La vente d’ordinateurs avec logiciels pré-installés – Cass. civ. 1ère, 12 juill. 2012, pourvoi n°11-18.807

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SIMON François-Luc

Avocat Associé-Gérant - Docteur en droit

La vente d’ordinateurs avec logiciels pré-installés constitue t-elle une pratique illicite au regard du droit de la consommation ? Cette question a fait l’objet de nombreuses décisions…

La vente d’ordinateurs avec logiciels pré-installés constitue-t-elle une pratique illicite au regard du droit de la consommation ?

Le débat n’est pas nouveau et a fait l’objet de nombreuses décisions, sans que la jurisprudence ne parvienne cependant à se mettre d’accord.

Ce type de vente a ainsi été poursuivi sur le terrain des ventes liées ou subordonnées, sanctionnées par l’article L. 122-1 du Code de la consommation qui interdit de « subordonner la vente d’un produit à l’achat d’une quantité imposée ou à l’achat concomitant d’un autre produit ou d’un autre service ».

Mais cette interdiction générale a été jugée incompatible avec le droit communautaire (CJCE, 23 avril 2009, aff. jointes n° C-261/07 et C-299/07, Total Belgium NV et Galatea BVBA c/ Sanoma Magazines  Belgium NV, la CJCE ayant considéré qu’une disposition de droit belge fixant une interdiction de principe de toute offre conjointe était incompatible avec les dispositions de la Directive n° 2005/29 relative aux pratiques commerciales déloyales) et la vente liée est désormais interdite uniquement lorsqu’elle constitue une pratique commerciale déloyale, voire trompeuse, et peut donc dans ce cas être poursuivie sur le terrain des articles L. 120-1 et L. 121-1 du Code de la consommation (les pratiques commerciales trompeuses définies par l’article L. 121-1 du Code de la consommation constituant notamment une pratique commerciale déloyale).

Ainsi, dans un arrêt remarqué rendu le 12 juillet dernier (Civ. 1ère, 12 juillet 2012, n° 11-18.807), la Première Chambre civile de la Cour de cassation a cassé l’arrêt rendu le 5 mai 2011 par la Cour d’appel de Versailles (CA Versailles, 5 mai 2011, n° 09/09169) qui avait considéré que la vente d’un ordinateur avec logiciels pré-installés constituait une pratique commerciale déloyale (I), ce que la Cour de cassation a refusé (II) ; l’arrêt rendu par la Cour Suprême, qui fait suite à une décision rendue le 6 octobre 2011 par la même formation mais dans une autre affaire (Civ. 1ère, 6 octobre 2011, n° 10-10.800), semble ainsi apporter de nouvelles précisions dans ce domaine (III).

I – La vente d’un ordinateur avec logiciels pré-installés : une pratique commerciale déloyale

Selon l’article L. 120-1 du Code de la consommation :

« une pratique commerciale est déloyale lorsqu’elle est contraire aux exigences de la diligence professionnelle et qu’elle altère, ou est susceptible d’altérer de manière substantielle, le comportement économique du consommateur normalement informé et raisonnablement attentif et avisé, à l’égard d’un bien ou d’un service ».

Les juges du fond ont ainsi pu considérer que ces conditions étaient remplies s’agissant de la vente par internet, par la société HP, d’ordinateurs pré-équipés d’un système d’exploitation.

  • Une pratique contraire aux exigences de la diligence professionnelle.

Le fait de vendre des ordinateurs sans préciser le prix des logiciels les composant et sans offrir aux consommateurs la possibilité d’acquérir l’ordinateur « nu » (sans logiciels pré-installés) moyennant une déduction du prix correspondant au montant des logiciels non acquis est une pratique contraire aux exigences de la diligence professionnelle.

En effet, une telle pratique a pour effet de priver le consommateur d’exercer un réel choix dans la mesure où il peut seulement accepter ou refuser la licence, mais doit dans ce cas retourner l’ensemble du produit et exposer des frais de retour.

Or, il n’existe aucun obstacle technique à l’absence de proposition sans pré-installation.

Enfin, sur le site destiné au grand public, le consommateur, d’une part, n’est pas averti de la possibilité d’acquérir l’ordinateur sans système d’exploitation, et d’autre part, ne possède aucune information sur le prix des composants de l’ordinateur.

