Caractérisation du déséquilibre significatif de l’article L.442-6, I, 2° du code de commerce

CA Paris, 11 octobre 2017, n°15/03313

Par l’arrêt commenté, la Cour d’appel de Paris reprend méthodiquement les conditions d’appréciation du déséquilibre significatif développées de façon continue depuis l’introduction de cette notion dans le code de commerce.

Ce qu’il faut retenir : Par l’arrêt commenté, la Cour d’appel de Paris reprend méthodiquement les conditions d’appréciation du déséquilibre significatif développées de façon continue depuis l’introduction de cette notion dans le code de commerce.

Pour approfondir : La société X, société spécialisée dans la fabrication et le commerce d’équipements de bureau, distribue ses produits et services au travers d’un réseau de concessionnaires X, qui achètent et revendent exclusivement ces produits.

Le contrat de concession X prévoyait notamment que le concessionnaire concluait un contrat d’entretien directement avec le client-utilisateur et sous‐traitait la maintenance à la société X selon des contrats de sous‐traitance de maintenance dits « PagePack » ou « eClick ».

Le contrat de maintenance X, dans sa version en vigueur jusqu’en 2013, prévoyait en son article 12.1 que « lorsque l’Equipement est compatible avec les Outils de Relevé Compteur, le Revendeur doit s’assurer que l’Outil de Relevé Compteur prescrit par [la société X] est installé et fonctionnel en permanence dans les locaux du client ». En janvier 2013, la société X y ajoutait unilatéralement les termes suivants : « à défaut, [la société X] pourrait facturer au Revendeur des frais dans les conditions spécifiées sur le Portail Partenaire ».

Ce dernier ajout a fait l’objet d’une contestation par les concessionnaires. Par jugement en date du 26 janvier 2015, le Tribunal de commerce de Paris a, notamment, donné droit à la prétention et « déclaré sans effet » la clause 12.1 des contrats de maintenance ayant été conclus avec les concessionnaires X.

La décision commentée ici fait suite à l’appel relevé par la société X dudit jugement.

  • A titre préalable, qualification de la clause litigieuse

Préalablement à toute analyse du déséquilibre significatif causé par la clause litigieuse, l’arrêt rendu le 11 octobre 2017 apporte des précisions sur la qualification de « modification tarifaire ».

En effet, la clause 12.1 du contrat de maintenance la société X ne peut être assimilée selon la Cour, à une modification tarifaire, mais doit s’entendre comme la sanction du concessionnaire pour une absence de connexion de ses équipements d’impression au logiciel de comptage. Cette conclusion par la Cour d’appel est tirée de plusieurs éléments :

  • la référence est faite à des « frais » et non à une base tarifaire ;
  • contrairement au prix des prestations, ces frais ne sont pas calculés sur la base du volume de pages copiées et ne correspondent donc pas à l’exécution d’une prestation ;
  • enfin, si l’augmentation des tarifs peut être reportée sur le client final, tel n’est pas le cas de l’application de ces frais, qui est imprévisible.

Ainsi, les dispositions de la clause 12.1 doivent être qualifiées de « sanction » et non de « modification tarifaire ».

Or, si la modification unilatérale des prix par la société X était autorisée contractuellement, l’imposition unilatérale d’une nouvelle sanction ne l’était pas et nécessitait donc l’accord des concessionnaires pour être ajoutée au contrat.

Par suite, la décision commentée ici est remarquable autant par la sanction que la Cour a retenue à l’encontre de l’article 12.1 des contrats de maintenance (la nullité), que par l’application méthodique et didactique faite par la Cour des conditions d’appréciation du déséquilibre significatif, lesquelles sont développées en jurisprudence depuis l’insertion par la loi LME, il y a près de dix ans, à l’article L.442-6, I, 2° du code de commerce, d’un mécanisme visant à sanctionner les clauses abusives dans les contrats conclus entre professionnels, partenaires commerciaux.

La Cour d’appel de Paris reprend ici, une par une, les conditions permettant d’apprécier le caractère déséquilibré d’une clause.

  • L’existence d’un rapport de soumission

La Cour d’appel de Paris apporte plusieurs précisions sur les modalités d’appréciation du rapport de force, et plus précisément, de l’existence ou non d’une soumission de l’une des parties.

Elle tire l’existence de ce rapport de force, défavorable aux concessionnaires, de plusieurs facteurs.

D’abord, elle relève que la société X a imposé à ses partenaires commerciaux des contrats d’adhésion qui, par définition sont caractérisés par l’absence de négociations entre les parties. Cela ressort d’ailleurs de la définition des contrats d’adhésion, telle qu’inscrite désormais à l’article 1110 du Code civil issu de l’ordonnance n°2016-131 entrée en vigueur le 1er octobre 2016. Or, si le contrat d’adhésion, en soi, n’implique pas le rapport de soumission, il peut en être un indice (CA Paris, 19 avr. 2017, n°15/24221).

En l’espèce, la Cour constate que malgré le nombre de concessionnaires, ceux-ci n’ont pu, même unis, parvenir à négocier avec la société X en amont de l’action judiciaire. Toutes les tentatives des concessionnaires de négocier la clause litigieuse sont restées sans suite.

Ainsi, le premier élément nécessaire à l’application de l’article L.442-6, I, 2° du code de commerce est rempli : « l’élément de soumission de l’article L.442-6, I, 2° du code de commerce est caractérisé » (voir aussi, Cass. com., 26 avr. 2017, n°15-27865).

