justifiée par la protection des intérêts légitimes du franchiseur et ne porte pas une atteinte excessive à la liberté du franchisé dès lors que, limitée quant à l’activité, l’espace et le lieu qu’elle vise, elle n’empêche pas le débiteur d’exercer toute activité professionnelle.

La société C., venant aux droits des sociétés P. et I., exploite un réseau de points de vente de cuisines. Les sociétés E., dirigées par M. D., sont exploitées sous l’enseigne de la société C. En 2011, sept contrats de franchise ont été conclus entre ces sociétés et sont arrivés à terme en 2015. Des clauses de non-concurrence et de non-réaffiliation ont été insérées au sein de ces contrats, produisant leurs effets, d’une part, pendant la durée des contrats, et d’autre part, post-contractuellement.

Il était également prévu par avenants à l’ensemble des contrats que la clause de non-concurrence ne trouverait pas à s’appliquer durant l’exécution du contrat aux enseignes et sociétés existantes qui seraient exploitées par le franchisé au jour de la signature du contrat de franchise. En février 2015, les franchiseurs ont pris acte de la volonté des franchisés de ne pas renouveler les relations contractuelles au-delà du terme prévu, à savoir le 31 décembre 2015. A ce titre, les franchiseurs ont rappelé aux franchisés le nécessaire respect des clauses de non-concurrence et de non-réaffiliation post-contractuelles.

Par exploit d’huissier en date du 7 décembre 2015, le gérant des sociétés franchisées a assigné les franchiseurs aux fins de :

  • contester la validité des clauses de non-concurrence et de non-réaffiliation prévues dans les contrats de franchise,
  • obtenir la nullité des clauses litigieuses sur le fondement du caractère disproportionné de celles-ci.

Dans l’attente du délibéré, les sociétés franchisées ont poursuivi leur activité de vente de cuisines sous une enseigne concurrente, au mépris des clauses de non-concurrence.

Par jugement du 18 mai 2016, le tribunal de commerce de Paris a :

  • débouté les sociétés franchisées de leur demande de nullité des clauses de non-concurrence dans les sept contrats de franchise en cause,
  • déclarées nulles les clauses de non-réaffiliation insérées dans les sept contrats de franchise en cause.

Relevant appel de ce jugement, les sociétés franchisées demandaient à la Cour d’appel de Paris de constater le caractère disproportionné des clauses de non-concurrence et de non-réaffiliation imposées par les franchiseurs.

Partant, il lui était demandé :

  • d’annuler les clauses de non-concurrence prévues dans les sept contrats,
  • d’annuler les clauses de non-réaffiliation prévues dans les sept contrats.

Afin de déterminer si les clauses litigieuses doivent être annulées, la Cour d’appel va dans un premier temps rappeler les conditions de validité d’une clause de non-concurrence, avant de vérifier point par point si ces critères sont réunis, et terminer par l’examen de la validité des clauses de non-réaffiliation.

S’agissant tout d’abord des conditions de validité de la clause de non-concurrence post-contractuelle, la Cour d’appel de Paris rappelle que cette clause doit être justifiée par la protection des intérêts légitimes de son créancier et ne pas porter une atteinte excessive à la liberté de son débiteur ; en effet, une telle clause portant atteinte au principe de la liberté du commerce, outre la nécessité d’être proportionnée, elle se doit d’être limitée quant à l’activité, l’espace, et la durée qu’elle vise (CA Orléans, 22 mars 2018, n°17/00326 ; CA Bourges, 2 mai 2013, n°12/00818).

S’agissant de l’objet, les sociétés franchisées contestent le fait que les clauses soient limitées quant à l’activité concernée, dès lors qu’était visée « toute activité similaire en tout ou partie ». Selon les appelantes, une telle imprécision ne permettrait pas de définir les contours de l’application de la clause, offrant ainsi la possibilité au franchiseur de l’interpréter à son bon vouloir. En réponse, les intimées apportent des précisions de définition quant aux notions d’ « activité similaire » et de « en tout ou partie », contestant ainsi le caractère imprécis et ambigu de la clause de non-concurrence.

La Cour d’appel retient que l’objet de l’interdiction (« s’intéresser à une activité similaire en tout ou partie à celle du franchiseur ») signifie que si l’ancien franchisé exerce une activité dont une partie seulement est similaire, et donc concurrente, à celle exercée précédemment, alors il tombe sous le coup de l’interdiction, pour cette activité seulement, même s’il exerce d’autres activités en même temps. Les clauses de non-concurrence visées sont donc bien limitées quant à leur objet.

