RFA et secret des affaires

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SIMON François-Luc

Avocat Associé-Gérant - Docteur en droit

Cass. com., 8 juin 2017, n°15-27.146

Lorsque le franchiseur est le mandataire du distributeur dans la négociation avec les fournisseurs, il ne peut lui être fait obligation de révéler la teneur des négociations qu’il a menées avec les fournisseurs qui relève du secret des affaires.

Ce qu’il faut retenir : Lorsque le franchiseur est le mandataire du distributeur dans la négociation avec les fournisseurs, il ne peut lui être fait obligation de révéler la teneur des négociations qu’il a menées avec les fournisseurs qui relève du secret des affaires.

 

Pour approfondir : La décision commentée est rendue sur le pourvoi formé par le franchisé contre un arrêt rendu par la Cour d’appel de Paris (CA Paris, 23 sept. 2015, n°12/22096). L’attendu formulé par la décision commentée a valeur de principe.

Il convient de revenir sur le contexte de l’affaire qui, relativement classique, confère à la décision commentée une portée importante. Le 5 décembre 2003, une société A… (ci-après « le franchiseur ») signe un contrat de franchise avec une société B… (ci-après « le franchisé ») pour l’exploitation d’un magasin. Conclu pour une durée de trois ans, ce contrat de franchise, qui a pris effet à la date de l’ouverture du magasin, arrive à échéance le 21 mars 2010. Le 5 décembre 2003 également, sont signées une convention d’enseigne et une convention de location de logiciel. Le franchisé  s’approvisionne en marchandises auprès des fournisseurs référencés par le franchiseur. Le 15 septembre 2009, le franchisé signifie au franchiseur sa décision de ne pas renouveler le contrat de franchise après le terme du 21 mars 2010. Le franchiseur s’adresse alors au franchisé pour obtenir le paiement de factures impayées au titre de redevances de franchise, de loyers de mise à disposition d’enseigne et de livraisons de marchandises. S’y ajoutent plusieurs factures de prestations et de marchandises, ainsi qu’une facture pour la régularisation de la publicité de l’année 2010. Le franchisé ne donne pas suite aux relances du franchiseur qui, le 9 mars 2010, prend acte du non renouvellement du contrat de franchise et met son franchisé en demeure de lui régler les sommes restant dues.

Faute de réaction, le franchiseur assigne le franchisé devant le Tribunal de commerce de Paris, qui le condamne à payer diverses sommes au franchiseur (Trib. com. Paris, 28 sept. 2012, n°2010/042915).

En cause d’appel, le franchisé réclame la condamnation du franchiseur à lui payer une somme de 40 K, correspondant aux sommes lui revenant, selon lui, après compensation des créances réciproques opposant les parties ; le franchisé fait valoir en effet que la créance du franchiseur doit provisoirement être ramenée à 180 K, tandis que le franchiseur reste débiteur à son égard des sommes de 140 K (au titre de RFA), 20 K (au titre d’une retenue de garantie) et 60 K (au titre de bonus).

Par ailleurs – et surtout –, le franchisé sollicite qu’il soit enjoint au franchiseur, sous astreinte de 500 € par jour passé un délai d’un mois à compter du jour où la décision prononcée lui serait notifiée, d’avoir à :

  • communiquer les justificatifs, sur la période courant du 30 avril 2007 jusqu’au mois de septembre 2010,
    • des différentes catégories de remises et rémunérations de toute sorte qu’elle a négociées avec ses fournisseurs, les justificatifs des sommes effectivement versées par les fournisseurs avec les modalités de calcul de celles-ci,
    • des modalités de répartition de celles-ci entre les franchisés,
    • de leur reversement intégral conformément aux clauses du contrat.
  • justifier, sur la même période :
    • l’intégration des bonus dans les remises de fin d’année,
    • en précisant comment ces bonus ont été calculés par le franchisé et en particulier pour le franchisé,
    • en précisant les modalités de calcul du reversement de ces bonus aux franchisés et particulièrement au franchisé,
    • en justifiant le reversement effectif de ces bonus aux franchisés et particulièrement au franchisé.

