Théorie et Pratique du droit de la Franchise

Introduction

Chapitre 1 : La délimitation du contrat de franchise

Section 1 : Identification du contrat de franchise

§1. Critères d’identification du contrat de franchise

1. Historique8. Origine du terme – Le contrat de franchise a pour origine directe le franchising américain1.

Le terme anglo-saxon, utilisé dans un premier temps par la pratique en France, dérive lui-même de l’adjectif français «franc», signifiant notamment, selon le dictionnaire Littré, « qui jouit de sa liberté ».

Le terme anglosaxon de «franchising» a été employé dans les premiers temps en France, pour désigner le système commercial nouvelement développé, puis a été francisé dans le cadre de la politique d’enrichissement du français2:un arrêté des ministres des finances et de l’Education nationale3,a adopté le terme de «franchisage». Néanmoins, celui-ci est très fréquemment remplacé, aussi bien en pratique qu’en doctrine, par celui de «franchise»4.

9. Essor du contrat de franchise – Bien qu’apparue en France dans la première moitié du XX siècleme, la franchise ne s’y est développée qu’à partir du début des années 1970, et n’a connu un véritable essor que dans les années 1980.

La Fédération française de franchising, devenue depuis la Fédération française de la franchise, a été fondée dès juin 1971 par les réseaux La Lainière de Roubaix, Pronuptia, Catena, Manpower, Coryse Salomé, Lévitan et Prénatal et a publié un premier code de déontologie de la franchise en 19725. La même année naissait la Fédération européenne de la franchise.

Aujourd’hui, selon l’enquête annuelle Banque Populaire/FFF/CSA 2007, la France possède plus de 1000 réseaux de franchise et plus de 43000 franchisés6, ce qui fait d’elle le pays d’Europe qui comprend le plus grand nombre de réseaux de franchise et de franchisés7.

10. Absence de réglementation légale spéciale – Dès les années 1970, a été envisagée la création d’un régime juridique spécifique à la franchise. Cependant, celle-ci n’a pas eu lieu malgré plusieurs propositions de loi en ce sens8, le contrat de franchise demeurant un contrat innommé9.

Les pouvoirs publics ont en effet à plusieurs reprises souligné, dans les années 1970 et 1980 l’inopportunité d’un statut juridique spécifique au contrat de franchise, principalement en raison du risque que présenterait un cadre trop rigide pour un domaine en pleine évolution10, et ont réaffirmé leur position plus récemment11.

La doctrine se prononce également en ce sens: soumettre la franchise à un régime spécial serait inutile – dans la mesure où le droit commun suffit à régler les litiges de manière satisfaisante – voire dangereux, en raison, notamment, de la prévisible tendance des contractants à utiliser un autre cadre contractuel pour échapper à un régime trop strict12.

II. Définitions

A. Définitions légales

1. Droit national

11. Définition succincte dans l’arrêté du 29 novembre 1973 – L’arrêté du 29 novembre 1973 précité13 définit ainsi le terme «franchisage» qu’il crée: «contrat par lequel une entreprise concède à des entreprises indépendantes, en contrepartie d’une redevance, le droit de se présenter sous sa raison sociale et sa marque pour vendre des produits ou services. Ce contrat s’accompagne généralement d’une assistance technique (anglais: Franchising)».

Cette définition succincte14, élaborée à une époque où la franchise commençait à se développer en France, ne fixe que deux critères devant être indispensablement constatés pour qualifier un contrat de franchisage: la concession au franchisé du «droit de se présenter sous sa raison sociale et sa marque pour vendre des produits ou services» et la redevance qui doit être versée par le franchisé au franchiseur en contrepartie.

L’assistance technique, quant à elle, n’est envisagée qu’à titre optionnel, et le savoir-faire, aujourd’hui reconnu comme l’élément central du système de la franchise15, n’est pas même mentionné.

Par conséquent, seule l’une des trois caractéristiques essentielles de la franchise est envisagée par l’arrêté.

Force est donc de constater que la définition énoncée par l’arrêté du 29 novembre 1973 est lacunaire16 Il est vrai que cet arrêté a été pris dans le but de l’enrichissement et de la défense de la langue française, et non dans celui de définir un terme existant aux contours incertains; il s’agissait de donner un nom français à une pratique nouvellement apparue sur le territoire national, et la définition donnée avait pour seule utilité d’identifier cette pratique.

12. Incidence de la loi Doubin: absence d’apport – L’absence de réglementation générale du contrat de franchise ne signifie pas qu’il n’en existe aucun encadrement légal. Toutefois, si le législateur est intervenu, il ne l’a fait que ponctuellement et sans envisager le contrat dans une perspective d’ensemble. Ainsi, la loi dite « loi Doubin », dont l’article 1 a été inséré à l’article L. 330-3 du code de commerce, a été adoptée le 31 décembre 1989; toutefois, elle n’a pour objet que la réglementation de l’information précontratuelle mise à la charge de certains chefs de réseau de distribution aux distributeurs, et ne donne aucune définition du contrat de franchise. En effet, son champ d’application n’est pas limité au seul contrat de franchise.

Il est donc nécessaire de rechercher cette définition dans d’autres sourceser.

2. Droit communautaire

13. Règlement d’exemption du 30 novembre 1988 –Si aucune définition légale exhaustive de la franchise n’existe au regard des textes issus du droit français, le droit européen, qui prime sur le droit interne, pallie cette lacune.

Ainsi, le règlement d’exemption des Communautés européennes du 30 novembre 198817 a défini d’une part l’accord de franchise, soit le contrat lui même, et d’autre part la franchise, objet dudit contrat.

Selon ce texte, la franchise est «un ensemble de droits de propriété industrielle ou commerciale ou concernant des marques, noms commerciaux, enseignes, dessins et modèles, droits d’auteur, savoir-faire ou brevets, destinés à être exploités pour la revente de produits ou la prestation de services à des utilisateurs finals».

L’accord de franchise est donc «un accord par lequel une entreprise, le franchiseur, accorde à une autre, le franchisé, en échange d’une compensation financière directe ou indirecte, le droit d’exploiter une franchise dans le but de commercialiser des types de produits et/ou services déterminés; il doit comprendre au moins les obligations suivantes;

– l’utilisation d’un nom ou d’une enseigne commune et une présentation uniforme des locaux et/ou des moyens de transport visés au contrat,

– la communication par le franchiseur au franchisé de savoir-faire et

– la fourniture continue par le franchiseur au franchisé d’une assistance commerciale ou technique pendant la durée de l’accord».

14. Règlement d’exemption du 22 décembre 1999 – Ce règlement a cependant été remplacé par le règlement 22 décembre 199918, qui, n’étant pas spécifique à la franchise, n’en donne aucune définition.

Néanmoins, les lignes directrices sur les restrictions verticales – établies par la Commission pour apporter des éclaircissements au règlement précité19 – indiquent que «les accords de franchise comportent une licence de droits de propriété intellectuelle relatifs à des marques ou à des signes distinctifs ou à un savoir-faire pour l’utilisation et la distribution de biens et de services. Outre une licence de droits de propriété intellectuelle, le franchiseur fournit normalement au franchisé, pendant la période d’application de l’accord, une assistance commerciale ou technique. La licence et cette assistance font partie intégrante de la méthode commerciale franchisée. Le franchiseur perçoit en règle générale du franchisé une redevance pour l’utilisation de la méthode commerciale en question. La franchise peut permettre au franchiseur de mettre en place, moyennant des investissements limités, un réseau uniforme pour la distribution de ses produits». Ces lignes directrices sont dépourvues de force obligatoire.

B. Le code européen de déontologie de la franchise15. Définition de la franchise en tant que système commercial – Le code européen de déontologie de la franchise20, qui s’impose aux adhérents des organismes ayant participé à sa rédaction, a été élaboré au sein de la Fédération européenne de la franchise par l’ensemble des associations et fédérations qui en sont membres, et remplace aujourd’hui les codes issus la Fédération française de la franchise.

Il donne à la franchise la définition suivante:

«La franchise est un système de commercialisation de produits et/ou de services et/ou de technologies, basé sur une collaboration étroite et continue entre des entreprises juridiquement et financièrement distinctes et indépendantes, le franchiseur et ses franchisés, dans lequel le franchiseur accorde à ses franchisés le droit, et impose l’obligation d’exploiter une entreprise en conformité avec le concept du franchiseur. Le droit ainsi concédé autorise et oblige le franchisé, en échange d’une contribution financière directe ou indirecte, à utiliser l’enseigne et/ou la marque de produits et/ou de services, le savoir-faire (…), et autres droits de propriété intellectuelle, soutenu par l’apport continu d’assistance commerciale et/ou technique, dans le cadre et pour la durée d’un contrat de franchise écrit, conclu entre les parties à cet effet».

Il s’agit ici d’une définition, non du contrat de franchise lui-même, mais du système commercial issu de tels contrats.

La jurisprudence se réfère parfois à cette définition21.

C. Définitions doctrinales16. Contrat de franchise: la mise à disposition d’un concept – Contrat innommé, le contrat de franchise «mêle plusieurs contrats nommés»22 et est difficile à faire entrer dans une catégorie préexistante. Pour certains auteurs, il constitue un contrat d’entreprise23. Toutefois, cette défintion ne rend pas compte du système général dont il procède; le franchiseur ne s’engage pas seulement à transmettre un savoir faire, mais un «système de gestion préalablement expérimenté»24. Par ce contrat, le franchisé intègre un réseau de commercialisation dans lequel il ne joue qu’un rôle d’intermédiaire, même s’il est indépendant. Le contrat de franchise relève donc de la catégorie en expansion des contrats de distribution ou contrats d’intermédiaires, que la majorité des auteurs situe à la frontière de la vente et du mandat25. En effet, comme tous les contrats de distribution, le contrat de franchise adopte une logique collective: le franchisé rejoint un réseau destiné à promouvoir un «concept»26 et fondé sur l’étroite collaboration qui lie l’ensemble des cocontractants. Ce contrat présente deux facettes: d’une part, il s’agit d’un contrat de coopération entre deux commerçants indépendants, qui traduit un intérêt convergent, la création ou le développement d’une même clientèle; d’autre part, paradoxalement, il s’agit d’un contrat inégalitaire, car il repose le plus souvent sur la domination économique d’une partie sur l’autre. Ces deux dimensions se retrouvent dans toutes les problématiques du contrat de franchise.

17. Contrat de franchise: un contrat-cadre – Le contrat de franchise est un contrat consensuel, soumis aux règles ordinaires de preuve. Il s’agit d’un contrat synallagmatique, conclu à titre onéreux, le franchisé étant tenu au versement d’une redevance périodique. Dans la mesure où la franchise, contrat de coopération à exécution successive27, s’intègre dans la durée, les parties établissent le plus souvent pour son exécution un contrat-cadre, destiné à fixer les modalités de leurs relations contractuelles28. Le contrat-cadre se définit comme un mécanisme à double détente composé, en amont, d’un accord de base «par lequel les parties conviennent de négocier, nouer ou entretenir des relations contractuelles dont elles déterminent les caractéristiques essentielles» et, en aval, par «des conventions d’application qui en précisent les modalités d’exécution, notamment la date et le volume des prestations,ainsi que, le cas échéant, le prix de celles-ci»29. La durée dans l’exécution du contrat de franchise occupe une place fondamentale, qui s’avère déterminante dans l’appréciation de sa nature et de son régime30. La conclusion d’un contrat-cadre, outre qu’il constitue un outil de prévisibilité, de rapidité et de simplification, permet de garantir une certaine standardisation au sein du réseau.

Cette définition permet de dessiner le cadre général du contrat de franchise, conçu comme un contrat d’intermédiaire. Au-delà de cette présentation générale, le contrat de franchise présente un certain nombre d’éléments essentiels que la doctrine a tenté de systématiser.

18. Eléments essentiels du contrat de franchise – Le contrat de franchise se caractérise, parmi les contrats de distribution, par plusieurs éléments. Cette spécificité tient tout d’abord à la nature de la relation contractuelle qui s’établit entre les parties. Le franchiseur et le franchisé, malgré la dépendance économique qui peut régir leurs rapports, sont juridiquement indépendants. Le contrat de franchise est bien un contrat de collaboration.

Elle se déduit ensuite de l’objet de l’obligation mise à la charge du franchiseur, qui constitue l’obligation caractéristique du contrat de franchise31. Plusieurs éléments sont ainsi dégagés par la doctrine32 qui, tous, sont destinés à promouvoir le «concept substantiel, identifié et réitérable», mis au point par le franchiseur33. Un premier élément déterminant consiste dans la communication d’un savoir faire, matérialisé par des connaissances techniques ou des procédés commerciaux originaux. Un deuxième élément essentiel regroupe tous les signes communs mis à la disposition du franchisé et, en particulier, l’enseigne, le nom commercial et la marque. Un troisième élément est caractérisé par l’assistance fournie par le franchiseur.

D. Définitions jurisprudentielles19. Décisions – Il appartient au juge de rechercher si le contrat signé entre les parties correspond effectivement à un contrat de franchise. En effet, par application de l’article 12, alinéa 1 du code de procédure civile, le juge doit «donner ou restituer leur exacte qualification aux actes litigieux sans s’arrêter à la dénomination que les parties en auraient proposé »34.

Ayant l’obligation de procéder à la rectification des qualifications données par les parties, les juridictions ont été amenées à définir le contrat de franchise, et ce, dès les années 1970.

La Cour d’appel de Paris a défini la franchise par un arrêt du 28 avril 1978 comme «une méthode de collaboration entre deux ou plusieurs entreprises commerciales, l’une franchisante, l’autre franchisée, par laquelle la première, propriétaire d’un nom ou d’une raison sociale connus, de sigles, symboles, marques de fabrique, de commerce ou de services, ainsi que d’un savoir-faire particulier, met à la disposition de l’autre le droit d’utiliser, moyennant une redevance ou un avantage acquis, la collection de produits ou de services, originaux ou spécifiques, pour l’exploiter obligatoirement et totalement selon des techniques commerciales expérimentées, mises au point et périodiquement recyclées, d’une manière exclusive, afin de réaliser un meilleur impact sur le marché considéré et d’obtenir un développement accéléré de l’activité commerciale des entreprises concernées»35.

Les éléments mentionnés dans cette définition, s’ils ont été par la suite précisés, soit sous l’influence du droit communautaire36, soit sous celle de la doctrine37, demeurent actuels et sont constamment réitérés par les juridictions du fond38 mais également par la Cour de cassation qui, par exemple, dans un arrêt de cassation du 4 juin 2002, juge que «si le contrat prévoit la mise à disposition d’un nom commercial, de sigles et de symboles, ainsi qu’une assistance commerciale de la part du concédant lors de la création de l’activité et l’organisation par ce dernier de campagnes promotionnelles, il ne fait toutefois pas référence à l’existence d’un savoir faire et ne crée aucune obligation de transmission de connaissances propres caractéristiques d’une franchise»39.

20. Synthèse de la jurisprudence – Les éléments isolés par la doctrine se retrouvent bien dans les décisions prétorienne: d’une part, l’exigence générale de collaboration entre le franchisé et le franchiseur, aux fins de permettre le développemment d’une clientèle; d’autre part, sur un plan plus technique, la mise à disposition de symboles par le franchiseur, tels qu’un nom ou une enseigne connus, la transmission d’un savoir-faire, ainsi que la fourniture d’une assistance technique et commerciale.

Les éléments essentiels du contrat de franchise, consacrés par la jurisprudence, permettent de distinguer le contrat de franchise des contrats voisins.

§2. Distinction du contrat de franchise et des contrats voisins

21. Mise en garde – L’intitulé donné par les parties au contrat est indifférent à sa qualification, et donc à son régime: le contenu du contrat prime sur la forme. Par conséquent, il est crucial que les contractants – lors dela rédaction d’une convention – s’attachent à définir précisément leurs obligations, de manière à ce que celles-ci correspondent à la définition légale ou jurisprudentielle du contrat qu’ils ont l’intention de conclure. A défaut, ils s’exposent à une requalification qui peut avoir pour effet la résolution du contrat pour inexécution des obligations découlant de la nouvelle qualification, voire l’annulation du contrat.

Il appartient en effet au juge de rechercher si le contrat signé entre les parties correspond effectivement à l’intitulé que celles-ci lui ont donné. Par application de l’article 12 alinéa 2 du code de procédure civile40, le juge doit «donner ou restituer leur exacte qualification aux (…) actes litigieux sans s’arrêter à la dénomination que les parties en auraient proposées». Pour ce faire, le juge s’attache au contenu de l’acte afin de déterminer ce qu’on réellement voulu les parties, et lui donne sa qualification juridique exacte.

Les termes du texte précité sont tout à fait clairs: il ne s’agit pas d’une simple faculté; le juge doit procéder à cette rectification41, en donnant à l’acte une qualification lorsque les parties ne l’ont pas fait, ou en restituant la qualification qui convient, lorsque les parties ont attribué à l’acte une qualification erronée42. A défaut, l’arrêt encourt la cassation.La règle donne lieu à un contrôle constant de la Cour de cassation43, et les décisions en la matière sont loin de briller par leur absence.

Par dérogation à ce qui précède, cependant, l’article 12, alinéa 3 du code de procédure civile prévoit que le juge «ne peut changer la dénomination ou le fondement juridique lorsque les parties, en vertu d’un accord exprès et pour les droits dont elles ont la libre disposition, l’ont lié par les qualifications et points de droit auxquels elles entendent limiter le débat». En dehors de cette hypothèse, néanmoins, le juge doit bien procéder à la requalification de l’acte qui lui est soumis.

Or, la requalification par le juge n’est pas sans conséquences: les règles applicables, conformément auxquelles le juge doit trancher le litige44, ne sont pas celles qu’impliquait l’intitulé de la convention, mais celles auxquelles renvoie la nouvelle qualification de l’acte45.

De nombreux contrats se rapprochent du contrat de franchise : contrats de concession, contrat de distribution sélective et contrat de travail pour ne citer qu’eux. En conséquence, ce domaine est particulièrement propice à la requalification. En témoigne une jurisprudence fournie en la matière, dont il ressort que les parties à un contrat portant l’un de ces intitulés cherchent, avec ou sans succès, à obtenir des juges qu’ils donnent à la convention l’autre qualification. De plus, une telle démarche du juge peut être lourde de conséquences pour l’une des parties (c’est du reste souvent pour cette raison que le cocontractant de celle-ci recherche cette requalification). Ainsi, si un contrat de concession est requalifié en contrat de franchise, il pourra être résilié aux tords du franchiseur si celui-ci n’a pas fourni une assistance suffisante au franchisé, ou annulé si le savoir-faire transmis n’est pas suffisamment substantiel. A l’inverse, si un contrat de franchise est requalifié en contrat de travail, l’employeur pourra être condamné à verser des indemnités de licenciement à son salarié lorsqu’il ne croyait que résilier un contrat de franchise, voire être poursuivi pénalement pour le délit de travail dissimulé.

C’est pourquoi, afin d’éviter ces écueils, il est nécessaire d’exposer les critères de distinction du contrat de franchise et des contrats voisins.

I. Contrat de franchise et contrats commerciaux voisins22. Observations préalables – Dans la mesure où le contrat de franchise procède de la catégorie plus générale des contrats dits de distribution, il s’avère parfois difficile de tracer une frontière claire avec des contrats proches, également nés de la pratique commerciale, qui présentent avec lui de nombreuses similitudes. Ces contrats qui régissent la distribution commerciale, contrats d’intermédiaires, présentent une gradation selon la plus ou moins grande indépendance que l’intermédiaire témoigne à l’égard du producteur; c’est ce critère qui, complété par les éléments essentiels de définition du contrat de franchise, joue comme un référent et un indicateur dans l’opération de qualification46.

A. Contrat de franchise et contrat de concession exclusive23. Définition du contrat de concession exclusive – Classiquement, le contrat de concession se définit comme «la convention par laquelle un commerçant, appelé concessionnaire, met son entreprise de distribution au service d’un commerçant ou industriel, appelé concédant, pour assurer exclusivement, sur un territoire déterminé, pendant une période limitée et sous la surveillance de ce dernier, la distribution des produits dont le monopole de revente lui est concédé»47.

Plus récemment, les lignes directrices sur les restrictions verticales issues du droit communautaire48 le définissent comme l’accord de distribution exclusive par lequel «le fournisseur accepte de ne vendre sa production qu’à un seul distributeur en vue de la revente sur un territoire déterminé».

24. Similitudes – Ainsi, le contrat de franchise et le contrat de concession présentent des similitudes, ce qui n’a rien d’étonnant puisqu’ils appartiennent tous deux à la catégorie des contrats de distribution: le franchisé et le concessionnaire sont des commerçants indépendants49 devant bénéficier de la transmission de signes distinctifs. Le parallèle est accru lorsque le contrat de franchise comporte une clause d’exclusivité territoriale, ce qui est fréquent.

De ce fait, il a été proposé de qualifier le franchisage de «concession pour les services»50 ou de forme particulière de concession51.

25. Différences – Des différences importantes subsistent néanmoins52.

En premier lieu, ces deux types de contrats ont des objectifs distincts: le contrat de concession a pour seul objectif la commercialisation de produits (notamment automobiles, vêtements, cosmétiques) alors que le contrat de franchise a pour fonction de permettre la réitération d’une méthode commerciale originale et efficace, qui peut être appliquée aux produits comme aux services. En outre, le franchiseur, qui doit avoir expérimenté la méthode commerciale objet du contrat, doit être lui-même distributeur. Le concessionnaire peut, lui, être uniquement fabriquant53.

En deuxième lieu, les obligations essentielles du franchiseur et du concédant diffèrent. A ce titre, la distinction essentielle vient de ce que le franchiseur transmet son savoir-faire et fournit une assistance, alors que le concédant n’y est pas obligé54. Ainsi, lorsqu’un savoir-faire n’est transmis qu’à titre accessoire, le contrat de concession ne pourra pas être requalifié en contrat de franchise55. Réciproquement, le franchisé verse un droit d’entrée puis des redevances en contrepartie des avantages consentis56, alors que le concessionnaire, qui ne bénéficie pas de ces prestations, ne supporte pas ces obligations financières.

Enfin, il ressort des définitions précitées que l’exclusivité territoriale est intrinsèque au contrat de concession57, ce qui est confirmé par la jurisprudence58. En revanche, l’absence d’exclusivité territoriale ne fait pas obstacle à la qualification du contrat de franchise59.

26. Intérêts de la distinction – L’enjeu de la distinction est limité: ni la franchise, ni la concession, ne font l’objet d’une réglementation juridique spécifique. Par conséquent, quelle que soit la qualification adoptée, le droit commun s’applique. Par ailleurs, l’article L. 330-3 du code de commerce est susceptible de s’appliquer à l’une comme à l’autre60 (il s’agit en effet des deux principales hypothèses d’application de cette loi). Ce n’est donc pas dans ce cadre qu’il faut rechercher l’intérêt de la distinction entre ces deux types de contrats.

Le concessionnaire tente cependant parfois (en vain) de faire requalifier son contrat de concession en contrat de franchise dans l’espoir d’obtenir la nullité du contrat sur le fondement de l’article L. 330-3 du code de commerce61.

L’enjeu entre les deux qualifications est donc puremnet contractuel et concerne la détermination des obligations respectives des parties; la qualifciation permet en effet d’apprécier la bonne exécution du pacte.

Ainsi, il ressort de la jurisprudence que le contractant qui cherche, par exemple, à démontrer que les parties avaient la volonté de former non un contrat de concession, mais un contrat de franchise, a pour but l’annulation ou la résiliation du contrat aux tords de son cocontractant pour inexistence ou défaut de transmission du savoir-faire62.

A l’inverse, il est envisageable qu’un franchiseur cherche à démontrer que le contrat de franchise contenant une clause d’exclusivité territoriale est en réalité un contrat de concession exclusive pour démontrer qu’il s’agit de son obligation essentielle, et échapper ainsi à une nullité éventuelle du contrat.

B. Contrat de franchise et distribution sélective27. Définitions du contrat de distribution sélective – La chambre commerciale de la Cour de cassation définit la distribution sélective comme le contrat «par lequel, d’une part, le fournisseur s’engage à approvisionner dans un secteur déterminé un ou plusieurs commerçants qu’il choisit en fonction de critères objectifs de caractère qualitatif, sans discrimination et sans limitation quantitative injustifiées, et par lequel, d’autre part, le distributeur est autorisé a vendre d’autres produits concurrents» 63.

La Cour précisait à la même occasion que ce type de contrat devait tendre «essentiellement par les obligations réciproques que s’imposent les co-contractants à assurer, spécialement dans le commerce de produits requérant une haute technicité ou dans celui d’articles de marque ou de luxe, un meilleur service au consommateur»et ne pas avoir pour effet, même indirect, «de limiter la liberté du revendeur de fixer lui-même, comme il l’entend, le prix de vente du produit» pour légitimer le refus de vente aux commerçants n’entrant pas dans les critères définis64.

Par ailleurs, la Cour de justice des communautés européennes considère que «des systèmes de distribution sélective constituent, parmi d’autres, un élément de concurrence conforme à l’article 85, paragraphe 1, du traité à condition que le choix des revendeurs s’opère en fonction de critères objectifs de caractère qualitatif relatifs à la qualification professionnelle du revendeur, de son personnel et de ses installations, et que ces conditions soient fixées d’une manière uniforme à l’égard de tous les revendeurs potentiels et appliquées de façon non discriminatoire »65.

La définition retenue par le règlement des Communautés européennes du 22 décembre 199966laisse plus dubitatif en raison de son imprécision67 et pourrait laisser penser que le contrat de franchise est une catégorie de contrat de distribution sélective, dans la mesure où le franchiseur est tenu de sélectionner les franchisés selon leur capacité à réitérer le savoir-faire. Selon le règlement, «un « système de distribution sélective » est un système de distribution dans lequel le fournisseur s’engage à vendre les biens ou les services contractuels, directement ou indirectement, uniquement à des distributeurs sélectionnés sur la base de critères définis68, et dans lequel ces distributeurs s’engagent à ne pas vendre ces biens ou ces services à des distributeurs non agréés ;»

Par le contrat de distribution sélective, le fournisseur de produits de luxe ou de haute technicité choisit ses distributeurs en fonction de critères objectifs et qualitatifs relatifs à la qualification professionnelle des distributeurs qu’il aura déterminés lui-même en fonction de la nature du produit, et s’engage auprès de ses cocontractants à ne fournir aucun commerçant ne remplissant pas les critères.

Le contrat de distribution sélective ne comporte pas, pour le distributeur, d’obligation d’exclusivité d’approvisionnement.

28. Similitudes – Comme le contrat de franchise, le contrat de distribution sélective est un contrat de distribution conclu entre deux commerçants indépendants.

Le distributeur sélectif commercialise les produits acquis auprès du fournisseur et qui portent la marque de ce dernier, et le franchisé commercialise les produits fournis par le franchiseur et qui en portent souvent la marque.

Néanmoins, des différences considérables existent entre ces deux contrats.

29. Différences – Tout d’abord, le contrat de franchise se distingue du contrat de distribution sélective, par son objet: alors que le contrat de distribution sélective a pour objet la commercialisation de produits, le contrat de franchise a pour objet la mise en œuvre du savoir-faire issu de l’expérience du franchiseur par les franchisés69. Il s’en suit que le contrat de franchise, qui peut porter sur des produits autant que sur des services, est susceptible de trouver une application beaucoup plus large que le contrat de distribution sélective, qui est limité au commerce de produits spécifiques, comprenant notamment les produits de luxe et de haute technologie.

Par ailleurs, le franchiseur, dont le savoir-faire commercial a vocation à être réitéré dans le cadre de la franchise, est nécessairement distributeur, contrairement au fournisseur, qui peut n’être que fabricant70.

Enfin, le contrat de distribution sélective implique uniquement la vente par le fournisseur de ses produits à des distributeurs sélectionnés et exclusivement à eux. Il n’implique donc, pour le fournisseur, ni mise à disposition du distributeur d’une enseigne, ni transmission d’un savoir-faire, ni assistance, et, pour le distributeur, aucun paiement de redevance71.

30. Intérêts de la distinction – Un franchisé peut invoquer la requalification de son contrat en contrat de distribution sélective afin de justifier la résiliation à laquelle il aurait procédé en se fondant sur le fait que son cocontractant a fourni des distributeurs ne répondant pas aux critères de sélection impérativement prévus72.

A l’inverse, un distributeur sélectif pourrait tenter de faire requalifier le contrat en contrat de franchise, pour obtenir, par exemple, réparation sur le fondement de l’insuffisance de l’assistance fournie.

C. Contrat de franchise et licence de marque31. Définition de la licence de marque – L’article L. 714-1 du code de la propriété intellectuelle énonce que «Les droits attachés à une marque peuvent faire l’objet en tout ou partie d’une concession de licence d’exploitation exclusive ou non exclusive».

La licence de marque n’est cependant pas définie en elle-même par le code.

Le contrat de licence de marque est «celui par lequel le concédant autorise l’exploitation d’une marque à un licencié, moyennant versement d’une contrepartie»73. A défaut de dispositions spéciales, il y a lieu de se référer au régime des articles 1713 et suivants du code civil, la licence de marque étant un louage de chose.

32. Similitudes – La licence de marque se rapproche donc du contrat de franchise en deux points: le licencié et le franchisé, peuvent utiliser la marque du donneur de licence ou du franchiseur, et versent une redevance à leur cocontractant.

33. Différences – La licence de marque ne comprend ni transmission du savoir-faire, ni assistance. Ces deux éléments sont essentiels pour distinguer ces catégories de contrat et justifient, selon le cas, que le contrat de franchise soit requalifié en contrat de licence de marque ou inversement74.

La licence de marque peut être conclue isolément ou être incluse dans un autre contrat75. Elle est ainsi l’un des éléments essentiels du contrat de franchise. Il convient de préciser à ce titre que dans la majorité des hypothèses, le droit du franchisé d’utiliser la marque du franchiseur est limité au droit de commercialiser les produits marqués par le franchiseur76: la marque du franchiseur est, sauf exception77, apposée par le franchiseur lui-même. Lorsque la licence limite ainsi les prérogatives du licencié et ne vise pas le droit d’apposer la marque, le franchisé ne peut pas non plus apposer la marque du franchiseur sur les produits qu’il fabrique lui-même ou qu’il acquiert auprès de tiers.

Par ailleurs, il ressort notamment des définitions du contrat de franchise figurant dans le règlement des Communautés européennes de 1988 et dans le code européen de déontologie de la franchise que le franchisé a l’obligation, et pas seulement le droit, d’exploiter le concept créé par le franchiseur sous la marque de ce dernier.

34. Intérêts de la distinction – Quelques décisions jurisprudentielles montrent que des contractants ont cherché à faire requalifier leur contrat, les premiers, franchisés, pour contester le montant des redevances dues par eux, et le dernier, donneur de licence, pour sauver le contrat de la nullité. Il ne semble pas, pourtant, que la distinction entre contrat de franchise et licence de marque présente un réel intérêt de ces points de vue.

Ainsi, s’agissant des premiers cas, si le franchisé et le licencié ont tous deux l’obligation de verser une redevance à leur cocontractant, ces redevances, qui ne correspondent pas aux mêmes services, diffèrent en principe dans leur montant. Certains franchisés ont donc tenté de faire requalifier le contrat de franchise en contrat de licence de marque afin d’obtenir des juridictions une diminution de leur redevance78. Cependant, même en cas de requalification, les franchisés se seraient probablement heurtés au refus de la jurisprudence de rééquilibrer les prestations convenues par les parties, même en cas d’imprévision79.

S’agissant du dernier cas, dans une affaire tranchée par la Cour d’appel de Versailles80, un donneur de licence d’une marque éteinte faute de renouvellement a tenté de faire requalifier son contrat en contrat de franchise – afin de contrer l’argumentation de son cocontractant qui demandait l’annulation du contrat pour absence de cause – en alléguant que le contrat n’avait pas pour seule cause la licence de la marque, mais également la transmission d’un savoir-faire et la fourniture d’une assistance. Néanmoins, la mise à disposition de signes distinctifs communs est une obligation essentielle du franchiseur. Il est donc probable que le contrat aurait été annulé, ou tout au moins résilié aux tords du franchiseur, même si la qualification de contrat de franchise avait été adoptée81.

Un intérêt de la qualification réside dans l’existence ou non d’une obligation à la charge du titulaire de la marque de fournir un savoir-faire et une assistance technique à son cocontractant.

D. Contrat de franchise et affiliation35. Définition – Le contrat d’affiliation est la convention «par laquelle se trouve recherchée une discipline commerciale des membres désignés alors comme «les affiliés», qui permettra précisément d’obtenir des conditions plus avantageuses auprès de fournisseurs»82.

Les obligations des affiliés, variables d’un contrat à l’autre, peuvent être limitées à un pacte de préférence envers les fournisseurs désignés, ou être plus développées, jusqu’à inclure une marque, une enseigne, ou encore une présentation commune des produits83.

36. Similitudes – Dans ce dernier cas, la ressemblance avec la franchise est forte: les affiliés, comme les franchisés, disposent d’une enseigne et d’une marque, soit de symboles communs, et bénéficient d’une assistance leur permettant de mettre en œuvre une stratégie commerciale commune84.

La question s’est donc posée en doctrine de l’assimilation de ces contrats d’affiliation au contrat de franchise lorsqu’un savoir-faire était également transmis. Il a été affirmé qu’en ce cas, le franchiseur est la centrale d’achat85.

Un auteur soutient que le contrat de franchise fait partie des contrats d’affiliations qui regroupent «tous les accords par lesquels un commerçant, personne physique ou morale, dite affiliée, est lié à une centrale d’achat par des engagements réciproques portant sur l’approvisionnement de l’affilié, l’usage d’une enseigne commune et la prestation de divers services d’aide à la gestion de l’entreprise affiliée» 86

Force est de constater par ailleurs qu’une confusion demeure en pratique entre les deux notions87.

37. Différences – Il ressort cependant de la jurisprudence que la méthode commerciale transmise dans le cadre d’un contrat d’affiliation ne revêt pas toujours les caractères du savoir-faire du contrat de franchise, soit, selon les expressions employées respectivement par les cours d’appel de Toulouse88 et de Pau89: un savoir-faire «identifié, secret, et substantiel»,«constitué par un ensemble de techniques originales expérimentées par le franchiseur et que le franchisé n’aurait pu acquérir qu’après de longs efforts de recherches».

Saisie d’une demande tendant à faire requalifier un contrat d’affiliation en contrat de franchise, fondée sur l’engagement du groupement à fournir aux affiliés des informations générales sur la conception et l’aménagement du magasin et une assistance technique quant à leur gestion, la Cour d’appel de Paris a débouté les demandeurs au motif que«si la dénomination de contrat d’affiliation donnée par les parties à la convention litigieuse ne paraît pas recouvrir exactement les obligations contractées de part et d’autres (…), ladite convention ne saurait être analysée en un contrat de franchise précisément en l’absence de toute référence dans les engagements souscrits à l’existence, la transmission, et l’acquisition d’un savoir-faire spécifique, confidentiel et original, élément essentiel de toute convention de ce type»90.

