Revente parallèle au réseau : mise en jeu de la responsabilité du revendeur parallèle

CA Paris, 15 novembre 2017, n°17/04923

La mise en jeu de la responsabilité d’un revendeur parallèle à un réseau de distribution exclusive sur le fondement de l’article L.442-6-6° du code de commerce nécessite d’établir la preuve de la licéité et de l’étanchéité du réseau.

Ce qu’il faut retenir : La mise en jeu de la responsabilité d’un revendeur parallèle à un réseau de distribution exclusive sur le fondement de l’article L.442-6-6° du code de commerce nécessite d’établir la preuve de la licéité et de l’étanchéité du réseau.

Pour approfondir : La tête d’un réseau de distribution exclusive d’articles de prêt à porter avait pris connaissance de la vente, par un tiers à son réseau, de ses produits sur son site internet à des prix très bas. Elle entendait faire cesser cette commercialisation. Son action était fondée, à titre principal sur les dispositions de l’article L.442-6-6° du code de commerce et, à titre subsidiaire, sur la concurrence déloyale.

L’article L.442-6-6° du code de commerce dispose : « I. – Engage la responsabilité de son auteur et l’oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers : (…)  6° De participer directement ou indirectement à la violation de l’interdiction de revente hors réseau faite au distributeur lié par un accord de distribution sélective ou exclusive exempté au titre des règles applicables du droit de la concurrence ».

L’application de ce texte suppose, en premier lieu, que le réseau soit licite et, en second lieu, une faute du revendeur parallèle consistant à contribuer à la violation par un distributeur lié par une interdiction de revente hors réseau.

En l’espèce, la Cour va examiner successivement ces deux conditions :

  • sur le recours à la distribution exclusive : la société poursuivie estimait que la licéité du réseau n’était pas établie faute de rapporter la preuve de la nécessité de recourir à un système de distribution exclusive en raison de la nature des produits. La tête de réseau faisait quant à elle valoir que la constitution de son réseau répondait parfaitement aux critères de licéité dans la mesure où il s’agit d’offrir à la clientèle des lieux de vente organisés selon certaines normes, avec un personnel compétent et un service après-vente efficace, et ce, afin de lui assurer un développement économique avantageux. Enfin, elle s’appuyait sur les contrats signés avec ses distributeurs établissant, selon elle, que la constitution et la protection de son réseau sont principalement destinées à la clientèle, à laquelle est apporté un avantage économique indiscutable, outre la volonté de préservation et d’accroissement du prestige de la marque.

    La Cour rappelle qu’un système de distribution exclusive n’est pas en soi anti-concurrentiel et qu’il ne le devient que s’il limite abusivement la liberté commerciale. Le réseau peut être considéré comme licite au regard de l’article 101, 1° du TFUE, si trois conditions sont réunies cumulativement : 1. la nature du produit en question doit requérir le recours à un tel système afin d’en préserver la qualité et d’en assurer le bon usage, 2. les revendeurs doivent être choisis sur la base de critères objectifs qui sont fixés de manière uniforme pour tous les revendeurs potentiels et appliqués de façon non discriminatoire, 3. les critères définis ne doivent pas aller au-delà de ce qui est nécessaire. En conséquence, si ces conditions sont réunies, le système de distribution échappe à l’interdiction, sans même nécessiter une exemption.

    Selon la Cour, la qualité des chemises et la notoriété qui en découle peuvent justifier la mise en place d’un réseau de distribution exclusive. Toutefois, il ressort des termes des contrats de distribution exclusive produits aux débats que les critères de sélection des distributeurs des produits ne sont pas expliqués et justifiés et que les obligations qui leur sont imposées (personnel compétent, service après-vente efficace, nécessité de veiller à l’approvisionnement constant des magasins, à la formation du personnel et au maintien de la qualité, respect de l’image de marque) restent imprécises et constituent des évidences commerciales applicables à n’importe quel point de vente. Il en ressort que la tête de réseau ne démontre pas que le recours à un système de distribution exclusive permet de préserver la qualité de ses produits ou d’en assurer le bon usage ou la distribution adéquate. Par suite, elle ne justifie pas de l’existence d’un réseau de distribution exclusive exempté au titre des règles du droit de la concurrence.

  • sur l’approvisionnement : la Cour relève que le revendeur parallèle poursuivi justifie avoir acquis les chemises auprès d’un revendeur qui les aurait lui-même acquises de la filiale italienne de la tête de réseau (étant précisé que, dans cette affaire la filiale n’avait conclu aucun contrat avec la tête de réseau). Or, ledit revendeur n’étant pas lié par une clause d’exclusivité, ni soumis à une interdiction de revente hors réseau, aucune présomption illicite d’approvisionnement ne pouvait lui être opposée et il n’incombe pas au revendeur parallèle de rapporter la preuve de l’acquisition régulière des chemises par son propre revendeur. En conséquence, la preuve de l’approvisionnement illicite n’est pas rapportée.

La cour écarte donc l’application des dispositions de l’article L.442-6, I, 6° du code de commerce.

La demande subsidiaire fondée sur la concurrence déloyale va pareillement échouer : les juges rappellent que le seul fait de commercialiser hors réseau des produits authentiques couverts par un contrat de distribution exclusive et/ou sélective n’est pas fautif dès lors que la revente concerne des produits acquis régulièrement, aussi il convient de rapporter la preuve d’une faute distincte. Or, en l’espèce, le fait pour un distributeur non agréé ni autorisé, de vendre des chemises, dont l’approvisionnement illicite n’est pas établi, à des prix inférieurs à ceux pratiqués par les membres d’un réseau, n’est pas constitutif en soi, en l’absence d’autres éléments, d’un acte de concurrence déloyale et de parasitisme.

A rapprocher : Article L. 442-6-6° du code de commerce

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