Le franchisé soutient :

  • que le franchiseur s’était engagé à lui reverser les RFA, selon un certain échéancier au fur et à mesure de leur exigibilité, et avait reconnu devoir ces RFA, de sorte qu’en refusant de les déduire, le franchiseur avait démontré son manque de loyauté,
  • que  le franchiseur n’avait pas indiqué les modalités de calcul de ces remises qui ne correspondent pas au chiffre d’affaires déclaré, et varient de surcroît selon les franchisés,
  • et qu’en refusant de communiquer ces pièces et en invoquant le secret des affaires, le franchiseur ne rend pas compte de sa mission, ainsi que doit le faire tout mandataire.

En réplique, le franchiseur fait valoir qu’au terme du contrat de franchise, le 21 mars 2010, les RFA de l’année 2009 n’étaient pas encore liquides, le premier versement de RFA devant intervenir au mois d’avril/mai de l’année n+1, le franchisé ne pouvant avoir perçu les RFA 2009 et 2010, en mars 2010 ; le franchiseur ajoute qu’au jour de la demande contentieuse, l’ensemble des RFA dues au franchisé avait été portées au crédit de son compte, conformément au calendrier prévu à l’article 6-8 du contrat de franchise, selon lequel : « La quote-part des ristournes remboursées au franchisé sera déterminée au prorata des achats effectués par le franchisé auprès de chacun des fournisseurs. Le franchisé s’engage à communiquer au franchiseur au plus tard dans le mois suivant l’expiration de l’année calendaire au titre de laquelle les ristournes sont dues, le montant des achats hors taxes effectués par lui au cours de ladite année auprès des fournisseurs référencés. [Le franchiseur] procédera au remboursement par chèque de la quote-part de ristournes revenant au franchisé au titre de l’année précédente dans les conditions suivantes : 50 % au plus tard le 30 avril, 25 % au plus tard le 30 juin et 25 % au plus tard le 30 septembre… ». Puis, répliquant aux prétentions du franchisé, le franchiseur indique qu’à l’intérieur d’un assortiment référencé, tous les produits ne sont pas « remisables », c’est-à-dire que les fournisseurs n’accordent pas des RFA sur l’ensemble de l’assortiment référencé, et que les remises sont plus conséquentes en présence de produits à marque de distributeur.

La Cour d’appel de Paris retient « que le calcul des ristournes n’a pas été déterminé contractuellement », puis ajoute que « s’il n’est pas contestable que le franchiseur est le mandataire du distributeur dans la négociation avec les fournisseurs et qu’il doit rendre compte de sa mission, il ne peut lui être fait obligation de révéler la teneur des négociations qu’il a menées avec les fournisseurs qui relève du secret des affaires alors qu’une telle obligation nuirait nécessairement au réseau ; qu’il lui incombe de faire connaître l’issue des négociations ; qu’il n’ y a pas lieu de faire droit à la demande de communication de pièces [du franchisé] ».

Pour ce qui concerne la question des RFA, le pourvoi formé par le franchisé fait essentiellement valoir :

« 1°/ que le franchiseur qui agit aussi en tant que centrale d’achat est tenu, en vertu de son devoir de loyauté contractuelle, de révéler au franchisé tous les éléments de nature à permettre au distributeur de vérifier qu’il a été effectivement rempli de ses droits à ristournes de fin d’année (RFA) ; qu’en refusant de condamner [le franchiseur] à justifier, pour la période d’avril 2007 à septembre 2010, des éléments ayant servi de base au calcul des RFA contractuellement [au franchisé], la cour d’appel a violé les articles 11 du Code de procédure civile et 1134 du Code civil » ;