Néanmoins, la Cour souligne que même dans ce cadre, « il incombe (…) à la partie qui invoque l’existence d’un déséquilibre significatif de rapporter la preuve qu’elle a été soumise, du fait du rapport de force existant, à des obligations injustifiées et non réciproques ».

  • L’absence de réciprocité ou la disproportion entre les obligations des parties

« L’absence de réciprocité des droits et obligations ou la disproportion entre les obligations des parties doit également être établie par les concessionnaires ».

La Cour analyse le déséquilibre entre droits et obligations des parties in concreto, selon les faits de l’espèce.

Ainsi, elle reprend les termes et les implications de la clause litigieuse pour chacune des parties. Elle relève ainsi que ladite clause s’applique de façon systématique, sans possibilité effective de contrôle de la part des concessionnaires, pour toute défaillance de connexion, même dont le concessionnaire lui-même ne serait pas responsable.

Elle en déduit ainsi qu’« en conséquence, cette clause crée des rapports disproportionnés entre les parties, étant sans compensation car la société X ne supporte aucune contrepartie à cette obligation et aux frais correspondant imposés aux concessionnaires.

Cette clause crée donc un déséquilibre en faveur des concessionnaires ».

  • Appréciation selon l’économie générale du contrat

La Cour, enfin, ne conclut à l’existence du déséquilibre significatif que parce que la clause litigieuse n’est pas compensée par ailleurs, au regard de l’économie générale des contrats. En effet, le déséquilibre doit être apprécié de façon globale (voir Cass. com., 3 mars 2015, n°13-27.525 ; Cass. com., 27 mai 2015, n°14-11.387, et notre commentaire), la charge de la preuve de l’équilibre général du contrat, qui permettrait de compenser le caractère déséquilibré de la clause litigieuse, pesant ici sur la société X.

Reprenant les différentes conditions de l’application des dispositions de l’article L.442-6, I, 2° du code de commerce, la Cour d’appel de Paris inscrit ici sa décision dans la continuité des décisions rendues en 2016-2017 (voir notre Panorama de jurisprudence 2016-2017) et retient la nullité de la clause litigieuse sur ce fondement.

  • Sur la sanction du déséquilibre significatif

Si la nullité de la clause ne peut ici, selon la Cour, être recherchée avec succès ni sur le fondement des vices du consentement – les contrats incluant la clause litigieuse ayant été formellement acceptés par les concessionnaires et ayant été renouvelés – ni sur le terrain du défaut d’objet de la clause – celle-ci n’impliquant pour les concessionnaires aucune impossibilité matérielle de faire exécuter l’obligation qu’instituait la clause –, le terrain offert par l’article L.442-6, I, 2° du code de commerce semble lui, emporter selon la décision, la nullité de la clause « au titre des pratiques restrictives ».

Pour rappel, le texte de l’article L.442-6, I, 2° du code de commerce prévoit simplement que l’auteur de la soumission, ou tentative de soumission, incriminée « engage sa responsabilité » à l’égard de la victime.

L’article L442-6, III du code de commerce prévoit bien la possibilité de faire constater la nullité d’une clause illicite, mais réserve cette action exclusivement au ministre de l’économie et au ministère public (« Ils [le ministre chargé de l’économie et le ministère public] peuvent aussi, pour toutes ces pratiques, faire constater la nullité des clauses ou contrats illicites et demander la répétition de l’indu »).

Le plus fréquemment, il apparaît que les juges, faisant une application orthodoxe des termes de l’article L.442-6, I, 2° du code de commerce n’octroient que des dommages et intérêts au partenaire commercial qui subit le déséquilibre (voir par exemple, CA Paris, 18 mai 2016, RG n°14/12584 ; CA Paris, 6 sept. 2016, RG n°15/21026 ; CA Toulouse, 28 juin 2017, RG n°16/02093 ; CA Rennes, 4 juill. 2017, RG n°15/02244).

D’autres décisions, témoignant du caractère hésitant de la jurisprudence sur le sujet, ont cependant retenu la possibilité pour le juge, hors la présence du ministre de l’économie et/ou du ministère public, de constater, purement et simplement, la nullité de la clause litigieuse (CA Paris, 29 oct. 2014, n°13/11059 ; CA Paris, 22 févr. 2017, n°16/17924). 

En l’espèce, l’arrêt du 11 octobre 2017 est, sur ce point, expéditif : « En conséquence, l’article 12.1 des conditions générales (…) crée un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties ; il y a donc lieu de prononcer la nullité de cette clause et de déclarer les factures, émises (…) sur la base de cette clause, inopposables aux concessionnaires ».

Alors que le Tribunal de commerce de Paris, en première instance, avait décidé de « déclar[er] sans effet la clause » dont les termes avaient été jugés ambigus, la Cour d’appel de Paris en prononce la nullité, sur le fondement du déséquilibre significatif.

Désormais, il semble donc que demander l’annulation de la clause ne soit plus seulement une prérogative du ministre de l’économie et du ministère public.

En tout état de cause, on ne pourra que regretter l’interprétation très extensive que fait ici la Cour d’appel de Paris – dont on rappelle qu’il s’agit de la seule juridiction d’appel compétente pour connaître de l’article L.442-6 du code de commerce – d’un dispositif sanctionné par une (lourde) amende civile.

A rapprocher : Déséquilibre significatif – Article 442-6, I, 2° du code de commerce – Panorama de jurisprudence 2016 – 2017  ; Tour d’horizon sur le déséquilibre significatif

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