Certains auteurs soutiennent par ailleurs que, même dans l’hypothèse où un contrat d’affiliation inclurait le transfert d’un véritable savoir-faire, il ne pourrait pas être qualifié de contrat de franchise, en raison de l’existence d’une différence fondamentale entre ces deux formes de contrat, résidant dans la cause de l’engagement du bénéficiaire de la transmission du savoir-faire. Selon cette théorie, en effet, la cause de l’obligation du franchisé réside dans le savoir-faire que doit lui communiquer le franchiseur – la clause d’approvisionnement exclusif étant, par ailleurs, accessoire en matière de contrat de franchise –, alorsque celle de l’obligation de l’affilié est l’obligation de la centrale de négocier des avantages avec les fournisseurs, la transmission du savoir-faire étant alors réduite à une obligation accessoire91.

38. Intérêts de la distinction – Comme on le voit dans l’arrêt rendu par la Cour d’appel de Paris le 31 mars 1993, l’intérêt de l’affilié à démontrer que les parties avaient entendu conclure un contrat de franchise et non un simple contrat d’affiliation est de mettre à la charge de son cocontractant une obligation de transmission d’un savoir-faire identifié, confidentiel et substantiel92.

C’est en effet souvent le seul critère qui permet de distinguer ces deux contrats.

Dans l’hypothèse où le contrat d’affiliation comprend une obligation pour le cocontractant de l’affilié de lui transmettre un savoir-faire, cet intérêt disparaît.

Néanmoins, si l’on continue, comme le suggère une partie de la doctrine93, à distinguer un tel contrat d’affiliation d’un contrat de franchise, et que l’on considère que la transmission du savoir-faire n’est qu’une cause secondaire de l’obligation des affiliés, on admet que l’absence de savoir-faire substantiel et secret n’entraînerait pas la nullité du contrat d’affiliation, alors qu’elle entraînerait celle d’un contrat de franchise.

Aucune décision n’a cependant été rendue en ce sens. Il pourrait par ailleurs s’avérer difficile en pratique de déterminer la cause principale de l’obligation d’un affilié qui a adhéré à une centrale d’achat en sachant que celle-ci prétendait transmettre un savoir-faire.

E. Contrat de franchise et commission-affiliation39. Définition – Le contrat de commission-affiliation94 est la convention par laquelle, le commissionnaire vend les produits appartenant au commettant en son nom95 mais pour le compte et sous l’enseigne du commettant, et touche une commission calculée sur le chiffre d’affaire96.

La commission-affiliation est une forme de commission à la vente97, à cette nuance près, cependant, que le commissionnaire défini par l’alinéa 1 de l’article L.132-1 du code de commerceer est conçu comme un intervenant occasionnel, alors qu’il est ici permanent98.

Les produits du commettant sont ainsi placés en dépôt-vente chez le commissionnaire, qui est rémunéré par une commission souvent calculée par rapport au prix de vente. L’avantage pour le commissionnaire est d’être dispensé de gérer un stock99: il ne se consacre qu’à la vente. Le commettant, lui, a ainsi la possibilité de fixer lui-même les prix des produits, ce qui est interdit lorsque ceux-ci appartiennent au distributeur, et gère lui-même les stocks. La prohibition des prix imposés ne s’applique en effet que lorsque ces prix sont imposés au revendeur, le propriétaire des biens ayant toute liberté pour en fixer le prix.

Cependant, la situation du commissionnaire peut provoquer dans certaines circonstances l’appliation du droit du travail en vertu de l’article L. 7321-2 du code du travail, notamment en raison du fait que le commettant fixe le prix de vente de ses produits100.

Ce mécanisme est fréquemment employé dans le domaine de la distribution de vêtements. Contrairement au contrat de franchise, la commission-affiliation ne peut du reste s’appliquer que dans le commerce de biens101.

40. Similitudes – Là encore, une confusion entre contrat de franchise et commission-affiliation s’opère chez les contractants, qui considèrent souvent le contrat de commission-affiliation comme une sorte de contrat de franchise.

Le commissionnaire, comme le franchisé, est un commerçant indépendant102, qui exerce son activité sous l’enseigne de son cocontractant, et vend des produits portant la marque de ce dernier.

Par ailleurs, il reçoit des informations régulières du commettant sur la présentation des produits103, et la doctrine considère qu’il reçoit une assistance104.

Enfin, si le franchisé est en général propriétaire des biens qu’il vend, et les vend, de ce fait, pour son propre compte, la pratique du dépôt-vente n’est pas exclusive de la qualification de franchise, et dans certains cas, les franchisés vendent en leur nom les produits appartenant au franchiseur105.

41. Différence – En revanche, le «savoir-faire» communiqué en pratique par les distributeurs qui exercent en vertu d’un contrat de commission-affiliation paraît trop lacunaire pour constituer un savoir-faire au sens du contrat de franchise106.

En pratique, les contrats de commission-affiliation ne peuvent donc le plus souvent être qualifiés de contrats de franchise, faute de transmission de savoir-faire107.

La question se pose cependant de la possibilité de qualifier un contrat de commission-affiliation de contrat de franchise en cas de transmission d’un savoir-faire et d’apport d’une assistance. Si certains y sont favorables108, on peut opposer la même objection qu’en manière d’affiliation: là encore, la cause essentielle de l’engagement du commissionnaire semble être l’approvisionnement par le commettant, et non le savoir-faire qui serait transmis, ce qui le différencie fondamentalement du franchisé109.

En outre, la commission-affiliation ne peut concerner que la distribution de biens, et non de services.

42. Intérêt de la distinction – Tout autant que le contrat de franchise,le contrat de commission-affiliation est susceptible d’entrer dans le champ d’application de la loi Doubin, si la condition d’exclusivité ou de quasi-exclusivité est remplie110.

La seule différence existant dans la plupart des hypothèses entre le contrat de franchise et le contrat de commission-affiliation est la transmission ou non par le propriétaire des produits d’un savoir-faire. Si, en revanche, un tel contrat prévoit la transmission d’un véritable savoir-faire, aucun intérêt ne subsiste.

Un commissionnaire peut donc avoir un intérêt à démontrer que son contrat cache en réalité un contrat de franchise pour reprocher à son cocontractant l’absence de fourniture d’un savoir-faire111.

A l’inverse, un franchiseur dont les produits sont placés en dépôt-vente chez son franchisé peut avoir un intérêt à démontrer que les parties ont entendu conclure un contrat de commission-affiliation dépourvu de communication de savoir-faire au sens du contrat de franchise, afin d’échapper à une sanction en cas de caractère non substantiel du savoir-faire.

F. Contrat de franchise et contrats de mandat43. Types de mandats – Il existe plusieurs types de mandats. Trois seront étudiés ici qui, tous, répondent à la définition donnée par l’alinéa 1 de l’article 1984 du code civil.

44. Définitions – L’alinéa 1er de l’article 1984 du code civil dispose:

«Le mandat ou procuration est un acte par lequel une personne donne à une autre le pouvoir de faire quelque chose pour le mandant et en son nom».

Cette définition englobe tous les mandats civils.

Parmi ceux-ci se détachent les mandats dits «d’intérêt commun», par lesquels le mandataire a, comme le mandant, intérêt à l’accomplissement de l’acte juridique qui fait l’objet du mandat. La rémunération du mandataire ne suffit pas à la qualification de mandat d’intérêt commun112: le mandataire et le mandant doivent avoir tous deux intérêts à l’acte juridique que le mandataire a pour mission de conclure 113

Au sein de cette catégorie se trouve le mandat de l’agent commercial114, qui fait l’objet d’un régime légal spécifique115. Selon l’alinéa 1 de l’article L.134-1 du code de commerce, «L’agent commercial est un mandataire qui, à titre de profession indépendante, sans être lié par un contrat de louage de services, est chargé, de façon permanente, de négocier et, éventuellement, de conclure des contrats de vente, d’achat, de location ou de prestation de services, au nom et pour le compte de producteurs, d’industriels, de commerçants ou d’autres agents commerciaux. Il peut être une personne physique ou une personne morale ».

45. Similitudes – Le mandat présente peu de similitudes avec le contrat de franchise.

Cependant, en pratique, il peut arriver que le franchisé ait l’apparence, auprès de son client, d’agir au nom et pour le compte du franchiseurer. Le client du franchisé peut alors invoquer la croyance légitime116 qu’il avait de l’exictence d’un mandat entre le franchisé et le franchiseur pour agir directement à l’encontre du mandant apparent. Dans ce cas, le franchiseur est engagé en qualité de mandant; il dispose toutefois d’un recours contre le franchisé, mandataire apparent.

Par ailleurs, la référence faite à l’intérêt commun au sein de l’alinéa 1 de l’article L. 330-3 du code de commerce117 a provoqué en doctrine une controverse portant sur l’assimilation des contrats concernés par la Loi Doubin au mandat d’intérêt commun, parmi lesquels se trouve le mandat de l’agent commercial.

46. Différences – Le contrat de mandat n’implique ainsi ni transmission d’un savoir-faire, ni mise à disposition de symboles communs, ni assistance118.

En outre, et quand bien même un contrat de mandat contiendrait-il de telles stipulations, il ne serait pas qualifié de contrat de franchise; en effet, ce contrat suppose l’indépendance du franchisé119. Or le mandataire, qui agit au nom et pour le compte du mandant, n’est pas indépendant120. C’est la principale raison pour laquelle la franchise ne peut être assimilée à un mandat d’intérêt commun121.

Cette assimilation est de surcroît généralement rejetée par les auteurs122, qui considère qu’une telle analogie est juridiquement erronée, reposant sur une confusion entre les contrats de concession et de franchise d’une part, et le contrat de mandat d’autre part123 et que l’intérêt commun fait référence à la collaboration existant entre les parties, dont «l’objectif commun est l’accroissement des parts de marché»124.

Si quelques juridictions du fond ont dans un premier temps accepté l’assimilation de contrats de concession au mandat d’intérêt commun125, et ce, avant la promulgation de la loi Doubin, cela n’a jamais été le cas de la Cour de cassation, que ce soit avant126 ou après127 la promulgation de la loi, et l’analyse est rejetée aujourd’hui par la jurisprudence128.

47. Intérêts de la distinction – Le franchisé agissant en son nom et pour son compte, le franchiseur est tiers aux contrats conclus par celui-ci, sans préjudice de l’hypothèse du mandat apparent.

Par ailleurs, alors que le mandataire est en principe révocable ad nutum, la jurisprudence considère que le mandataire qui partage un intérêt commun avec le mandant, ne peut être révoqué sans versement de dommages et intérêts129, sous réserve qu’une cause légitime de révocation soit par la suite reconnue en justice130.

Là était l’enjeu du débat portant sur l’assimilation des contrats soumis à la loi Doubin à des mandats d’intérêt commun, et la raison pour laquelle certaines juridictions du fond ont donné une telle qualification auxdits contrats de distribution. Là est également le motif pour lequel certains franchisés tentent de faire requalifier le contrat de franchise en contrat d’agent commercial131.

A l’inverse, la requalification d’un contrat faisant référence au terme d’agent commercial en contrat de franchise peut entraîner sa nullité sur le fondement de l’article L. 330-3 du code de commerce132.

G. Contrat de franchise et contrats dits «de partenariat»48. Absence de définition – Si l’expression de «contrat de partenariat» est fréquemment utilisée en pratique, elle ne reçoit aucune définition légale, jurisprudentielle ou doctrinale.

Cette notion désigne des contrats aux contenus variables, dépendant entièrement de la volonté des parties, par lesquelles celles-ci organisent leur entraide. Or, le contrat de franchise comprend une idée de collaboration entre le franchiseur et le franchisé133. Les obligations réciproques des parties à un contrat de partenariat reprennent donc, selon le cas, tel ou tel élément du contrat de franchise, voire tous. Le contrat de partenariat est alors un véritable contrat de franchise, peu important son intitulé134.

Ainsi, lorsque l’intention des parties est de mettre à la charge de l’une d’elle l’obligation de fournir à l’autre une enseigne commune au réseau, un savoir-faire substantiel et une assistance, le contrat ou la convention de partenariat est requalifié en contrat de franchise135.

En revanche, lorsque l’une de ces conditions n’est pas remplie, soit que les informations mises à la charge de l’une des parties par le contrat ne sont pas suffisamment substantielles et secrètes pour constituer un véritable savoir-faire136, soit que la transmission de signes distinctifs fait défaut137, le contrat ne peut recevoir une telle qualification.

En toute logique, il n’est pas nécessaire de requalifier un contrat intitulé «de partenariat» en contrat de franchise pour constater que la loi du 31 décembre 1989 s’applique: seules doivent être remplies les conditions définies à l’article 1 de ladite loier.

L’intérêt essentiel de la requalification est le caractère essentiel de la transmission du savoir-faire dans le contrat de franchise. Ainsi, s’il est démontré que le contrat voulu par les parties constitue un contrat de franchise, le caractère évident, non substantiel ou obsolète du savoir-faire réellement transmis entraîne l’annulation du contrat pour absence de cause ou pour dol138, ce qui n’est pas le cas si le contrat de partenariat n’est pas requalifié139.

49. Pratique critiquable – La jurisprudence concernant les demandes de requalification de contrats de concession, d’affiliation ou de partenariat en contrat de franchise illustre une pratique curieuse – quoique parfois couronnée de succès – des parties se prétendant franchisées. Cette démarche consiste, pour lesdits contractants, à demander en premier lieu la requalification de leur contrat en contrat de franchise, puis en second lieu, à allèguer l’absence de transmission de savoir-faire pour obtenir l’annulation ou la résiliation du contrat aux tords de leur cocontractant140.

Or, l’absence de transmission de savoir-faire distingue souvent seule ces contrats du contrat de franchise. Le mécanisme consiste donc, dans un premier temps, à démontrer que, en dépit de l’intitulé du contrat, il se déduit des termes de celui-ci que, dans l’intention des parties, le titulaire de la marque s’était engagé à transmettre un savoir-faire à son cocontractant, et, dans un second temps, à démontrer que ce savoir-faire n’existe pas.

Le caractère hasardeux d’une telle démarche est bien illustré dans une affaire; la Cour d’appel de Paris était saisie d’une demande tendant à la requalification d’un contrat d’affiliation en contrat de franchise – fondée sur l’existence de clauses prévoyant la fourniture d’informations générales sur l’aménagement du magasin et une assistance technique relative à la gestion – et ayant pour but faire porter au prétendu franchiseur la responsabilité de la résiliation à laquelle l’affilié avait procédé, en raison du défaut de transmission d’un savoir-faire. La Cour d’appel de Paris a rejeté cette demande au motif que: «ladite convention ne saurait être analysée en un contrat de franchise précisément en l’absence de toute référence dans les engagements souscrits à l’existence, la transmission, et l’acquisition d’un savoir-faire spécifique, confidentiel et original, élément essentiel de toute convention de ce type»141.

II. Contrat de franchise et contrat de travail

A. La requalification du contrat de franchise en contrat de travail

1. Le critère: l’existence d’un lien de subordination juridique

50. Présomptions légales – L’article L.8221-6 du code du travail, issu de l’ordonnance du 12 mars 2007142 dispose:

«I.-Sont présumés ne pas être liés avec le donneur d’ordre par un contrat de travail dans l’exécution de l’activité donnant lieu à immatriculation ou inscription :

1° Les personnes physiques immatriculées au registre du commerce et des sociétés, au répertoire des métiers, au registre des agents commerciaux ou auprès des unions de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d’allocations familiales pour le recouvrement des cotisations d’allocations familiales ;

2° Les personnes physiques inscrites au registre des entreprises de transport routier de personnes, qui exercent une activité de transport scolaire prévu par l’article L. 213-11 du code de l’éducation ou de transport à la demande conformément à l’article 29 de la loi n° 82-1153 du 30 décembre 1982 d’orientation des transports intérieurs ;

3° Les dirigeants des personnes morales immatriculées au registre du commerce et des sociétés et leurs salariés ;

4° Les personnes physiques relevant de l’article L. 123-1-1 du code de commerce ou du V de l’article 19 de la loi n° 96-603 du 5 juillet 1996 relative au développement et à la promotion du commerce et de l’artisanat.

II.-L’existence d’un contrat de travail peut toutefois être établie lorsque les personnes mentionnées au I fournissent directement ou par une personne interposée des prestations à un donneur d’ordre dans des conditions qui les placent dans un lien de subordination juridique permanente à l’égard de celui-ci.

Dans ce cas, il n’y a dissimulation d’emploi salarié que s’il est établi que le donneur d’ordre s’est soustrait intentionnellement à l’accomplissement de l’une des formalités prévues aux articles L. 1221-10, relatif à la déclaration préalable à l’embauche et L. 3243-2, relatif à la délivrance du bulletin de paie.».

Cette disposition reprend en substance le contenu de l’ancien article L.120-3 du code du travail.

Ainsi, les commerçants et dirigeants de sociétés commerciales sont présumés ne pas être les salariés du donneur d’ouvrage143.

Il ne s’agit cependant pas d’une présomption irréfragable: la preuve d’un lien de subordination juridique permanente à l’égard du donneur d’ouvrage entraîne la requalification du contrat conclu avec celui-ci en contrat de travail.

En application de l’article 9 du code de procédure civile, la charge de ladite preuve pèse sur celui qui l’invoque144, c’est-à-dire, s’agissant du sujet qui nous intéresse, sur le franchisé145.

51. Notion de lien de subordination – La Cour de cassation a exposé clairement les critères du lien de subordination146, notamment dans des affaires concernant des contrats de franchise147.

Ainsi, «le lien de subordination est caractérisé par l’exécution d’un travail sous l’autorité d’un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d’en contrôler l’exécution et de sanctionner les manquements»148 étant précisé que «l’intégration dans un service organisé constitue un indice du lien de subordination lorsque les conditions de travail sont unilatéralement déterminées par le cocontractant»149.

2. La subordination juridique dans le contrat de franchise150

52. Risques de requalification – Le franchisé est un commerçant indépendant qui travaille en collaboration avec le franchiseur. Leurs relations sont donc régies par un prinicpe d’autonomie juridique. Cependant, cette relation de collaboration est en pratique dominée par le franchiseur151 du fait notamment du contrôle exercé par celui-ci sur le respect du savoir-faire dans la mise en œuvre qui en est faite par le franchisé, ainsi que par son pouvoir économique.

La tentation peut donc être grande pour certains franchisés de chercher à démontrer que cette domination annihile toute collaboration, et cache un véritable lien de subordination juridique.

De ce fait, les demandes des franchisés tendant à voir leur contrat requalifié en contrat de travail sur le fondement de l’ancien article L.120-3 du code du travail abondent, comme le montre le nombre de décisions rendues dans ce domaine152.

53. Conséquences d’une requalification en contrat de travail – En cas de succès, une telle requalification présente, pour le franchisé, le considérable intérêt de l’application des dispositions du droit du travail, et notamment de la condamnation du franchiseur au titre du rappel de salaires et de congés payés y afférents153, ainsi que le bénéfice du régime général de la sécurité sociale154. Par ailleurs, le franchisé peut obtenir le remboursement du droit d’entrée155.

En outre, ainsi que le montre la jurisprudence156, cette requalification est susceptible d’entraîner la condamnation pénale du prétendu franchiseur pour le délit de dissimulation d’emploi salarié, défini et exercé dans les conditions prévues par l’article L.8221-5157 du code du travail (anciennement article L.324-10), et réprimé aux articles L.8224-1 et suivants (anciennement L.362-3158 et suivants) du même code159.

54. Indices de distinction en jurisprudence – Les juges du fond, contrôlés par la Cour de cassation, procèdent à une analyse au cas par cas tendant à déceler – par la réunion d’indices précis, graves et concordants – l’existence du lien de subordination entre le franchiseur et le franchisé160. Un examen précis des décisions récentes permet d’isoler lesdits indices et de les classer, selon qu’ils tendent à établir l’indépendance du franchisé, qu’ils manifestent un contrôle du franchiseur justifié par ses obligations essentielles et non par une subordination juridique, ou au contraire qu’ils caractérisent un lien de subordination juridique.

Pour plus de clarté, ils sont exposés dans le tableau ci-après.

Indices d’indépendance du franchisé
Indices d’un contrôle relevant des obligations essentielles du franchiseur
Indices d’une subordination juridique
Prix
Liberté de baisser les prix par rapport à ceux indiqués par le franchiseur161.
Prix maximums indicatifs162.
Prix imposés par le franchiseur163.
Horaires

Horaires fixés par la clientèle démarchée par le franchisé164;

Intervention du franchiseur au sujet des horaires a posteriori, en raison des plaintes des clients165.
Horaires imposés par le franchiseur166.
Lieu de vente

Obligation imposée par le franchiseur d’utiliser l’enseigne du réseau167;

Indications sur l’organisation matérielle de l’activité du magasin168.

Prospection de la clientèle
Prospection de la clientèle et exécution des contrats par le franchisé169.

Prospection de la clientèle par le franchiseur et contrats établis par lui170.
Autres conditions de travail
Liberté de choisir la quantité des marchandises dans la gamme offerte par le franchiseur171;

Liberté du franchisé de vendre le fonds de commerce172;

Liberté d’embaucher du personnel173;

Absence de chiffre d’affaires imposé174;

Le franchisé assume les charges et pertes de son activité175.
Obligations de respecter les normes voulues par le franchiseur176;

Réassort automatique d’une catégorie de marchandise177;

Signature d’une convention de progrès sans minimum imposé178;

Circonstances ayant entouré l’entrée du franchisé dans le fonds de commerce et la conclusion du contrat179.
Intégration dans un service organisé et conditions de travail unilatéralement décidées par le franchiseur180;

Formation en interne181;

Remise d’un mémento avec des instructions précises182;

Sanction du franchisé s’il encaisse lui-même le prix183.
55. Conclusions sur l’analyse des décisions – Dans la majeure partie des cas, les obligations auxquelles les franchisés sont tenus tendent à imposer des règles communes à l’ensemble du réseau qui, destinées à obtenir d’eux la gestion rentable de leur magasin, n’entraînent à leur charge aucune sujétion de nature à les priver de l’indépendance qu’implique la qualité de commerçant184.

Les hypothèses où les juridictions ont procédé à la requalification du contrat en contrat de travail correspondent à des cas extrèmes, où plusieurs indices de subordination étaient réunis185. Dans ces affaires, l’accumulation de tels indices montrait clairement que le choix par le prétendu franchiseur de la forme du contrat de franchise n’avait pour but que d’échapper aux règles du droit social. A l’inverse, il a été jugé que lorsque tous les indices démontraient l’indépendance du franchisé, l’imposition des tarifs par le franchiseur ne suffisait pas à justifier la requalification du contrat de franchise en contrat de travail186.

56. Rédaction des stipulations contractuelles– L’examen de la jurisprudence démontre néanmoins l’importance des stipulations contractuelles dans la qualification.

Le souci d’organiser précisément et rigoureusement la distribution des produits et services n’entraînera pas la qualification de contrat de travail si cette volonté s’exprime dans le respect de l’indépendance du franchisé.

Celle-ci doit ressortir des clauses mêmes énonçant les obligations qui s’imposent à lui dans le prolongement du savoir-faire qui lui est transmis187. Les obligations doivent découler des contraintes inhérentes au transfert d’un savoir-faire, ce dont il doit normalement résulter que les obligations considérées créent, à la charge du franchisé (ou des gérants et associés de la société franchisée), une contrainte compatible avec sa qualité de commerçant indépendant.

Pour qu’il en soit ainsi, les obligations imposées au franchisé ne doivent pas concerner l’organisation même de son travail car le pouvoir de direction caractéristique de la qualité d’employeur s’exerce, avant tout, sur les modalités de déploiement d’une prestation de travail188.

B. L’application des règles du code du travail en dehors de toute requalification57. Origine – Le législateur s’est inquiété de la situation de certains professionnels qui, sans avoir avec leur cocontractant un lien de subordination juridique, étaient placés dans un état de dépendance économique189. C’est pourquoi la loi du 21 mars 1941190 a étendu le bénéfice du droit du travail aux professionnels se trouvant dans cette situation, quelque soit le contrat par lequel ils sont liés191.

La situation est totalement distincte de la précédente, réglementée par l’alinéa 2 de l’article L.8221-6 du code du travail; il ne s’agit pas ici d’apprécier l’existence d’un lien de subordonation juridique. De la même manière, le juge saisi d’une demande fondée sur ce dernier article – et donc sur l’existence d’un lien de subordination – n’est pas tenu, lorsque les conditions d’application de cet article ne sont pas remplies, d’examiner la situation litigieuse au regard des articles L.7321-1 et suivants du même code192.

1. Les conditions d’application

58. Enoncé du texte – L’article L.7321-1 du code du travail reconnaît aux gérants de succursales le bénéfice du code du travail, sous réserve de certaines dispositions.

Or, l’article L.7321-2 du code du travail définit de la façon suivante le gérant de succursale:

«Est gérant de succursale toute personne:

1ºChargée, par le chef d’entreprise ou avec son accord, de se mettre à la disposition des clients durant le séjour de ceux-ci dans les locaux ou dépendances de l’entreprise, en vue de recevoir d’eux des dépôts de vêtements ou d’autres objets ou de leur rendre des services de toute nature;

2ºDont la profession consiste essentiellement:

a) Soit à vendre des marchandises de toute nature qui leur sont fournies exclusivement ou presque exclusivement par une seule entreprise, lorsque ces personnes exercent leur profession dans un local fourni ou agréé par cette entreprise et aux conditions ou prix imposés par cette entreprise;

b) Soit à recueillir les commandes ou à recevoir des marchandises à traiter, manutentionner ou transporter, pour le compte d’une seule entreprise, lorsque ces personnes exercent leur profession dans un local fourni ou agréé par cette entreprise et aux conditions et prix imposés par cette entreprise ».

59. Comparaison avec l’ancien article L. 781-1 du code du travail – Les dispositions précitées193 reprennent peu ou prou à elles deux le contenu de l’ancien article L. 781-1 du code du travail qui, cependant, se bornait à énoncer que les personnes correspondant aux critères figurant à présent dans l’article L. 7321-2 se voyaient appliquer les dispositions du code, sans les qualifier de gérants de succursale194.

Une seconde modification a consisté à scinder le texte compact du 2° du premier alinéa de l’article L. 781-1 du code de commerce en deux subdivisions (a) et b). Cette scission a provoqué une grande inquiétude au sein des réseaux de franchise, à la suite d’une maladresse de rédaction survenue lors de la recodification195. Il a été heureusement mis fin à cette crainte à la faveur de la loi sur la modernisation de l’économie196: les conditions d’application des nouveaux articles L. 7321-1 et suivants sont désormais sans nul doute les mêmes que celles des anciens articles L. 781-1 et suivants du même code197.

Trois conditions doivent ainsi être réunies pour que le franchisé soit qualifié de gérant de succursale et bénéficie à ce titre des dispositions du code du travail.

60. Première condition requise: fourniture exclusive ou quasi-exclusive des marchandises par le franchiseur/ réception des commandes, traitement, manutention, ou transport des marchandises pour le compte du franchiseur – En premier lieu, la profession du franchisé doit consister essentiellement, «soit à vendre des marchandises de toute nature qui [lui] sont fournies exclusivement ou presque exclusivement» par le franchiseur, «soit à recueillir les commandes ou à recevoir des marchandises à traiter, manutentionner ou transporter,» pour le compte du franchiseur. Cette condition consiste ainsi en une alternative à deux branches, qui permette d’envisager l’application de l’article aux franchises de distribution comme aux franchises de service.

Dans la première branche – susceptible de concerner les franchises de distribution – qui consiste en la fourniture exclusive ou quasi-exclusive des marchandises par le franchiseur198 (quel que soit le mode de cette fourniture, vente ou dépôt), on retrouve le problème de la notion de quasi-exclusivité, déjà abordé dans le cadre des critères d’application de la loi Doubin, à propos de l’activité du franchisé199. Une abondante jurisprudence a fixé le seuil de la quasi-exclusivité entre 75 et 80%200.

La seconde branche de l’alternative – susceptible de concerner les franchises de service – envisage l’hypothèse où l’activité du franchisé consiste à «à recueillir les commandes ou à recevoir des marchandises à traiter, manutentionner ou transporter» pour le compte du franchiseur. Cette hypothèse correspond, dans beaucoup de cas, à celle du transport de colis pour le compte du franchiseur201.

61. Deuxième condition requise: la fourniture ou l’agrément du local du franchisé par le franchiseur – En deuxième lieu, le local du franchisé doit être «fourni ou agréé» par le franchiseur202. Or, il est fréquent que le franchiseur agrée le local choisi par le franchisé: cette démarche est souvent nécessaire à la conservation de l’image du réseau, dont le contrôle par le franchiseur est légitime.

62. Troisième condition requise: l’imposition par le franchiseur des conditions de travail et des prix – En troisième lieu, les conditions de travail et les prix doivent être imposés par le franchiseur203. Cette condition se rapproche des indices permettant de caractériser un lien de subordination dans le cadre de l’application de l’article L. 120-3 du code du travail. On peut observer dans la jurisprudence que l’article L. 781-1 a été appliqué dans des cas où la liberté du franchisé dans l’organisation de son travail était très faible (prospection de la clientèle effectuée par le franchiseur, horaires imposés, prix imposés…). Encore une fois, des stipulations faisant apparaître que le contrôle du franchiseur est limité à ce qui est rendu nécessaire par son obligation de transmission de savoir-faire permettent d’éviter l’application de l’article L. 7321-2 du code du travail.

Par ailleurs, les prix imposés au revendeur étant interdits au regard du droit de la concurrence, les franchises susceptibles de tomber sous le coup de l’application du texte sont principalement celles au sein desquelles le franchiseur place ses marchandises en dépôt-vente chez le franchisé204.

Ces conditions sont cumulatives205. Lorsqu’elles sont réunies, l’article L. 7321-2 du code du travail s’applique, peut important qu’elles ne ressortent pas des termes du contrat, mais uniquement du comportement des parties lors de l’exécution de ce dernier206.

63. Condition disparue:l’exercice personnel de la profession par une personne physique – Longtemps, la jurisprudence a posé comme condition que le franchisé soit une personne physique207. Les juridictions ont eu cependant à faire face aux manœuvres de certains contractants qui tentaient d’échapper aux dispositions de l’article L. 781-1 du code du travail en obligeant leur cocontractant à former une «société écran». Dans un premier temps, les juges ont décelé ces sociétés et sont passés outre, lorsqu’ils constataient que le seul but de la constitution de la société avait été d’éviter l’application de l’article L. 781-1 du code du travail208.

Il semble qu’une telle démarche ne soit plus nécessaire aujourd’hui: la Cour de cassation considère aujourd’hui que l’exercice de la profession par une personne physique à titre personnel n’est pas une condition d’application dudit article209.

64. Condition exclue: le lien de subordination – Le lien de subordination n’est pas une condition d’application de l’article L. 7321-2 du code du travail. Si quelques juridictions du fond s’étaient auparavant attachées à démontrer l’existence d’un tel lien pour pouvoir appliquer cette disposition210, la chambre sociale de la Cour de cassation a exclut cette notion comme condition d’application du texte par trois arrêts du 4 décembre 2001211. Cette solution ne fait désormais aucun doute: elle a été réaffirmée par la Haute juridiction212 et les juridictions du fond213.

65. Caractère d’ordre public – Il n’est pas possible au franchiseur d’échapper à l’application de l’article L. 7321-2 2° du code du travail en prévoyant une clause par laquelle le franchisé s’engagerait à se prévaloir de cette disposition, celle-ci étant d’ordre public214.

2. Les effets

66. Absence de requalification – Contrairement à ce que laissent penser certaines décisions rendues par les juridictions du fond215, l’article L.781-1 du code du travail, remplacé aujourd’hui par les articles L. 7321-1 et L. 7321-2 du même code, n’opère pas à proprement parler une «requalification» du contrat en contrat de travail, puisque le lien de subordination n’a pas à être établi. Ainsi, lorsque les conditions d’application du texte sont remplies, le franchisé reste lié par un contrat de franchise tout en bénéficiant – en raison de son état de dépendance économique216– des dispositions protectrices du droit du travail.

Les décisions requalifiant le contrat de franchise en contrat de travail sur le fondement de l’article L. 781-1 du code du travail (aujourd’hui remplacé par les articles L. 7321-1 et L. 7321-2 du même code) sont critiquables en ce qu’elles admettent qu’un contrat de travail puisse exister en dehors d’un lien de subordination. Cette considération est contraire à la notion même de contrat de travail et, au-delà, au mécanisme des qualifications juridiques. Certes, existe-t-il des «salariés par détermination de la loi» (les VRP, les journalistes, les mannequins, etc.), autrement dit des catégories professionnelles qui reçoivent, de source légale expresse, le titre de salarié, alors même qu’elles n’exercent pas leur activité en situation de subordination. Mais il s’agit de situations hautement dérogatoires, réservées au seul domaine de la loi, que la jurisprudence n’est pas habilitée à contrarier. Il n’existe pas de salariés «par détermination de la jurisprudence», et il convient donc de ne pas qualifier de «contrat de travail» une relation contractuelle dans laquelle fait défaut le pouvoir de subordination du créancier d’un travail à l’égard du débiteur217.

A ce titre, il convient de rappeler que le législateur n’a pas profité de la réforme du 12 mars 2007 pour institué un nouveau salarié par détermination de la loi; en effet, si les personnes répondant aux critères ci-dessus exposés sont aujourd’hui légalement qualifiés de «gérants de succursales», le Titre II du Livre III de la septième partie du code du travail, qui leur est consacré, ne contient aucune disposition relative à un quelconque contrat de travail, alors que le titre précédent, consacré au VRP, contient un chapitre III concernant le seul contrat de travail.

67. Application des règles issues du code du travail – Si la juridiction saisie constate que les conditions exigées sont remplies, le franchisé aura la qualité de gérant de succursale, en vertu de l’article L. 7321-2 du code du travail.

En conséquence, par application de l’article L. 7321-1, les dispositions dudit code lui seront applicables, sous réserve de quelques dispositions spéciales.

Ainsi, le franchisé pourra notamment revendiquer à son profit des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse218 ainsi qu’une indemnité compensatrice de préavis219, une indemnité de congés payés220, la garantie du salaire minimum garanti par la convention collective applicable221, le remboursement des frais de constitution d’une société à laquelle le franchisé aura été contraint de procéder222, et le rembourssement du droit d’entrée réglé lors de la signature du contrat de franchise223.

S’agissant desrègles relatives à la durée du travail, aux repos et aux congés, et de celles relatives à la santé et à la sécurité au travail, deux situations sont distinguées par l’article L. 7321-3 du code:

– lorsque «l’employeur (…) a fixé les conditions de travail, de santé et de sécurité au travail dans l’établissement» ou lorsque «celles-ci ont été soumises à son accord», le gérant de succursale est soumis au régime des salariés,

– dans le cas contraire, le gérant de succursale est assimilé à un employeur, et est soumis au régime des chefs d’établissement, directeurs et gérants; par ailleurs, lui sont applicables «les dispositions relatives aux relations individuelles de travail prévues à la première partie, à la négociation collective et aux conventions et accords collectifs de travail prévues au livre II de la deuxième partie (…) dans la mesure où elles s’appliquent aux chefs d’établissements, directeurs ou gérants».

Le franchiseur dont les agissements correspondraient à la première hypothèse envisagée par l’article L.7321-3 outrepasserait probablement considérablement le contrôle justifié par son obligation de transmission du savoir-faire.

68. Sécurité sociale – En vertu de l’article L. 311-11 du code de la sécurité sociale renvoyant à l’article L. 120-3 du code du travail224, le franchisé immatriculé, notamment, au registre du commerce et des sociétés ne relève du régime général de la sécurité sociale que s’il est placé dans un lien de subordination juridique permanente à l’égard d’un donneur d’ordre. La réunion des conditions de l’article L. 7321-2 du code du travail n’entraine donc pas l’application du régime général de la sécurité sociale au franchisé225.