S’agissant de l’espace, les sociétés franchisées soutiennent que l’appréciation du caractère proportionné de la clause doit se faire par son application concrète ; or, en l’espèce, le non renouvellement simultané de la totalité des contrats de franchise portait, selon les appelantes, une atteinte à la limitation de la clause de non-concurrence dans l’espace, étant précisé que celle-ci devait, selon elles, s’exprimer sur la totalité des points de ventes des sociétés appelantes.

En réponse, les franchiseurs se contentent de rappeler les termes de la clause, se limitant aux « locaux », de sorte que chacun des franchisés avait la possibilité d’exercer une activité concurrente dans d’autres locaux, réduisant ainsi au minimum la délimitation dans l’espace des clauses litigieuses. La Cour d’appel souligne le caractère indispensable de la non-concurrence dans les mêmes locaux afin d’éviter toute confusion entre les enseignes postérieurement au terme du contrat de franchise. En outre, la limitation en l’espèce contraint simplement le franchisé à déplacer le siège de son activité, au moins temporairement.

S’agissant de la durée, bien que les sociétés franchisées ne contestent pas ce critère, les franchiseurs soulignent la limitation à un an à compter du terme du contrat. Une telle durée est en conformité avec la pratique, que la jurisprudence juge proportionnée.

Enfin, sur la question de la légitimité des clauses de non-concurrence, les franchisés considèrent que ces clauses ne sont pas indispensables à la protection du savoir-faire, dès lors que celui-ci est suffisamment protégé par la clause de confidentialité. Ecartant ce grief, la Cour d’appel de Paris souligne la distinction entre l’objet d’une clause de confidentialité et celui d’une clause de non-concurrence, la première visant à préserver le caractère secret du savoir-faire, tandis que la seconde vise à interdire l’exploitation de ce savoir-faire.

La Cour d’appel en conclut que les clauses de non-concurrence sont justifiées par la protection des intérêts légitimes des deux franchiseurs, et ne portent donc pas une atteinte excessive à la liberté des franchisés. En outre, les clauses litigieuses étant limitées quant à l’activité, l’espace et le lieu qu’elles visent, les franchisés ne sauraient prétendre être empêchés d’exercer toute activité professionnelle. Ce faisant, au visa des articles 1134 du Code civil et L. 341-2 du Code de commerce, la Cour d’appel de Paris confirme le jugement rendu le 18 mai 2016 par le tribunal de commerce de Paris en ce qu’il a rejeté les demandes d’annulation des clauses de non-concurrence.

S’agissant ensuite de la validité de la clause de non-réaffiliation, les appelantes soutiennent qu’elles sont « particulièrement étendues géographiquement », celles-ci trouvant à s’appliquer sur l’ensemble du territoire français.

Elles en concluent que les clauses litigieuses sont manifestement disproportionnées. En réponse, les intimées concluent par référence aux critères applicables aux clauses de non-concurrence, considérant ainsi que les clauses de non-réaffiliation sont « justifiées et proportionnées ».

Sur ce point, la Cour d’appel de Paris rappelle qu’à la différence d’une clause de non-concurrence, la clause de non-réaffiliation restreint moins la liberté commerciale du franchisé, dès lors qu’elle se contente de lui interdire l’affiliation à un réseau concurrent ; a contrario, le franchisé peut exercer une activité concurrente sous son propre nom ou sa propre enseigne. En outre, la Cour d’appel de Paris prend le soin de préciser qu’à l’instar de la clause de non-concurrence, la clause de non-réaffiliation ne doit pas « porter une atteinte disproportionnée aux intérêts du débiteur, outrepassant la nécessaire protection du savoir-faire du créancier ».

Par conséquent, les clauses litigieuses interdisant en l’espèce les franchisés de s’affilier à un réseau concurrent sur l’ensemble du territoire de France métropolitaine, elles s’en trouvaient insuffisamment limitées dans l’espace.

Ce faisant, le caractère disproportionné des clauses étant établi, la Cour d’appel confirme le jugement entrepris en ce qu’il les a déclarées nulles.

A rapprocher : S. Richard, Tour d’horizon sur les clauses de non-concurrence et de non-affiliation post-contractuelles, Juin 2009 ; v. aussi, F.-L. Simon, Clauses de durée et poursuite des relations commerciales dans les contrats de distribution

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