  • Une pratique altérant, ou susceptible d’altérer,  le comportement économique du consommateur normalement informé et raisonnablement attentif et avisé.

Les informations portant sur la valeur des éléments composant l’offre de vente avec pré-installation concerne des éléments substantiels, à savoir le prix des logiciels.

Ainsi, le fait de ne pas informer le consommateur sur ces composants influe sur le choix de ce dernier, lequel ne peut en effet pas faire de comparaisons avec d’autres propositions concernant l’ordinateur « nu » ou les logiciels.

En raison de ce manque de précisions, le consommateur peut ainsi être poussé à prendre une décision qu’il n’aurait pas prise s’il avait notamment eu connaissance de la valeur de tous les éléments composant l’offre qui lui était faite.

Une telle pratique altère donc le comportement économique du consommateur.

Les juges du fond constatant ainsi l’existence d’une pratique commerciale déloyale avaient enjoint au distributeur d’indiquer le prix des logiciels pré-installés sur les ordinateurs et ordonné la cessation de la vente d’ordinateurs pré-équipés de logiciels sans offrir aux consommateurs la faculté d’y renoncer.

II – La vente d’un ordinateur avec logiciels pré-installés : une pratique licite (Cass. civ. 1ère, 12 juillet 2012)

La première civile de la Cour de cassation, dans l’arrêt rendu le 12 juillet 2012, a cassé la décision rendue par la Cour d’appel de Versailles le 5 mai 2011, relevant simplement le fait que :

« le consommateur pouvait en s’orientant sur le site dédié aux professionnels trouver des ordinateurs « nus », mais que l’installation d’un système d’exploitation libre restait une démarche délicate dont elle ne pouvait pas garantir la réussite ».

Ainsi, selon la Cour de cassation, il convient de tenir compte de l’offre commerciale globale du distributeur et considérer que, dès lors que ce dernier peut avoir facilement accès à la possibilité d’acquérir un ordinateur sans système d’exploitation, et dispose ainsi d’une alternative, la qualification de pratique commerciale déloyale n’a dans ce cas pas lieu d’être retenue.

III – Les apports de la décision

L’arrêt rendu par la Cour de cassation le 12 juillet 2012 semble compléter la décision rendue par la Cour Suprême le 6 octobre 2011, ces décisions ayant été rendues dans des contextes différents.

Dans l’arrêt rendu le 6 octobre 2011, dans lequel était mise en cause la société Darty, la Cour de cassation a considéré que les informations relatives aux caractéristiques principales d’un ordinateur équipé de logiciels et à son prix sont de celles que le vendeur professionnel doit fournir au consommateur moyen pour lui permettre de s’engager en connaissance de cause (Civ. 1ère, 6 octobre 2011, n° 10-10.800).

Ainsi, à la lumière des dernières décisions rendues par la Cour de cassation, il semblerait que le professionnel puisse proposer la vente d’ordinateur avec logiciels pré-installés, à condition que le consommateur dispose également, même indirectement (en se rendant sur un autre site), de la possibilité d’acquérir l’ordinateur nu et que le consommateur possède toutes les informations relatives aux caractéristiques principales de l’ordinateur et des logiciels. Cette dernière exigence n’a cependant pas été rappelée par la Cour de cassation dans l’arrêt du 12 juillet 2012.

Une distinction devrait donc être faite : lorsqu’un ordinateur est vendu par un simple revendeur, le consommateur devrait disposer d’une information complète sur les caractéristiques de l’ordinateur pré-équipé afin qu’il puisse exercer son choix en connaissance de cause ; en revanche, lorsque le matériel informatique est vendu en ligne par une société spécialisée en informatique, il est alors nécessaire que le consommateur soit informé de l’existence d’une alternative lui permettant d’acquérir l’ordinateur sans logiciel pré-installé.

Il peut dès lors paraître paradoxal d’exiger du simple revendeur qu’il fournisse des informations complètes sur les caractéristiques principales de l’ordinateur alors qu’une telle exigence n’est pas rappelée au revendeur spécialisé. Sans doute une telle distinction pourrait-elle s’expliquer en raison du public visé : le consommateur qui visite le site internet d’une société spécialisée serait plus averti que celui qui se rend dans une grande surface, lequel aurait donc besoin de davantage d’informations.

Il conviendra de vérifier lors des prochaines décisions qui seront rendues dans ce domaine si ce courant jurisprudentiel se confirme.


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