Section 2 : Classifications des types de franchise

§1. Classification selon l’objet du contrat de franchise

70. Avertissement – L’arrêt Pronuptia du 28 janvier 1986226 soulignait déjà que «les contrats de franchise (…) sont d’une grande diversité» et dinstinguait trois types de contrats de franchise: les contrats de franchise de service, les contrats de franchise de production, et les contrats de franchise de distribution.

Cette distinction a été reprise par le règlement du 30 novembre 1988227: «Plusieurs types de franchise peuvent être distingués en fonction de leur objet: la franchise industrielle concerne la fabrication de produits, la franchise de distribution concerne la vente de produits et la franchise de services concerne la prestation de services».

A ces trois types, doivent être aujourd’hui ajoutés la franchise financière et la franchise de comptoir228.

I. Franchise de service71. Définitions – Le règlement du 30 novembre 1988 donnait à la franchise de service une définition tautologique: «la franchise de services concerne la prestation de services».

Dans son arrêt Pronuptia du 28 janvier 1986, la Cour de justice des communautés européennes s’était montrée légèrement moins laconique. Selon cette décision, «les contrats de franchise de service [sont ceux] en vertu desquels le franchisé offre un service sous l’enseigne et le nom commercial, voire la marque, du franchiseur et en se conformant aux directives de ce dernier ».

La doctrine, enfin, a proposé une définition plus précise mettant l’accent sur le caractère particulièrement développé du savoir-faire dans ce type de franchise: «dans le franchisage de services, le franchiseur met à la disposition de ses franchisés un système standardisé complet pour offrir un service à la clientèle, comprenant des signes de ralliement de la clientèle229» .

72. Particularités des franchises de service – Sur un plan pratique, dans la mesure où la franchise de service ne concerne ni la vente de marchandises, objet de la franchise de distribution, ni la fabrication d’objets, objet de la franchise industrielle ou artisanale, elle se distingue aisément des autres contrats de distribution que constituent la concession, la distribution sélective et la licence de marque.

Sur le plan de la classification, la franchise de services est considérée comme «la figure type du franchisage»230. Les obligations essentielles du franchiseur y prennent en effet une importance particulière.

S’agissant du savoir-faire, d’abord, la satisfaction de la clientèle dépend, dans ce type de franchise encore plus que dans la franchise de distribution, du comportement, de la compétence professionnelle du franchisé et de son efficacité. Le savoir-faire doit donc être «spécifique et performant»231: le franchiseur doit transmettre au franchisé, non une méthode de vente, mais une méthode de travail permettant de rendre service à la clientèle d’une manière se détachant des méthodes traditionnelles, et apportant un avantage par rapport à elles232.

S’agissant de l’assistance, ensuite, la franchise de service implique un renouvellement constant du concept. En effet, comme l’a relevé un auteur233, le franchisé n’est pas lié par l’attrait d’une centrale d’achat lui donnant des avantages particuliers qu’il perdrait en quittant le réseau: si le savoir-faire n’évolue pas, le franchisé a peu d’intérêts à rester dans le réseau une fois ce savoir-faire acquis. Cette évolution est particulièrement visible dans le cadre des franchises de restauration234.

S’agissant de la notoriété de l’enseigne, enfin, l’image du réseau est tout aussi importante dans la franchise de service que dans les autres types de franchise. En effet, la qualité de l’accueil, la présentation et la propreté du cadre dans lequel le service est rendu joue pour beaucoup dans l’attrait de la clientèle, ainsi que, naturellement, la publicité. Cet aspect est particulièrement marqué dans l’hôtellerie, où la clientèle séjourne dans l’établissement du franchisé235.

73. Développement des franchises de service – La franchise de service couvre de nombreux domaines, qui ne cessent de se diversifier. Ainsi, à l’hôtellerie et à la restauration, développées en franchise dès les années 1970-1980, se sont ajoutés, notamment, les services d’entretien des voitures, les services aux entreprises, les centres de beauté et de remise en forme, les agences immobilières, les loisirs et, très récemment, les services d’aide à domicile (aide aux personnes âgées, ménage, garde d’enfants, soutien scolaire, etc.)236.

Parmi les 1141 réseaux recensés en 2007 par la Fédération française de la franchise, 549 sont des réseaux de franchise de service, soit 48 %, ce qui marque une progression de plus de 10 % depuis 2001.

II. Franchise de distribution

74. Définitions – Selon le règlement de 1988, «la franchise de distribution concerne la vente de produits». L’arrêt Pronuptia précité a définit les contrats de franchise de distribution comme ceux «en vertu desquels le franchisé se borne à vendre certains produits dans un magasin qui porte l’enseigne du franchiseur».

75. Particularités de la franchise de distribution – La franchise de distribution présente un risque accru de confusion avec les contrats de distribution voisins237 et, en particulier, avec les contrats de concession et de commission-affiliation.

En effet, les contrats de franchise de distribution contiennent très souvent une clause d’exclusivité territoriale, et une clause de quasi-exclusivité d’approvisionnement. La transmission d’un savoir-faire et la fourniture d’une assistance par le franchiseur au franchisé sont alors les seuls éléments qui les distinguent de la concession.

Ce savoir-faire ne procède ni d’un mode de fabrication, comme dans le franchisage industriel, ni d’une méthode portant sur une prestation de service, comme dans la franchise de service, mais d’une technique de commercialisation, au sens de l’acte de commerce tel que défini par l’article L.110-1 1° du code de commerce: si le franchisé «se borne à vendre certains produits», selon la formule employée par l’arrêt Pronuptia, il le fait selon la méthode qui lui a été communiquée par le franchiseur. Le savoir-faire porte donc à la fois sur l’achat (quantité, qualité des produits, moment opportun de l’achat, etc.) – sauf dans le cas où les produits sont placés en dépôt-vente chez le franchisé – et sur la vente (présentation des produits, conseils devant être apportés à la clientèle, aménagement du magasin, etc.).

Les produits ainsi vendus par le franchisé peuvent avoir une origine diverse. Selon le cas, ils sont fabriqués par le franchiseur238 – qui doit également avoir testé sa méthode de vente préalablement à l’ouverture du réseau – ou par des entreprises extérieures239, sur les instructions du franchiseur ou librement. Dans de nombreux cas, le réseau est pourvu d’une centrale de référencement – les franchisés se fournissent alors directement auprès des fabriquants référencés – ou d’une centrale d’achat; selon les hypothèses, cette dernière achète les produits puis les revend aux franchisés, ou les achète directement pour le compte de ces derniers.

76. Importance de la franchise de distribution – Malgré le développement de la franchise de service, la franchise de distributio, qui concerne environ la moitié des réseaux, demeure la plus fréquente des formes de franchise.

De nombreux domaines connaissent ce type d’exploitation; on retiendra, entre autres, le prêt-à-porter, l’alimentation, les supermarchés, les fleurs et les arts de la table.

III. Franchise industrielle ou artisanale77. Termes employés – Le type de contrat de franchise faisant l’objet du présent paragraphe a reçu indifféremment en droit européen, en jurisprudence et en doctrine les appellations de «franchise industrielle» et de «franchise de production».

78. Définitions – Le règlement de 1988 indiquait: «la franchise industrielle concerne la fabrication de produits». Plus précis, l’arrêt Pronuptia a défini les contrats de franchise de production comme ceux «en vertu desquels le franchisé fabrique lui-même, selon les indications du franchiseur, des produits qu’il vend sous la marque de celui-ci». Pour la doctrine, le contrat de franchise industrielle ou artisanale est celui qui «met en scène deux industriels (ou artisans)» et par lequel «le premier accorde au second le droit et les possibilités de fabriquer et de commercialiser les produits qu’il a mis au point »240.

79. Particularités de la franchise industrielle – Ainsi qu’il ressort de l’arrêt Pronuptia, en matière franchise industrielle, le franchisé exerce deux types d’activité: il fabrique des produits selon les indications du franchiseur, puis les vend.

D’une part, il exerce une activité de fabrication. Le savoir-faire transmis par le franchiseur au franchisé porte donc obligatoirement sur la méthode de fabrication des produits: matériaux, outils, recette s’il s’agit d’un produit alimentaire, qualification requise du personnel, formation de celui-ci, etc. Ce savoir-faire peut en outre concerner la vente des produits, seconde activité du franchisé, et contenir en plus des instructions relatives à la fabrication des indications similaires à celles que l’on retrouve dans la franchise de distribution.

Par ailleurs, le franchisé de production doit être à la fois un industriel et un commerçant, ce qui implique de sa part une qualification technique souvent importante, l’image du réseau dépendant au premier chef de la qualité de ses produits241.

La transmission du savoir-faire est souvent accompagnée en pratique de licences de brevets. Le savoir-faire, qui doit être secret242, ne peut consister en une licence de brevet: le procédé objet du brevet, exposé dans la demande de brevet «de façon suffisamment claire et complète pour qu’un homme du métier puisse l’exécuter»243 et suivant les modalités de l’article R.612-2 du code de la propriété intellectuelle, tombe dans le domaine public à l’expiration du monopole du franchiseur.

D’autre part, le franchisé vend les produits qu’il a fabriqués «sous la marque» du franchiseur. La franchise de production revêt ainsi la particularité d’impliquer une licence de marque donnant au franchisé des droits plus étendus que ceux qui sont les siens dans les autres types de franchise : contrairement au franchisé de distribution, qui vend des produits déjà marqués, le franchisé de production appose lui-même la marque du franchiseur sur les produits qu’il a fabriqués.

80. Importance pratique – L’importance, en pratique, du nombre de réseaux fondés sur la franchise de production est discutée244.

Force est de constater toutefois que, si les franchises de distribution et de service représentent une très grande proportion des réseaux de franchise, la franchise de production concerne des entreprises d’importance majeure. Elle a ainsi permis notamment à Bata, Yoplait et Coca Cola d’étendre leurs réseaux à un niveau international, en franchisant leur procédé à l’étranger, permettant ainsi la fabrication des produits sur place. La franchise de production se développe également dans le secteur du bâtiment245.

IV. Franchise de comptoir81. Définition – La franchise de comptoir246 ne se définit pas par l’objet sur lequel porte le savoir-faire transmis par le franchiseur, mais par le mode d’exploitation du système franchisé: contrairement à la franchise traditionnelle, qui implique une boutique consacrée dans son ensemble à l’exploitation de la franchise, la franchise de comptoir est accordée «pour un comptoir de marque et, par extension, pour une sorte de kiosque, par exemple de parfum, de montres ou de confiserie, installé dans un hôtel, un grand magasin, une grande surface, un aéroport247 ou un port, au milieu de comptoirs d’articles (ou de services, par exemple de location de voitures) concurrents proposant d’autres marques»248 .

La franchise de comptoir peut ainsi consister en un espace délimité consacré par un commerçant traditionnel au sein de sa boutique à l’exploitation du concept franchisé, ou en un kiosque installé au sein d’une grande structure abritant d’autres kiosques.

82. Particularités de la franchise de comptoir – La franchise de comptoir peut avoir pour objet des prestations de services249 ou la distribution de produits250.

Cependant, en raison des contraintes imposées par la surface restreinte du comptoir, et de sa situation parmi d’autres comptoirs concurrents, les caractères de la franchise se retrouvent ici avec moins de force. Ainsi, il a été jugé que le franchisé de comptoir ne disposait pas d’une clientèle propre, distincte de celle du magasin où le comptoir était implanté251. En outre, certains éléments du savoir-faire, et notamment ceux portant sur l’aménagement du local franchisé et sur la présentation des produits ne peuvent être aussi développés que lorsque ledit local est une boutique252. Réciproquement, le droit d’entrée et les redevances dues par le franchisé sont plus faibles que dans un contrat de franchise classique. Cette atténuation des obligations réciproques ne fait pas obstacle – sauf disparition desdites obligations – à la qualification de contrat de franchise, et les franchises de comptoirs obéissent au même régime que les franchises classiques253.

83. Importance de la franchise de comptoir – La franchise de comptoir permet à certains réseaux de franchise d’ouvrir de nombreux points de vente dans des lieux très fréquentés par une clientèle attirée par le regroupement de différents comptoirs, dans les grands magasins et les aéroports254.

Par ailleurs, lorsqu’un comptoir est formé à l’intérieur de la boutique d’un commerçant, il peut constituer une étape, le commerçant concerné pouvant décider ultérieurement de consacrer l’intégralité de son local au réseau, et s’engager par un contrat de franchise classique255.

V. Franchise financière84. Définition – La franchise financière est une «modalité d’application» du contrat de franchise reposant sur une «dissociation des fonctions d’investissement et de gestion »256: sa nature financière ne dépend en rien de la nature du savoir-faire transmis.

85. Particularités – Certains secteurs qui peuvent être exploités sous forme de franchise, tels que l’hôtellerie et la restauration, supposent de très larges investissements. Les franchiseurs, qui éprouvent alors des difficultés à trouver des franchisés ou à exploiter en propre ce type de structure trouvent un intérêt à dissocier le financement de l’opération, confié à des investisseurs, et la gestion de l’établissement, qui implique des compétences particulières.

La franchise financière permet de confier le financement de l’opération à des investisseurs, et la gestion de l’établissement à une personne compétente, mais ne disposant pas de fonds suffisants.

Le premier type de franchise financière suppose un contrat de franchise classique entre un franchiseur et un franchisé. La particularité réside dans le fait que le local est consenti à bail au franchisé ou au franchiseur par la SCI créée par des investisseurs. Un crédit-bail peut également être consenti au franchisé257.

Le second type de franchise financière met en principe en scène trois personnes et repose sur un double contrat: un contrat de franchise et un contrat de gestion d’entreprise. Un premier contrat de franchise est conclu entre un groupe d’investisseurs et un franchiseur, détenteur d’une marque et d’un savoir-faire; le groupe devient par conséquent franchisé. Un second contrat, dit de gestion d’entreprise, est conclu entre le franchisé et un mandataire258. Par ce contrat, «une société propriétaire des murs et de l’équipement d’une entreprise (le propriétaire) en confie la gestion à une société spécialisée dans l’activité projetée (le gestionnaire)»259.Ce dernier détient alors le droit d’utiliser l’enseigne, le savoir-faire et l’assistance260. Ce type de mécanisme implique que le contrat de franchise, contrairement aux contrats de franchise classiques, autorise le franchisé à transmettre ses droits à un tiers.

Toutefois, en pratique, le mandataire n’est souvent autre que le franchiseur lui-même, ce qui pose le problème de la validité du contrat. Dans ce cas, la transmission des éléments essentiels du contrat de franchise est fictive. Dès lors, non seulement la qualification de contrat de franchise est erronée261, mais le contrat doit en outre être annulé pour absence de cause262.

§2. Classification selon la structure organisationnelle

I. Franchisage «pur»86. Notion – L’expression employée ici de «franchisage pur» renvoie aux réseaux fondés dans leur intégralité sur des contrats de franchise. En particulier, dans ce type de réseaux, l’entreprise du franchiseur ne possède aucune succursale.

C’est le cas notamment de nombreux réseaux concernant les services à la personne et aux entreprises, l’immobilieret le bâtiment : d’après l’enquête réalisée par la Fédération française de la franchise263, fin 2007, ces réseaux étaient composés de franchises à un taux situé, selon le secteur envisagé, entre 85 et 90 %.

87. Intérêts – Le développement d’un réseau réalisé par le seul intermédiaire de contrats de franchise a pour avantage principal de permettre le développement rapide de l’enseigne sur un territoire étendu avec un investissement beaucoup plus faible que pour l’ouverture de succursales, celui-ci étant en principe apporté par le franchisé lui-même. Par ailleurs, le franchisage «pur» permet d’éviter certains écueils de la mixité, tels que les dangers d’inégalité de traitement entre les succursales et les franchisés264.

II. Franchisage «mixte»88. Notion – Au contraire, les réseaux de franchisage mixte reposent à la fois sur des contrats de franchise et sur des succursales, voire sur d’autres types de contrats de distribution265.

Ainsi que le montre le tableau issu d’une enquête réalisée en 2007 et reproduit partiellement ci-dessous, tous les secteurs concernés par la franchise comprennent des réseaux mixtes, à plus ou moins grande échelle:

Nombre de points de vente
Nombre de points de vente franchisés
Taux 2007
Equipement

de la maison
4919
3687
75
Equipement de la personne
15330
6507
42,4
Alimentaire
11992
6900
57,5
Commerces divers
7758
3941
68,2
Services auto
5778
3941
68,2
Bâtiment
741
631
85,1
Nettoyage
450
322
71,5
Coiffure et esthétique
6397
5545
86,9
Autres services aux personnes
3642
3102
85,2
Services aux entreprises
1361
1179
86,6
Formation
360
193
53,6
Hôtels
3210
1678
52,3
Restauration rapide
3153
2180
69,1
Restauration classique
1780
815
45,7
Immobilier
4789
4276
89,9
Voyages
1232
454
36,8
Total
72892
45996
63,1
(Source: Fédaration française de la franchise, Les chiffres de la franchise 2007, Tableau 4: Taux de mixité des réseaux de franchise en France)

89. Licéité – Les réseaux de distribution mixtes sont considérés comme licites au regard du droit de la concurrence, ainsi que le confirment les juridictions françaises266 et communautaires267.

90. Intérêts – Les intérêts des réseaux mixtes ont fait l’objet de différentes théories, qui ont été vérifiées empiriquement. Une étude approfondie268 a fait la synthèse de ces analyses expérimentales269.

En premier lieu, ces analyses confirment que l’un des avantages recherché par les franchiseurs ouvrant des succursales à proximité des entreprises franchisées est la réduction des coûts du contrôle de la mise en œuvre du savoir-faire par le franchisé270. D’une part, dans l’hypothèse où le franchiseur a investi dans l’ouverture de l’établissement franchisé, la résiliation du contrat en cas d’inexécution de ses obligations par le franchisé peut entraîner une perte pour le franchiseur, ce qui offre un moyen de pression au franchisé. En revanche, la présence d’une succursale à proximité du territoire de cet établissement est de nature à dissuader le franchisé d’adopter un tel comportement, une confusion des clientèles du franchisé et de la succursale pouvant être redouté, en particulier lors de la phase post-contractuelle. D’autre part, la présence de deux établissements à proximité l’un de l’autre (l’un succursale, l’autre commerçant indépendant franchisé) permet au franchiseur de contrôler facilement l’effort fourni par le franchisé271, par la comparaison des résultats des deux établissements.

En deuxième lieu, il a été relevé que les franchisés, qui profitent seuls – à l’exception du franchiseur – de l’augmentation de leurs ventes, favorisent celles-ci par rapport au développement de la notoriété de l’enseigne, qui profite à l’ensemble du réseau, alors que les gérants salariés de succursales, dont le salaire est fixe, n’ont pas d’intérêt particulier à favoriser l’une de ces deux tâches sur l’autre272. La combinaison de succursales et de franchises permet ainsi au franchiseur de disposer, d’une part, d’établissements veillant au développement de la notoriété de l’enseigne, et, d’autre part, de franchisés mettant leur énergie au service de l’augmentation de la vente.

En troisième lieu, enfin, l’étude révèle que le développement coconmittant de franchises et de succursales offre une synergie au réseau considéré273: l’expérience des franchisés bénéficie aux succursales, et inversement. Par ailleurs, les salariés du franchisé peuvent être incités à se montrer efficaces dans l’espoir de se voir accorder à leur tour un contrat de franchise.

La mixité des réseaux présente l’avantage, pour les franchiseurs, d’éviter la constitution d’un groupement de franchisés qui, par son développement, pourrait exercerun rôle démesurément important dans la stratégie du groupe.

Néanmoins, il convient de préciser que, pour être licite au regard du droit de la concurrence, un réseau mixte ne doit pas être le théâtre de discrimination entre les distributeurs et les succursales274.

Chapitre 2 : La formation du contrat de franchise

Section 1 : La négociation du contrat de franchise

§1. Les pourparlers

I. L’encadrement des pourparlers

A. L’encadrement légal des pourparlers

93. Le droit commun des pourparlers: l’exigence générale de bonne foi – Les pourparlers peuvent être menés sans cadre contractuel généralet sont alors régis par un principe de liberté contractuelle; ils débutent alors par une invitation à entrer enpourparlers qui se distingue de l’offre par son absence de précision et/ou defermeté275. Dans ce cas, les parties ne sont pas tenues de poursuivre les négociations276; elles doivent néanmoins respecter l’exigence générale de bonne foi posée à l’article 1134 alinéa 3 du code civil et négocier loyalement, à peine d’engager leur responsabilité277.

94. L’article L. 330-3 du code de commerce – L’article L. 330-3 du code de commerce, impose, vingt jours avant la conclusion des contrats entrant dans son champ d’application, la communication d’un projet de contrat ainsi qu’un «document donnant des informations sincères, qui lui permette de s’engager en connaissance de cause».

Les contrats de franchise n’entrent pas tous dans le champ d’application de cet article, qui est en outre susceptible de s’appliquer à d’autres types de contrats278.

Deux documents doivent par conséquent être communiqués par le franchiseur au franchisé lors des pourparlers, dans le cadre de l’obligation légale d’information: le document d’information précontractuelle279 et le projet de contrat, le second étant contenu dans le premier. Le document d’information précontractuelle pouvant comprendre des éléments que le franchiseur préfère conserver secrets, il est recommandé d’exiger du candidat franchisé la signature d’un contrat de confidentialité lors de la remise dudit document, si aucun engagement n’a été pris en ce sens précédemment.

B. L’encadrement contractuel des pourparlers95. Diversité des accords jalonnant les négociations – Les partiespeuvent décider d’encadre les pourparlers par la conclusion d’accords de formes diverses, destinées à organiser la négociation. Les termes même qui servent à désigner ces accords soulignent la confusion qu’ils suscitent: «accords de principe», «lettres d’intention», «protocoles d’accord», leur nature juridique est extrêmement discutée en doctrine280. Ils ne constituent de toute façon qu’une étape dans la négociation: ils permettent de formaliser les éléments sur lesquels le consentement des parties est acquis et ceux qui requièrent de nouvelles discussions281, ainsi que les modalités pratiques de la négociation, comme la durée, la répartition des coûts et le lieu des pourparlers282.

D’autres obligations accessoires peuvent également être prévues dans ces accords. Les parties peuvent notamment conclure une clause d’exclusivité de négociation, par laquelle elles s’interdisent de négocier le même contrat avec des tiers pendant une certaine durée.

96. Accord de principe – La forme la plus fréquente des accords préparatoires est l’accord de principe283, défini par un arrêt de principe de la Chambre sociale de la Cour de cassation du 24 mars 1958, Régie Renault284. La Cour y consacre la spécificité de l’accord de principe par rapport à la promesse de contrat en le définissant comme «l’entente initiale engageant ses partenaires à concourir de bonne foi à l’élaboration d’un contrat dont les conditions sont à déterminer mais dont la conclusion future est arrêtée dès l’origine»285. La démonstration de l’existence d’un accord de principe est pragmatique et ressort soit d’une convention clairement établie en ce sens, soit d’un échange de courriers dans lequel le juge décèle son existence286. La doctrine s’accorde à considérer que cet accord met à la charge des parties l’obligation de négocier de bonne foi287, qui a la nature d’une obligation de résultat. En revanche, il ne crée pas d’obligation de résultat quant à la conclusion du contrat288, conformément au principe de liberté contractuelle.

97. Autres actes préparatoires – En complément de ces accords de principe, les parties peuvent également se remettre divers documents au cours des négociations. Le candidat à la franchise adresse au franchiseur une fiche de candidature comprenant divers renseignements destinés à démontrer son aptitude à devenir franchisé (expérience professionnelle, investissement réalisé, proposition d’un lieu d’implantation…). De la même manière, il peut émettre une lettre d’intention, qui se caractérise par sa nature unilatérale289 et dont la force obligatoire, comme les accords de principe, dépend en réalité de la rédaction qui en est faite par l’émetteur290. La lettre d’intention participe des accords préparatoires sans présenter une véritable spécificité qui permettrait d’en donner une définition précise291. Elle ne doit pas, en tout cas, être confondue avec la lettre d’intention consacrée en droit des sûretés à l’article 2322 du code civil. Egalement créée par la pratique, la lettre d’intention du code civil, autrement désignée sous le terme de «lettre de confort», intègre maintenant la catégorie des sûretés personnelles292.

Ces actes préparatoires, quels qu’ils soient, sont très fréquents pour encadrer les pourparlers293, notamment dans le cadre des contrats de distribution294 et, plus particulièrement, des contrats de franchise295. Ils permettent en effet de prévoir des obligations accessoires destinées à prendre en considération la spécificité du contrat négocié.

98. Clause de confidentialité – La spécificité du contrat de franchise, dont l’une des caractéristiques essentielles tient à la communication d’un savoir-faire, implique ainsi la conclusion indispensable, dans le cadre des négociations, d’une clause de confidentialité. En effet, étant donné l’objet principal du contrat de franchise, qui est la réitération d’un savoir-faire, les pourparlers impliquent la transmission d’informations qui, sans nécessairement correspondre au savoir-faire lui-même, sont confidentielles, notamment lorsqu’elles ont pour but de permettre au candidat franchisé d’apprécier la qualité de la méthode qui lui sera transmise. C’est pourquoi, comme dans le cadre des négociations relatives à la conclusion de tous contrats portant sur la transmission d’un savoir-faire296, il est prudent de prévoir dans le contrat de négociation une clause de confidentialité, obligeant le destinataire de ces informations de ne pas les dévoiler, ni d’en faire usage297.

II. La rupture des pourparlers99. Modalités de la rupture – Dans la mesure où les pourparlers sont régis par un principe de liberté contractuelle, leur rupture n’est soumise à aucune forme particulière. Elle peut être expresse. Dans ce cas, la partie qui souhaite mettre fin aux négociations le signifie à son interlocuteur soit dans les formes prévues au contrat lorsqu’il en existe un, soit selon tout moyen probant. Elle peut également être implicite et résulter, malgré le silence conservé par l’auteur de la rupture, de la conclusion du contrat projeté par l’une des parties avec un tiers aux négociations par exemple; elle est alors manifeste298. De la même manière, dans le cas où l’une des parties formule de nouvelles prétentions, voire propose un nouveau projet de contrat, en revenant sur des éléments expressément convenus299. Une difficulté se pose dans le cas du silence prolongé de l’une des parties, qui peut être sujet à diverses interprétations et s’interpréter soit dans un sens favorable300, soit dans un sens défavorable à la négociation. L’incertitude suscitée par un tel silence peut même parfois justifier la rupture des pourparlers par l’autre partie301.Les modalités de la rupture des pourparlers tiennent essentiellement à des considérations de fait. Si elle est caractérisée, la rupture peut entraîner plusieurs conséquences, qui diffèrent selon qu’elle est légitime ou fautive.

A. Rupture sans faute des pourparlers100. Liberté contractuelle et période précontractuelle – La liberté contractuelle implique le droit de ne pas contracter, et donc la liberté de rompre les négociations tant que le contrat n’est pas signé: le fait de mener des négociations n’entraîne ni l’obligation de les poursuivre, ni celle de contracter. Par conséquent, la rupture des pourparlers n’entraîne en principe pas la condamnation de son auteur à réparer le préjudice de son partenaire aux négociations. Toutefois, au-delà de l’absence de conclusion du contrat définitif, la rupture des pourparlers n’est pas sans conséquence, alors même qu’aucune violation d’une obligation de négocier ou d’abus dans le droit de rompre n’est caractérisée.

101. Difficultés liées à l’obligation d’information – La principale difficulté qui naît de la rupture des pourparlers, et en particulier en matière de contrat de franchise, réside dans l’obligation d’information mise à la charge des parties. En effet, l’une des parties aux pourparlers peut détenir une information que son partenaire aurait intérêt à connaître dans le cadre des négociations. L’obligation de négocier de bonne foi – issue de l’obligation d’exécuter les conventions de bonne foi302– a pour conséquence de faire peser sur le sachant l’obligation d’informer celui qui ignore légitimement303. Les articles L. 330-3 et R. 330-3 du code du commerce s’inscrivent dans cette logique.

L’une des parties à la négociation peut être tentée, tout en mettant fin aux pourparlers, de reprocher à son partenaire de ne pas lui avoir communiqué certaines informations qui lui auraient été utiles, et qui lui auraient permis, par exemple, de renoncer plus tôt à la poursuite des négociations et d’éviter ainsi l’exposition de certains frais, dont il demanderait le remboursement.

102. Risque de divulgation des informations communiquées – Un autre risque est suscité par la nature confidentielle des informations communiquées pendant la négociation; lorsque les pourparlers sont rompus, le risque de divulgation des informations, et de leur utilisation par l’ex-candidat franchisé est considérable.

Si le franchiseur a eu la prudence d’insérer dans l’un des contrats ayant jalonné les pourparlers (contrat de négociation, contrat de confidentialité signé lors de la remise du document d’information, contrat de réservation, etc.) une clause de confidentialité et de non utilisation des informations communiquées, l’ex-candidat franchisé est tenu contractuellement de conserver la confidentialité des informations, et de ne pas les utiliser.

Et, même en l’absence de clause de confidentialité, l’ex-candidat franchisé à l’interdiction d’utiliser les informations communiquées lors des pourparlers, notamment lorsqu’il s’agit d’éléments relatifs au savoir-faire. La jurisprudence considère en effet qu’il commettrait un acte de concurrence déloyale304 ou de parasitisme305 constitutif d’une faute délictuelle306. Cependant, cette protection cesse dès lors que le procédé relève du domaine public et est banal307.

103. Risques relatifs à la marque – La marque, autre élément essentiel du contrat de franchise, peut également être menacée à la suite de la rupture des pourparlers, comme le montre une affaire ayant donné lieu à un arrêt de la Cour de cassation. Après rupture des pourparlers, l’ex-candidat à une franchise principale avait fait enregistrer à l’INPI une marque reproduisant presque exactement le logo et reprenant à l’identique le nom de la marque de son ancien partenaire aux pourparlers, qui n’était enregistrée qu’aux Etats-Unis, empêchant ainsi ledit partenaire de s’implanter en France sous cette marque. La Cour d’appel, approuvée par la Cour de cassation, a annulé la marque déposée à l’INPI, au motif que l’enregistrement s’était fait en fraude aux droits du partenaire américain308.

B. Faute et rupture des pourparlers1. Les caractères de la faute

104. Nature de la responsabilité – Selon que les pourparlers ont été ou non encadrés contractuellement, l’auteur fautif de la rupture engage sa responsabilité contractuelle ou sa responsabilité délictuelle.

a) La responsabilité contractuelle de l’auteur de la rupture

105. Obligation contractuelle de négocier – La responsabilité est contractuelle lorsque l’une des parties viole une obligation essentielle du contrat qui le lie avec la victime. C’est le cas lorsque les pourparlers sont rompus alors qu’il existe un accord de principe mettant à la charge des parties une obligation de négocier de bonne foi, qui en constitue alors l’obligation essentielle. Cette obligation de négocier de bonne foi, selon une partie de la doctrine309, est une obligation de résultat, par opposition à celle d’aboutir au contrat projeté, qui n’est qu’une obligation de moyens310.

En conséquence, le fait pour une partie de mettre fin aux pourparlers, sans explication et sans s’être montrée sérieuse dans le cadre des négociations, est de nature à entraîner sa responsabilité contractuelle311. Il en va différemment lorsque les parties n’ont pas contracté une obligation de négociation: un tel comportement ne suffit pas en lui-même à entraîner la responsabilité de l’auteur de la rupture.

b) La responsabilité délictuelle de l’auteur de la rupture

106. Obligation de bonne foi – En dehors de tout contrat de négociation, le principe est celui de la liberté de rompre les négociations. Cependant, les contractants en puissance qui abuseraient de cette liberté pourraient voir leur responsabilité engagée: l’obligation de bonne foi prévue à l’article 1134 du code civil qui régit l’exécution des conventionss’étend,selon la doctrine, aux pourparlers312. La chambre commerciale de la Cour de cassation a reconnu l’existence d’une telle obligation dans la phase précontractuellepar un arrêt rendu le 20 mars 1972313. Depuis lors, cette solution a plusieurs fois été confirmée par la Haute juridiction 314 et les juridictions du fond315.

La participation à des pourparlers n’entrainant pas l’obligation de conclure le contrat projeté, les partenaires ne peuvent en aucun cas y être contraints. En revanche, la rupture des pourparlers peut entraîner, dans certaines circonstances, la responsabilité délictuelle de son auteur316.

L’Avant projet de loi de réforme du droit des obligations et de la prescription consacre cette solution317; le nouvel article 1104 du code civil disposeraitainsi :

«L’initiative, le déroulement et la rupture des pourparlers sont libres, mais ils doivent satisfaire aux exigences de la bonne foi.

L’échec d’une négociation ne peut être source de responsabilité que s’il est imputable à la mauvaise foi ou à la faute de l’une des parties.»

107. Nature de la responsabilité – Le contrat projeté n’ayant, par définition, pas été conclu, et l’obligation de négocier de bonne foi n’ayant pas ici une origine contractuelle, la responsabilité de l’auteur de la rupture est de nature délictuelle ou quasi-délictuelle; elle est fondée sur les articles 1382 et 1383 du code civil318.

108. Seuil de l’abus – L’examen de la jurisprudence pose la question de la nature du fait générateur de responsabilité: la légèreté ou la mauvaise foi suffisent-elles à caractériser l’abus ou bien faut-il démontrer une intention de nuire319?

Le fondement de l’abus du droit de rompre étant la responsabilité délictuelle ou quasi-délictuelle, aucun seuil minimum de gravité de la faute ne peut être exigé: toute faute et toute négligence dans les circonstances entourant la rupture des pourparlers est de nature à entraîner la responsabilité de son auteur.

En conséquence, les juges apprécient souplement les conditions de l’abus, et n’exigent pas la démonstration d’une faute revêtant des caractères particuliers; ainsi, si la jurisprudence considère que la rupture abusive peut être caractérisée par l’intention de nuire320, il ne s’agit pas, selon une position classique321 que la Cour de cassation a eu l’occasion de rappeler récemment322, d’une condition de l’engagement de la responsabilité délictuelle sur le fondement de la rupture abusive. En effet, la mauvaise foi323 ou la légèreté blâmable324 suffisent à fonder cet abus.

En dépit du fait que la notion d’abus dans la rupture des négociations constitutif d’une faute n’est pas limitée par un seuil minimum de gravité, le principe demeure celui de la liberté: la responsabilité de l’auteur de la rupture ne peut être engagée que si sa faute, fut-elle légère, est prouvée325.

109. Critères – La légèreté blâmable semble être caractérisée par la rupture brutale de pourparlers prolongés326. La jurisprudence semble exiger, lorsque les pourparlers ont été longs, la démonstration de l’existence de motifs légitimes justifiant la rupture327. La caractérisation de la mauvaise foi exige, en plus de ces critères, la démonstration de la volonté de l’auteur de la rupture de faire croire à son partenaire que la conclusion du contrat aura lieu328.

110. Illustrations en matière de franchise – Si les décisions relatives à la rupture de pourparlers sont relativement rares en matière de franchise329, elles confirment cette tendance. Ainsi, les remaniements nombreux et radicaux du contrat, manifestant une «âpreté [qui laissait] mal augurer de la passation d’un contrat à exécution successive et de collaboration par nature souscrit intuitu personae» est un motif légitime de rupture de pourparlers avancés par le franchiseur, quoiqu’ils ne constituent pas nécessairement une faute du candidat franchisé330.

