Cass. com., 8 décembre 2015, pourvoi n°14-18.228
La notification du lancement d’un appel d’offres par courriel vaut notification de la rupture commerciale et constitue le point de départ du préavis mais à la condition que l’intégrité de ce message électronique et, plus largement, celle de sa copie informatique par capture d’écran, ne puissent être mises en cause.
Ce qu’il faut retenir : La notification du lancement d’un appel d’offres par courriel vaut notification de la rupture commerciale et constitue le point de départ du préavis mais à la condition que l’intégrité de ce message électronique et, plus largement, celle de sa copie informatique par capture d’écran, ne puissent être mises en cause.
Pour approfondir : L’arrêt sous commentaire est intéressant en ce qu’il rappelle utilement que la notification du lancement d’un appel d’offres vaut notification de la rupture de la relation commerciale et constitue le point de départ du préavis et en ce qu’il précise, dans le même temps, que ce principe s’applique même lorsque cette notification aurait eu lieu par courriel mais sous certaines conditions.
En l’espèce, une société exploitant un magasin de bricolage avait confié le transport de ses marchandises à un transporteur dans le cadre d’un contrat conclu le 19 septembre 2002. Puis, elle décide de lancer un appel d’offres par courrier électronique le 25 février 2009 afin de transférer une partie de ce transport à d’autres prestataires. Suite à l’issue de l’appel d’offres, elle notifie alors au transporteur par lettre du 18 juin 2009 une modification de son contrat à compter du 1er juillet 2009. Ce dernier l’a assigné en paiement de dommages-intérêts pour rupture brutale d’une relation commerciale établie sur le fondement de l’article L.442-6, I, 5° du Code de commerce aux motifs que ce préavis n’était pas de quatre mois mais de dix jours. En effet, il affirmait que le préavis n’avait commencé à courir qu’à compter de la date de notification de la modification du contrat par courrier postal et non pas de celle du lancement de l’appel d’offres par message électronique, n’ayant soit disant jamais reçu celui-ci.
Les juges de la Haute juridiction approuvent la Cour d’appel qui a considéré que l’appel d’offres avait bien été notifié au transporteur dans la mesure où il résultait de la capture d’écran versée aux débats par l’auteur de la rupture que le transporteur faisait bien partie des destinataires du message électronique comportant l’appel d’offres, que certains y avaient même répondu, et que celui-ci lui avait été envoyé à son adresse effective ce qui lui a permis d’en déduire, sans inverser la charge de la preuve, que l’intégrité de ce document ne pouvait être mise en cause et que la notification du lancement de l’appel d’offres valait alors notification de la rupture de la relation commerciale établie et constituait le point de départ du préavis.
Il faut d’abord observer que ce n’est pas la première fois que les juges affirment un tel principe. En effet, comme la brutalité de la rupture, au sens de l’article L.442-6, I, 5° du Code de commerce, correspond à l’exigence d’un préavis suffisant et raisonnable, lequel doit être écrit, il faut alors calculer la durée de celui-ci. Autrement dit, il faut déterminer son point de départ et son point d’arrivée. Or, à partir de quand peut-on considérer qu’un préavis a été donné ? Il sera dans l’intérêt de l’auteur de la rupture de faire remonter le plus loin possible le point de départ du préavis, à l’inverse de la victime.
Cette question sur le point de départ du préavis s’est justement posée en présence d’un appel d’offres. Or, les juges de la Haute juridiction estimaient déjà que le délai de préavis courait à compter de la notification de l’appel d’offres dans la mesure où, par la notification de celui-ci, l’appelant manifestait son intention de rompre la relation commerciale établie dans les conditions antérieures (Cass. com., 2 nov. 2011, n°10-26.656). Cependant, même si la question ne s’est pas posée en l’espèce, il convient de rappeler que l’auteur de l’offre doit préciser de façon claire et nette qu’il entend remettre en cause la relation antérieure. En effet, les juges retiennent comme point de départ l’issue de l’appel d’offres et non pas celle de sa notification si celle-ci comporte une ambiguïté (CA Paris, 21 mars2011, n°07/07337). Il faut donc que l’appel d’offres notifié au partenaire précise suffisamment à celui-ci qu’il est parfaitement possible qu’il le perde.
La nouveauté de cet arrêt est qu’il semble admettre, de manière indirecte, que ce principe puisse s’appliquer même lorsque la notification du recours à un appel d’offres a eu lieu par courriel mais c’est à la condition que son intégrité et, plus largement, celle de sa copie informatique par capture d’écran, ne puissent être mises en cause. C’est une des conditions que pose l’article 1316 du Code civil pour que l’écrit sous forme électronique soit admis en preuve au même titre que l’écrit sur support papier. Sur la première condition qu’exige l’article précité, à savoir que cet écrit électronique doit permettre d’identifier la personne dont il émane, les juges ne se prononcent pas. C’est peut-être parce qu’elle ne posait pas de difficultés en l’espèce. Sur la deuxième, à savoir qu’il doit être établi et conservé dans des conditions permettant d’en garantir l’intégrité, il semblerait que le seul fait de verser aux débats une capture d’écran dont il résulte que la victime de la rupture faisait bien partie des destinataires de ce message électronique, que certains y avaient même répondu et que celui-ci lui avait bien été envoyé à son adresse effective suffise à montrer que son intégrité n’a pu être mise en cause ce qui peut paraître étonnant. N’aurait-il pas fallu comparer plusieurs éléments et non s’en remettre à ce seul document pour justifier de son intégrité ?
En outre, il subsiste un autre problème : qui doit prouver que la copie informatique ou le message électronique n’a pas été établi et conservé dans des conditions permettant d’en garantir son intégrité ? Selon la Cour d’appel, c’était à la victime de la rupture de rapporter une telle preuve. En effet, elle estime que le transporteur, en plus des autres éléments cités plus haut, ne démontrait pas que le message électronique avait pu être tronqué ou manipulé et que l’intégrité de ce document ne pouvait alors être mise en cause. Les juges de la Haute juridiction ne reprenant pas cet élément-là pour rendre leur solution, il n’est donc pas possible de se prononcer sur la personne qui a la charge de rapporter la preuve de l’intégrité de l’écrit électronique même si ceux-ci affirment que la Cour d’appel n’avait pas inversé la charge de la preuve, les autres éléments rapportés étant apparemment suffisants. Et puis, la Cour d’appel avait aussi relevé que, malgré la connaissance par le transporteur de ce que son contrat avait été modifié en raison d’un appel d’offres, ce dernier avait poursuivi les relations commerciales avec son partenaire aux nouvelles conditions pendant plusieurs mois sans même protester. Il aurait donc bien eu connaissance de cet appel d’offres bien avant la notification de la modification de son contrat qui y faisait référence. La solution est donc peut-être ici justifiée…
Attention donc à l’utilisation de l’écrit électronique pour notifier le lancement d’un appel d’offres à son partenaire. En attendant que la Cour de cassation précise sa solution, mieux vaut lui préférer la notification par lettre recommandée avec accusé de réception.
A rapprocher : Cass. civ. 2ème, 4 déc. 2008, n°07-17.622