Un nouveau frein au déséquilibre significatif : la notion de partenaire commercial

TOUSSAINT-DAVID Gaëlle

Avocat

CA Paris, 27 septembre 2017, n°16/00671

Le contentieux du déséquilibre significatif pourrait se réduire substantiellement selon la jurisprudence récente de la Cour d’appel de Paris, qui restreint son application par une définition stricte de la qualité de « partenaire commercial ».

Ce qu’il faut retenir : Le contentieux du déséquilibre significatif pourrait se réduire substantiellement selon la jurisprudence récente de la Cour d’appel de Paris, qui restreint son application par une définition stricte de la qualité de « partenaire commercial ».

Pour approfondir : Le contentieux issu de l’article L.442-6 du code de commerce engorge les juridictions spécialisées, notamment ceux relatifs à la rupture brutale des relations commerciales établies et au déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties, visé à l’article L.442-6, I., 2° du commerce de commerce.

En réaction, s’amorce depuis quelques temps déjà, un resserrement progressif des conditions permettant à la partie se prétendant victime d’une de ces pratiques restrictives de concurrence ou au Ministre de l’économie, d’obtenir la condamnation de l’auteur présumé de ladite pratique.

Dans la droite ligne de ce mouvement, la Cour d’appel de Paris a rendu le 27 septembre 2017 un arrêt méritant une attention toute particulière, par lequel elle exclut du champ d’application du texte :

    • les relations commerciales qui ne correspondraient pas à la notion de partenariat commercial (que la Cour d’appel de Paris définit restrictivement dans sa décision) ;
    • les activités de services bancaires et financiers.
  • Le resserrement lié à la définition stricte de la notion de « partenaire commercial »

L’apport le plus significatif de l’arrêt commenté est l’énoncé d’une définition restrictive de la notion de « partenaire commercial », qui constitue l’essentiel de notre commentaire.

On rappellera en effet que l’article L.442-6, I, 2° du code de commerce relatif au déséquilibre significatif s’applique exclusivement aux pratiques ayant lieu entre partenaires commerciaux (« 2° De soumettre ou de tenter de soumettre un partenaire commercial à des obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties »).

Tel est également le cas de l’article L.442-6, I., 1° relatif à l’avantage sans contrepartie ou manifestement disproportionné au regard de la valeur du service rendu, ainsi que du récent article L.442-6, I., 13° interdisant les pénalités pour retard de livraison en cas de force majeure, dont l’application pourrait donc être impactée par la décision commentée.

L’affaire en cause, qui impliquait plusieurs entreprises, portait notamment sur des relations entre une société proposant à des professionnels la création de sites Internet dans le cadre d’un contrat de plusieurs mois (12 ou 48 mois selon les professionnels parties à l’instance), des clients professionnels et des sociétés proposant des services bancaires et financiers.

En premier lieu, la Cour d’appel de Paris motive sa volonté de retenir une acception étroite de la notion de « partenaire commercial ».

Elle rappelle à ce titre que cette notion doit être appréhendée suivant le principe d’interprétation stricte dès lors que son régime juridique lui associe des amendes civiles notablement élevées : « Les deux [premiers] alinéas [de l’article L.442-6, I. du code de commerce] mentionnent la notion de « partenaire commercial ». S’agissant de délits civils qui peuvent être sanctionnés par des amendes civiles élevées, le principe d’interprétation stricte doit prévaloir ».

En second lieu et surtout, la Cour d’appel de Paris propose une définition de la notion de « partenaire commercial », en retenant que : « Un partenaire se définit comme le professionnel avec lequel une entreprise commerciale entretient des relations commerciales pour conduire une activité quelconque, ce qui suppose une volonté commune et réciproque d’effectuer de concert des actes ensemble dans des activités de production, de distribution ou de services, par opposition à la notion plus large d’agent économique ou plus étroite de cocontractant. »

La distinction entre la notion de « partenaire commercial » et celles d’ « agent économique » ou de « cocontractant » ne va pas de soi. Tentons alors d’extraire de cette décision les critères propres à caractériser, la notion de « partenaire commercial ». L’arrêt commenté permet de distinguer les critères qui seraient « indifférents » à la qualification de partenaire commercial, des critères « positifs » qui aboutiraient à cette qualification.

  • Critères « indifférents »

Deux critères « indifférents » se dégagent de l’arrêt commenté.

    • L’existence d’un contrat écrit : Selon la Cour d’appel de Paris, conformément à une jurisprudence établie, l’existence d’un contrat écrit n’est pas une condition caractéristique de la notion de « partenaire commercial » :

« Il ressort de ce qui précède que deux entités deviennent partenaires, soit par la signature d’un contrat de partenariat, soit parce que leur comportement traduit la volonté de développer des relations stables et établies dans le respect des règles relatives à la concurrence pour coopérer autour d’un projet commun » (Nous soulignons).