Par ailleurs, la qualité de la prétendue victime des pourparlers est prise en compte dans le cadre de la constatation de la faute: la jurisprudence a pu se fonder sur la qualité du franchisé invoquant l’abus, professionnel averti, pour refuser de donner suite à ses prétentions et considérer qu’il avait conscience de l’absence d’engagement du franchiseur331.

2. L’évaluation du préjudice

111. Identification des chefs de préjudice – La faute dans l’exercice du droit de rompre les pourparlers engage la responsabilité délictuelle de l’auteur de la rupture. Celui-ci doit donc réparer le préjudice ainsi causé à son partenaire aux négociations, en vertu de l’article 1382 ou de l’article 1383 du code civil. L’identification du dommage causé par la faute est par conséquent nécessaire à la détermination du montant de la réparation due à la victime de la rupture des pourparlers. Si la réparation des pertes subies à l’occasion de la négociation (investissements divers, frais de conseil, coût d’études préalables) ne pose pas de difficulté, la réparation des gains manqués est en revanche exclue332.

112. Indemnisation des pertes subies – L’indemnisation des pertes subies est de principe333. Selon la Cour de cassation, la réparation du préjudice inclut «les frais occasionnés par la négociation et les études préalables auxquelles elle [a] fait procéder»334, ce qui est souvent, en pratique, non négligeable, compte tenu du coût des études entreprises pendant les pourparlers, qui peuvent mobiliser de multiples intervenants.

Un arrêt rendu par la cour d’appel d’Aix-en-Provence335 donne une illustration de ce principe: le franchiseur avait adressé un courrier aux candidats franchisés, faisant état de la nécessité de libérer des locaux leur appartenant pour permettre la réalisation de l’opération. Les candidats franchisés avaient procédé à la résiliation des baux à leurs frais, après quoi le franchiseur avait rompu les négociations. La Cour a retenu que le franchiseur avait incité «ses partenaires à prendre dans la croyance légitime d’une concrétisation d’un accord, des initiatives qui leur ont causé un préjudice», que ce préjudice était «la conséquence de la négociation déloyale» menée par le franchiseur, qui devait en conséquence verser aux candidats franchisés, entre autres, une indemnité pour privation de loyers et rembourser une partie des indemnités d’éviction qu’ils avaient du verser à leurs anciens locataires.

Toutefois, lorsque les frais exposés lors des pourparlers ne l’ont pas été en pure perte et ont pu être mis à profit après la rupture, le préjudice de la victime de la rupture abusive et, par voie de conséquence, le montant de la réparation due par l’auteur de ladite rupture, s’en trouve diminué336. Ce montant sera également diminué si les juges considèrent que le préjudice est en partie dû à l’imprudence de la victime337.

Outre le remboursement des frais exposés, l’auteur d’une rupture abusive des pourparlers peut se voir condamner à payer des dommages et intérêts pour préjudice moral338, atteinte à l’image339, perte de la chance de conclure un contrat avec un tiers340, etc. Il est également admis que peut être réparé le préjudice résultant de la perte d’une chance de percevoir des rémunérations du fait de la renonciation à prendre un emploi pendant les négociations, et uniquement pendant cette période, en raison du temps et de l’énergie que celles-ci demandent341.

113. Exclusion de la perte de chance de faire les bénéfices escomptés du contrat – Si l’indemnisation des pertes subies est admise, l’indemnisation des gains manqués en raison de l’absence de conclusion du contrat négocié est en revanche beaucoup plus discutée. Pour certains auteurs, ils devraient être pris en considération dans l’évaluation du préjudice, en fonction de l’état d’avancement des pourparlers342; ainsi, le préjudice causé par la rupture abusive des pourparlers devrait comprendre dans une certaine mesure la perte de chance de réaliser les bénéfices qui seraient survenus si le contrat avait été signé343. Pour d’autres auteurs, le gain manqué ne pourrait donner lieu à réparation dès lors que, même s’il avait été négocié de bonne foi, rien ne garantit que le contrat aurait nécessairement été conclu344. Par un arrêt remarqué, la chambre commerciale de la Cour de cassation345, suivie par la troisième chambre civile de la même cour346, a privilégié cette deuxième analyse et affirmé catégoriquement que «les circonstances constitutives d’une faute commise dans l’exercice du droit de rupture unilatérale des pourparlers précontractuels ne sont pas la cause du préjudice consistant dans la perte d’une chance de réaliser les gains que permettait d’espérer la conclusion du contrat».

Sur un plan juridique, l’analyse des accords préparatoires, destinés à organiser la négociation, se distingue de l’analyse des avant-contrats qui, s’ils interviennent bien pendant la période de négociation et sont provisoires, sont des contrats à part entière, qui ont pour particularité de préparer le contrat définitif, dont ils réunissent d’ores et déjà les éléments essentiels347. Cette différence de nature a une incidence sur la nature de la sanction en cas d’inexécution car ils obligent, de manière plus ou moins contraignante, à la conclusion du contrat définitif.

§2. Les avant-contrats

114. Gradation – Les avant-contrats sont destinés à la conlusion du contrat définitif. Ils connaissent, comme les accords de principe, une certaine gradation selon qu’il s’agit d’un pacte de préférence, d’une promesse unilatérale ou d’une promesse synallagmatique.

I. Le pacte de préférence115. Définition – Le pacte de préférence, s’il est bien conclu en considération d’un contrat définitif, est le moins contraignant des avant-contrats, car les éléments essentiels du contrat final ne sont pas fixés348. Néanmoins, il constitue un contrat obligatoire pour les parties et non un simple accord de principe. Il se définit comme le contrat par lequel une personne s’engage envers une autre, qui accepte, à ne pas conclure avec des tiers un contrat déterminé, ici le contrat de franchise, avant de lui en avoir proposé la conclusion aux mêmes conditions349.

Lors de négociations ayant pour objectif la signature d’un contrat de franchise, il est fréquent que les parties signent un tel contrat; le franchiseur s’engage alors, pour le cas où il déciderait de conclure un contrat de franchise, à proposer ce contrat en priorité à son cocontractant au pacte. Cette formule est assez souple et, dans certaines circonstances, les parties peuvent préférer s’engager par un tel pacte, plutôt que de signer un contrat de réservation350. Pour le franchisé, le pacte de préférence présente l’avantage de ne pas entraîner le paiement d’une indemnité d’immobilisation (alors qu’il en va différement en présence d’un contrat de réservation) et, pour le franchiseur, de ne pas constituer une promesse de contrat entraînant formation du contrat en cas de levée de l’option par le candidat franchisé. En effet, le franchiseur s’engage alors seulement à proposer en priorité le contrat au franchisé: s’il décide de contracter, alors seulement il est tenu de proposer ce contrat au franchisé. Le pacte précise les délais dans lesquels le candidat franchisé devra se prononcer si le franchiseur lui fait une offre, et les conditions dans lesquelles le franchiseur pourra proposer un projet identique à un tiers.

116. Sanction – Si le franchiseur conclut le contrat projeté avec un tiers sans l’avoir proposé au préalable au franchisé bénéficiaire, se pose la question de la sanction de la violation du pacte de préférence: le franchiseur est-il tenu de conclure le contrat définitif? Pendant un temps, la jurisprudence considérait que le promettant était tenu au seul versement de dommages et intérêts, sur le fondement de l’article 1142 du code civil selon lequel les obligations de faire se résolvent en dommages et intérêts en cas d’inexécution de la part du débiteur. Dans la mesure où le franchiseur ne s’oblige qu’à proposer le contrat en priorité et non à le conclure, ces décisions pouvaient se justifier351. Les critiques qu’elles ont suscitées ont cependant amené la Chambre mixte de la Cour de cassation à revenir sur sa position et à consacrer l’exécution forcée du contrat projeté dans un arrêt de principe du 26 mai 2006, ultérieurement confirmé352.

Selon cet arrêt, «si le bénéficiaire d’un pacte de préférence est en droit d’exiger l’annulation du contrat passé avec un tiers en méconnaissance de ses droits et d’obtenir sa substitution à l’acquéreur, c’est à la condition que ce tiers ait eu connaissance, lorsqu’il a contracté, de l’existence du pacte de préférence et de l’intention du bénéficiaire de s’en prévaloir». La Cour consacre donc la sanction de la substitution du franchisé bénéficiaire du pacte au tiers qui a contracté en violation de son droit de priorié. Cette substitution est subordonnée au prononcé de la nullité du contrat conclu en violation des droits du bénéficiaire, qui requiert la réunion de deux conditions: la connaissance de l’existence du pacte de préférence par le tiers et la connaissance de l’intention du bénéficiaire de s’en prévaloir. Ces conditions sont traditionnelles, mais la Cour n’avait jamais considéré qu’elles étaient réunies, s’agissant en particulier de la seconde, dont la preuve est extrêmement difficile à rapporter, et n’avait jamais posé aussi clairement le principe de la substitution. Les arrêts ultérieurs ont confirmé qu’il ne s’agit pas d’une jurisprudence théorique et ont eu l’occasion de prononcer une telle substitution353. La violation du pacte de préférence peut donc être sanctionnée par une exécution en nature.

II. La promesse unilatérale117. Définition – Les parties peuvent également conclure une promesse unilatérale de contrat de franchise . La promesse unilatérale de contrat est « la convention par laquelle un individu, le promettant, s’engage envers un autre qui l’accepte, le bénéficiaire, à conclure un contrat dont les conditions sont dès à présent déterminées si celui-ci le lui demande dans un certains délai» 354 La promesse unilatérale de contrat est un contrat à part entière, le promettant s’est définitivement engagé à conclure le contrat de franchise, dont la conclusion est simplement subordonnée à la levée de l’option par le bénéficiaire355. Il s’agit de la forme la plus aboutie des actes conclus pendant la négociation : d’une part, les conditions du futur contrat sont déterminées ; d’autre part, pèse sur le promettant l’obligation de conclure le contrat de franchise si le bénéficiaire de la promesse décide de lever l’option dans le délai de la promesse, et non plus seulement une obligation de négocier. Pendant toute la durée du délai prévu dans la promesse, le promettant est dans la même situation que si le contrat définitif était conclu ; il n’est tenu à aucune prestation positive puisqu’il a déjà donné son consentement au contrat définitif. Ainsi, lors de la levée de l’option par le bénéficiaire, le contrat est automatiquement conclu.

La question de la nature de l’obligation du promettant a été discutée sur le terrain des sanctions en cas de violation de la promesse unilatérale de contrat, dans le cas où le franchiseur décide de se rétracter avant la levée de l’option : le bénéficiaire de la promesse peut-il se voir substitué dans les droits du tiers qui a contracté en violation de son droit ? La troisième chambre civile de la Cour de cassation, dans un arrêt extrêmement controversé du 15 décembre 1993356 rendu en matière de promesse unilatérale de vente, a décidé sur le fondement de l’article 1142 du code civil que tant que le bénéficiaire n’a pas levé l’option, l’obligation du promettant ne constitue qu’une obligation de faire qui ne peut donner lieu qu’au versement de dommages et intérêts et non à exécution forcée en nature. Cette solution presque unanimement critiquée pourrait être remise en cause par l’arrêt précité du 26 mai 2006 rendu par la Chambre mixte de la Cour de cassation en matière de pacte de préférence : l’engagement du promettant dans une promesse unilatérale de vente est plus fort que celui contracté dans le cadre d’un pacte de préférence. En effet, alors que le premier a déjà consenti à la vente, le second ne s’oblige qu’à proposer une priorité au bénéficiaire dans le cas seulement où il décide de contracter ; refuser la substitution dans le cas de la violation d’une promesse unilatérale de vente paraît illogique.

La conclusion de promesses unilatérales de contrat de franchise est fréquente en pratique, d’autant qu’elle connaît une forme particulière : le contrat de réservation.

118. Contrat de réservation – Le contrat de réservation est le contrat par lequel le franchiseur s’engage à ne pas concéder de contrat de franchise à un tiers sur un territoire et pendant une période déterminés, le plus souvent en contrepartie d’une indemnité versée par le candidat franchisé. Il s’agit d’une promesse unilatérale357 de contrat de franchise, assortie d’une réservation de territoire358.

L’indemnité versée par le franchisé est en principe conservée par le franchiseur lorsque le candidat franchisé renonce à la signature du contrat359. Si le contrat est effectivement signé, cette somme s’impute sur le droit d’entrée payé par le franchisé.

L’alinéa 3 de l’article L. 330-3 du code de commerce, issu de la loi du 13 décembre 1989, énonce que: « lorsque le versement d\’une somme est exigé préalablement à la signature du contrat (…), notamment pour obtenir la réservation d\’une zone, les prestations assurées en contrepartie de cette somme sont précisées par écrit, ainsi que les obligations réciproques des parties en cas de dédit ».

Par conséquent, lorsque le contrat de réservation met à la charge du franchisé le paiement d’une indemnité, il doit faire l’objet d’un écrit précisant les obligations pesant sur le franchiseur en contrepartie de l’indemnité, et les conséquences du dédit du franchisé en termes d’obligations.

Le contrat peut prévoir en outre, notamment, les obligations suivantes :

A la charge du franchiseur:

– l’obligation d’aider le candidat franchisé à chercher un local et à obtenir des prêts;

– l’obligation de donner une formation au candidat franchisé;

– l’obligation de rembourser l’indemnité versée par le candidat franchisé dans certaines circonstances360.

A la charge du franchisé:

– l’obligation de mettre tout en œuvre pour rechercher un local;

– l’obligation de recevoir la formation dispensée par le franchiseur;

– une obligation de confidentialité;

– une obligation de non-concurrence.

III. La promesse synallagmatique119. Promesse synallagmatique de contrat de franchise – La promesse synallagmatique de contrat se définit comme «un contrat de promesse dans lequel les deux parties prennent réciproquement l’engagement de conclure un contrat dont les éléments sont d’ores et déjà définis dans ledit accord»361. Dans ce cas, les deux parties ont consenti au contrat définitif; elles subordonnent sa conclusion à la réalisation d’une condition ou d’un terme. La promesse synallagmatique est en réalité un contrat conditionnel ou un contrat à terme. En effet, dans la mesure où le contrat de franchise est un contrat consensuel, c’est-à-dire qui n’est subordonné à aucune condition de forme particulière, le simple fait de consentir aux éléments essentiels du contrat suffit à en constater la conclusion définitive. Le raisonnement est identique à celui opéré en matière de promesse de vente: selon l’article 1589 du code civil, «la promesse de vente vaut vente lorsqu’il y a consentement réciproque des deux parties sur la chose et le prix». La jurisprudence a étendu cette assimilation à d’autres contrats consensuels362. Par exemple, si une condition suspensive est prévue dans la promesse de contrat et se réalise, le contrat sera réputé avoir été formé dès la conclusion de la promesse, en vertu de l’article 1179 du code civil363. Les parties ne peuvent alors se dégager du contrat364, et sont tenues de l’exécuter, sauf, pour la partie qui s’y soustrairait, à risquer une résolution du contrat à ses torts365: le franchiseur est d’ores et déjà tenu de transférer au franchisé le savoir-faire, de lui accorder le droit d’utiliser son enseigne et de lui apporter une assistance; le franchisé, quant à lui, doit s’acquitter du droit d’entrée et des redevances. Ainsi, la période écoulée entre la promesse et la réalisation de la condition sera, sauf stipulation contraire, prise en compte dans l’assiette des redevances366.

120. Sanction – La question se pose une fois encore de la sanction en cas de violation de la promesse synallgmatique: le juge peut-il en pronconcer l’exécution forcée en nature? Ainsi, si les parties ont décidé de réitérer leur consentement à une date ultérieure et que l’une des parties refuse de procéder à cette réitération, un jugement peut-il valoir réitération ? Le contrat de franchise étant un contrat consensuel, la réponse semble devoir être affirmative. Par conséquent, dès lors que les éléments essentiels du contrat de franchise, tels que définis par les textes européens, la jurisprudence et la doctrine367, sont réunis, la promesse vaudra contrat368.

Les parties peuvent soumettre la formation du contrat de franchise à sa réitération sous forme solennelle, dérogeant ainsi au principe du consensualisme369. La volonté des parties de faire de cette réitération doit ressortir clairement soit d’une clause expresse370, soit des «circonstances»371. La simple référence à un acte notarié futur ne suffit pas à prouver cette volonté372. La jurisprudence adopte une position identique en matière de vente373.

Dans le cas contraire, le contrat de franchise est formé dès la promesse synallagmatique.

Section 2 : La conclusion du contrat de franchise

121. Plan – Le contrat de franchise doit répondre aux conditions de validité de tout contrat (Sous-section 1). A défaut, il est susceptible d’être annulé, ce qui entraîne des conséquences importantes (Sous-section 2).

Sous-section 1. Les conditions de validité du contrat de franchise122. Plan– Le contrat de franchise doit répondre aux conditions de consentement (§.1), de capacité (§.2), d’objet (§.3) et de cause (§.4) imposées pour la validité de tout contrat par l’article 1108 du code civil.

Section 3 : Les conditions de validité du contrat de franchise

§1. Le Consentement

I. La forme du consentement

A. Consensualisme du contrat de franchise

123. Principe – En dépit du doute qu’un arrêt a pu laisser planer374, il est certain que le contrat de franchise est un contrat consensuel, qui se forme donc par le seul échange des consentements, sans qu’aucune formalité – tel qu’un écrit – ne soit nécessaire à sa validité375. En droit français, en effet, les contrats sont en principe consensuels376; par conséquent, à moins qu’une disposition particulière ne prévoie une formalité particulière à la formation d’un contrat, ce contrat est formé par le simple échange des consentements. Or, le contrat de franchise ne fait l’objet d’aucun régime juridique spécifique, et est donc soumis au droit commun.

C’est pourquoi le caractère consensuel du contrat de franchise est régulièrement réaffirmé par les juridictions377, conformément aux dispositions de l’article L.110-3 du code de commerce378.

B. Preuve du contrat de franchise124. Preuve par tous moyens – Tout moyen de preuve légalement admissible suffira à établir la preuve du contrat de franchise dès lors que l’échange des consentements est parfait379.

Il en va ainsi notamment lorsque :

– le franchisé n’a élevé aucune protestation ni réserve sur les marchandises qui lui étaient livrées et ne les a jamais refusées380 ;

– le franchiseur a reconnu la conformité de la boutique au style des franchises, et n’a pas réagi à la publicité faisant apparaître la boutique comme franchisée381 ;

– le franchisé a revendiqué cette qualitéet s’est comporté comme tel, en réglant les redevances mensuelles, tandis que, de son côté, le franchiseur lui a concédé l’usage de son enseigne et de sa marque382.

125. Illustrations – Un arrêt383 offre une bonne illustration de la preuve par tous moyens du contrat de franchise. Alors que le projet de contrat de franchise remis par le franchiseur n’avait jamais été retourné signé, la Cour d’appel a retenu que l’existence du contrat de franchise résultait en l’espèce d’un faisceau d’indices précis, graves et concordants, le franchisé ayant :

– participé à une réunion à laquelle était présent un représentant du franchiseur, et à l’issue de laquelle lui avait été adressé un document rappelant les principales conditions du contrat (montant du droit d’entrée, durée minimum du contrat, montant des rémunérations revenant au franchiseur) ;

– suivi un stage de formation ;

– utilisé l’enseigne et les supports publicitaires du franchiseur ;

– fait usage de la dénomination du franchiseur sur son propre K bis ;

– disposé des produits du franchiseur ;

– autorisé des prélèvements bancaires au bénéfice du franchiseur.

Selon la Cour d’appel, ces éléments suffisaient à démontrer l’existence du contrat, alors même que les obligations en découlant n’avaient pas été parfaitement exécutées.

En revanche, le fait que le franchisé retourne le document d’information précontractuelle annoté et paraphé et que la boutique change d’adresse peut ne pas suffire à établir l’existence d’un nouveau contrat de franchise384. De même, le fait qu’un commerçant, à la réception de factureset d’une mise en demeure émises par un franchiseur, ne nie pas être le franchisé de ce dernier ne prouve pas à lui seul l’existence d’un contrat de franchise entre ledit franchiseur et ledit commerçant385.

II. La protection du consentement126. Particularité du consentement dans le contrat de franchise – Le consentement des parties, condition de validité de tout contrat, revêt un aspect particulier en matière de contrat de franchise. C’est en effet à ce stade, et à nul autre, que le législateur est intervenu pour règlementer ce type de contrats. Si les termes de «franchise» et de «franchisage» ne figurent pas dans l’article L. 330-3 du code de commerce, il ne fait aucun doute que ledit article trouve à s’appliquer dans la grande majorité des hypothèses où un contrat de franchise est conclu386.

A. La protection du consentement par le droit spécial: l’obligation précontractuelle d’information imposée par l’article L. 330-3 du code de commerce1. Présentation de la loi dite «Doubin»

a) Adoption de la loi «Doubin»

127. Origines de la loi «Doubin» – Si le législateur a renoncé à soumettre le contrat de franchise à un régime spécifique387, certains évènements survenus dans les années 1980 ont eu pour conséquence la réglementation de l’information précontractuelle due par la tête de certains réseaux de distribution aux distributeurs.

D’une part, certains franchisés ont été victime d’infractions, telles que des escroqueries et abus de confiance montés par de faux franchiseurs388.

D’autre part, dans certains Etats, la loi mettait à la charge des franchiseurs un devoir d’information précontractuelle389. C’était le cas notamment aux Etats-Unis du Full disclosure act de 1979390, loi fédérale qui mettait à la charge du franchiseur la fourniture au franchisé d’éléments concernant notamment son identité, son expérience, les condamnations l’ayant frappé, les termes du contrat de franchise.

En France, les codes de déontologie de la franchise établis en 1972 et 1984 par la Fédération française de la franchise et le code de déontologie européen de la franchise mettaient à la charge du franchiseur une obligation d’information précontractuelle du franchisé. C’était également le cas de la norme AFNOR NFZ 20 000, publiée le 16 juillet 1987 mais dépourvue de force obligatoire faute d’homologation391.

Enfin, les juridictions, saisies par des distributeurs qui estimaient que leurs cocontractants n’avaient pas rempli leur obligation précontractuelle d’information à leur égard, refusant de combler la lacune du droit français, rejetaient leurs demandes. En effet, l’obligation d’information, créée au profit des consommateurs, était déniée aux professionnels indépendants qu’étaient les distributeurs, à qui incombait par conséquent, selon lesdites juridictions le devoir de s’informer392.

128. Promulgation de la loi «Doubin» – C’est dans ce contexte qu’a été promulguée la loi n°89-1008 du 31 décembre 1989 relative au développement des entreprises commerciales et artisanales et à l’amélioration de leur environnement économique, juridique et social, dite «loi Doubin», dont l’article 1 a été inséré à l’article L. 330-3 du code de commerce et est ainsi rédigé:

«Toute personne qui met à la disposition d’une autre personne un nom commercial, une marque ou une enseigne, en exigeant d’elle un engagement d’exclusivité ou de quasi-exclusivité pour l’exercice de son activité, est tenue, préalablement à la signature de tout contrat conclu dans l’intérêt commun des deux parties, de fournir à l’autre partie un document donnant des informations sincères, qui lui permette de s’engager en connaissance de cause.

Ce document, dont le contenu est fixé par décret, précise notamment, l’ancienneté et l’expérience de l’entreprise, l’état et les perspectives de développement du marché concerné, l’importance du réseau d’exploitants, la durée, les conditions de renouvellement, de résiliation et de cession du contrat ainsi que le champ des exclusivités.

Lorsque le versement d’une somme est exigé préalablement à la signature du contrat mentionné ci-dessus, notamment pour obtenir la réservation d’une zone, les prestations assurées en contrepartie de cette somme sont précisées par écrit, ainsi que les obligations réciproques des parties en cas de dédit.

Le document prévu au premier alinéa ainsi que le projet de contrat sont communiqués vingt jours minimum avant la signature du contrat, ou, le cas échéant, avant le versement de la somme mentionnée à l’alinéa précédent».

Le décret d’application de la loi précise le contenu du document d’information précontractuelle393.

b)  Champ d’application de la loi Doubin

129. Loi Doubin et franchise – Bien que la loi du 31 décembre 1989 ait été motivée en grande partie par les scandales intervenus dans les années 1980, elle ne s’applique pas qu’au contrat de franchise.

La doctrine a ainsi unanimement souligné la généralité de l’expression «toute personne»394. Toutefois, le contrat de franchise remplit plus souvent les différentes conditions d’application posées par cette loi.

L’alinéa 1 de l’article L. 330-3 du code de commerce fixe au moins deux conditions cumulatives à l’exigence de la fourniture au distributeur d’un document d’information précontractuelle: la mise à disposition d’un nom commercial, d’une marque ou d’une enseigne, et un engagement d’exclusivité ou de quasi-exclusivité. La portée de certains autres éléments, comme l’intérêt commun ou l’exigence d’un écrit, est discutée.

α) Les critères d’application de la loi Doubin

130. Mise à disposition d’un nom commercial, d’une marque ou d’une enseigne – La première condition n’entraîne que peu de difficultés. La généralité de l’expression «qui met à disposition»er permet d’envisager tous les contrats par lesquels le distributeur obtient le droit d’user395 du nom commercial, de la marque ou de l’enseigne396 : location, contrat d’affiliation397, prêt, licence de marque398, location gérance399, usufruit.

La cession parait en revanche exclue: l’alinéa 2 de l’article L. 330-3 du code de commerce fait référence à un «réseau d’exploitants» et le dirigeant d’un réseau, afin de pouvoir mettre à disposition des autres distributeurs le nom commercial, la marque ou l’enseigne, doit en conserver la propriété ou au moins le droit d’usage400.

131. Exclusivité – La condition d’exclusivité ou de quasi-exclusivité, qui doit être, comme la précédente, indispensablement remplie401, suscite plus d’interrogations402.

En premier lieu, l’objet même de cette exclusivité n’est pas précisé.

Compte tenu de cette lacune, la doctrine reste divisée sur l’étendue du champ d’application de la notion même d’exclusivité (engagement de non-concurrence, d’approvisionnement exclusif, d’exclusivité territoriale)403.

La jurisprudence confirme que l’exclusivité dite d’«activité» est bien visée par la loi404, ainsi que celle d’approvisionnement405.

En revanche, l’engagement d’exclusivité territoriale ne saurait justifier, à lui seul, l’application de l’article L. 330-3 du code de commerce406.Cette solution est logique, puisque, loin d’être exigée par la partie qui met sa marque à la disposition de son cocontractant, l’exclusivité territoriale est consentie à ce dernier.

132. Quasi-exclusivité – La notion de «quasi-exclusivité» d’approvisionnement divise la doctrine, en raison de son manque de précision.

Selon certains auteurs, le seuil de la quasi-exclusivité correspond à 75 à 80 % des marchandises vendues407. Cette estimation repose notamment sur les débats relatifs au projet de loi ayant eu lieu à l’Assemblée nationale408, au cours desquels l’auteur et le rapporteur du projet se sont référés à la loi du 21 mars 1941409 (insérée depuis à l’article L. 781-1 du code du travail, devenu l’article L. 7321-2), contenant la même expression; or la jurisprudence rendue au visa de cet article a dégagé le seuil précité.

Une autre partie de la doctrine, quant à elle, estime que la quasi-exclusivité doit excéder les deux tiers du chiffre d’affaires410.

Enfin, une troisième interprétation repose sur l’examen de la situation de dépendance économique du distributeur vis-à-vis de son cocontractant411; de nombreux arrêts rendus sur le fondement de l’ancien article L. 781-1 du code du travail sont cités au soutien de cette position412.

La notion de «quasi-exclusivité» d’activité correspond essentiellement, quant à elle, à l’exclusivité d’activité limitée aux activités concurrenctes à celles du réseau413. En conséquence, le fait de prévoir une exclusivité d’activité ainsi limitée n’est pas de nature à faire sortir le contrat du champ d’application de l’article L. 330-3 du code de commerce414.

β) Les critères exclus

133. Intérêt commun – Lorsque les deux conditions précédentes sont remplies, l’article L. 330-3 du code de commerce impose la remise du document d’information précontractuelle «préalablement à la signature de tout contrat conclu dans l’intérêt commun des deux parties».

La doctrine415 s’interroge sur la portée de cette mention dans la mise en œuvre de l’article L. 330-3 du code de commerce et se demande s’il s’agit d’une véritable condition d’application du texte416.

L’intérêt pratique de la question est toutefois inexistant en matière de franchise, qu’une grande partie de la doctrine s’accorde à qualifier de contrat d’intérêt commun417, et ce, d’autant plus que les débats parlementaires relatifs au projet de loi Doubin montrent que la notion d’intérêt commun a été ajoutée en référence à la collaboration inhérente aux contrats de concession et de franchise418: le développement de la clientèle du franchisé et l’augmentation de son chiffre d’affaires profitent en effet à la fois au franchisé et au franchiseur419.

La condition, si elle est exigée, est donc remplie.

Le rapport du groupe de travail sur l’analyse des problèmes juridiques relatifs à la franchise à la demande du secrétariat d’Etat aux petites et moyennes entreprises, au commerce et l’artisanat en date du 1 juillet 1998, bien qu’ayant relevé les difficultés issues des notions d’exclusivité, de quasi-exclusivité et d’intérêt commun n’a pas estimé nécessaire de modifier l’article L. 330-3 du code de commerce.

134. Exigence d’un écrit – Une partie de la doctrine a considéré qu’une autre condition à l’application de l’article L. 330-3 du code de commerce ressortait de la rédaction de l’alinéa 4 dudit article : l’exigence d’un contrat écriter. Selon cet alinéa en effet, l’information précontractuelle doit être fournie au distributeur 20 jours avant la signature du contrat; or, pour qu’un contrat soit signé, il faut logiquement qu’il soit écrit.

Il résulte cependant de la jurisprudence que l’article L. 330-3 du code de commerce est applicable au contrat de franchise même en dehors de tout contrat écrit420. La Cour de cassation a ainsi exigé du franchiseur qu’il s’acquitte de son obligation d’information avant la reconduction tacite du contrat, sur le fondement dudit article421.

135. Conclusion sur le champ d’application de la loi «Doubin» – La grande majorité des contrats de franchise entrent dans le champ d’application de la loi «Doubin». En effet, la mise à disposition de signes distinctifs est l’un des éléments essentiels du contrat de franchise. La loi Doubin est donc applicable dès lors que le franchiseur exige du franchisé une exclusivité ou une quasi-exclusivité dans l’exercice de son activité, ce qui est le cas dans de très nombreux cas. Ainsi, une obligation d’information particulière pèse sur le franchiseur à l’égard du franchisé et le manquement à cette obligation d’information est susceptible de sanction.

c) Portée de la loi «Doubin»: caractère d’ordre public

α) Portée de la loi «Doubin» dans l’ordre interne

136. Ordre public interne – La loi Doubin et son décret d’application sont des règles protectrices du consentement et de la concurrence. Par ailleurs, l’article 2 du décret du 4 avril 1991, devenu l’article R. 330-2 du code de commerce422, prévoit une sanction pénale en cas de manquement à l’obligation d’information précontractuelle423. Jurisprudence424 et doctrine425 considèrent donc que l’article L. 330-3 du code de commerce a un caractère d’ordre public.

β) Portée de la loi «Doubin» dans l’odre international

137. Ordre public international – Si la loi Doubin est une loi d’ordre public interne, se pose la question de son domaine d’application sur le plan international, dans la mesure où le contrat de franchise est souvent un contrat international.

La loi du contrat, en vertu du principe d’autonomie de la volonté en matière contractuelle, est en principe la loi désignée par les parties426. Par conséquent, les questions de droit relatives à la formation et aux effets du contrat, sont régies par ladite loi. Toutefois, dans certains cas, la teneur des règles en cause impose leur application contre la volonté des parties; il s’agit des lois pénales et des lois de police427.

138. Loi pénale. Compétence territoriale – Le non-respect de la loi «Doubin» est sanctionné par une peine contraventionnelle. En cas de contrat international, les parties ne pourront écarter l’application du droit pénal français, qui s’appliquera dès lors que l’un des éléments constitutifs de l’infraction (par exemple, remise d’un document lacunaire ou grossièrement erroné) se produit en France en vertu de l’article L. 113-2 du code pénal428.

139. Loi pénale. Compétence personnelle – L’application de la loi pénale française n’étant pas prévue pour les contraventions commises à l’étranger, même si l’auteur ou la victime est française, l’article R. 330-2 ne sera jamais applicable lorsqu’aucun des éléments constitutifs de l’infraction n’a été commis sur le territoire français.

140. Loi de police – Loi «d’application immédiate et nécessaire»429, la loi de police est applicable et s’impose aux parties même si l’ordre juridique auquel elle appartient n’est pas celui qu’elles ont désigné, «dès lors que l’Etat qui l’a édictée estime nécessaire de la voir appliquée aux situations présentant avec lui un certain rattachement»430.

La qualification d’une loi en loi de police ne se fonde pas sur l’application de critères précis; plusieurs définitions ont en effet été proposées qui soulignent l’incertitude des critères. Définie par Franseskakis comme «la loi dont l’observation est nécessaire pour la sauvegarde de l’organisation politique, sociale, ou économique du pays»431, son domaine a pu être élargi par d’autres auteurs conformément à une perspective finaliste dans la mesure où «il existe des lois qui ne concourent pas plus intensément que les autres à l’organisation sociale, politique ou économique du pays mais n’en ont pas moins un caractère d’application nécessaire rationnellement déduit de leur but»432.

Les doutes quant à la qualification de la loi Doubin reflète ces interrogations. Si l’existence d’une sanction pénale rend certaine son application dans le cas où l’infraction est commise sur le territoire français, en application de l’article L. 113-2 du code pénal433, la qualification de loi de police est plus discutée. Or, elle permet de bloquer ab initio l’application des règles de conflit de lois; si une juridiction française était saisie, elle appliquerait donc automatiquement la loi Doubin en cas d’infraction, sans même rechercher la loi choisie par les parties434.

La doctrine est favorable à l’attribution de la qualité de loi de police internationale à la loi Doubin, même si la qualification n’est pas expresse435, du fait qu’elle intéresse au premier chef la concurrence436. Toutefois, une telle qualification relève de l’appréciation prétorienne, qui l’a condamnée. La Cour d’appel de Paris a ainsi estimé que l’article L. 330-3 du code de commerce, «loi protectrice d’ordre public interne, n’est pas une loi de police applicable dans l’ordre international»437. Néanmoins, même si ledit article n’est applicable à un contrat de franchise international que si la loi du contrat est la loi française, le fait qu’il s’agisse d’une loi pénalement sanctionnée élargit son champ d’application sur le plan international.

2. L’objet de l’obligation instituée par l’article L. 330-3 du code de commerce

141. Aperçu général – L’article L. 330-3 du code de commerce énonce que le débiteur de l’information est tenu de fournir à son créancier «un document donnant des informations sincères, qui lui permette de s’engager en connaissance de cause» et dont le contenu «précise notamment, l’ancienneté et l’expérience de l’entreprise, l’état et les perspectives de développement du marché concerné, l’importance du réseau d’exploitants, la durée, les conditions de renouvellement, de résiliation et de cession du contrat ainsi que le champ des exclusivités». La liste ainsi établie par la loi elle-même a rendu possible son application immédiate, avant même l’adoption du décret d’application auquel elle renvoie438.