« 2°/ que le secret des affaires ne peut être opposé au franchisé qui réclame au franchiseur la révélation des éléments – seulement connus de lui-ayant servi de base au calcul des RFA qui lui sont contractuellement dues ; qu’en ayant débouté [le franchisé] de sa demande tendant à ce que [le franchiseur] justifie des éléments ayant servi de base au calcul des RFA qui lui étaient contractuellement dues, la cour d’appel a violé les articles 11 du Code de procédure civile et 1134 du code civil » ;

« 3°/ que la centrale de référencement mandataire des distributeurs adhérents est tenue, dans le cadre de son devoir de rendre compte, de révéler au franchisé les éléments qui ont servi de base au reversement des RFA qui lui sont contractuellement dues ; qu’en ayant constaté que [le franchiseur] était tenu, en tant que mandataire du distributeur, de rendre compte et de faire connaître l’issue de ses négociations avec les fournisseurs, ce qu'(il) n’avait pas fait, sans en déduire qu’il y avait lieu de faire droit, soit à la demande de communication de pièces formée par [le franchisé], soit à sa demande en paiement des RFA évaluée par elle à hauteur de 139 157, 97 euros, la cour d’appel a violé les articles 11 du Code de procédure civile, 1134 et 1993 du Code civil » ;

« 4°/ que le franchiseur a le devoir de révéler au franchisé les éléments ayant servi de base au calcul des RFA qui lui sont contractuellement dues ; qu’en ayant refusé d’ordonner [au franchiseur] de communiquer les éléments réclamés par [le franchisé], au motif inopérant que le calcul des ristournes n’avait pas été déterminé contractuellement, la cour d’appel a violé les articles 11 du Code de procédure civile et 1134 du Code civil » ;

« 5°/ qu’il incombe à la centrale de référencement, débitrice des RFA dues aux distributeurs adhérents, de prouver qu’elle a rempli son obligation ; qu’en se bornant à rejeter la demande de communication de pièces présentée par [le franchisé], sans rechercher s’il n’y avait pas lieu de faire droit à sa demande en paiement des RFA à hauteur de 139 157, 97 euros, dès lors que [le franchiseur] ne voulait pas justifier des éléments ayant servi de base au reversement des RFA qui étaient contractuellement dues [au franchisé], la cour d’appel a violé les articles 1134 et 1315 du Code civil » ;

« 6°/ que les juges du fond doivent répondre à toutes les conclusions opérantes des parties ; qu’en ayant omis de répondre aux conclusions [du franchisé], ayant fait valoir qu’au titre des RFA 2009, [le franchiseur] avait retenu un chiffre d’affaires de 1 191 031 euros, quand [le franchisé] avait, quant à elle, déclaré un chiffre d’affaires de 1 232 375, 64 euros, la cour d’appel a violé les prescriptions de l’article 455 du Code de procédure civile ».

L’arrêt commenté répond en deux temps.

Il retient tout d’abord : « en premier lieu, qu’après avoir constaté que le mode de calcul des ristournes n’avait pas été déterminé par le contrat, l’arrêt relève que, même si [le franchiseur] a été le mandataire [du franchisé] dans la négociation avec les fournisseurs, il ne peut lui être imposé de révéler la teneur de ses négociations qui relève du secret des affaires, mais seulement d’en faire connaître l’issue au distributeur ; que la cour d’appel, qui a ainsi fait ressortir que la demande de production des éléments de preuve litigieux détenus par [le franchiseur] qui ne relevait pas de la nature du contrat ni de la loyauté contractuelle et n’était pas justifiée par un intérêt légitime, a pu retenir qu’il n’y avait pas lieu d’y faire droit ».

Incidemment, l’arrêt ajoute : « en second lieu, que la cour d’appel, qui n’a pas inversé la charge de la preuve, a répondu aux conclusions prétendument délaissées en rejetant la demande de production de pièces de la société [franchisée] après avoir relevé que les deux montants de chiffres d’affaires dont elle faisait état étaient distincts, l’un étant global tandis que l’autre concernait les seuls achats susceptibles de donner lieu à des remises ».

 

A rapprocher : CA Rennes, 3 juin 2008, n°07/02085

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