Concurrence sur les importations et la distribution en Outre-Mer : le diagnostic de l’Autorité de la concurrence

TOUSSAINT-DAVID Gaëlle

Avocat

Avis de l’Autorité de la concurrence n°19-A-12 du 4 juillet 2019

L’Autorité de la concurrence dresse un bilan mitigé sur la concurrence en Outre-Mer concernant l’importation et la distribution des produits de grande distribution.

Un peu plus d’un an après avoir été saisie par le Gouvernement et avoir mobilisé à cet effet une dizaine d’agents et trois rapporteurs, l’Autorité de la concurrence a rendu le 4 juillet 2019 un avis dense (180 pages) dressant un bilan à date de l’état de la concurrence en Outre-Mer. Un tel bilan était attendu, dans la mesure où il semblait important de pouvoir déterminer l’efficacité du système de régulation mis en place par la loi dite « Lurel » en 2012 (par l’interdiction des exclusivités à l’importation) et par la loi EROM de 2017.

 

1. L’interdiction des exclusivités à l’importation

S’agissant du dispositif d’interdiction des exclusivités à l’importation en Outre-Mer, qui oblige les acteurs à adapter leurs contrats sur ces territoires, l’Autorité de la concurrence considère qu’il s’avère particulièrement utile et qu’il commence à produire des effets structurels.

Néanmoins, on le sait, ce système a tardé à être connu des acteurs, qu’il s’agisse des fournisseurs/grossistes ou des distributeurs locaux, et les suppressions des exclusivités se sont surtout mises en place au fur et à mesure des condamnations prononcées par l’Autorité de la concurrence en la matière (l’Autorité a rendu 6 décisions sur ce point depuis l’entrée en vigueur de la loi Lurel).

L’Autorité de la concurrence signale en revanche un risque d’atteinte à la concurrence dans les hypothèses où les groupes de distribution en Outre-Mer sont également présents en tant que grossistes-importateurs sur le marché de la vente en gros. Tel est le cas pour plusieurs groupes de distribution en Outre-Mer.

L’Autorité de la concurrence pointe plus particulièrement des risques s’agissant de l’allocation des budgets de coopération commerciale pour la mise en avant des produits du fournisseur par le distributeur, craignant que dans les cas où le distributeur est également grossiste-importateur, il soit incité à privilégier ses enseignes de distribution, au détriment des enseignes concurrentes.

L’Autorité recommande dès lors d’introduire dans le Code de commerce une nouvelle disposition qui permettrait de sanctionner un acteur intégré disposant d’une exclusivité de fait, qui discriminerait ses clients tiers afin de favoriser les ventes internes au groupe. Cela reviendrait à notre sens à faire revivre, pour ce cas particulier, l’interdiction de discrimination qui avait été supprimée par la LME en 2008 (en dehors de toute hypothèse de position dominante de l’acteur considéré).

 

2. La persistance de la problématique de prix élevés

Malgré la mise en place de la réglementation, dont l’un des premiers objectifs était de permettre à la population d’Outre-Mer de bénéficier de prix moins élevés qu’auparavant, l’Autorité relève que des différences de prix importantes persistent entre la Métropole et l’Outre-Mer (jusqu’à +38% en Martinique pour les produits alimentaires).

Selon l’Autorité de la concurrence, le coût (supplémentaire) de transport, même s’il peut impacter notamment les produits à faible valeur ajoutée (en faisant par exemple quadrupler le prix de l’eau minérale), n’explique pas à lui seul de tels écarts de prix.

Selon l’Autorité de la concurrence, la faible compétitivité des produits locaux et le retard de développement de la vente en ligne constituent des explications complémentaires des écarts de prix constatés entre la Métropole et l’Outre-Mer.

En particulier, l’Autorité de la concurrence constate qu’une minorité d’enseignes présentes en Métropole propose la vente en ligne aux consommateurs ultramarins.