La loi, en faisant précéder ladite liste de l’adverbe «notamment», indiquait que celle-ci n’était pas exhaustive, et laissait au pouvoir règlementaire le soin de la compléter, ce qu’il a fait par un décret daté du 4 avril 1991, codifié à droit constant à l’article R. 330-1 du code de commerce439. Ces éléments, énumérés par le décret, doivent également répondre à une exigence légale de sincérité.

a) Les informations requises

142. Article R. 330-1 du code de commerce – L’article R. 330-1 du code de commerce distingue sept catégories d’informationsrelatives, respectivement, à l’entreprise du franchiseur, à son immatriculation et à la marque, aux domiciliations bancaires du franchiseur, à l’historique de l’entreprise et du réseau et au marché, à la présentation du réseau, au contrat projeté et, enfin, dans un alinéa distinct, aux investissements devant être prévus par le franchisé.

Aucune hiérarchie n’est faite par le décret entre ces informations; elles ont donc, en théorie, la même importance. Néanmoins, elles présentent un intérêt variable pour le franchisé et sont plus ou moins difficiles d’accès; par conséquent, le contentieux se concentre essentiellement sur certaines d’entre elles. Quelques exemples de décisions seront donc donnés dès ce stade des développements pour chaque catégorie d’informations (dans la mesure du possible), afin de faire apparaître l’importance relative de chacune; la sanction du manquement à ces obligations fera ultérieurement l’objet d’un exposé plus détaillé440.

La définition de ces catégories d’informations peut se fonder sur un parallèle avec la «loi type sur la divulgation des informations en matière de franchise»441 élaborée par UNIDROIT en 2002. Enrichie d’un rapport explicatif, cette loi type énumère sur le même modèle les informations devant être remises au franchisé par le franchiseur. Ce texte, inspiré de la loi Doubin442, avec laquelle il présente de fortes similitudes443, n’a aucune force obligatoire; cependant, dans la mesure où il a vocation à harmoniser le droit privé de différents Etats444, sa comparaison avec le droit français peut se révéler intéressante, soit pour mieux cerner la jurisprudence, soit pour mieux appréhender les franchises internationales, dont le droit étranger applicable est susceptible d’avoir été inspiré par cette loi445.

143. Alinéa 1, 1°: Informations relatives à l’entreprise franchiseur – Le franchiseur doit indiquer au franchisé l’adresse du siège de l’entreprise, la nature de ses activités, sa forme juridique, et, en fonction de celle-ci, l’identité du chef d’entreprise ou des dirigeants et, le cas échéant, le montant du capital.

Cette catégorie de renseignements pose peu de difficultés. D’une part, ces informations sont accessibles à tous, figurant sur l’extrait K-bis de l’entreprise ou dans le registre des métiers. D’autre part, elles participent de l’information couramment remise, en pratique, par une entreprise à ses cocontractants. L’absence de décision judiciaire en la matière le confirme: ces informations sont toujours données en pratique, à moins qu’aucun document ne soit remisau franchisé ; la sanction de la violation de l’article L. 330-3 du code de commerce est alors fondée sur la non remise du document dans son ensemble.

L’information prévue par l’article 6 (1) A de la loi type élaborée par UNIDROIT446 est très proche de celle prévue par l’article R. 330-1 du code de commerce, l’unique différence résidant dans le fait que ce dernier ne prévoit pas l’indication de l’adresse du lieu principal d’activité du franchiseur: seule l’adresse du siège social est exigée. Le sous-paragraphe C de l’article 6 de la loi type prévoit par ailleurs que le document indique «l’adresse du lieu principal d’activité du franchiseur dans l’Etat où le futur franchisé est situé». Le rapport explicatif expose que l’intérêt de cette indication se manifeste dans le cadre d’une franchise internationale, lorsque le franchiseur dispose d’une filiale ou d’une succursale dans l’état dans lequel le franchisé exercera son activité: dans cette hypothèse, l’adresse légale est celle de la succursale ou de la filiale, et celle du lieu principal d’activité est le siège social du franchiseur dans son pays d’origine.

144. Alinéa 1, 2°: Informations relatives à l’immatriculation de l’entreprise franchiseur et à la marque – Au sein du document d’information précontractuelle doivent figurer le numéro d’inscription au répertoire des métiers ou le numéro d’immatriculation au Registre du commerce et des sociétés et le numéro SIREN, «la date et le numéro d’enregistrement ou du dépôt de la marque et, dans le cas où la marque (…) a été acquise à la suite d’une cession ou d’une licence, la date et le numéro de l’inscription correspondante au registre national des marques avec, pour les contrats de licence, l’indication de la durée pour laquelle la licence a été consentie». Comme les informations mentionnées dans le 1° du premier alinéa de l’article R. 330-1 du code de commerce, celles relatives à l’immatriculation de l’entreprise sont facilement accessibles au public.

L’article L. 712-1 du code de la propriété intellectuelle énonce que «la propriété de la marque s’acquiert par l’enregistrement (…)». L’enregistrement de la marque produit ses effets à compter du dépôt de la demande d’enregistrement, la date du dépôt permet donc de déterminer le point de départ de la protection mais aussi, en cas de pluralité de dépôts, de déterminer le plus ancien qui primera sur un dépôt postérieur. Dès la publication de la demande et alors même que l’enregistrement ne serait pas encore définitif, le déposant peut s’opposer à des actes présumés de contrefaçon en notifiant une copie de la demande d’enregistrement datée à un éventuel contrefacteur, En cas de persistance de ce dernier, le tribunal surseoit à statuer jusqu’à l’enregistrement de la marque447.

La date du dépôt sera donc indiquée dans le document d’information précontractuelle car c’est à compter de cette date que la protection de la marque court pour une durée de dix années renouvelable.

Les indications relatives à la marque ont donc pour objet de permettre au candidat franchisé de s’assurer de l’existence et de la durée des droits détenus par le franchiseur sur la marque. Ceci est essentiel dans le cadre d’un contrat de franchise, dans la mesure où la mise à disposition par le franchiseur de la marque – ou du nom commercial – au franchisé est l’un des éléments essentiels de ce type de contrat, et le signe permettant d’attirer la clientèle448.

On peut observer que l’indication de l’immatriculation de la société franchiseur, prévue par l’article R. 330-1 du code de commerce au même paragraphe que les précisions sur la marque, permet d’aboutir au même objectif que l’information visée par l’article 6 (1) B de la loi type établie par UNIDROIT. En effet, si les indications exigées par ce texte449 diffèrent des informations prévues par la loi française, leur objet est de «donner au futur franchisé la possibilité de rechercher la société du franchiseur afin de connaître, par exemple, l’état des sûretés qui la grèvent».

Par ailleurs, le sous-paragraphe L de l’article 6 (1) de ladite loi type prévoit une information sur l’enregistrement des marques similaire à celle prévue par le droit français450, à ceci près que l’information doit également porter sur «les procédures judiciaires (…)qui pourraient avoir des effets significatifs sur l’utilisation (…) par le franchisé des droits de propriété intellectuelle résultant du contrat de franchise»451. Cette divulgation est également fondée sur la nécessité pour le franchisé d’être informé des droits du franchiseur sur la marque452.

145. Alinéa 1, 3°: Informations bancaires – Le franchisé doit être informé de la ou des domiciliation(s) bancaire(s) de l’entreprise du franchiseur. Cette information peut être limitée aux cinq principales domiciliations bancaires. Elle indique le nom et l’adresse de la ou des banque(s) du franchiseur.

L’absence de cette information est en principe susceptible d’entraîner la nullité du contrat de franchise. Encore faut-il cependant que le consentement du franchisé ait été vicié453. Dans une affaire concernant un contrat de concession, il a été jugé que le défaut d’indication de la domiciliation bancaire du franchiseur ne pouvait «sérieusement être considéré comme de nature à vicier le consentement des concessionnaires» 454

146. Alinéa 1, 4°: Informations relatives à l’historique de l’entreprise du franchiseur et du réseau et au marché – Le document d’information précontractuelle doit indiquer la date de la création de l’entreprise, les principales étapes de son évolution et de celle du réseau d’exploitants, toutes indications permettant d’apprécier l’expérience professionnelle acquise par l’exploitant ou par les dirigeants, et contenir «une présentation de l’état général et local du marché des produits ou services devant faire l’objet du contrat et des perspectives de développement de ce marché» et, en annexe, les comptes annuels des deux derniers exercices455.

– Date de création et évolution de l’entreprise et du réseau: le document d’information précontractuelle doit indiquer la date de création de l’entreprise et les principales étapes de son évolution ainsi que de celles de son réseau. Doivent donc figurer dans ledit document, par exemple, les éventuels changements de forme sociale de l’entreprise franchiseur, les fusions ou acquisitions opérées par celle-ci, la date de création du premier commerce franchisé, la date de création du premier commerce franchisé à l’étranger, les étapes de développement du réseau en termes de nombre d’établissements, et le cas échéant, les évolutions et modernisations du concept objet de la franchise. Ces informations peuvent ne porter que sur les cinq dernières années.

Dans le même esprit, la loi type sur la divulgation des informations en matière de franchise prévoit que le document d’information contient «une description de l’expérience commerciale du franchiseur et de ses affiliés456 qui concèdent des franchises ayant substantiellement la même dénomination commerciale»incluant, d’une part, «l’ancienneté de chacun dans la conduite d’opérations commerciales du type de celles devant être exploitées par le futur franchisé» et, d’autre part, «l’ancienneté de chacun dans la concession de franchises dans le même type d’activité que celles devant être exploitées par le futur franchisé».

– Expérience des dirigeants: le document remis au franchisé doit également contenir «toutes indications permettant d’apprécier l’expérience professionnelle acquise par l’exploitant ou par les dirigeants». L’entreprise franchiseur doit donc indiquer, par exemple, les diplômes obtenus par les différents dirigeants (président directeur général ou gérant, directeur financier, directeur du réseau, directeur du réseau international, responsable de la communication…), et les postes occupés précédemment par eux, notamment dans des réseaux de franchise457. Là encore, ces indications peuvent ne porter que sur les cinq dernières années.

La loi type précitée impose également au franchiseur de fournir à son franchisé «les noms, adresses professionnelles, fonctions exercées et expérience commerciale de toute personne qui a des responsabilités de direction458 dans la conduite des activités commerciales du franchiseur en relation avec la franchise».

– Comptes annuels: la transmission des comptes annuels des deux derniers exercices appelle le même commentaire que les informations relatives à l’entreprise: ces comptes sont accessibles au public, étant remis au greffe auprès duquel l’entreprise franchiseur est immatriculée, ce qui a fait considérer à une cour d’appel, dans une affaire concernant la validité d’un contrat de concession, que l’absence d’annexion des comptes annuels au document d’information précontractuelle n’était pas de nature à vicier le consentement du concessionnaire, et donc à entraîner la nullité du contrat459.

Ces comptes doivent figurer dans le document d’information précontractuelle au sein de la partie consacrée à l’historique de l’entreprise et du réseau et à la présentation du marché460. Lorsque l’entreprise franchiseur fait appel public à l’épargne, elle doit annexer à ladite partie les rapports établis au titre des deux derniers exercices en vertu de l’article L. 232-7 du code de commerce. Il s’agit des rapports «commentant les données chiffrées relatives au chiffre d’affaires et aux résultats de la société au cours du [premier semestre de chaque exercice] et décrivant [l’]activité [de l’entreprise] au cours de cette période ainsi que son évolution prévisible au cours de l’exercice et les événements importants survenus au cours du semestre écoulé ».

Dans le même esprit, la loi type élaborée par UNIDROIT énonce que le document d’information doit contenir «les états financiers du franchiseur et, lorsque disponibles, les états financiers audités ou autrement vérifiés de manière indépendante, et notamment les comptes d’exploitation et de pertes et profits pour les trois années précédentes. Les franchiseurs, dont la création remonte à moins de trois ans, sont tenus de divulguer les mêmes documents, élaborés depuis qu’ils sont en activité»461.

– Etat général du marché: la présentation de l’état général du marché du produit concerné contient une exposition de la clientèle, de sa consommation (nombre et sortes de produits achetés, sommes dépensées en général et par produit), de la concurrence (nombre de concurrents, types de commerce exploités par ces derniers (par exemple boutique ou grande surface), commerçants spécialisés dans une partie des produits objets du contrat ou dans leur totalité, chiffre d’affaires réalisé par chacun des types de commerce, parts de marché détenues par les différents concurrents462, par exemple), et de la place du réseau au sein de la concurrence (chiffre d’affaires réalisé, pourcentage de ce chiffre d’affaires dans le chiffre d’affaires total de la profession), ainsi que de l’évolution de ces éléments (augmentation ou diminution du nombre de concurrents et du chiffre d’affaires lors des précédentes années par exemple); la présentation du marché général n’est pas nécessairement précisément spécifique au produit destiné à être commercialisé par le franchisé: il a été jugé que la remise de statistiques relatives au marché du meuble est suffisante au regard de la présentation du marché général, lorsque la franchise concerne le commerce de la literie463. Ces renseignements peuvent être obtenus auprès de différents organismes, et notamment auprès de l’INSEE. Ils doivent être récents464.

– Etat local du marché: la notion d’état local du marché a fait l’objet d’une importante polémique en doctrine et en jurisprudence; il s’agissait de déterminer si la loi Doubin mettait à la charge du franchiseur l’obligation de remettre au franchisé une véritable étude de marché.

Selon la jurisprudence, la présentation de l’état du marché local du produit concerné comprend, s’agissant de la zone d’implantation du commerce franchisé465, l’indication du nombre d’habitants466 – indication dont les juridictions exigent, selon la nature des produits ou services objets de la franchise, qu’elle s’accompagne de telle ou telle précision (composition de la clientèle selon les critères pertinents relativement à l’objet de la franchise467, ou selon le budget accordé en moyenne par les ménages au produit concerné468) –, de la liste exhaustive des concurrents situés dans la zone d’implantation469, et des performances du réseau au regard de celles des concurrents470. La présentation est donc en principe détaillée, même si la précision due a ses limites471: il ne peut être reproché au franchiseur de ne pas avoir précisé dans les documents précontractuels la présence d’un certain nombre de commerces vendant également et occasionnellement des produits comparables dès lors que lesdits commerces ne se situaient pas précisément sur le même segment de marché et n’étaient donc pas dans un rapport de concurrence direct472. Une présentation sommaire de l’état du marché local peut éventuellement être validée si elle constitue le seul défaut du document d’information précontractuelle473; néanmoins, cette présentation est primordiale lorsque la concurrence est sévère, et le contrat, en cas de défaut,sera annulé, en dépit du respect des autres dispositions de l’article R. 330-1 du code de commerce474.

L’étude de marché, quant à elle, se définit comme l’«ensemble des travaux de recherche, d’étude et d’analyse, permettant de collecter et de traiter toutes les informations utiles (qualitatives ou quantitatives) concernant les offres et les demandes relatives à un bien déterminé »; elle «est effectuée selon un plan établi à l’avance pour rechercher les éléments d’information utiles et pour réaliser les traitements sur les données collectées afin de mieux connaître un marché et pouvoir ensuite l’influencer ou s’y adapter. Une étude marché répond au besoin d’information lié à la prise d’une décision commerciale»475. La collecte des informations comprend en pratique, notamment, la consultation de documents qui peuvent être trouvés auprès de certaines institutions et organismes (par exemple, L’INSEE, les chambres de commerce, les ministères, les fédérations professionnelles), des entretiens avec des professionnels, et des sondages et entretiens effectués auprès de la clientèle.

Une partie de la doctrine assimile l’état du marché dont la présentation est exigée par la loi à une étude de marché, et considère donc qu’incombe au franchiseur l’obligation de remettre une telle étude au franchiseur. Il s’agit là d’une interprétation séduisante, qui repose sur plusieurs arguments: la sincérité exigée par le texte impose, selon cette théorie, au franchiseur de fournir au franchisé une étude de marché, justifiée par le droit d’entrée et les redevances payées par le franchisé476; l’état du marché devant porter sur les produits ou services objets du contrat, le franchiseur ne peut se contenter de fournir des renseignements vagues et généraux477; la présentation de l’état du marché et de ses perspectives implique son étude préalable478; le législateur ne pouvait mettre à la charge du franchiseur la fourniture d’un simple état du marché que tout commerçant pouvait établir seul479; seul le franchiseur, qui a connaissance du savoir-faire, élément clé de la réussite, peut avoir conscience de son impact sur le marché et donc la possibilité de procéder à l’étude de marché480. Cette théorie a été suivie par quelques juridictions du fond481.

Elle se heurte cependant à plusieurs obstacles: il faut d’abord tenir compte des différences fondamentales qui existent entre les notions d’«état» et d’«étude». En effet, l’idée d’analyse, et donc de décomposition, de recherche minutieuse482 qui est caractéristique de la notion d’étude de marché fait totalement défaut à celle d’«état du marché», qui évoque au contraire l’idée d’une photographie de faits bruts483. Cette opposition est encore accentuée par l’emploi du terme «présentation», celle-ci étant «nécessairementbrève et succincte»484, et ne pouvant en conséquence s’appliquer à une étude de marché, par nature longue et approfondie. En outre, contrairement à ce qu’avancent les auteurs précités, l’adjectif «sincère» ne saurait avoir pour effet de passer outre ces différences cruciales; il fait simplement référence à l’exactitude des renseignements donnés485. Par ailleurs, le fait que le franchiseur doive communiquer un état du marché local portant sur les produits ou services objet du contrat, impose, certes, au franchiseur de fournir des renseignements précis, mais n’implique pas une étude de marché: cette précision est attachée à la description des éléments du marché, et ne suppose pas une analyse de ces éléments. On notera enfin qu’il a été relevé que l’obligation de remettre au franchisé les documents qui permettent d’établir un résultat provisionnel, soit en particulier les études de marché, a été supprimée dans le texte définitif du décret486: le législateur aurait donc bien envisagé qu’une étude de marché soit incluse dans le document d’information précontractuelle, pour finalement yrenoncer.

Il n’est pas anodin, par ailleurs, que le rapport explicatif de la loi type sur la divulgation des informations en matière de franchise rédigée par UNIDROIT – qui impose également la communication au franchisé d’un état des marchés général et local, et de leurs perspectives d’évolution487 – indique expressément que «bien qu’une telle exigence puisse apparaître détaillée, ce qui est visé n’est pas une étude de marché complète mais une brève présentation comportant des informations sur, par exemple, le chiffre d’affaires du secteur considéré, le nombre d’entreprises présentes dans ce secteur et les règles juridiques qui sont applicables ».

L’assimilation des deux termes se heurte donc à la lettre du texte.Elle se heurte également à l’esprit du contrat de franchise: on voit mal comment l’étude de marché, qui a pour but de déterminer la stratégie précise de l’entreprise du franchisé, commerçant indépendant, pourrait être établie par le franchiseur488. L’intervention du franchiseur dans la stratégie commerciale du franchisé n’est justifiée que dans la mesure où cette stratégie fait partie du savoir-faire.

L’obligation pour le franchiseur de remettre au candidat franchisé une étude de marché est par conséquent aujourd’hui très fermement rejetée par la Cour de cassation489, ainsi que par les juridictions du fond490 et par la grande majorité de la doctrine491. En effet, il appartient au franchisé, commerçant indépendant, d’effectuer ou de faire effectuer par un tiers une étude de marché s’il le souhaite492. De même, le franchisé ne saurait reprocher au franchiseur de ne pas avoir procédé à une étude sérieuse de l’adaptation du site choisi aux nécessités de l’exploitation considérée dès lors que le franchiseur ne saurait être tenu responsable d’une implantation commerciale dont le choix appartient au seul franchisé493. Si l’établissement d’une étude de marché est hautement conseillé avant l’ouverture d’un commerce, le franchisé a le devoir494 et la possibilité de se renseigner, étant par ailleurs muni de l’état du marché local. L’ignorance dans laquelle il est encore du savoir-faire du franchiseur ne fait pas obstacle à la réalisation de cette étude de marché: l’état du marché indique l’emprise du réseau sur le marché et permet donc au franchisé de prendre en compte cet élément pour déterminer l’avantage concurrentiel apporté par le savoir-faire.

Le document d’information précontractuelle doit contenir, outre une présentation de l’état général et local du marché, les perspectives de développement de ce dernier. Or le franchiseur est dans l’impossibilité, s’agissant d’évènements futurs dépendants de nombreux facteurs sujets à des changements importants voire radicaux, de prévoir les perspectives de développement de l’état du marché général et local de façon infaillible. C’est pourquoi la doctrine estime, à juste titre, que le franchiseur n’est pas tenu à une obligation de résultat en la matière495, et invite à la prudence dans l’établissement de cette présentation496. Il a été ainsi jugé que le franchisé, pour établir la violation de la loi Doubin à ce titre, devait prouver que le franchiseur avait connaissance ou aurait dû avoir connaissance de la désertification de la zone de chalandise du franchisé497. La violation de la loi n’est donc pas déduite de la seule inexactitude des prévisions du franchiseur.

Le franchiseur doit présenter les perspectives de développement du marché général et local498. Ce faisant, il tient nécessairement compte de sa stratégie commerciale. C’est pourquoi il est prudent d’insérer dans le document d’information précontractuelle une clause de confidentialité portant sur ladite stratégie.

147. Alinéa 1, 5°: Présentation du réseau – Le document d’information précontractuelle doit présenter le réseau, en indiquant «Laliste des entreprises qui en font partie avec l’indication pour chacune d’elles du mode d’exploitation convenu », «l’adresse des entreprises établies en France avec lesquelles la personne qui propose le contrat est liée par des contrats de même nature que celui dont la conclusion est envisagée», «la date de conclusion ou de renouvellement de ces contrats », «le nombre d’entreprises qui, étant liées au réseau par des contrats de même nature que celui dont la conclusion est envisagée, ont cessé de faire partie du réseau au cours de l’année précédant celle de la délivrance du document» et la cause pour laquelle elles l’ont quitté, et enfin, «la présence, dans la zone d’activité de l’implantation prévue par le contrat proposé, de tout établissement dans lequel sont offerts, avec l’accord exprès de la personne qui propose le contrat, les produits ou services faisant l’objet de celui-ci».

Le franchiseur doit ainsi communiquer au franchisé la liste de l’ensemble des entreprises qui font partie du réseau, et leur mode d’exploitation. Ceci permet au franchisé, d’une part, de prendre connaissance de l’importance du réseau, notamment lorsque celle-ci est faible499, et, d’autre part, dans le cadre d’un réseau mixte, de découvrir les proportions respectives des succursales et des entreprises franchisées. La communication d’une information voisine est également imposée par le sous-paragraphe I de l’article 6 (1) de la loi type rédigée par UNIDROIT500.

S’agissant des entreprises franchisées établies en France, l’information doit être plus détaillée: le document doit indiquer l’adresse et la date de conclusion ou de renouvellement des contrats desdites entreprises. Ainsi, le candidat franchisé pourra demander à ses futurs co-franchisés de lui faire part de leur expérience personnelle501. Le texte précise que lorsque le réseau contient plus de cinquante exploitants, ces précisions ne portent que sur les cinquante entreprises dont l’implantation est la plus proche de l’emplacement envisagé pour l’exécution du contrat projeté502. La loi type élaborée par UNIDROIT impose là encore au franchiseur de communiquer une information proche de celle prévue par le droit français, aux différences près que la liste doit indiquer le numéro de téléphone professionnel des autres franchisés, mais pas la date de conclusion ou de renouvellement de leur contrat503. Une limitation aux franchisés les plus proches est également prévue504.

Par ailleurs, le document doit présenter le nombre d’entreprises franchisées ayant quitté le réseau durant l’année précédente et la cause de leur départ (arrivée à terme du contrat, résiliation, annulation ou cession). En effet, un nombre important de résiliation505 ou d’annulation au cours de l’année précédente est de nature à donner au candidat franchisé une impression du réseau plus négative que le même nombre d’arrivées à terme de contrats506. Il est donc nécessaire que le franchisé ait accès à cette information507. En revanche, il n’est pas nécessaire d’indiquer les coordonnées de ces entreprises: la disposition n’a pas pour but de permettre au franchisé de s’informer auprès des anciens membres du réseau508. Le sous-paragraphe K de l’article 6 (1) de la loi type prévoit une information proche509, quoique plus précise510 – notamment sur le motif de la résiliation – et plus large511. Par ailleurs, l’information prévue par le texte d’UNIDROIT doit porter sur les franchisés ayant quitté le réseau «au cours des trois dernières années fiscales précédant la date de conclusion du contrat».

L’expression «au cours de l’année précédant la remise du document» est source d’incertitude: s’agit-il de l’année civile s’étant achevée le 31 décembre précédent la signature du contrat ou de l’année s’achevant le jour de ladite signature? La doctrine estime que le texte fait référence à l’année s’étant achevée le 31 décembre précédant la signature du contrat512. Le seul arrêt qui, à notre connaissance, ait été rendu en la matière, fait le choix inverse513.

Enfin, le document d’information précontractuelle doit indiquer, le cas échéant, la présence, dans la zone d’activité proposée au candidat franchisé, de tout établissement dans lequel sont offerts, avec l’accord exprès du franchiseur, les produits ou services faisant l’objet du contrat. Ainsi, la présentation du réseau s’étend à celle de commerces qui ne font pas partie du réseau, mais qui sont connus du franchiseur voire approvisionnés par lui, et susceptibles de faire concurrence au candidat franchisé, vendant les mêmes produits que lui dans sa proximité immédiate.

148. Alinéa 1, 6°: Informations relatives au contrat projeté – Le franchiseur doit indiquer au franchisé «la durée du contrat proposé, des conditions de renouvellement, de résiliation et de cession, ainsi que le champ des exclusivités».

Ces informations figurent dans le projet de contrat de franchise qui doit être remis, au titre de l’alinéa 4 de l’article L. 330-3 du code de commerce. Il s’agit donc d’attirer spécialement l’attention du franchisé sur certaines modalités essentielles du contrat. D’autres clauses que celles énumérées par le 6° semblent devoir revêtir, aux yeux du franchisé, une importance pourtant égale auxdites clauses: clause pénale, clause de non-concurrence, clause de non-réaffiliation, clause de confidentialité… C’est pourquoi il sera utile d’attirer l’attention du franchisé sur l’ensemble de ces clauses. Néanmoins, l’omission des informations relatives au contrat projeté étant peu susceptible de vicier à elle seule le consentement du franchisé514, lorsque le projet de contrat est lui-même communiqué, la sanction de la violation des dispositions des articles L. 330-3 et R. 330-1 du code de commerce pourra être difficilement prononcée sur cet unique fondement515.

Il est intéressant de noter que la loi type élaborée par UNIDROIT n’impose, quant à elle, la communication de ce type d’informations que lorsqu’elles ne ressortent pas clairement du contrat de franchise. Dans le cas où lesdites clauses figurent dans ce contrat, un simple renvoi à celui-ci pourra être fait dans le document d’information516.

149. Alinéa 2: Informations relatives aux investissements devant être effectués par le franchisé – Le document d’information précontractuelle doit «préciser la nature et le montant des dépenses et investissements spécifiques à l’enseigne ou à la marque que la personne destinataire du projet de contrat engage avant de commencer l’exploitation».

L’établissement de chaque franchisé doit être conforme aux normes du réseau, afin que l’enseigne présente une image homogène vis-à-vis de la clientèle. La mise en conformité du nouveau local franchisé avec lesdites normes peut entraîner des frais importants, dont le montant est de nature à influencer la décision du franchisé. Aussi, le franchiseur, qui est le mieux à même de connaître la nature et le montant de ces frais, doit-il en informer le franchisé. C’est pourquoi le défaut de communication au franchisé des dépenses et investissements nécessaires peut entraîner la nullitédu contrat517. En revanche, l’absence d’indication des dépenses modestes, prévisibles et indispensables ne sont pas de nature à vicier le consentement du franchisé518. La loi type établie par UNIDROIT impose également, pour les mêmes raisons, la communication d’une telle information519, accompagnée, le cas échéant, par l’indication des «modes de financements proposés ou facilités par le franchiseur »520.

Pas plus que l’obligation de remettre au franchisé une présentation de l’état du marché n’implique celle de lui communiquer une étude de marché, l’obligation de préciser la nature et le montant des dépenses et investissements spécifiques à l’enseigne ou à la marque ne suppose celle de remettre au franchisé un compte de résultats prévisionnels521.

En effet, rien dans le texte ne permet de faire une telle assimilation: seuls les dépenses et investissements doivent être indiqués, et non les recettes; en outre, les dépenses et investissements auxquels fait référence la loi ne sont ni lointains ni hypothétiques, mais précis, certains et imminents, car il s’agit de ceux qui, spécifiques à l’enseigne, seront exposés par le franchisé avant le début de l’exploitation.

De plus, une telle interprétation est, une fois encore, contraire à l’esprit du contrat de franchise: le franchisé est un commerçant indépendant; il n’appartient donc pas au franchiseur d’effectuer son travail à sa place en procédant à des comptes d’exploitation prévisionnels522. Par ailleurs, le franchisé est seul conscient de ses propres compétences, dont dépend en grande partie son futur chiffre d’affaires. C’est donc lui qui est en mesure d’effectuer un compte de résultats prévisionnel susceptible de correspondre à la réalité.

b) Sincérité de l’information

150. Présentation de l’obligation de sincérité dans l’information – L’alinéa 1 de l’article L. 330-3 du code de commerce impose au franchiseur de fournir au franchisé «un document donnant des informations sincères, qui lui permette de s’engager en connaissance de cause».

Les informations remises au franchisé doivent donc revêtir une qualité particulière: celle de la sincérité. Dans le vocabulaire courant, la sincérité signifie, entre autres, «authenticité, absence de trucage»er. L’expression a été rapprochée de la régularité et de la sincérité des comptes que les commissaires aux comptes ont l’obligation de vérifier523. Dans ce cadre, la sincérité a été définie comme «l’application de bonne foi[des]règles et procédures[en vigueur]en fonction de la connaissance que les responsables de l’établissement des comptes ont de la réalité et de l’importance relative des événements enregistrés»524, ou encore, comme «l’expression claire de la situation sociale, sans déguisement ni détour»525.

151. Portée de l’obligation de sincérité dans l’information – Le franchiseur a l’obligation légale de fournir une information qu’il sait authentique, et de ne pas fournir une information fausse. Cette information n’est pas limitée à ce qu’il sait spontanément, mais s’étend à ce que, en sa qualité de franchiseur, il doit savoir: il ne saurait, par exemple, se décharger de son obligation de remettre au franchisé une présentation de l’état du marché général et local. En conséquence, afin de fournir une information sincère, le franchiseur a l’obligation de se renseigner526.

De plus, l’information sincère ne saurait être générale et floue527: elle doit, selon les termes mêmes de l’article L. 330-3 du code de commerce, permettre au franchisé «de s’engager en connaissance de cause», ce qui n’est envisageable que si elle atteint un degré de précision suffisant. Il n’est cependant pas exigé du franchiseur une précision telle que tout effort soit épargné au franchisé, se dernier ayant lui-même l’obligation de «se» renseigner528.

Enfin, la sincérité n’implique pas systématiquement que toutes les informations fournies par le franchiseur se révèlent rigoureusement exactes: dans certaines hypothèses, l’information fournie ne peut reposer que sur des conjectures. Dans ce cas, la sincérité implique que le franchiseur ait cru légitimement à la véracité du renseignement qu’il transmettait au franchisé529: l’obligation est de moyens et non de résultat.

Le critère de distinction se fonde donc sur le caractère passé ou futur des évènements dont le franchiseur informe le franchisé: comme l’a très justement observé un auteur, seules les informations concernant le passé sont objectives, alors que celles concernant le futur sont nécessairement subjectives, et ne peuvent être certaines530. Il en va ainsi des perspectives de développement du marché et, lorsque le franchiseur les fournit, des études de marché et comptes prévisionnels531.

152. Effet de l’obligation de sincérité pesant sur le franchiseur – L’obligation de sincérité qui pèse sur franchiseur dispense le franchisé de s’assurer de l’authenticité des renseignements qui lui sont remis, lorsque ceux-ci ne revêtent pas de caractère aléatoire, et de douter du sérieux qui a été apporté à la recherche des informations portant sur le futur532. En conséquence, le juge ne peut plus, à l’instar des solutions retenues dans les affaires Turco533 et Couturier534, lui faire reproche de ne pas s’être méfié de l’information à lui transmise par le franchiseur (sans que cela ne le dispense de rechercher de plus amples informations, et de faire élaborer une étude de marché). Ainsi, le contrat de franchise est-il annulé lorsque le franchiseur a fourni des renseignements erronés, sans reprocher au franchisé de ne pas avoir procédé à leur vérification535.

Le projet de loi faisait pour sa part référence non à la sincérité, mais à l’utilité de l’information, qui «s’apprécie selon le destinataire qui peut être plus ou moins bien informé»536 . Cette formulation, qui se fonde sur l’appréciation de la compétence du créancier de l’obligation d’information, trouve un certain écho actuellement en droit commun, qui fait un principe de la distinction entre client averti et profane en matière de crédit ou de cautionnement537. Un renseignement peut être plus ou moins utile, et l’expression «toutes précisions utiles» contenue dans le texte initial aurait pu avoir pour effet de diminuer considérablement le nombre de renseignements à fournir par le franchiseur lorsque le franchisé était un professionnel averti. Toutefois, sur le principe, la loi Doubin ne fait aucune distinction, selon un critère de compétence, entre les créanciers de l’information. Le projet de loi par a par conséquent été modifié et l’expression «informations sincères» a finalement été retenue538: la sincérité des informations transmises est due à tout franchisé: le terme de «sincérité» n’implique pas de variation selon les qualités professionnelles du franchisé539. Néanmoins si, sur un plan purement formel, la compétence du franchisé n’a aucune incidence sur l’étendue du devoir d’information du franchiseur, elle peut néanmoins faire obstacle à la sanction de la violation de ce devoir, le consentement d’un commerçant aguerri étant moins susceptible d’être légitimement vicié que celui d’un profane540.

3. Les modalités de délivrance de l’obligation légale

153. Délai – L’alinéa 4 de l’article L. 330-3 du code de commerce énonce que le document d’information précontractuelle et le projet de contrat doivent être remis vingt jours avant la signature du contrat541, et avant le versement d’une somme exigé préalablement à ladite signature542. Il a été jugé que le délai était respecté lorsque le document a bien été remis vingt jours avant la signature du contrat, peu important le fait que celui-ci prenne effet antérieurement à l’expiration du délai543. Il semble cependant découler de la même décision, interprétée a contrario, que, dans l’hypothèse où les consentements se sont rencontrés avant la signature du contrat, la date à prendre en compte pour la vérification du respect du délai est celle de la rencontre des consentements544, solution qui serait conforme à la nature consensuelle du contrat de franchise.

La loi prévoit opportunément une exception: lorsque le franchisé verse au franchiseur une somme545 avant la signature du contrat, notamment en vertu d’un contrat de réservation546, le document d’information précontractuelle doit lui être remis vingt jours avant ledit versement547.

Ces règles, inspirées du droit de la consommation, ont pour but de donner au franchisé un délai de réflexion, afin de lui permettre de prendre connaissance de l’importante quantité des informations qui lui sont fournies et du projet de contrat, et de procéder à ses propres recherches. Durant le délai qui lui est imparti, le franchisé peut notamment interroger les franchisés dont les coordonnées figurent dans le document d’information précontractuelle, consulter des experts548 et des conseils, ou encore faire réaliser une étude de marché et des comptes prévisionnels549.

En cas de non respect du délai légal, le contrat pourra être annulé si le retard dans l’information a été de nature à vicier le consentement du franchisé550.