    • Le caractère indissociable des contrats : la Cour d’appel de Paris indique que l’existence d’une indissociabilité entre plusieurs contrats (écrits ou non) demeure un critère indifférent à la notion de « partenaire commercial ».
  • Critères « positifs »

Pour ce qui concerne les critères « positifs », l’arrêt commenté retient davantage encore l’attention.

Il évoque tout d’abord la notion de contrat de partenariat.

Un tel contrat n’est pas défini par la loi ; l’arrêt commenté indique tout au plus : « Le contrat de partenariat formalise, entre autre, la volonté des parties de construire une relation suivie. Cette notion implique un examen concret de la relation entre les parties et de l’objet du contrat ».

 Il évoque ensuite le comportement des parties, lorsque celui-ci « traduit la volonté de développer des relations stables et établies dans le respect des règles relatives à la concurrence pour coopérer autour d’un projet commun » (Nous soulignons).

Ainsi, l’arrêt commenté vise deux critères positifs.

La durée (du contrat ou de la relation) constitue un premier critère positif, ce que l’arrêt commenté exprime en évoquant successivement l’existence d’une « relation suivie » (pour ce qui concerne le contrat de partenariat) ou de « relations stables et établies » (pour ce qui concerne le comportement des parties).

De même, la volonté commune des parties d’inscrire les relations dans la durée constitue également un critère positif, ce que l’arrêt commenté exprime en se rapportant à la « volonté des parties », tant pour désigner le contrat de partenariat que pour désigner comportement des parties.

Pour autant, le cumul de ces deux critères « positifs » peut ne pas suffire.

On notera à ce titre que l’arrêt commenté a rejeté la qualification de relation suivie au contrat en cause, alors que, d’une part, la durée initiale du contrat en cause était de 48 mois et que, d’autre part, ce contrat devait se renouveler par tacite reconduction.

Ainsi, la Cour d’appel de Paris a considéré qu’en l’espèce, les contrats de location portaient sur des opérations ponctuelles à objet et durée limités, n’engendrant aucun courant d’affaires stable et continu entre les parties et qu’il n’existait aucune réciprocité autour d’un projet commun réunissant les cocontractants.

Elle infère notamment cette absence de réciprocité ou d’accord autour d’un « projet commun » du fait que le client n’avait comme seule obligation substantielle, que celle de payer la prestation fournie par son cocontractant.

Ce point de l’argumentation de la Cour d’appel de Paris attire particulièrement l’attention, dans la mesure où ce schéma est en pratique le plus répandu dans les contrats de fourniture de produits ou de services dans les relations d’affaires simples.

Une large part des contrats conclus entre professionnels pourraient dès lors être exclus du champ d’application de l’interdiction du déséquilibre significatif, si la position de la cour d’appel était confirmée, reléguant ce contentieux aux relations commerciales complexes, telles que celles du secteur de la grande distribution.

Il convient désormais d’attendre une confirmation – ou infirmation – de la Cour de cassation sur la notion de « partenaire commercial », pour connaître le sort de cette réduction du champ d’application de l’interdiction du déséquilibre significatif, dont l’impact peut s’avérer déterminant à la fois sur le volume du futur contentieux du déséquilibre significatif et sur la régulation des pratiques commerciales.

  • L’exclusion des activités relevant du code monétaire et financier

Considérant que la loi spéciale l’emporte sur la loi générale, la Cour d’appel de Paris exclut par ailleurs du champ d’application de la réglementation relative au déséquilibre significatif l’ensemble des activités relevant des dispositions spécifiques du code monétaire et financier.

Selon la Cour d’appel de Paris, le législateur a fait le choix de soumettre ces activités à l’interdiction des pratiques anticoncurrentielles par une disposition expresse du code monétaire et financier (article L.511-4), mais n’a pas prévu d’extension équivalente pour les pratiques restrictives de concurrence, qui restent donc à ce jour inapplicables aux activités bancaires et de services financiers.

Sur ce point, la position de la Cour de cassation ne s’est pas fait attendre. Dans le contentieux voisin de la rupture des relations commerciales établies, la haute juridiction vient en effet de confirmer que « les dispositions de l’article L. 442-6, I, 5° du code de commerce relatives à la responsabilité encourue pour rupture brutale d’une relation commerciale établie ne s’appliquent pas à la rupture ou au non-renouvellement de crédits consentis par un établissement de crédit à une entreprise, opérations exclusivement régies par les dispositions du code monétaire et financier » (Cass. com., 25 oct. 2017, n°16-16-839, Publié au Bulletin).

A rapprocher : Cass. com., 25 oct. 2017, n°16-16.839, Publié au Bulletin

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