De l’impossibilité d’interdire la vente par internet dans un réseau de distribution sélective – ADLC, 12 déc. 2012, décision n°12-D-23

TOUSSAINT-DAVID Gaëlle

Avocat

L’Adlc a fait preuve de la plus grande sévérité à l’égard de la tête d’un réseau de distribution sélective qui imposait à ses distributeurs une interdiction absolue de vendre en ligne les produits distribués dans le réseau.

Une fois encore, l’Autorité de la concurrence a fait preuve de la plus grande sévérité à l’égard de la tête d’un réseau de distribution sélective dans le domaine des produits bruns (matériels hi-fi et home cinéma), qui imposait à ses distributeurs (bien qu’elle s’en soit défendue à la fin de la procédure), une interdiction absolue de vendre en ligne les produits distribués dans le réseau.

Considérant, au terme d’un raisonnement quelque peu contestable, que la tête de réseau avait ainsi violé l’interdiction des ententes anticoncurrentielles prévue par le droit communautaire, elle a condamné la tête de réseau à une amende de 900.000 euros (il convient néanmoins de relativiser le montant de la condamnation, dans la mesure où l’entreprise encourait une amende de plus de 58 millions d’euros).

I – L’identification de l’interdiction de vente en ligne

En l’espèce, dans le contrat de distribution en vigueur dans le réseau français de la marque, inchangé depuis 1989, était prévue une interdiction de la distribution des produits « par correspondance ». Après avoir admis lors des premières auditions que cette interdiction couvrait la vente en ligne (laquelle n’existait pas à l’époque de la rédaction du contrat-type du réseau), la tête de réseau s’est ensuite ultérieurement rétractée, soutenant que l’interdiction ne visait pas la vente par internet.

L’Autorité de la concurrence a donc approfondi sa recherche, afin d’établir l’existence de cette interdiction. Celle-ci ressortait, selon l’Adlc, d’une circulaire diffusée aux membres du réseau en 2000 présentant la politique d’utilisation d’Internet, qui prévoyait notamment l’interdiction pour les distributeurs d’utiliser les logos, marques et autres biens immatériels de la tête de réseau sur leurs propres sites web, ce qui empêchait en pratique toute activité de vente en ligne. Par ailleurs, l’Adlc se fonde sur l’audition de deux distributeurs du réseau qui avaient révélé l’existence à tout le moins d’un « flou », et plus généralement d’une interdiction en pratique de pratiquer la vente en ligne au sein du réseau.

II – L’application du droit communautaire et du droit français

Alors même que l’interdiction des ententes anticoncurrentielles prévue par le droit communautaire nécessite que soient remplis un certain nombre de critères, l’Autorité de la concurrence, sans doute dans une volonté ferme de condamnation des pratiques d’interdiction de la vente en ligne, en a fait application. Pourtant, la décision soulève des interrogations, notamment quant à la réalité d’une affectation sensible du marché. D’une part, les concurrents de la tête de réseau concernée ont, depuis plusieurs années, ouvert la vente en ligne dans leurs réseaux. D’autre part, l’Adlc reconnait elle-même, au stade de l’évaluation du dommage, que compte tenu notamment de la technicité des produits, « cette pratique n’a été de nature à affecter qu’un nombre limité de consommateurs ».

Pour justifier l’applicabilité du droit communautaire, l’Adlc relève notamment que la pratique touche l’ensemble des distributeurs de la marque sur le territoire national, y compris ceux situés sur des territoires frontaliers, et est dès lors susceptible d’impacter le commerce entre Etats membres. De même, elle relève que s’agissant d’une problématique liée à la vente en ligne, celle-ci dépasse nécessairement le seul secteur d’implantation du distributeur par son point de vente physique.

III – La double sanction

Rejetant tous les aspects de l’argumentation développée par la tête de réseau, notamment quant à la nécessité pour le consommateur de disposer d’un conseil personnalisé pour ces produits de haute technicité, l’Adlc condamne la tête de réseau à l’amende de 900.000 euros précitée.

Par ailleurs, elle prononce en outre une injonction à l’encontre de la tête de réseau : celle-ci est tenue, dans un délai maximum de trois mois à compter de la notification de la décision, soit de modifier ses contrats de distribution, soit de diffuser une circulaire générale, afin de stipuler en termes clairs que les distributeurs du réseau ont la possibilité de procéder à des ventes en ligne s’ils le souhaitent.

 

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