La loi n’a pas prévu le cas des évènements importants ou modifications du projet de contrat pouvant survenir entre la remise du document et la signature du contrat. Dans cette hypothèse, une doctrine majoritaire préconise à juste titre la remise d’informations sur ces évènements, cette remise devant constituer le point de départ d’un nouveau délai de vingt jours551. La loi type établie par UNIDROIT ne prévoit pas le départ d’un nouveau délai; dans l’hypothèse d’une «modificationimportante des informations devant être divulguées», «le franchiseur doit notifier par écrit toute modification au futur franchisé dès que possible» et avant l’expiration du délai552. La question ne soulève cependant pas de graves difficultés en pratique, en raison des conditions de sanction du manquement à l’obligation d’information553.

En cas de renouvellement tacite du contrat, l’information précontractuelle reste due par le franchiseur554, et doit donc être communiquée au franchisé vingt jours avant ladite reconduction. En cas de manquement, le franchisé devra démontrer que son consentement a été vicié, ce qui pourra se révéler difficile si le contrat est reconduit tacitement, et donc aux mêmes conditions. Il est utile de relever à ce titre que la loi type précitée prévoit que le franchiseur est dispensé de fournir le document d’information précontractuelle au franchisé dans certaines hypothèses, dont celles du renouvellement du contrat aux mêmes conditions555.

154. Remise d’un écrit – Des termes de la loi du 31 décembre 1989, qui impose à l’une des parties «de fournir à l’autre partie un document donnant des informations sincères», la jurisprudence a conclu que le document d’information précontractuelle devait être remis sous la forme d’un écrit556. Dans le cas contraire, le contrat peut être annulé557. La loi, selon cette interprétation, impose ainsi, outre une règle de fond attachée au contenu de l’information, une règle de forme aux pourparlers qui, en droit commun, sont libres, et peuvent se dérouler oralement558. L’article 4 (1) de la loi type élaborée par UNIDROIT énonce quant à lui expressément que «l’information doit être fournie par écrit»559. En outre, il a été jugé, dans un arrêt remarqué560, que le document d’information précontractuelle devait être effectivement remis au franchisé, et non simplement mis à sa disposition561.

4. La preuve relative à l’obligation d’information

a) La preuve de l’existence de l’obligation

155. Charge de la preuve de l’existence de l’obligation légale – Par définition, l’obligation de source légale s’impose au franchiseur, qui est légalement tenu de fournir une information sincère ; la preuve de l’existence de l’obligation ne pose donc aucune difficulté.

b) La preuve de l’exécution de l’obligation

156. Charge de la preuve – Celui qui est légalement ou contractuellement tenu d’une obligation particulière d’information doit rapporter la preuve de l’exécution de l’obligation562. En conséquence, les juridictions rappellent régulièrement que le franchiseur – débiteur de l’obligation d’information dans le cadre de la franchise – doit donc rapporter la preuve de l’exécution de l’obligation d’information563 dans le délai prévu par la loi564.

157. Mode de preuve – Le franchiseur peut prouver qu’il s’est acquitté de son obligation précontractuelle d’information par tous moyens565. Cependant, le mode de preuve doit permettre d’identifier de façon suffisamment précise les informations qui ont été transmises: une attestation rédigée en termes généraux ne permet pas de constituer une telle preuve566. En outre, nul ne pouvant se constituer de preuve à soi-même, le franchiseur ne peut attester lui-même avoir remis l’information prévue par la loi Doubin et son décret d’application au franchisé567.

La jurisprudence admet que le franchiseur ménage cette preuve à l’avance, en prévoyant au contrat – ce qui est fréquent en pratique – une clause par laquelle le franchisé reconnaît avoir reçu, vingt jours au moins avant la signature, une information comportant les éléments prévus par les prescriptions légales et réglementaires568. Ce type de clause a pour effet de renverser la charge de la preuve: le franchisé devra alors prouver que le franchiseur n’a pas rempli son obligation d’information. Une simple allégation du franchisé en ce sens sera en principe insuffisante; en effet, il a été jugé qu’il était «exclu que [les franchisées], en commerçantes avisées et gérantes de société responsables, aient pu reconnaître ainsi avoir reçu une documentation d’information si tel n’avait pas été le cas»569. Ici encore, la clause, pour être efficace, doit être rédigée dans des termes précis: une clause par laquelle le franchisé reconnaît avoir reçu les documents précontractuels, rédigée en termes généraux, est «insuffisante pour démontrer que [le franchisé] a reçu l’information complète et précise visée par l’Article 1 de la Loi Doubin et par l’Article 1erer.

5. La sanction du manquement à l’obligation d’information

158. Loi – En cas de manquement par le franchiseur à son obligation d’information, la loi prévoit une sanction pénale. Elle est en revanche silencieuse s’agissant de la nature de la sanction civile, ce qui a suscité de nombreuses discussions.

a) La sanction civile du manquement à l’obligation d’information

159. Positionnement du problème – La loi n’a pas prévu la sanction civile du manquement à l’obligation d’information née de la loi Doubin.

Cette obligation, comme les autres obligations de même type qui se développent dans divers domaines du droit, découle de l’exigence de bonne foi571 dans l’exécution du contrat, qui se manifeste jusque dans la période précontractuelle. Le manquement aux obligations d’information ou de renseignement mises à la charge de certains professionnels est susceptible d’être source, selon le cas, de vice du consentement ou de responsabilité civile pour l’auteur du manquement572, voire, s’il s’agit d’une obligation contractuelle de renseignement, de responsabilité contractuelle573, de résiliation, ou de résolution574. Selon le cas, le contrat est annulé, résilié ou résolu, et le préjudice de la victime est éventuellement réparé.

Le manquement à l’obligation imposée par l’article L. 330-3 du code de commerce, ainsi que cela ressort dela jurisprudence, est principalement sanctionné par l’annulation du contrat fondée sur le vice du consentement; le franchisé peut également agir sur le fondement de la responsabilité délictuelle.

α) L’annulation du contrat fondée sur le vice du consentement

i) Nature de la sanction: la nullité relative

160. Nullité – Les juridictions ont dans un premier temps hésité sur la sanction à donner au manquement à l’obligation d’information. Bien qu’il s’agisse d’une obligation précontractuelle – et donc extracontractuelle –, certaines décisions se sont égarées par le passé en prononçant la résolution du contrat aux torts exclusifs (ou partagés) du franchiseur575. Néanmoins, la grande majorité des juridictions du fond s’est prononcée en faveur de la nullité576, position qui a été adoptée par la Cour de cassation577 et réaffirmée par Haute juridiction dans un arrêt récent578; les juridictions du fond s’accordent désormais pour prononcer la nullité du contrat si les conditions en sont remplies579.

La jurisprudence a connu la même évolution s’agissant de la sanction des comptes prévisionnels et études de marchés non sincères (responsabilité délictuelle du franchiseur580, remise en cause de l’économie générale du contrat faisant obstacle à la demande d’une indemnité demandée par le franchiseur581…). Elle se prononce désormais en faveur de la nullité du contrat de franchise, fondée sur le vice du consentement du franchisé582, quel que soit le fondement, légal ou contractuel, de l’obligation d’information583. La nullité guette donc le contrat lorsque le franchiseur, outrepassant l’obligation légale d’information, remet au franchisé des comptes d’exploitation prévisionnels et une étude de marché. C’est pourquoi il est plus avisé, pour un franchiseur, d’assister le franchisé dans ces démarches, sans pour autant être l’auteur desdits documents.

161. Nullité relative – La nature de la nullité a également fait l’objet d’interrogations. Quelques décisions ont considéré que la méconnaissance de la loi du 31 décembre 1989 entraînait la nullité de plein droit du contrat584. La Cour de cassation s’est cependant prononcée en faveur d’une solution nettement moins radicale585 : l’article L. 330-3 du code de commerce ayant pour but de protéger le consentement du franchisé, le prononcé de la nullité suppose la démonstration d’un vice du consentement586, qui ne saurait se déduire du manquement à l’obligation d’information en lui-même587. Cette solution est conforme à celle qui est traditionnellement retenue par la jurisprudence en matière de formalisme informatif588. Malgré la résistance de certaines juridictions du fond, qui ont parfois considéré que le manquement à l’obligation légale d’information suffit à lui seul à motiver la nullité du contrat589, la Cour de cassation réaffirme constamment sa position590.

La sanction du manquement à l’article L. 330-3 du code de commerce est donc la nullité relative. En effet, le vice du consentement entraîne la nullité relative du contrat, aussi bien au regard de la théorie classique591 que de la théorie moderne592 de la distinction entre nullités absolue et relative593. Celle-ci a une triple conséquence: le délai de prescription de l’action est de cinq ans à compter de la découverte de l’erreur ou du dol ou de la cessation de la violence594; le contrat est susceptible de confirmation595; seul le franchisé (ou ses ayants droit), personne protégée en l’espèce par le texte, peut agir en nullité. Par ailleurs, il a été décidé que le franchisé ne pouvait plus remettre en question la validité du contrat sur le fondement du manquement du franchiseur à son obligation d’information précontractuelle lorsque le contrat a été exécuté jusqu’au terme convenu596.

La circonstance que la violation de l’obligation d’information prévue à l’article L. 330-3 du code de commerce soit sanctionnée par la nullité du contrat fondée sur le vice du consentement a conduit un auteur597 à considérer que «l’exigence précontractuelle dev[enait] une exigence contractuelle, puisque son défaut n’[était] sanctionné qu’en cas de conclusion du contrat».Toutefois, cette solution est conforme au droit commun dans la mesure où le manquement a constitué un vice du consentement598.

ii) Critères de caractérisation du vice du consentement

162. Appréciation in concreto– L’obligation d’information imposée par l’article L. 330-3 du code de commerce est en principe absolue; elle bénéficie à tout franchisé, quelles que soient ses compétences. Toutefois, si elle est absolue, c’est sur un plan formel uniquement: le franchiseur doit délivrance de l’ensemble des informations requises à tout franchisé sans distinction mais, le simple fait d’en avoir omises n’entraîne pas automatiquement la nullité et la prise en compte de la compétence du franchisé intervient lors de l’appréciation de l’existence d’une erreur. Pour être excusable, l’erreur doit être légitime, ce qui n’est plus le cas si le franchisé bénéficiait de compétences particulières dans le domaine ou qu’il pouvait se renseigner. Par ce biais, la jurisprudence restaure indirectement sa dimension relative à l’obligation d’information d’origine légale.

Conformément au droit commun et à l’adage «Emptor debet esse curiosus», le franchisé a un devoir de se renseigner599. Pour que le manquement à une obligation d’information soit caractérisé, il faut non seulement que l’information recelée soit pertinente, mais encore qu’elle fasse l’objet d’une ignorance légitime pour son créancier. L’obligation d’information n’est en effet justifiée qu’en cas de déséquilibre entre les connaissances des cocontractants, qui repose sur deux conditions: la connaissance par le débiteur et l’ignorance légitime du créancier qui s’apprécie in concreto, en fonction de ses compétences. L’obligation d’information imposée par la loi Doubin, telle qu’elle est mise en œuvre par la jurisprudence, respecte en cela ces directives de droit commun, la distinction fondée sur la compétence en matière d’obligation d’information ayant été consacrée par un arrêt de la Chambre mixte de la Cour de cassation du 29 juin 2007600. En conséquence, le prononcé de la nullité en cas de non respect des articles L. 330-3 et R. 330-1 du code de commerce donne lieu à une appréciation in concreto de l’état du consentement des franchisés par les juridictions du fond.

Le franchisé, pour que son ignorance soit considérée comme légitime, ne doit donc pas être un professionnel averti, disposant des compétences suffisantes permettant de pallier l’insuffisance d’information601. En ce sens, la jurisprudence considère que l’ignorance du franchisé n’est pas légitime et, par conséquent, que son consentement n’a pas été vicié lorsquenotamment :

– le franchisé se prévaut de l’absence de présentation de l’état du marché et de ses perspectives de développement alors qu’il avait exercé, pendant une longue période et sur le même emplacement, l’activité objet du contrat602;

– le candidat franchisé, commerçant expérimenté, conteste la véracité du chiffre d’affaires prévisionnel alors qu’il pouvait parfaitement se renseigner quant à la faisabilité dudit chiffre d’affaires auprès des franchisés dont la liste lui avait été fournie603;

– le franchisé, commerçant expérimenté604, fait état de l’absence ou des inexactitudes des indications sur le réseau ou le marché, alors qu’il exploitait déjà un ou plusieurs autres magasins franchisés au sein du réseau605ou que, de façon plus générale, il était «rompu» aux techniques du franchisage606 ;

– deux personnes physiques font état d’un défaut d’information portant sur le nombre d’entreprises ayant quitté le réseau et sur la composition de la clientèle locale, alors que l’une est ingénieur et l’autre rompue aux méthodes comptables607,

– le franchisé argue de l’absence d’information relative au réseau, à l’état du marché local et aux comptes des deux derniers exercices, alors qu’il est docteur en droit et très expérimenté dans l’immobilier, domaine de la franchise concédée608.

A cet égard, tout est affaire d’espèce609.

Si le franchisé n’est pas un professionnel averti, son erreur ne sera pas pour autant automatiquement excusable; il doit avoir été dans l’impossibilité absolue d’accéder à l’information omise. Par conséquent si, à partir des éléments qui lui ont été remis, il pouvait s’informer, son erreur sera inexcusable.

Ainsi dans les hypothèses où:

– le franchiseur n’a pas remis au franchisé de document écrit, mais a donné des informations comptables sur son commerce, s’est livré à une étude de viabilité du projet de création d’un magasin en franchise, et que les parties se sont entretenues régulièrement, notamment sur l’implantation du magasin, les bilans, les stratégies commerciales et les modes de financement du projet, de sorte que le franchisé a pu se faire une opinion précise du projet610;

– fait défaut l’indication du nombre de franchisés ayant quitté le réseau, mais que les autres documents communiqués étaient suffisants pour lui permettre d’apprécier les risques et l’intérêt du projet611.

De la même manière, si le franchisé a disposé d’un temps considérable pour réfléchir et s’informer, son erreur sera inexcusable car il n’était pas, là encore, dans l’impossibilité absolue d’accéder à l’information612. Par conséquent, le fait que le document remis au franchisé ait occulté une partie de la concurrence613, ou la consistance du réseau614,ne vicie pas le consentement dudit franchisé lorsque la remise a eu lieu plusieurs mois avant la signature du contrat, ce qui permettait au franchisé de procéder lui-même aux recherches sur la concurrence. Il en va de même lorsquenotamment:

– les parties ont entretenu depuis longtemps des relations d’affaires615;

– le candidat franchisé a pu, deux mois avant la signature du contrat, s’entretenir avec un représentant du franchiseur et suivre un stage chez l’un des franchisés616.

Les solutions reflètent une incontestable casuistique. Néanmoins, dans tous les cas où l’ignorance du franchisé est légitime, soit qu’il est profane, soit qu’il se trouve dans l’impossibilité absolue de se renseigner, son erreur sera considérée comme excusable. La jurisprudence considère que le vice du consentement est caractérisé lorsque:

– le franchiseur n’indique pas le nombre d’entreprises ayant quitté le réseau durant l’année précédant la signature du contrat, et que l’importance de ce nombre ne pouvait que dissuader le franchisé de signer le contrat617;

– aucune information concernant le réseau et l’état du marché local n’a été fournie, empêchant ainsi le franchisé «d’apprécier la réalité des perspectives économiques promises»618;

– aucune information n’a été remise, et que le franchiseur a menti au franchisé s’agissant de son expérience, déterminante du consentement du franchisé619;

– le défaut de renseignement a empêché les candidats distributeurs de se renseigner sur l’incidence de certaines clauses620 et la rentabilité de l’affaire621;

– le délai de réflexion n’a pas été respecté622 ou que le chiffre d’affaires prévisionnel ne reposait sur aucune base objective623, alors que le franchisé ne bénéficiait d’aucune expérience en matière commerciale;

– le franchiseur a remis les documents exigés par la loi le jour même de la signature du contrat et omis d’indiquer au candidat franchisé la présence d’un magasin d’usine sur la zone d’exclusivité concédée624.

Ce ne sont que là quelques exemples parmi d’autres.

La remise du projet de contrat un mois avant la signature ne pallie cependant pas l’omission de l’information dont la connaissance aurait dissuadé le distributeur de contracter625.

iii) Nature du vice

163. Obligation d’information précontractuelle et vices du consentement – Le manquement à une obligation d’information précontractuelle est susceptible de provoquer a priori deux types de vice du consentement626. Lorsque l’information n’est pas communiquée sans intention malveillante de son débiteur, le vice est constitué par une erreur. Lorsque le débiteur de l’information dissimule délibérément cette information pour pousser son interlocuteur à contracter, le vice est constitué par un dol. Les juridictions ont à plusieurs reprises relevé l’une et l’autre.

164. Erreur – Pour qu’un contrat soit annulé pour erreur sur le fondement de l’article 1110 du code civil, il faut que cette erreur soit déterminante et porte sur la «substance même de la chose qui en est l’objet»627 ou, si le contrat est conclu intuitu personnae, sur la personne du cocontractant628. La jurisprudence adopte une conception subjective de la qualité substantielle et considère qu’il s’agit de la qualité de la chose dont l’absence aurait amené la victime à ne pas contracter, si elle en avait eu connaissance629. Cette qualité doit toutefois être entrée dans le champ contractuel, c’est-à-dire qu’elle doit être connue du cocontractant, ce que la jurisprudence apprécie en fonction des stipulations particulières et de l’économie de la convention.

En matière de contrat de franchise, le manquement du franchiseur à son obligation d’information précontractuelle provoque en général une erreur sur la substance. Ainsi, une présentation très incomplète du marché local est de nature à provoquer une telle erreur dans l’esprit du franchisé630; c’est également le cas des comptes prévisionnels gravement erronés631, d’une présentation non sincère du réseau632, et de l’insuffisance des indications relatives aux investissements spécifiques à l’enseigne qui doivent être effectués par le franchisé633.

Le contrat de franchise étant emprunt d’un fort intuitus personnae634, l’erreur sur la personne du franchiseur, telle que notamment sa notoriété635 ou les condamnations dont il a pu faire l’objet636, peut également être envisagée.

Cependant, pour provoquer la nullité d’un contrat, l’erreur doit être excusable, ce qui n’est pas le cas lorsque l’errans a manqué à son obligation de se renseigner637. Or, en imposant au franchiseur de fournir au franchisé un certain nombre d’informations, le législateur a en principe ôté ces informations du domaine de l’obligation de se renseigner incombant au franchisé. L’erreur due à l’absence d’une information visée par l’article R. 330-1 du code de commerce est donc a priori toujours excusable. A ce titre, la Cour d’appel de Paris a pu considérer que «cette erreur n’a pu revêtir en l’espèce un caractère inexcusable dès lors que les obligations légales de renseigner qui n’ont pas été respectées, visaient précisément à éviter une erreur sur la qualité substantielle de son engagement»638. Il faut cependant nuancer ce propos: si l’erreur, dans les circonstances qui nous occupent, est en principe excusable, encore faut-il qu’elle existe; or, dans bien des hypothèses, la jurisprudence considère que l’erreur n’a pas pu avoir lieu en dépit de la lacune dans l’information remise, eu égard, comme il l’a été précédemment exposé, aux renseignements dont le franchisé a néanmoins bénéficié639, au temps dont il a disposé640, et/ou à ses qualifications propres641. En outre, encore faut-il que l’erreur déterminante ait été réellement due au manquement du franchiseur à son obligation d’information: si elle a été due, au contraire, au manquement du franchisé à son devoir de se renseigner, elle demeure inexcusable642.

165. Dol – Le dol, défini à l’article 1116 du code civil, est caractérisé selon la loi «lorsque les manœuvres pratiquées par l’une des parties sont telles, qu’il est évident que, sans ces manœuvres, l’autre partie n’aurait pas contracté». Il désigne donc «toutes les tromperies par lesquelles un contractant provoque chez son partenaire une erreur qui le détermine à contracter»643.

Si le dol était initialement constitué par des manœuvres positives, le silence étant une habileté permise, son domaine a été étendu progressivement à la simple réticence644. Pour être caractérisée, la réticence suppose toutefois que le contractant silencieux soit tenu d’une obligation de renseignement, ce qui correspond à la situation du franchiseur, telle qu’elle découle de la loi Doubin. En ce sens, il est très proche du manquement à l’obligation d’information légale précontractuelle: le fait que le franchiseur, tout en sachant qu’il doit une information au franchisé, s’abstienne de la donner semble constituer une réticence dolosive. Un auteur est allé jusqu’à affirmer que l’obligation d’information était la «face positive de l’interdiction du dol»645. De ce fait, les juridictions ont tendance à rechercher en premier lieu si le dol est établi et peuvent, à défaut, se placer sur le terrain de l’erreur646.

Cependant, l’article 1116 du code civil énonce que «le dol ne se présume pas et doit être prouvé»647. Il comprend un élément matériel et un élément intentionnel, et le seul fait que le franchiseur ne communique pas au franchisé l’une des informations visées par l’article R. 330-1 du code civil, s’il constitue sans doute possible l’élément matériel du dol, n’en implique pas nécessairement l’élément intentionnel. En conséquence, les décisions des cours d’appel qui déduisent la réticence dolosive du manquement à la loi Doubin et à son décret d’application sont systématiquement cassées648: la preuve de l’intention de tromper doit être apportée649. C’est ce que les juridictions du fond s’attachent à rechercher650, la lacune dans l’information pouvant découler d’une simple négligence ou de circonstances extérieures651.

Par ailleurs, le dol n’est cause de nullité du contrat que s’il a provoqué une erreur652 déterminante653: il doit être prouvé que le franchisé n’aurait pas contracté si le franchiseur s’était acquitté de son obligation d’information. Toutefois, la nature de l’erreur requise en matière de dol diffère de celle requise pour caractériser une erreur au sens de l’article 1110 du code civil. Ainsi, il importe peu, en matière de dol, que l’erreur porte sur la substance; elle peut indifféremment porter sur les motifs ou sur la valeur. De la même manière, l’erreur provoquée est toujours excusable.

La réticence dolosive peut consister, pour le franchiseur, à dissimuler intentionnellement au candidat franchisédes informations déterminantes de sa volonté d’adhérer au réseau; il en va ainsi notamment des informations suivantes :

– l’état du réseau654et, plus particulièrement, la fermeture de plusieurs établissements franchisés, dans le but de ne pas décourager le candidat655;

– l’état du marché656;

– les éléments concernant la fiabilité de la société franchiseur657;

– les perspectives de développement658;

– la présence de concurrents sur le territoire concédé659;

– la date de création, les étapes de l’évolution de l’entreprise, et la situation financière de l’ancien titulaire de la marque660.

La réticence dolosive n’est pas la seule forme de dol qui peut résulter du manquement à l’obligation légale d’information précontractuelle.

En effet, le franchiseur ne se contente pas, dans certaines hypothèses, de retenir une information qui serait de nature à dissuader le candidat franchisé de s’engager, mais lui fournit une information volontairement erronée. La violation des articles L. 330-3 et R. 330-1 du code de commerce constitue alors un dol par mensonge661, voire par manœuvre. Il en est notamment ainsi lorsque le franchiseur communique au franchisé des comptes ou chiffres d’affaires intentionnellement surévalués et qu’il sait irréalistes662.

166. Violence – La violence consiste à contraindre une personne à donner son consentement à un acte en lui inspirant une crainte, alors que sans celle-ci, la victime n’aurait pas contracté.

Le vice de violence affectant le consentement n’a donc pas pour origine une erreur: le contractant qui s’est engagé sous la contrainte ne s’est pas trompé. En conséquence, la fourniture d’une information lacunaire ou erronée, en violation des articles L. 330-3 et R. 330-1 du code du commerce n’est pas de nature à exercer une violence sur le candidat franchisé.

167. Lésion – La lésion consiste en un déséquilibre originel entre les prestations fournies par les parties663. Bien qu’elle soit mentionnée dans la section consacrée au consentement dans le chapitre du code civil relatif aux «conditions essentielles pour la validité des conventions», elle ne constitue pas en droit français, en principe, une cause de nullité des conventions. L’article 1118 du code civil dispose en effet: «La lésion ne vicie les conventions que dans certains contrats ou à l’égard de certaines personnes»664 , les contrats visés dans le code civil étant le partage et la vente d’immeuble.

En matière de contrat de franchise, la lésion ne peut entraîner la nullité du contrat, qui reste valable lorsqu’aucun vice du consentement n’est démontré par ailleurs.

iv) Preuve du vice

168. Charge de la preuve – En droit commun, la charge de la preuve du vice du consentement pèse sur celui qui l’allègue en matière d’erreur665 ainsi qu’en matière de dol pour lequel la solution est expressément consacrée à l’article 1116 du code civil, qui dispose qu’il «ne se présume pas». Cependant, la reconnaissance par la loi d’une obligation précontractuelle d’information à la charge du franchiseur aurait pu inciter la jurisprudence à reconnaître automatiquement, en cas de manquement, une présomption de vice du consentement du franchisé. Certains auteurs ont de surcroît considéré que ce renversement de la charge de la preuve constituait même l’unique apport de la loi Doubin compte tenu du rejet par la Cour de cassation de la nullité automatique du contrat en cas de manquement à ladite loi: en dehors du domaine probatoire, cette disposition particulière se trouvait noyée dans le droit commun666.

Dans un premier temps, certaines décisions des juges du fond avaient retenu cette présomption: les juridictions déduisaient de la fausseté ou de l’insuffisance de l’information que le consentement du franchisé avait été vicié par réticence dolosive667; mais l’on sait que les arrêts ayant adopté une telle solution ont été systématiquement cassés par la Haute juridiction668.

La Cour de cassation669, suivie par la majorité des juridictions du fond670, considère en effet que pèse sur celui qui allègue le vice – c’est-à-dire sur le franchisé – la charge de la preuve du vice, de la date à laquelle il a été découvert671, ainsi que, s’agissant du dol, de l’intention de tromper672, et ce, alors même qu’aucune information ne lui aurait été remise673. Le droit commun de la charge de la preuve en matière de vice du consentement s’applique donc nonobstant l’obligation d’information mise à la charge du franchiseur.

169. Moyens de preuve – S’agissant d’un fait juridique, le vice du consentement peut être établi par tous moyens. En particulier, le franchisé peut se référer à des évènements survenus lors de l’exécution du contrat674.

β) La responsabilité délictuelle du franchiseur

170. Réparation du préjudice du franchisé – Le manquement à son obligation d’information par le franchiseur peut être sanctionné sur le terrain contractuel par la nullité, si un vice du consentement est caractérisé, mais il peut également être sanctionné sur le terrain délictuel. En effet, l’information non communiquée au franchisé peut ne pas avoir été déterminante de son consentement, mais sa connaissance aurait pu l’inciter à conclure son contrat à des conditions différentes; dans ce cas, il peut agir sur le fondement de l’article 1382 du code civil pour obtenir réparation du préjudice subi675.

La responsabilité délictuelle du franchiseur peut ainsi être engagée676, que le franchisé ne veuille – aucune demande en ce sens n’étant formulée677 – ou ne puisse – aucun vice du consentement n’étant démontré678 – obtenir la nullité du contrat de franchise. Encore faut-il que le franchisé prouve que son préjudice a été causé par la faute du franchiseur dans l’exécution de son obligation précontractuelle de renseignement679.

b) La sanction pénale du manquement à l’obligation légale d’information

171. Infractions de droit commun – Plusieurs infractions de droit commun peuvent être envisagées en cas de manquement à l’obligation précontractuelle de renseignement, si leurs conditions sont remplies. Néanmoins, la seule démonstration de ce manquement ne saurait constituer ces infractions: d’une part, celles-ci nécessitent dans la plupart des cas la démonstration d’un élément intentionnel; d’autre part, l’élément matériel de ces infractions ne peut se résumer à ce manquement.

Ainsi en est-il notamment680 de l’escroquerie, qui constitue dans une certaine mesure le pendant pénal du dol, tout en obéissant il est vrai à des conditions plus restrictives. La réticence dolosive, par exemple, ne peut constituer une escroquerie; pour que l’escroquerie soit constituée, il faut démontrer un élément intentionnel et l’utilisation par le franchiseur de l’un des moyens énumérés par l’article 313-1 du code pénal681, dans le but d’obtenir du franchisé la remise des fonds (essentiellement composés du droit d’entrée et des redevances)682.

172. Infraction spécifique – L’article R. 330-2 du code de commerce, issu de l’article 2 du décret n°91-337 du 4 avril 1991 dispose:

«Est puni des peines d’amende prévues par le 5° de l’article 131-13 du code pénal pour les contraventions de la cinquième classe le fait de mettre à la disposition d’une personne un nom commercial, une marque ou une enseigne en exigeant d’elle un engagement d’exclusivité ou de quasi-exclusivité pour l’exercice de son activité sans lui avoir communiqué, vingt jours au moins avant la signature du contrat, le document d’information et le projet de contrat mentionnés à l’article L. 330-3.

En cas de récidive, les peines d’amende prévues le 5° de l’article 131-13 du code pénal pour les contraventions de la cinquième classe commises en récidive sont applicables».

Le manquement par le franchiseur à son obligation précontractuelle d’information est donc sanctionné pénalement en lui-même. Seront donc détaillés les éléments constitutifs et le régime de cette infraction683.

α) Elément constitutif

173. Elément matériel – Pour que l’élément matériel de l’infraction soit constitué, il faut qu’un contrat de franchise (pour l’hypothèse qui nous intéresse) soumis à la loi Doubin ait été signé, sans que le franchiseur ait remis au franchisé le document d’information précontractuelle et le contrat prévus par l’article L. 330-3 du code de commerce.

La loi pénale étant d’interprétation stricte, il semble que la signature effective du contrat, et donc l’établissement d’un contrat écrit, soient une condition d’application de l’article R. 330-2 du code de commerce.

Si un contrat de franchise écrit et entrant dans le champ d’application de l’article L. 330-3 du code de commerce a effectivement été signé, l’infraction est constituée dans trois hypothèses:

– aucun document n’a été remis au franchisé;

– le document remis ne contient pas toutes les informations prévues par l’article L. 330-1 et précisées par l’article R. 330-1, ou contient des indications non sincères;

– le document a été remis moins de vingt jours avant la signature du contrat.

174. Absence d’élément intentionnel – L’infraction prévue par l’article R. 330-2 du code de commerce est une contravention. La démonstration de l’élément intentionnel est donc indiférente à la constitution de l’infraction.

Ainsi, l’infraction est constituée dès lors que le franchiseur a manqué à son obligation d’information précontractuelle, préalablement à la formation d’un contrat écrit, peu important que ce manquement soit ou non intentionnel.

β) Répression

i) Auteur de l’infraction

175. Personne morale – Le franchiseur est dans la grande majorité des cas une personne morale.

Le principe de responsabilité pénale des personnes morales est posé par l’article 121-2 du code pénal. La loi du 9 mars 2004 ayant supprimé le principe de spécialité de la responsabilité des personnes morales684, celles-ci peuvent être poursuivies pour l’ensemble des infractions, parmi lesquelles se trouve celle définie par l’article R. 330-2 du code de commerce, à condition que l’infraction en cause soit commise pour son compte et par son organe ou représentant. L’auteur de l’infraction sera donc en général la société franchiseur. La remise d’un document lacunaire ou l’absence de remise d’un document quelconque sera en effet nécessairement faite pour le compte de la société franchiseur, à qui le devoir de remettre un document incombe conformément à la loi.

176. Personne physique – Le troisième alinéa de l’article 121-2 du code pénal énonce expressément que la responsabilité de la personne morale n’exclut pas celle de la personne physique auteur ou complice de l’infraction. Le principe est donc celui du cumul des responsabilités.

Le dirigeant de la société franchiseur sera donc susceptible de voir sa responsabilité pénale engagée, à moins qu’il ne prouve qu’il a délégué l’un des employés à l’information précontractuelle des franchisés685.

ii) Prescription

177. Délai de prescription – L’infraction prévue par l’article R. 330-2 du code de commerce étant une contravention, son délai de prescription est d’un an à compter de la commission de l’infraction686.

178. Point de départ du délai – Le point de départ du délai de prescription dépend de la nature – instantanée ou continue – de l’infraction. L’article R. 330-2 du code de commerce ne précise rien à ce sujet. Il est donc nécessaire de se référer aux critères de droit commun.

En matière d’infraction d’omission, il est admis que l’infraction est instantanée lorsque l’obligation à laquelle le débiteur s’est soustrait en commettant l’infraction consistait en un acte qui devait être effectué à un moment déterminé; dans le cas contraire, elle est continue 687.

Or, l’information prévue par l’article L. 330-3 du code de commerce, et dont l’omission est sanctionnée par l’article R. 330-2 du même code, doit être remise à un moment précis, soit vingt jours avant la signature du contrat de franchise. Il semble donc a priori que le délai de prescription d’un an court à compter du vingtième jour précédent la signature du contrat688.

La jurisprudence admet néanmoins, s’agissant des infractions clandestines, que le point de départ du délai de prescription soit retenu jusqu’au moment où l’infraction «est apparu[e] et a pu être constaté[e] dans des conditions permettant la mise en mouvement de l’action publique»689. En est-il ainsi du point de départ du délai de prescription de l’action publique lorsque le document remis contenait en apparence toutes les indications requises, mais que ces informations n’étaient pas sincères, ce dont le franchisé n’a pu s’apercevoir qu’après avoir exploité son commerce pendant un certain temps? Un tel report n’est pas accepté par les juridictions dès lors que la victime a ignoré la commission de l’infraction; ainsi, la Cour de cassation a rejeté cette possibilité dans le cas des délits de dénonciation calomnieuse690 et de corruption691. Il ressort de la jurisprudence que le report du point de départ du délai de prescription nécessite la démonstration du fait «que les actes irréguliers [ont] été dissimulés ou accomplis de manière occulte»692, ce qui suppose une appréciation in concreto par les juridictions.

iii) Sanction

179. Personnes physiques – Le manquement par le franchiseur à son obligation précontractuelle d’information constitue une contravention de cinquième classe. Il peut donc être sanctionné par une amende de 1500 € au maximum693. Par ailleurs, l’article R. 330-2 du code de commerce prévoyant l’application des règles relatives à la récidive à la contravention qu’il prévoit, l’amende est portée à 3000 €694 en cas de récidive695.

180. Personnes morales – L’article 131-41 du code pénal dispose: «Le taux maximum de l’amende applicable aux personnes morales est égal au quintuple de celui prévu pour les personnes physiques par le règlement qui réprime l’infraction».

La personne morale pourra donc se voir condamnée au paiement d’une amende de 7500 €. En cas de récidive, «le taux maximum de l’amende applicable est égal à dix fois celui qui est prévu par le règlement qui réprime cette contravention en ce qui concerne les personnes physiques»696 et sera donc égal à 15000 €.

B. La protection du consentement par le droit commun181. Interventions du droit commun protecteur du consentement – Si l’article L. 330-3 du code de commerce revêt une importance capitale dans la protection du consentement au contrat de franchise, il n’exclut pas l’application du droit commun en la matière. Bien au contraire, la sanction de la violation dudit article est fondée sur le droit commun des vices du consentement, ainsi qu’il l’a été exposé précédemment.

Le droit commun a également vocation à s’appliquer de façon autonome. Ainsi, il protège seul le consentement des parties aux contrats de franchise non soumis à la loi «Doubin». Au-delà de cette hypothèse marginale, doit être examinée la question de l’incidence de l’obligation d’information de droit commun sur les contrats de franchise soumis à l’article L. 330-3 du code de commerce. Par ailleurs, le consentement est susceptible d’être vicié en dehors de l’hypothèse des obligations d’information.