Par ailleurs, elle relève que le coût d’un achat vers l’Outre-Mer peut détourner les clients. Premièrement, les frais de transport/livraison applicables découragent les consommateurs de commander en ligne, comme le coût des frais de retour dans l’hypothèse où le consommateur souhaite faire jouer son droit de rétractation (le consommateur pouvant décider de renvoyer le produit commandé, pendant un délai de 14 jours après la livraison, sous réserve de payer les frais de retour du produit). Deuxièmement, le paiement de l’octroi de mer, taxe spécifique, est une autre source de découragement des consommateurs, qui se considèrent par ailleurs mal informés sur le coût de cette taxe au moment de leur achat.

Les délais de livraison seraient également en cause dans le faible développement du e-commerce en Outre-Mer, puisque le délai moyen de livraison de 5,3 jours en Métropole, passe de 3 à 27 jours en Outre-Mer.

Pour pallier ces difficultés, l’Autorité de la concurrence formule différentes propositions destinées à favoriser le commerce en ligne auprès des clients ultramarins :

  •  encourager l’envoi groupé de colis en permettant l’accomplissement d’une seule formalité douanière afin de faire baisser les coûts de livraison ;
  • vérifier que les enseignes ne font pas supporter aux consommateurs les frais de retour d’un produit au titre de la garantie légale de conformité. En effet, une telle pratique a pu être constatée, bien qu’elle soit contraire à la réglementation, le vendeur ne pouvant pas faire supporter des frais au client lorsque le retour est dû au non-respect par le vendeur de son obligation de conformité ;
  • procéder à des modifications de la législation pour :
    • adapter le droit de la consommation afin d’obliger les enseignes de commerce en ligne à afficher de manière visible les taxes et octroi de mer applicables ;
    • étudier l’adoption d’un octroi de mer à taux réduit et unique pour les produits vendus en ligne ;
    • adopter une réglementation nationale reprenant les interdictions du règlement européen n°2018/302 sur le blocage géographique, compte tenu de l’incertitude quant à l’applicabilité de ce texte aux situations impliquant un consommateur ultramarin.

En effet, le règlement européen n°2018/302 sur le « geoblocking », interdit tout blocage géographique injustifié fondé notamment sur le lieu de résidence du client. Les consommateurs ultramarins devraient ainsi pouvoir accéder librement aux sites de commerce électronique et bénéficier de conditions non discriminatoires par rapport aux consommateurs métropolitains.

A rapprocher : Avis de l’Autorité de la concurrence n°19-A-12 du 4 juillet 2019

Sommaire

Autres articles

some
La résiliation en trois clics c’est désormais possible !
La résiliation en trois clics c’est désormais possible ! Ce qu’il faut retenir : Afin de respecter les exigences de la réglementation relative à la résiliation en trois clics et ainsi, éviter toute sanction à ce titre, vous devez notamment :…
some
Le cumul des sanctions administratives validé par le Conseil constitutionnel
Cons. const., décision n°2021-984 QPC, 25 mars 2022 Le Conseil constitutionnel déclare conformes à la Constitution les dispositions de l’article L. 470-2 VII du Code de commerce relatif au cumul de sanctions administratives relevant de pratiques anticoncurrentielles. Partant, une même…
some
Clause de non-concurrence et justification du savoir-faire du franchiseur
CA Paris, Pôle 5, Chambre 4, 30 mars 2022, n°20/08551 La Cour d’appel de Paris est venue préciser la jurisprudence antérieure relative à l’application d’une clause de non-concurrence au sein d’un contrat de franchise. Elle a considéré que la clause…
some
Validité de l’acte de cautionnement comportant des termes non prévus par la loi
Cass. com., 21 avril 2022, n°20-23.300 Le fait que la mention manuscrite apposée sur l’acte de cautionnement comporte des termes non prescrits par l’article L.341-2 du Code de la consommation dans son ancienne rédaction n’affecte aucunement de manière automatique la…
some
Le règlement d’exemption, quel impact pour les réseaux ?
Retrouvez François-Luc Simon dans le podcast "Le Talk Franchise" lors de Franchise Expo Paris.
some
Rupture brutale et reprise d’activité par un tiers : de nouvelles précisions
La partie qui s’estime victime d’une rupture brutale des relations commerciales établies ne peut se prévaloir de la relation qu’elle avait nouée antérieurement à un plan de cession, sauf à démontrer l’intention du tiers cessionnaire de poursuivre les...