1. Obligation d’information

a) Respect de la loi «Doubin» et bonne foi précontractuelle de droit commun

α) Informations faisant défaut

182. Informations oubliées? – Ainsi qu’on l’a déjà indiqué697, les dispositions de la loi Doubin et de son décret d’application sont d’interprétation stricte: un contrat ne pourra pas être annulé sur le fondement des articles L. 330-3 et R. 330-1 du code de commerce si le franchiseur a transmis au franchisé l’ensemble des informations énumérées par ce dernier article. Cependant, le décret a-t-il envisagé toutes les hypothèses dans lesquelles le franchisé peut alléguer légitimement que son consentement a été vicié faute d’information suffisante698?

On sait que l’exigence générale de loyauté et de bonne foi précontractuelle n’est pas exclue des relations entre professionnels, même en dehors d’un régime légal particulier699.

Une partie de la doctrine estime que le franchiseur qui se conforme aux dispositions de la loi Doubin et de son décret d’application est à l’abri d’une annulation du contrat pour vice du consentement du franchisé, étant données l’étendue et la qualité des informations devant être fournies au titre dudit décret700.

Plusieurs éléments viennent au soutien de cette thèse. Ainsi, l’état actuel de la jurisprudence exclut deux types d’informations du champ de l’obligation de renseignement du franchiseur, le franchisé étant un commerçant indépendant: la fourniture d’une étude de marché et celle de comptes prévisionnels. Par ailleurs, la norme AFNOR Z 20-000 ne constituant pas une obligation légale, un contrat ne peut pas être annulé sur son fondement701. En outre, il a été jugé que le franchisé ne pouvait prétendre avoir été trompé sur la consistance du savoir-faire par le contenu du document d’information précontractuelle lorsque celui-ci incluait la liste et les coordonnées des franchisés, lui offrant ainsi la possibilité de s’assurer auprès de ceux-ci de la réalité du savoir-faire702.

Cependant, à la lecture de la loi type sur la divulgation des informations en matière de franchise établie en 2002 par UNIDROIT, on observe que, si la loi Doubin et son décret d’application contiennent la grande majorité des dispositions recommandées, certaines font défaut. C’est notamment703 le cas de l’obligation d’information sur«les condamnations prononcées en matière civile comme en matière pénale et lors de procédures arbitrales contre le franchiseur et tout affilié du franchiseur engagé dans la franchise»704 et sur «toute procédure de faillite, d’insolvabilité ou toute autre procédure comparable ayant impliqué le franchiseur et/ou un ou plusieurs de ses affiliés au cours des cinq dernières années»705.

L’action en nullité intentée par un franchisé échouera-t-elle si le franchiseur, tout en omettant de mentionner qu’il a fait l’objet d’une condamnation, par exemple, pour abus de confiance, s’est conformé à la lettre aux dispositions de l’article R. 330-1 du code de commerce? Il est permis d’en douter706.

Ainsi, si l’article R. 330-1 du code de commerce issu du décret du 4 avril 1991 impose la communication de la grande majorité des renseignements indispensables et difficilement accessibles aux franchisés, certaines informations dont l’accès est tout aussi ardu pour les franchisés n’entrent dans aucune des catégories mentionnées par ledit texte.

Rien ne permettant d’affirmer avec certitude que le respect de la loi Doubin et de son décret d’application garantit la validité du contrat, le franchiseur a tout intérêt à se conformer au principe général de loyauté et de bonne foi contractuelle, et à communiquer au franchisé, outre les informations prévues par l’article R. 330-1 du code de commerce, tout renseignement dont il dispose et que le franchisé ignore légitimement707, lorsque ce renseignement est de nature à influencer la décision du franchisé de contracter ou de ne pas contracter708. Dans cet esprit, le sous-paragraphe P de l’article 6 (1) de la loi type précitée énonce que le franchiseur doit communiquer au franchisé «toute autre information pouvant empêcher que le document d’information puisse tromper un futur franchisé normalement avisé ».

β) Informations erronées

183. Positionnement du problème – Ni l’obligation d’information précontractuelle de droit commun, ni les articles L. 330-3 et R. 330-1 du code de commerce709 n’imposent au franchiseur de remettre au franchisé une étude de marché ou des comptes prévisionnels.

Il est n’est pas rare cependant que le franchiseur remette spontanément l’une ou l’autre. Ainsi, en pratique, le franchiseur contribue souvent, à des degrés divers, à l’élaboration des comptes prévisionnels : selon une étude récente, 95 % des réseaux aident ou assistent le franchisé dans l’élaboration de ses comptes prévisionnels : 46 % des réseaux déclarent lui fournir les éléments nécessaires ; 28 % déclarent confronter leurs propres prévisions avec celles du franchisé ; 8 % déclarent se livrer aux deux prestations susvisées ; 13 % déclarent enfin se charger complètement de leur élaboration710. L’aide du franchiseur dans l’établissement des études de marché peut être d’une grande utilité pour le franchisé; en effet, elle peut lui permettre de mieux prendre en compte l’impact du savoir-faire sur le chiffre d’affaires prévisionnel711.

184. Obligation de bonne foi et obligation de sincérité – Or, ces études de marché et comptes prévisionnels sont de nature à fortement influencer le candidat lorsqu’il décide de s’engager par un contrat de franchise712. Si l’obligation de bonne foi précontractuelle de droit commun ne saurait imposer au franchiseur de fournir de tels documents au franchisé, elle lui fait en revanche obligation, lorsqu’il établit de son propre chef ces prévisions, deles élaborer sans légèreté ou intention de nuire. En effet, si les arrêts Turco713et Couturier714 ont dans un premier temps imposé à des concessionnaires, en tant que professionnels, l’obligation de vérifier le sérieux des documents prévisionnels qui leur avaient été remis par le concédant, la jurisprudence a connu depuis une importante évolution. Ainsi, plusieurs arrêts ont retenu la responsabilité du franchiseur qui avait remis une étude de marché ou des comptes prévisionnels trop optimistes à des candidats franchisés, alors que les contrats, conclus avant l’entrée en vigueur de la loi Doubin, étaient soumis au droit commun715.

En outre, on observe dans la sanction des prévisions exagérément optimistes une incidence du droit spécial que constitue l’article L. 330-3 du code de commerce: l’obligation de sincérité imposée par ledit article s’étend, selon la jurisprudence, tant aux comptes prévisionnels716 qu’aux études de marché717 élaborés par le franchiseur.

185. Critères du manque de sincérité – Les comptes prévisionnels ne sont pas sincères lorsqu’ils sont «irréalistes»718, «chimériques»719, «surdimensionnés»720 ou «exagérément optimistes»721 et qu’ils ne reposent ainsi sur aucune étude sérieuse722; il en est également ainsi, a fortiori, lorsqu’ils sont délibérément erronés723.

La jurisprudence fonde en premier lieu son analyse de la sincérité des prévisions du franchiseur sur la comparaison des résultats obtenus et des résultats promis. Le caractère grossièrement erroné est établi dans la majorité des cas par des écarts de l’ordre de 40 à 50%724, voire supérieurs725. Il ne l’est en revanche pas lorsque le chiffre d’affaires obtenu par le franchisé est très proche du chiffre d’affaires prévisionnel726.

D’autres critères permettent d’affiner cette analyse. Ainsi, le caractère raisonnable des comptes prévisionnels peut être démontré par la production des comptes de franchisés établis dans des zones de chalandise comparables à celle du franchisé déçu, et de ceux de concurrents situés dans le même secteur que ce dernier727, comptes démontrant qu’il est possible, dans une situation similaire à celle du franchisé, d’atteindre le résultat projeté.

Enfin, même dans le cas d’un écart considérable entre le chiffre d’affaires obtenu et le chiffre d’affaires prévisionnel, la nullité du contrat ne sera pas prononcée lorsque la poursuite de l’activité du franchisé dans le même magasin prouve la viabilité du projet728.

En tout état de cause, la charge de la preuve du caractère grossièrement erroné des prévisions établies par le franchiseur pèse sur le franchisé729.

186. Limite à l’obligation du franchiseur – En matière de comptes prévisionnels, l’obligation qui incombe au franchiseur n’est que de moyens; la jurisprudence ne manque pas de le souligner s’agissant des comptes prévisionnels730, eu égard à leur caractère «nécessairementaléatoire»731. Ainsi, un écart très important peut-il être expliqué par des circonstances extérieures732. Le franchiseur peut par conséquent se dégager de sa responsabilité en démontrant qu’il a établi ses prévisions sur une étude sérieuse733, quand bien même les résultats obtenus seraient sans rapport avec les prévisionnels734.

Par ailleurs, le franchiseur peut éviter la nullité du contrat en se montrant prudent dans la présentation des prévisions. La non réalisation d’un chiffre d’affaires expressément présenté comme indicatif et non porteur de promesse de réalisation n’est pas de nature à entraîner la nullité du contrat735. Ainsi en est-il également du chiffre d’affaires indiqué au franchisé comme étant le chiffre d’affaires moyen de l’ensemble des franchisés du réseau, et non comme étant un chiffre d’affaires prévisionnel spécifique audit franchisé736.

Enfin, certaines circonstances sont de nature à faire peser sur le franchisé une obligation de procéder lui-même à des recherches complémentaires, en particulier en présence de situations de nature à éveiller l’attention du franchisé; il en va ainsi notamment lorsque le franchiseur a une expérience limitée737 ou lorsque la marque est nouvelle738. Dans d’autres hypothèses, le devoir du franchisé de «se» renseigner se justifie par l’importance du réseau qu’il s’apprête à intégrer739 ou de l’expérience dont il justifie lui-même.

187. Conséquences spécifiques du manque de sincérité des comptes prévisionnels – La non-sincérité des comptes prévisionnels est de nature à entraîner, outre la nullité du contrat et la responsabilité délictuelle du franchiseur, des effets qui lui sont propres. Ainsi, le manque de sérieux dans l’établissement des comptes prévisionnels peut être constitutif d’une faute lourde qui a pour effet d’écarter la clause par laquelle le franchiseur était déchargé de toute responsabilité dans les résultats obtenus par le franchisé740. En outre, la remise de comptes prévisionnels erronés à une banque dans le but de convaincre celle-ci d’accorder un prêt au franchisé peut être lourde de conséquences741.

b) Les aménagements contractuels à l’obligation d’information du franchiseur

188. Comptes prévisionnels et études de marché – Le franchiseur n’est pas légalement tenu de fournir au franchisé des comptes prévisionnels et une étude de marché. Rien ne s’oppse à ce qu’une telle obligation ne lui soit imposée par contrat742.

La charge de la preuve de l’existence même d’une telle obligation incombe au franchisé, conformément à l’article 1315, alinéa 1er du code civil, selon lequel « celui qui réclame l’exécution d’une obligation doit la prouver ». Ainsi, pour écarter l’argumentation par laquelle le franchisé reproche au franchiseur de l’avoir trompé par la remise de budgets prévisionnels ne tenant pas compte des difficultés d’approvisionnement en produits vendus et des conditions de financement de ceux-ci par le franchisé, un arrêt retient opportunément : « qu’il ne résulte pas des clauses du contrat de franchise, aux termes duquel il est rappelé que le franchisé est constitué en une entreprise indépendante qu’il gère sous sa seule responsabilité et qui doit bénéficier de sa propre capacité de financement, que le franchiseur se soit engagé à lui fournir d’autres éléments d’information que ceux visés et annexés au document d’information précontractuel et consistant en une étude de marché nantais et de la zone de chalandise »743.

189. Responsabilité contractuelle – Lorsque l’obligation contractuelle du franchiseur est prouvée, la responsabilité de ce dernier, en cas de manquement, est de nature contractuelle.

Commettrait ainsi une faute contractuelle le franchiseur qui ne remettrait pas les documents prévisionnels qu’il s’était engagé à transmettre au franchisé. Cependant, en pratique, la faute reprochée au franchiseur tient à l’inexactitude des prévisions reçues par le franchisé.

La responsabilité du franchiseur est alors soumise à deux conditions: d’une part, le franchiseur doit s’être effectivement engagé à établir les documents prévisionnels; d’autre part, ceux-ci doivent être grossièrement erronés.

190. Paternité des comptes prévisionnels – La première condition paraît aller de soi : les comptes prévisionnels doivent avoir été établis par le franchiseur744, ce qui exclut toute responsabilité lorsqu’il n’en est pas l’auteur. Il appartient au franchisé d’établir la preuve que les comptes litigieux ont bien été établis par le franchiseur ; à défaut, ce dernier ne peut se voir attribuer la paternité d’un tel document. A ce titre, la responsabilité du franchiseur ne saurait être mise en cause, les comptes prévisionnels fussent-ils erronés, lorsque celui-ci s’est simplement engagé, au titre de l’assistance, à aider le franchisé dans l’établissement de ses comptes prévisionnels, et à établir en collaboration avec lui une étude de marché745, le franchisé restant alors tenu, en sa qualité de commerçant indépendant, d’établir ses propres comptes d’exploitation prévisionnels746.

La preuve de ce que telle ou telle partie a elle-même réalisé les comptes prévisionnels peut être contractualisée747. Ainsi, par exemple, le contrat de franchise pourra utilement préciser que le franchisé reconnaît avoir réalisé ses propres comptes prévisionnels avec l’aide de son expert-comptable. Il pourra également prévoir que le franchisé reconnaît avoir réalisé ses propres comptes prévisionnels et s’être appuyé sur les bilans positifs et négatifs qu’il s’est procuré de différents magasins franchisés. Le contrat de franchise pourra encore ajouter, le cas échéant, que le franchisé reconnaît avoir réalisé ses propres comptes prévisionnels au moyen notamment du support fourni par le franchiseur ne comportant que les différents postes vierges et un plan type vierge du compte prévisionnel. Les formules abondent et quantité de variantes sont bien sûr envisageables : celles-ci dépendent notamment de la taille du réseau et du degré d’implication voulu par le franchiseur dans la relation qu’il entretient avec ses franchisés au stade précontractuel.

191. Caractère «grossièrement erroné» des comptes prévisionnels – La deuxième condition fait l’objet d’un abondant contentieux : les comptes prévisionnels doivent être « grossièrement erronés » ou « manifestement irréalistes »748. Autrement dit, le seul caractère erroné des comptes prévisionnels ne saurait suffire à constituer une faute du franchiseur, dès lors que l’exercice d’une activité commerciale est par essence sujette à des aléas749. C’est pourquoi la jurisprudence considère que le franchiseur n’est pas tenu, sauf stipulation contraire, à une obligation de résultat750 et que sa responsabilité ne peut être retenue lorsque l’écart excessif entre les résultats prévus et ceux effectivement atteints s’explique notamment par des considérations inattendues751.

2. Les vices du consentement en dehors de la violation de l’obligation d’information

192. Domaine d’application du droit commun – Les vices du consentement ont vocation à trouver application en matière de contrat de franchise en dehors de l’hypothèse d’une violation de l’obligation d’information due au franchisé. En premier lieu, le franchiseur lui-même peut voir son consentement vicié par le comportement du franchisé. En second lieu, le consentement du franchisé peut être vicié par des manœuvres dolosives ou par la violencealors même que l’information obligatoire est délivrée 752

a) Le vice du consentement du franchiseur

193. Erreur ou dol – Les affaires d’escroquerie survenues dans les années 1980 ont mis en avant le fait que certains «faux» franchiseurs avaient cherché à tromper des candidats franchisés pour les convaincre d’entrer dans un semblant de réseau de franchise, afin d’en obtenir paiement du droit d’entrée et des redevances.

Il arrive au contraire que le candidat franchisé, désireux d’intégrer un réseau de franchise, trompe le franchiseur ou que, plus simplement, ce dernier se trompe sur certains éléments et contracte néanmoins. Selon le cas, certaines qualités du franchisé peuvent se révéler essentielles pour le franchiseur, qui n’aurait pas contracté s’il avait eu conscience des compétences réelles du franchisé. Par exemple, il peut être essentiel aux yeux du franchiseur que le franchisé soit un commerçant expérimenté. Dans ce cas, le fait pour un franchisé novice d’employer des manœuvres pour convaincre le franchiseur de son expérience dans le but de l’amener à contracter serait constitutif d’un dol et pourrait entraîner la nullité du contrat de franchise à la demande du franchiseur. Par ailleurs, lorsque l’obligation de non-concurrence du franchisé est essentielle pour le franchiseur, la dissimulation par le franchisé de son affiliation à un autre réseau pourra provoquer le même effet. Une décision rendue dans une affaire de master-franchise illustre bien cette dernière hypothèse: le contrat de master-franchise contenait une clause de non-concurrence interdisant au master-franchisé de participer directement ou indirectement à une entreprise ayant une activité identique à celle faisant l’objet de la franchise. Le master-franchisé avait certifié par écrit au franchiseur, préalablement à la signature du contrat, être libre de tout engagement de cette nature, alors qu’il était encore lié à un autre réseau ayant la même activité. Le contrat a en conséquence été annulé pour dol du franchisé754.

b) Le vice du consentement du franchisé hors violation de l’obligation d’information précontractuelle

α) Les manœuvres dolosives

194. Tromperie du franchisé – Il ressort de la jurisprudence que, dans certaines hypothèses, le franchiseur emploie des manœuvres pour inciter le franchisé à contracter. Dans la plupart des cas, ces manœuvres tendent à faire croire au franchisé à l’existence d’un réel savoir-faire755 ou à une notoriété de la marque ou de l’enseigne bien supérieure à ce qu’elle est réellement756. La nullité du contrat peut alors être demandée sur le fondement du dol ou de l’absence de cause757.

Là encore, le franchisé doit prouver que le franchiseur a employé des manœuvres dolosives758 qui l’ont trompé759 et déterminé à conclure le contrat, ce qui implique que les manœuvres alléguées soient concomittantes ou antérieures au consentement760.

β) La violence

195. Conception traditionnelle de la violence – La violence consiste à contraindre une personne à donner son consentement à un acte en lui inspirant une crainte, alors que sans celle-ci, la victime n’aurait pas contracté761.Le fait que l’un des cocontractants ait été contraint par l’autre à consentir par la violence en matière de franchise se comprend rarement d’un acte physique ou moral de violence qui, même s’il n’est pas a priori impossible, ne peut être qu’exceptionnel; du reste, aucun exemple ne semble exister en pratique. Le cas de la violence économique est en revanche plus envisageable.

196. Violence économique762 – Dans de nombreuses hypothèses, les parties se trouvent dans des situations inégales, soit en raison de la faiblesse de l’une – c’est le cas par exemple du consommateur profane – soit en raison de la puissance de l’autre, notamment dans le cadre des relations d’affaires. Or, il peut arriver qu’une personne détenant une position de force sur une autre profite de cette position pour contraindre cette dernière à former un contrat auquel elle n’aurait pas consenti dans d’autres circonstances. Certaines branches du droit prennent en compte ces situations: l’exploitation abusive d’un état de dépendance économique est, sous certaines conditions et sauf exception, une cause de nullité des conventions en droit de la concurrence763; le droit de la consommation sanctionne pénalement l’abus de faiblesse764; le droit pénal sanctionne quant à lui l’abus frauduleux de l’état d’ignorance ou de faiblesse765.

Après l’évolution dont la notion de violence a fait l’objet à la fin du 19 siècleme, le débat a porté – plus récemment – sur l’admission de la violence économique au sein de la violence-vice du consentement. La Cour de cassation admet que la nullité d’une convention puisse être prononcée sur le fondement des articles 1111 et suivants du code civil pour violence économique, mais uniquement lorsque la partie puissante a abusé du fait que son cocontractant dépendait de lui, s’insipirant ainsi des notions de droit de la concurrence766. Si une tendance générale se dessine en jurisprudence767, la violence économique demeure strictement encadrée et les demandes de nullité formées sur ce fondement n’aboutissent que rarement768.

Quoiqu’ils relèvent de la catégorie des contrats dits «d’intérêt commun»769, les contrats de franchise peuvent – au moins en théorie – se prêter à la constatation d’une telle violence, le poids économique des partenaires étant dans la plupart des cas inégal. Ainsi, il peut être tentant pour des franchisés de faire annuler tel ou tel contrat770 au motif que leur franchiseur a profité de sa supériorité économique pour exercer sur eux une contrainte illégitime afin de les faire consentir un contrat de franchise ou un contrat d’application.

§2. Capacité

197. Mineur émancipé – Le contrat de franchise étant conclu, dans la plupart des cas, entre deux commerçants771, ni le franchiseur, ni le franchisé ne peut être mineur émancipé en vertu des articles 487 du code civil772 et L. 121-2 du code de commerce.

En revanche, lorsque les parties sont majeures, leur jeunesse est indifférente à la validité du contrat773. Le caractère inexpérimenté du franchisé pourra, tout au plus, conduire le juge à plus facilement retenir, toutes choses étant égales par ailleurs, l’existence d’une faute du franchiseur ou d’un vice du consentement774.

198. Professions réglementées – L’activité de certains réseaux de franchises porte sur une profession réglementée. Un arrêt, interprété a contrario, laisse entendre que le contrat pourrait être annulé si le franchisé n’avait pas le droit, au moment de la formation du contrat, d’exercer l’activité faisant l’objet de la franchise775. Toutefois, la jurisprudence, sur un plan général, ne semble pas s’orienter en ce sens dans les décisions récentes relatives à la violation d’un monopole. L’exemple de la sanction en cas de violation du monopole bancaire illustre une tendance plus souple. Un arrêt rendu par l’Assemblée plénière de la Cour de cassation le 4 mars 2005 refuse en effet de sanctionner par la nullité les contrats conclus en violation de l’obligation d’agrément bancaire776. Si la solution dépend évidemment de la nature du monopole violé, dans le cas où aucune disposition légale ne prévoit la sanction de la nullité, il semble possible de dire qu’elle ne serait pas prononcée.

§3. La détermination de l’objet

199. Objet de l’obligation – L’objet du contrat est visé à l’article 1126 du code civil qui dispose que «tout contrat a pour objet une chose qu’une partie s’oblige à donner, à faire ou à ne pas faire». L’objet peut se comprendre dans un sens économique, dans la mesure où il reflète les attentes concrètes des parties777. En matière de franchise, il consiste dans le développement d’un concept. Mais l’objet se comprend traditionnellement comme l’objet de l’obligation née du contrat qui se définit en doctrine comme la prestation promise, autrement dit ce à quoi est tenu le débiteur envers le créancier778.

Conformément à l’article 1129 du code civil, l’objet de l’obligation de chacune des parties au contrat de franchise doit être déterminé ou, tout au moins, déterminable en fonction des stipulations contractuelles. La question de la nécessité pour les parties de rendre déterminé ou déterminable, dès l’élaboration du contrat de franchise, l’objet des contrats d’application a connu quant à elle une importante évolution jurisprudentielle.

I. La détermination de l’objet de l’obligation des parties au contrat de franchise200. Détermination de l’objet de l’obligation du franchisé – L’objet de l’obligation du franchisé consiste, d’une part, dans le versement d’un droit d’entrée au moment de la formation du contrat, et, d’autre part,dans le versement périodique d’une redevance pendant toute la durée de l’exécution du contrat. La principale difficulté susceptible de surgir en pratique est la détermination du montant desdites redevances.

Il a été jugé que, le contrat de franchise n’emportant pas transfert de droit réel, le montant des redevances n’avait pas à être déterminé dès la formation du contrat779.

En revanche, il doit être déterminable780. En pratique, ce montant est fréquemment défini en fonction du chiffre d’affaires du franchisé, ce qu’un tribunal a jugé valable781. La même décision a rappelé que les conditions de validité du contrat s’apprécient au moment de sa formation.

201. Détermination de l’objet de l’obligation du franchiseur – La détermination de l’objet de l’obligation du franchiseur pose en général peu de difficultés. C’est en effet au regard de l’existence de la cause de l’obligation du franchisé que cette obligation est discutée en pratique.

Néanmoins, un contrat de franchise a été annulé pour indétermination et indéterminabilité de l’obligation d’exclusivité territoriale du franchiseur, cette obligation étant, selon l’esprit du contrat, entendue comme essentielle par les parties782.

II. L’influence de l’indétermination du prix dans les contrats d’application dans la clause d’approvisionnement exclusif202. Positionnement du problème – La question de la détermination du prix dans les contrats conclus à long terme, pour lesquels une telle fixation est impossible dès le début des relations contractuelles, s’est tout d’abord posée en matière de contrats-cadres de fournitures. Il est en effet impossible de fixer par avance le prix des marchandises vendues par le fournisseur; le contrat indiquait donc seulement la méthode qui devrait être suivie au fur et à mesure des approvisionnements. Or, en matière de contrat de vente, l’article 1591 du code civil dispose que «le prix de la vente doit être déterminé et désigné par les parties»; par conséquent, il s’agit d’une condition essentielle du contrat. Etait-il possible de reconnaître au profit du fournisseur la possibilité de fixer unilatéralement le prix au fur et à mesure de la conclusion des contrats d’application alors que, d’une part, la fixation du prix doit être en principe bilatérale et que, d’autre part, l’acheteur, engagé le plus souvent aux termes d’une clause d’exclusivité, se trouvait dans une situation de dépendance?

La question a suscité un vif débat qui s’est étendu à l’ensemble des contrats-cadres de distribution, alors même que le problème ne s’y posait pas dans les mêmes termes puisque la fixation du prix n’est pas une condition légale d’existence du contrat. Toutefois, cette jurisprudence rendait compte de la relation de dépendance intrinsèque à l’ensemble des contrats-cadres inscrits dans la durée, dont le contrat de franchise.

203. Première étape: extension du débat sur l’indétermination du prix à l’ensemble des contrats-cadres – Initialement, la controverse relative à l’indétermination du prix ne concernait que les contrats-cadres de fournitures. Un arrêt de 1971 prononce ainsi la nullité d’un contrat-cadre de fournitures sur le fondement de l’article 1591 du code civil, relatif à la vente783. Cette jurisprudence, par un arrêt de la Chambre commerciale du 11 octobre 1978784, connaît un net élargissement à l’ensemble des contrats-cadres et des contrats à exécution successive, sur le fondement de l’article 1129 du code civil, relatif à la détermination de l’objet du contrat. Cette solution, qui a expressément été étendue aux contrats de franchise785, a été critiquée. D’une part, sur le plan de l’opportunité, car la nullité du contrat-cadre est une solution aux lourdes conséquences, d’autant qu’elle s’étend à l’ensemble des contrats d’application conclus antérieurement786, ce qui avait pour conséquence de lourdes restitutions787, «les produits livrés dev[ant] être payés à leur valeur réelle sans inclure la part de bénéfice réalisé par le fournisseur»788.Elle offre par conséquent aux contractants de mauvaise foi la possibilité de se soustraire à peu de frais à leurs obligations789. D’autre part, cette théorie était aussi critiquée sur le plan du fondement, l’article 1129 du code civil ne visant pas la question de la détermination du prix. Le contrat de franchise étant, à l’instar des autres contrats de distribution, un contrat-cadre en application duquel sont conclus – dans de très nombreuses hypothèses – de nombreux contrats de vente, la position de la Cour de cassation, très critiquée de ce fait790, a suscité un abondant contentieux, et a entraîné une quantité considérable de nullités791, même si la pratique a parfois trouvé le moyen d’échapper à cette sanction792.

La position de la jurisprudence s’est cependant progressivement assouplie, sur le fondement du contrôle de l’abus.

204. Seconde étape: uniformisation du contrôle du prix indéterminé sur le fondement de l’abus – L’évolution de la position de la jurisprudence s’est faite en plusieurs temps. Tout d’abord, la jurisprudence s’est assouplie793 en distinguant selon que les contrats engendraient une obligation de faire ou une obligation de donner; dans le premier cas,elle n’encourait pas la nullité pour indétermination du prix. La distinction entre obligation de faire et obligation de donner était cependant byzantine794.

La jurisprudence admit ensuite que le contrat est valable alors même que le prix n’est pas déterminable dans le contrat-cadre lui-même, pourvu que les prix des contrats futurs puissent être «librement débattus et acceptés» ou que le franchiseur ne soit pas entièrement libre dans la fixation du prix795. Toutefois, il était difficile de voir comment en pratique une telle liberté d’intervention du franchisé pouvait être conciliable avec une véritable exclusivité.

Finalement, deux arrêts rendus par la Première chambre civile de la Cour de cassation le 29 octobre 1994, Alcatel, fondés une nouvelle fois sur l’article 1129 du code civil, opèrent une importante évolution796. Ils jugent que le contrat dont le prix est fixé par référence au tarif futur du fournisseur est valable, sous réserve de la conformité à la bonne foi. Par conséquent, le prix peut être fixé unilatéralement par l’une des parties. Cette solution est confirmée par quatre arrêts du 1 décembre 1995 rendus par l’Assemblée plénière de la Cour de cassation abondamment commentéser.

205. Revirement de jurisprudence du 1 décembre 1995 – Par ces quatre arrêts, dont la troisième espèce concernait un contrat de franchiseer, l’Assemblée plénière de la Cour de cassation a mis définitivement fin à ce courant, en jugeant au visa des articles 1134 et 1135 du code civil que «lorsqu’une convention prévoit la conclusion de contrats ultérieurs, l’indétermination du prix de ces contrats dans la convention initiale n’affecte pas, sauf disposition légales particulières, la validité de celle-ci, l’abus dans la fixation du prix ne donnant lieu qu’à résiliation ou indemnisation»797.

Elle consacre donc la validité des conventions-cadres même si le prix des contrats d’application n’est pas déterminé ainsi que des contrats pour lesquels le prix n’est déterminable que par référence au tarif du fournisseur. La solution, qui s’applique aux contrats cadres et à toutes les conventions dont l’exécution s’inscrit dans la durée, qu’elle soit «successive », « échelonnée » ou « différée », est expressément consacrée pour le contrat de franchise. La Cour réserve le cas des dispositions légales particulières, par lesquelles elle vise le cas du contrat de vente, soumis à l’article 1591 du code civil. Le contrôle du prix, par ces décisions, n’opère donc plus au stade de la formation du contrat, comme l’impliquait le visa de l’article 1129 du code civil, mais au stade de l’exécution du contrat. La sanction ne sera plus la nullité, mais la résiliation, c’est-à-dire une résolution judiciaire sans rétroactivité, ou l’indemnisation de la victime de l’abus. Le juge opère donc désormais un contrôle a posteriori798.

§4. La cause

206. Cause objective et cause subjective – L’analyse de la cause du contrat présente deux facettes. La jurisprudence distingue entre la cause de l’obligation, entendue comme la cause objective, la cause contrepartie, et la cause du contrat, entendue comme la cause subjective, qui comprend les motifs des parties. Alors que la cause de l’obligation permet de contrôler l’existence de la cause, la cause du contrat permet d’en contrôler la licéité799.

I. L’existence de la cause207. Avertissement – Pour que le contrat soit valable, chaque partie doit trouver une contrepartie dans l’engagement de l’autre, sinon la nullité du contrat peut être invoquée sur le fondement de l’absence de cause. La cause de l’obligation du franchisé, qui consiste dans le paiement d’un droit d’entrée et de redevances, doit trouver sa contrepartie dans l’obligation du franchiseur, qui constitue l’obligation essentielle du contrat800 Le contrat de franchise suppose donc l’existence d’un prix, condition qui ne pose pas de difficulté, ainsi que la mise à la disposition, par le franchiseur, d’un concept, qui se concrétise par la transmission d’un savoir-faire, de signes distinctifs et d’une assistance801. Le contentieux se concentre naturellement sur ces dernières obligations802, qui constitue l’obligation essentielle du contrat de franchise803.Pour que le contrat soit valable, l’objet de ces obligations doit exister au moment même de la formation du contrat804.

A. Le savoir-faire208. Elément central du contrat de franchise – Le savoir-faire est considéré comme l’élément essentiel du contrat de franchise805; il est donc l’objet principal de l’obligation du franchiseur, qui le distingue de bon nombre de contrats voisins806.

1. L’existence du savoir-faire

209. Définitions du savoir-faire – Du point de vue économique, le savoir-faire est défini comme «toute information pour la connaissance de laquelle une personne est prête à verser une certaine somme d’argent»807.

S’agissant de l’approche juridique, le droit national, qui ne définit pas le contrat de franchise, ne définit pas le savoir-faire808. Il faut donc se tourner vers le doit communautaire; l’article 1 f) du règlement n°2790/1999 du 22 décembre 1999 concernant l’application de l’article 81, paragraphe 3, du traité à des catégories d’accords verticaux et de pratiques concertées définit le savoir-faire et ses composantesde la manière suivante :

«ensemble secret, substantiel et identifié d’informations pratiques non brevetées, résultant de l’expérience du fournisseur et testées par celui-ci ; dans ce contexte, « secret » signifie que le savoir-faire, dans son ensemble ou dans la configuration et l’assemblage précis de ses composants, n’est pas généralement connu ou facilement accessible ; « substantiel » signifie que le savoir-faire doit inclure des informations indispensables pour l’acheteur aux fins de l’utilisation, de la vente ou de la revente des biens ou des services contractuels ; « identifié » signifie que le savoir-faire doit être décrit d’une façon suffisamment complète pour permettre de vérifier qu’il remplit les conditions de secret et de substantialité».

Le règlement de 1988, dont les termes ont été reproduits par certaines décisions interneser, contenait une définition similaire– quoique plus détaillée809–, reproduite encore actuellement en substance par le code européen de déontologie de la franchise.

Qu’elles énumèrent intégralement ou pour partie seulement les caractères essentiels du savoir-faire figurant au sein de la définition donnée par les règlements communautaires de 1988 et de 1999, les juridictions françaises contrôlent la réalité du savoir-faire par rapport aux critères ainsi énoncés. Ceux-ci seront donc exposés plus en détail.

210. Caractères essentiels du savoir-faire – L’existence des caractères essentiels du savoir-faire est souverainement appréciée par les juges du fond810. Encore faut-il, cependant, que le juge se livre à une analyse circonstanciée du contrat, exclusive de toute formulation générale et imprécise811.

Le savoir-faire est un «ensemble (…) d’informations pratiques»: si le savoir-faire est souvent matérialisé au sein d’un manuel, couramment dénommé «Bible», ses éléments sont en eux-mêmes incorporels. Ces informations doivent avoir une application pratique, qui varie selon le type de franchise: distribution, service ou production.

En matière de franchise de distribution, une cour d’appel a considéré que le savoir-faire était «constitué essentiellement par la mise à disposition du franchisé d’une sélection d’articles ou de produits spécialisés présentant un caractère de spécificité ou d’originalité indéniable et destiné à un certain type de clientèle»812. Cette définition a été critiquée813, le savoir-faire ne pouvant consister uniquement en une sélection de produits,sans méthode commerciale originale. Ilpeut concerner en outre des «techniques de gestion, d’approvisionnement et de vente»814, d’agencement du magasin815, la présentation des vitrines816, etc.

S’agissant des franchises de service, il peut être «constitué par les connaissances théoriques et pratiques indispensables pour mettre en place localement le centre, en assurer la gestion et procéder, auprès de la clientèle visée, aux diverses opérations commerciales nécessaires à son exploitation (…) le recrutement et la formation du personnel et surtout la connaissance, l’approche et le démarchage de la clientèle recherchée, ainsi que les méthodes originales de commercialisation des prestations fournies accompagnées d’un certain nombre de procédures spécifiques»817.

Quant au savoir-faire pratiqué dans le cadre d’une franchise industrielle, il consiste en des procédés de fabrication de produits818, et peut comprendre des méthodes de vente desdits produits.

Le savoir-faire étant un ensemble d’informations, le fait qu’un élément du concept soit inexploitable ne prive pas le contrat de cause pour le franchisé dès lors que l’activité peut être poursuivie grâce aux autres éléments de ce savoir-faire819.

Le savoir-faire doit être secret: selon le règlement de 1999, reprenant en cela celui de 1988, cela signifie «que le savoir-faire, dans son ensemble ou dans la configuration et l’assemblage précis de ses composants, n’est pas généralement connu ou facilement accessible». Pour désigner ce caractère, les juridictions emploient indifféremment le terme de «secret»820 lui-même, ou ceux d’«original»821 ou de «spécifique»822. Le savoir-faire ne correspond pas aux règles de l’art applicables au métier exercé par le franchiseur823. Celui-ci doit apporter au franchisé un enseignement supplémentaire par rapport auxdites règles de l’art. Réciproquement, le franchisé ne peut exiger du franchiseur qu’il l’aide dans les actes courants effectués par tout commerçant824.

Cependant, ce caractère secret n’implique pas une originalité absolue825: il est doublement limité. Le règlement de 1988 précisait à cet égard que la notion ne devait pas « être comprise au sens étroit, à savoir que chaque composant individuel du savoir-faire doive être totalement inconnu ou impossible à obtenir hors des relations avec le franchiseur».

En premier lieu, il n’est pas nécessaire que chaque composante du savoir-faire soit inconnue ou difficilement accessible826. Il ressort des termes mêmes du règlement de 1999 que c’est l’ensemble des informations, et non ces informations prises individuellement, qui doit revêtir le caractère secret. La définition donnée audit caractère par le règlement précise à ce titre que c’est «dans son ensemble ou dans la configuration et l’assemblage précis de ses composants» que le savoir-faire ne doit pas être généralement connu. La jurisprudence considère ainsi qu’un contrat de franchise n’est pas dépourvu de cause lorsque le savoir-faire comporte de réelles spécificités, en dépit du fait que certaines de ses composantes sont d’une grande banalité827, et que l’originalité peut résider dans l’assemblage et l’exploitation de techniques facilement accessibles dans leur individualité828. De même, il a été jugé que «la simplicité [du savoir-faire] (…) n’est nullement incompatible avec son efficacité commerciale»829.

En second lieu, le terme «secret» ne signifie pas que le savoir-faire du franchiseur doive être «totalement inconnu ou impossible à obtenir hors des relations avec le franchiseur»: le savoir-faire n’est pas invalidé du seul fait que d’autres personnes le connaissent, voire l’exploitent au sein d’un autre réseau de franchise830.Ce qui importe, c’est qu’il ne soit pas «généralement connu», mais connu uniquement par un cercle restreint de personnes831 et, en particulier, qu’il soit de prime abord inconnu du franchisé – qui n’aurait dans le cas contraire aucun intérêt à le devenir –, c’est-à-dire qu’il ne lui soit pas «facilement accessible». Pour caractériser cet élément, les juridictions s’attachent à examiner si les techniques transmises au franchisé auraient pu être acquises par lui immédiatement par un autre moyen832, ou au contraire, «aux prix de longs tâtonnements»833.

Le savoir-faire doit être substantiel: ce caractère est lui aussi défini par le règlement de 1999; ce terme signifie au sens de ce texte «que le savoir-faire doit inclure des informations indispensables pour l’acheteur aux fins de l’utilisation, de la vente ou de la revente des biens ou des services contractuels». Le règlement de 1988, non repris en cela par le règlement de 1999, précisait à ce titre que le savoir-faire devait être utile au franchisé «en étant susceptible, à la date de conclusion de l’accord, d’améliorer sa position concurrentielle, en particulier en améliorant ses résultats ou en l’aidant à pénétrer sur un nouveau marché».

Le savoir-faire doit donc procurer au franchisé un avantage concurrentiel, tout en lui épargnant les «longs tâtonnements» évoqués par la jurisprudence précitée. La méthode mise au point par le franchiseur, qui dépasse les règles de l’art connues de tous, doit être efficace, et donc donner à ceux qui la maîtrisent un avantage dans la compétition qui les oppose à ceux qui n’ont connaissance que des règles de l’art généralement connues. La jurisprudence contrôle la réelle utilité du concept transmis, notamment par rapport à ce qui était promis au franchisé834.

Le savoir-faire doit être identifié: au sens du règlement de 1999, il «doit être décrit d’une façon suffisamment complète pour permettre de vérifier qu’il remplit les conditions de secret et de substantialité».

L’ensemble d’informations, éléments incorporels, qu’est le savoir-faire doit donc être matérialisé afin d’en faciliter l’examen: la formalisation du savoir-faire sur des supports835 permet de le comparer avec les règles de l’art pour vérifier qu’il s’en détache, et d’estimer l’utilité qu’il apporte au franchisé.

En pratique, il semble que ce soit pour s’assurer de l’existence, de la consistance et de la transmission du savoir-faire promis que les juridictions relèvent la remise des supports du savoir-faire («Bible»836, manuel837, cahier des normes838, fascicules839…). Le caractère «identifié» du savoir-faire semble donc ne revêtir qu’un rôle probatoire. Il a d’ailleurs été jugé que «la circonstance que lesdites techniques soient transférées oralement aux franchisés au cours de stages de formation est sans influence sur la réalité du savoir-faire considéré»840.

Les informations qui composent le savoir-faire ne sont pas brevetées: une information brevetée ne revêtirait pas le caractère essentiel du secret; en effet, le procédé breveté est décrit lors de la demande de brevet, et donc susceptible d’être connu de tous. Une fois le monopole expiré, l’invention brevetée tombe dans le domaine public. Elle n’est donc plus protégée contre l’utilisation par des tiers, et ne procure plus d’avantage concurrentiel. Le savoir-faire est donc nécessairement non breveté.

Comme le souligne un auteur841, cela ne signifie pas que l’information soit nécessairement non brevetable. Le père d’une invention brevetable peut avoir choisi délibérément d’exploiter ladite invention, sous forme de savoir-faire, par le biais d’un réseau de franchise, plutôt que par licence de brevet.

Le savoir-faire résulte de l’expérience du franchiseur et a été testé par celui-ci: la franchise repose sur l’idée qu’un commerçant qui ayant, à force de recherches et d’expérimentations, réussi à mettre au point une méthode de distribution, de service ou d’industrie efficace, enseigne cette méthode à d’autres commerçants en échange d’un paiement. La franchise est la réitération du succès du franchiseur.

Le fait que le savoir-faire résulte de l’expérience842 du franchiseur et ait été testé843 par lui relève donc de l’essence même de la franchise844. L’existence du savoir-faire suppose que l’expérience du franchiseur dans le domaine concerné ait duré un temps significatif845, mais pas nécessairement sur le territoire ou l’Etat dans lequel l’établissement franchisé est ouvert846.

2. La transmission du savoir-faire

211. Transmissibilité du savoir-faire – Pour que la réussite du franchiseur se réitère, il faut que le savoir-faire soit transmissible847 au franchisé et, par conséquent, qu’il puisse se détacher de la personne du franchiseur: le savoir-faire, distinct des règles de l’art, doit également l’être du talent personnel du franchiseur848.

Pour être identifié au sens du règlement de 1999, c’est-à-dire «décrit d’une façon suffisamment complète pour permettre de vérifier qu’il remplit les conditions de secret et de substantialité», le savoir-faire doit pouvoir être expliqué; le savoir-faire identifié est donc nécessairement transmissible.

212. Modalités de la transmission du savoir-faire – Plusieurs outils permettent de transmettre le savoir-faire. En pratique, le moyen le plus employé est la remise d’un manuel, souvent intitulé «Bible», qui contient une description du savoir-faire, et la formation du franchisé, parfois de ses employés, pendant des stages effectués au début de l’exercice du franchisé849.

Cette transmission doit être faite dès que le contrat de franchise prend effet: une transmission trop tardive prive le franchisé de l’avantage concurrentiel qui est l’une des causes principales de son obligation pendant la première phase de la période d’exécution du contrat. En conséquence, le contrat est annulé pour absence de cause si le savoir-faire est transmis trop tardivement850.

3. La preuve en matière de savoir-faire

213. Charge de la preuve – En vertu du principe de droit commun actor incumbit probatio, reus in excipendo fit actor, la preuve de l’absence ou du manque d’originalité du savoir-faire incombe à celui qui l’invoque, c’est-à-dire au franchisé851.

Cette solution doit cependant être nuancée. En effet, les juridictions s’attachent à relever que des prestations ont bien été fournies au franchisé852. Il semble ressortir de la jurisprudence que le franchiseur doive apporter la preuve qu’il a transmis un concept au franchisé853, à charge pour le franchisé de démontrer, une fois cela établi, que ce concept ne répond pas aux caractères du savoir-faire, par exemple qu’il est dépourvu de toute originalité854; une telle démonstration sera rendue délicate si le franchisé tarde à se plaindre855.

214. Mode de preuve admissible – La preuve de la transmission du concept au franchisé est apportée principalement par les documents écrits qui ont été remis à ce dernier (manuels856, bibles857, guides858, entre autres859), et par le fait que le franchisé a effectué des stages860. D’autres éléments sont parfois pris en compte. Ainsi en est-il de la grande notoriété de la marque, qui est parfois de nature à démontrer par elle-même l’expérience et le savoir-faire du franchiseur861. Il peut être fait obstacle à la tentative de démonstration, par le franchisé, de l’absence de savoir-faire, par le fait que ledit franchisé a attendu l’écoulement d’une longue période pour se plaindre862. L’existence et l’originalité du savoir-faire peut être également déduite de la hausse du chiffre d’affaires du franchisé pendant la période d’exécution du contrat de franchise et du renouvellement de celui-ci863, du nombre important de magasins franchisés ouverts par la suite864, de la reconnaissance de l’efficacité du concept par des professionnels de la franchise865 ou par la presse866. La preuve de l’existence du savoir-faire peut en outre découler de la reconnaissance formulée par le franchisé en ce sens dans le contrat867 ou dans sa candidature868.

D’une façon générale, la preuve du manque d’originalité ou de l’inexistence du savoir-faire ressort de la comparaison du concept transmis et des règles de l’art. Cette preuve peut aussi découler d’éléments étrangers au savoir-faire lui-même; ainsi, une «marque qui contrairement aux stipulations du contrat n’a été ni déposée ni enregistrée» peut être un indice de l’inexistence du savoir-faire869.C’est également le cas d’une méthode retirée par le franchiseur à la suite de poursuites pour contrefaçon effectuées par un tiers870.

En revanche, la preuve de l’inexistence du savoir-faire ne saurait découler du seul échec du franchisé871, ni du fait que le mot «savoir-faire» lui-même ne soit pas employé872.

B. L’assistance215. Caractère essentiel de l’assistance – Selon un auteur, dans les contrats de collaboration d’intérêt commun, « la collaborationimplique le devoir de renseignement, d’assistance, de concertation, voire d’aide»873. Cette obligation serait ainsi de l’essence de tous les contrats d’intérêt commun. Cela est certain s’agissant du contrat de franchise: l’assistance figure dans la définition de ce contrat, et son absence est susceptible d’entraîner, selon ce qui est demandé par les parties, la requalification du prétendu contrat de franchise en un autre type de contrat de distribution874, ou la nullité du contrat lorsque, dès la formation de celui-ci, il est certain que l’assistance faisait défaut875. Cette nullité ne peut être obtenue lorsque le défaut de transmission de l’assistance est dû au franchisé: celui-ci ne peut se plaindre en effet de l’inexistence de l’assistance lorsqu’il n’a pas assisté aux journées de formation organisées plusieurs fois par mois au profit des franchisés876.

L’assistance étant délivrée en cours d’exécution du contrat, le défaut ou l’insuffisance de l’assistance constitue le plus souvent non une cause de nullité, mais l’inexécution d’une obligation contractuelle, sanctionnée par la résiliation du contrat877. C’est pourquoi les caractéristiques de cette obligation seront exposées plus loin avec davantage de précisions878.

C. Les signes distinctifs216. Importance de l’accord d’un droit sur les signes distinctifs en matière de franchise – Les définitions données à la franchise879 incluent toutes, parmi les caractéristiques essentielles de celle-ci, la concession par le franchiseur au franchisé de droits sur les signes de ralliement de la clientèle, dénommés «signes distinctifs» par les lignes directrices sur les restrictions verticales880.

Ce sont ces signes, et en particulier le nom commercial, la marque et l’enseigne881, qui permettent en effet à la clientèle d’identifier le franchisé comme faisant partie du réseau, et donc d’attirer la clientèle attachée à celui-ci; ces signes sont donc essentiels à la réitération du succès commercial qui est au centre de la franchise.

L’importance des signes distinctifs en matière de franchise se manifeste à plusieurs égards. En premier lieu, les informations relatives à la marque figurent parmi celles qui doivent figurer au sein du document d’information précontractuelle au titre de l’article L. 330-3 du code de commerce882. En second lieu, la transmission par le franchiseur au franchisé de droits sur les signes distinctifs – ce qui suppose la détention par le franchiseur de tels droits – est l’une des obligations essentielles du franchiseur, ce qui entraîne deux conséquences: l’absence de transmission de ces signes distinctifs entraîne la nullité du contrat pour absence de cause; le franchiseur qui ne maintient pas ses droits sur les signes distinctifs, et/ou ne défend pas la notoriété de ceux-ci, voit sa responsabilité contractuelle engagée883.

217. Nécessité pour le franchiseur de détenir un droit sur la marque – En vertu du principe Nemo plus juris ad alium transfere potest quam ipse habet, le franchiseur ne peut remplir son obligation de transmettre au franchisé des droits sur les signes distinctifs, doit en être préalablement titulaire. En matière de marque, ceci suppose que le franchiseur ait accompli certaines formalités884.

Plusieurs conditions propres à la marque doivent être remplies, sous peine que le contrat de franchise soit annulé pour absence de cause en raison de l’absence de transmission des droits sur la marque au franchisé:

– la marque doit avoir été enregistrée à l’INPI885(il peut également s’agir d’une marque communautaire enregistrée auprès de l’OHMI, ou d’une marque internationale désignant la France enregistrée auprès de l’OMPI et examinée par l’INPI), à moins d’être notoirement connue886, dans des conditions conférant au franchiseur le droit de l’utiliser dans le domaine de l’activité franchisée c’est-à-dire pour les produits et services concernés887, et remplir les conditions de validité à savoir: la distinctivité888 et l’absence de caractère descriptif, déceptif ou usuel;

– le franchiseur doit être titulaire de droits exclusifs sur la marque, c’est-à-dire propriétaire originaire, cessionnaire ou licencié exclusif889 (à condition, pour cette dernière modalité, que le contrat de licence de marque lui permette de transférer des droits sur la marque à des tiers),

– pour ce faire, le franchiseur doit avoir accompli les formalités nécessaires à l’acquisition de ce droit (enregistrement de la marque890, cession en tant que cessionnaire, licence en tant que licencié), et à son opposabilité aux tiers891(inscription sur le registre national892 des marques de la cession ou de la licence),

– le franchiseur propriétaire de la marque doit également avoir fait en sorte de ne pas perdre ses droits sur la marque, ce qui implique, notamment, qu’il ait:

 procédé au renouvellement de la marque893, si celle-ci est arrivée à expiration avant la signature du contrat894; en effet, l’enregistrement d’une marque est effectué pour une période de dix ans, délai à l’échéance duquel le titulaire de la marque doit la renouveler, faute de quoi la marque, ici encore, à moins d’être notoirement connue, deviendra res nullius et sera susceptible de faire l’objet d’une appropriation privative895;

 fait un usage sérieux896 de la marque afin d’éviter la déchéance de ses droits897.

Si ces conditions ne sont pas remplies, le contrat sera nul. Ce ne sera néanmoins pas le cas si d’autres marques ont été valablement concédées au franchisé dans le cadre du contrat de franchise898. Cependant, en présence de la transmission au franchisé de droits sur une marque et sur d’autres signes distinctifs au franchisé, il a été jugé que l’absence de validité de la concession de droits sur la marque entraînait la nullité du contrat, la marque constituant, parmi les autres signes distinctifs, la cause essentielle de l’engagement du franchisé899.

218. Notoriété de la marque – La notoriété de la marque900 est-elle une condition de validité du contrat de franchise? En d’autres termes, le contrat est-il dépourvu de cause lorsque lamarque est dépourvue de notoriété? Certaines décisions répondent nettement par l’affirmative901, alors que d’autres tranchent fermement dans le sens contraire902, créant ainsi une certaine confusion.

La logique qui préside à la franchise suppose a priori que la marque soit connue du public. En effet, pour servir de ralliement de la clientèle, et donc participer à la réitération de la réussite du franchiseur, la marque doit être reconnue903. C’est pourquoi la jurisprudence dégage le principe selon lequel la notoriété de la marque est une condition essentielle du contrat de franchise904. De même, si, lors de la formation du contrat, il apparaît que cette notoriété ne peut être entretenue par la publicité pour l’activité faisant l’objet de la franchise, cette publicité étant interdite, le contrat est privé de cause et annulé905.

Cependant, ce principe connaît une exception; lorsque le franchisé a connaissance de l’absence de notoriété de la marque ou de la jeunesse du réseau, il ne peut plus s’en prévaloir pour obtenir la nullité du contrat au titre de l’absence de cause906. Le franchiseur doit cependant, dès le moment de la formation du contrat, compenser cette lacune par une publicité active dans le but de donner à la marque cette notoriété907, en particulier en matière de commercialisation de produits de luxe, en raison des grands investissements qui doivent être fournis par le franchisé908.

Par ailleurs, il n’est pas nécessaire que la marque soit notoire sur le territoire concédé au franchisé: ainsi, la validité d’un contrat de franchise portant sur l’exploitation d’un point de vente situé en province a-t-elle été à juste titre admise alors que la marque n’était notoire qu’à Paris, la création du réseau de franchise ayant précisément pour but de d’étendre la notoriété de ladite marque hors de Paris909.

II. La licéité de la cause219. Exercice illégal de la médecine – Comme tout contrat, le contrat de franchise doit avoir une cause licite. Si les hypothèses où la licéité de la cause d’un contrat de franchise est remise en question sont rares, elles ne sont pas inexistantes. Ainsi, un contrat de franchise a été annulé par une cour d’appel910, approuvée par la Cour de cassation, pour exercice illégal de la médecine911. Dans cette affaire, le concept franchisé consistait en une méthode d’amaigrissement et de rajeunissement fondée sur des médecines douces (phytothérapie et auriculothérapie912). Postérieurement à la signature du contrat, le franchiseur avait averti ses franchisés qu’il fallait cesser de vendre des gélules de phytothérapie et d’utiliser certains termes à connotation médicale afin d’éviter tout problème avec la DDASS ou le Conseil de l’ordre des médecins. Cette modification n’a cependant pas eu pour effet de rendre le contrat valable: la cour d’appel a rappelé que la cause s’appréciait au moment de la formation du contrat. En conséquence, ayant constaté que la cause de l’engagement du franchisé avait résidé, à ce moment, dans la pratique de méthodes qui s’étaient révélées illégales, elle a annulé le contrat. Par ailleurs, la Cour de cassation a considéré que, pour constater que la cause était illicite et annuler le contrat, les juges du fond n’avaient pas à «constater tous les éléments constitutifs des délits d’exercice illégal de la médecine ou de la pharmacie» et pouvaient donc se contenter de constater que le motif ayant déterminé le franchisé à contracter résidait dans des pratiques prohibées par la loi.

Section 4 : Les conséquences de la nullité

§1. L’anéantissement du contrat

221. Position du problème – Si l’action en nullité aboutit, quel qu’en soit le fondement – vice du consentement, indétermination de l’objet, absence ou illicéité de la cause – le contrat de franchise est en principe anéanti rétroactivement. En conséquence, les parties doivent être remises dans l’état qui était le leur avant la formation du contrat, et doivent pour ce faire se restituer mutuellement ce qu’elles ont reçu l’une de l’autre en application du contrat annulé.

Or, cet anéantissement rétroactif peut poser un certain nombre de difficultés quand la nature de l’objet de l’obligation rend impossible la restitution. C’est le cas en matière de franchise où les obligations essentielles du franchiseur, à la différence des obligations du franchisé qui consistent essentiellement dans le paiement de sommes d’argent, sont en principe insusceptibles d’être restituées; comment, en effet, le franchisé peut-il rendre au franchiseur le savoir-faire, l’assistance et l’usage de la marque et de l’enseigne dont il a bénéficié? Certes, il pourra rendre au franchiseur les supports de ce savoir-faire et de cette assistance, mais ce qui aura été assimilé par lui ne pourra être restitué. De fait, seule l’hypothèse où le contrat a été annulé pour absence de savoir-faire, d’assistance et/ou de mise à disposition d’une marque ou d’une enseigne échappe à cette difficulté913.

Cette situation n’est pas propre au contrat de franchise, mais se retrouve dans tous les contrats à exécution successive dont l’objet est une prestation immatérielle. Ainsi, lorsqu’un bail est annulé, le bailleur peut restituer les loyers qui ont été versés, mais le locataire ne peut pas restituer l’occupation des locaux. De même, les prestations effectuées par l’employé en vertu d’un contrat de travail ne peuvent être restituées.

Confrontées à ce problème, les juridictions ont dû trouver des solutions914, qui sont incertaines en matière de franchise.

222. Solutions en droit commun – En principe, la restitution se fait par équivalent matériel915, le juge devant procéder à l’évaluation monétaire de la prestation qu’il est impossible de restituer. Il cherche alors à rétablir un certain équilibre entre les parties, dans la mesure seulement où le maintien des prestations créerait un déséquilibre916.

En matière de bail, le bailleur conserve ainsi une indemnité d’immobilisation917 dont le montant est estimé souverainement par le juge, celui-ci n’étant naturellement pas tenu par le contrat annulé918. En matière de contrat de travail, le salarié a droit, à titre d’indemnité, à la rémunération de son travail919 ainsi que des indemnités, des droits à la Sécurité sociale, et un certificat de travail920.

Par conséquent, la contrepartie monétaire des prestations qui ne peuvent être restituées est conservée par celui qui les a reçues, en dépit de la nullité du contrat. Cette contrepartie peut être égale à celle qui était prévue au contrat921. Le contrat étant annulé, le fondement de cette obligation n’est pas d’ordre contractuel mais d’ordre délictuel. La fiction des restitutions n’est cependant pas exempte de difficultés dans sa mise en œuvre922.

223. Solution en matière de franchise – En matière de contrat de franchise, la solution est conforme à cette règle. Les juridictions qui prononcent la nullité d’un contrat de franchise condamnent, à de rares exceptions près923, le franchiseur à rembourser au franchisé l’intégralité du montant du droit d’entrée et des redevances924. Néanmoins, la restitution tenant aux prestations effectuées par le franchiseur est plus incertaine. En principe, le franchisé est tenu de restituer par équivalent l’ensemble des prestations fournies par le franchiseur925. Toutefois, les juges du fond en font une appréciation stricte et considèrent souvent, alors même que l’existence et la transmission du savoir-faire et de l’assistance ne sont pas contestés (voire sont expressément reconnus926!), que le franchiseur ne peut bénéficier d’aucune restitution au titre du savoir-faire et de l’assistance transmis927.

Par conséquent, dans cette hypothèse, le franchisé dont le contrat est annulé a acquis sans contrepartie – à l’exception des hypothèses où, précisément, aucune de ces prestations n’a été fournie – un savoir-faire, l’usage d’une enseigne et une assistance. Sous prétexte de remettre les parties au statu quo ante, les juridictions créent une situation déséquilibrée qui n’existait pas avant le contrat de franchise: le franchiseur a fourni une prestation sans contrepartie, et le franchisé, qui n’a restitué le savoir-faire ni en nature, (cela étant impossible), ni en équivalent, en conserve le bénéfice à titre gratuit alors même que, par hypothèse, il n’aurait pu acquérir cette méthode qu’au prix de longs tâtonnements si le contrat de franchise concerné n’avait réellement jamais été formé. En d’autres termes, l’équité qui bénéficie à l’employé et au bailleur est déniée au franchiseur.

§2. La réparation du préjudice du franchisé

224. Conditions de la responsabilité – Il se peut que le prononcé de la nullité cause un préjudice à l’une des parties. Dans ce cas, elle peut en demander réparation si la nullité est imputable à son cocontractant, sur le fondement de la responsabilité délictuelle928: la personne qui contracte tout en ayant connaissance de la cause de nullité commet une faute susceptible de causer un préjudice à son cocontractant en cas d’annulation du contrat.

En matière de franchise, la victime de la nullité est le plus souvent le franchisé. Pour obtenir réparation, celui-ci doit démontrer une faute929, un préjudice930, et un lien de causalité931.

Le dol a une double nature: il constitue à la fois un vice du consentement et une faute932. Si la nullité est prononcée pour dol, le franchisé ne doit donc démontrer que l’existence de son préjudice et le lien causal entre la faute allégué et le préjudice invoqué.

225. Préjudice réparable – Le franchiseur peut donc se voir condamner à indemniser le franchisé des frais d’installation du localliés au concept933 et au matériel nécessaire934, plus généralement de l’investissement apporté935, de l’emprunt souscrit936, de la création d’une entreprise non viable937 et du préjudice moral938.

Il ressort de la jurisprudence que le préjudice du franchisé tenant aux pertes qu’il a subies dans son activité est réparable939, à condition que le lien de causalité soit établi entre la faute du franchiseur et ce préjudice940, ce à quoi peut faire obstacle la qualité de commerçant indépendant du franchisé941.

§3. Le sort des contrats liés

226. Groupe de contrats – La nullité d’un contrat peut avoir un effet hors du champ contractuel entendu au sens strict et entraîner la nullité d’autres contrats liés au contrat de franchise.

227. Nullité du contrat-cadre de franchise et contrats d’application – D’une part, les contrats de distribution en général, et le contrat de franchise en particulier, sont des contrats-cadres, en application desquels plusieurs autres contrats dits contrats d’applications sont conclus. La nullité du contrat-cadre entraîne en principe celle des contrats d’application. Ainsi, la nullité du contrat de franchise entraîne celle du contrat d’approvisionnement lorsque la conclusion de celui-ci «est la conséquence de celle du contrat de franchise» et que «ce dernier n’aurait pas pu être exécuté sans le contrat d’approvisionnement»942. Cependant, il a été jugé que les contrats de vente successifs conclus entre le franchiseur et le franchisé pendant l’exécution d’un contrat de franchise de distribution, qui ont «une réalité distincte de celle des conventions nulles pour indétermination du prix», restent valables943.

228. Nullité du contrat de franchise et ensemble contractuel – D’autre part, plus largement, la nullité du contrat de franchise peut avoir une incidence sur d’autres contrats conclus entre les mêmes parties s’ils participent d’un même ensemble contractuel indivisible. A la différence de la situation précédente, les contrats, s’ils participent à une opération globale, conservent ici a priori une autonomie juridique.

La jurisprudence tend à prendre en considération l’ensemble contractuel dans lequel s’inscrit le contrat944. Ainsi, la Cour de cassation a considéré, après l’avoir longtemps refusé, qu’un contrat de prêt conclu pour réaliser une vente devenait caduc en cas de résolution du contrat de vente945. Cette solution a trouvé de nombreuses autres applications946. La Cour se fonde alors sur l’indivisibilité juridique qui lie les deux opérations, par une analyse extensive de la notion d’indivisibilité des obligations consacrée par le code civil aux articles 1217 et suivants qu’elle transpose à l’indivisibilité des contrats.

D’origine jurisprudentielle, la notion d’indivisibilité des contrats connaît un certain succès, mais elle est mal circonscrite947. En pratique, la Cour adopte une perspective essentiellement téléologique pour caractériser l’existence d’une interdépendance juridique et utilise à cette fin des instruments juridiques divers.

Pour la détermination d’un ensemble contractuel, les juges font prévaloir tantôt une conception objective, tantôt une conception subjective. Ils se fondent ainsi sur l’unité de cause qui lie les deux opérations, le but commun auquel elles sont destinées948; ils prennent alors en compte la cause subjective de l’opération, l’économie générale de l’opération949, défendue par les tenants d’une conception renouvelée de la cause, indépendante de la conception objective à laquelle elle est traditionnellement soumise, selon laquelle elle se définit comme la contrepartie objective de la prestation du cocontractant. Dans cette perspective, elle se comprend comme la cause de l’opération entendue globalement, en considération des mobiles des parties, dès lors qu’ils sont entrés dans le champ contractuel et que tous les cocontractants en ont connaissance950. A cette fin, les juges prennent appui sur des indices objectifs pour caractériser le lien entre les contrats, comme leur durée ou leur date de conclusion951. Ce critère est complété par un critère subjectif d’identification de l’indivisibilité952. Cette forme d’indivisibilité peut résulter de la volonté expresse des parties et découler, par exemple, de l’insertion d’une condition résolutoire par laquelle les cocontractants constatent un lien exprès entre les deux contrats953. Elle peut aussi être tacite et se déduire de la preuve de la connaissance par les parties de l’interdépendance des opérations, qui se manifeste par l’application d’un faisceau d’indices954.

Les deux conceptions sont en réalité combinées par les juges. Dans tous les cas, l’effet est le suivant: si l’indivisibilité du contrat de franchise et d’un autre contrat conclu enre les mêmes parties est caractérisée, le juge va pouvoir rendre la nullité du contrat de franchise opposable aux parties et en déduire la nullité du contrat lié, né du même ensemble indivisible.

Chapitre 3 : L'exécution du contrat de franchise

Section 1 : Les relations entre les parties

§1. Les obligations du franchiseur

231. Distinction – Les diverses obligations qui pèsent sur le franchiseur dans le contrat de franchise se répartissent en deux catégories. La première regroupe les obligations essentielles du contrat de franchise, qui participent de la réitération de la réussite du franchiseur, et dont l’absence entraîne la disqualification du contrat ou sa nullité. La seconde désigne celles dont l’existence n’est pas indispensable à la qualification de contrat de franchise mais qui, en pratique, se rencontrent très fréquemment dans ce type de contrats.

I. Les obligations relevant de l’essence du contrat de franchise

A. Les obligations relatives à la transmission de la méthode commerciale

1. L’obligation de transmettre le savoir-faire

232. Distinction – Comme il l’a été exposé dans au sein des développements consacrés à la formation du contrat955, l’absence de savoir-faire est de nature à entraîner la nullité du contrat pour absence de cause.

Au stade de l’exécution, l’absence de transmission du savoir-faire est susceptible d’entraîner la résolution – ou la résiliation – du contrat956. En effet, l’obligation de transmission du savoir-faire est l’une des obligations essentielles – sinon la plus importante – incombant au franchiseur.

Les hypothèses où le franchiseur viole son obligation contractuelle de transmettre son savoir-faire peuvent être distinguées selon deux catégories.

La première catégorie regroupe les hypothèses où le franchiseur manque à son obligation de transmettre un savoir-faire dont l’existence est établie ou n’est pas contestée957. Seule l’action en résiliation et en responsabilité contractuelle est alors offerte au franchisé. Il en va ainsi notamment lorsque le franchiseur n’a accordé qu’un temps très faible à la formation des franchisés958, a transmis le savoir-faire avec un retard significatif959, ou n’a pas remis les documents contractuellement prévus960. Le tort incombe cependant au franchisé lorsque le défaut de transmission du savoir-faire est dû à son propre chef; c’est notamment le cas lorsqu’il n’a pas assisté à la totalité des stages de formation961.

La seconde catégorie correspond aux hypothèses où l’existence même d’un savoir-faire secret, substantiel et identifié est contestée. L’action en nullité pour absence de cause est alors ouverte. Néanmoins, certains franchisés choisissent d’agir sur le fondement de la résiliation, le franchiseur ayant failli à son obligation contractuelle de transmettre un savoir-faire962. Il ressort de la jurisprudence que, comme en matière d’action en nullité pour absence de savoir-faire, la charge de la preuve de la transmission effective du savoir-faire au franchisé par les moyens prévus au contrat (stages, manuels…) incombe au franchiseur963, mais que, cette transmission effective établie, il appartient au franchisé de démontrer l’absence d’originalité du savoir-faire964.

2. L’obligation d’assistance

233. Textes – Les lignes directrices sur les restrictions verticales indiquent: «Outre une licence de droits de propriété intellectuelle, le franchiseur fournit normalement au franchisé, pendant la période d’application de l’accord, une assistance commerciale ou technique».

Le code européen de déontologie de la franchise énonce que le droit d’utiliser le concept «autorise et oblige le franchisé (…) à utiliser l’enseigne et/ou la marque (…) le savoir-faire, et autres droits de propriété intellectuelle, soutenu par l’apport continu d’assistance commerciale et/ou technique».

S’il est certain que pèse sur le franchiseur une obligation d’assistance965 – sous peine de disqualification du contrat de franchise – le contenu précis de cette assistance commerciale et/ou technique varie d’un contrat à l’autre. Il ressort de la jurisprudence que le franchiseur doit assister le franchisé dans la mise en œuvre de ce savoir-faire, et faire évoluer ledit savoir-faire. Par ailleurs, si le franchisé subit des difficultés d’une certaine nature, le franchiseur doit en principe y répondre, sauf à s’immiscer dans la gestion de son franchisé. Dans la plupart des hypothèses, le franchiseur offre d’autres prestations à ses franchisés au titre de l’assistance966. Dans tous les cas, il est utile d’indiquer dans le contrat les points sur lesquels portera l’assistance, et l’étendue de celle-ci.

a) Le contenu de l’assistance

234. Aide à la mise en œuvre du savoir-faire – La première catégorie d’obligations mises à la charge du franchiseur au titre de l’assistance technique et commerciale découle directement de l’obligation de transmettre le savoir-faire: une fois ce savoir-faire originel transmis, le franchiseur doit aider le franchisé à le mettre en œuvre.

Cette obligation se manifeste tout d’abord au démarrage de l’activité. Ainsi, le franchiseur est tenu d’aider le franchisé afin qu’il puisse appliquer le concept, et l’adapter à la situation ou à l’agencement du local967. Le franchiseur doit ainsi le plus souvent visiter le local du franchisé, et lui indiquer les éventuelles erreurs méritant d’être corrigées à l’avenir.

235. Actualisation du savoir-faire – Le franchiseur doit en outre actualisé le savoir-faire968. Le fait qu’il s’acquitte de cette obligation lui apporte un intérêt direct: cette actualisation évite que le franchisé estime avoir acquis tout ce que le franchiseur avait à lui apporter par la transmission du savoir-faire originel, et l’incite en conséquence à poursuivre son activité dans le réseau969. Pour résumer cette idée, l’on serait tenté de dire: pas d’actualisation du savoir-faire, pas de renouvellement des contrats.

A l’égard du franchisé, l’évolution du savoir-faire permet de maintenir l’avantage concurrentiel qui constitue le motif de son engagement. A cette fin, le franchiseur doit adapter le concept notamment au contexte économique970, au goût du jour – ce qui est particulièrement important dans les franchises ayant pour objet la distribution de vêtements, par exemple – ou aux progrès technologiques971, ou encore trouver de nouvelles idées lorsque la concurrence s’est approprié les premières.

236. Assistance du franchisé rencontrant des difficultés – Outre l’assistance liée directement au savoir-faire, le franchiseur doit s’efforcer d’assister le franchisé qui rencontre des difficultés et de lui prodiguer des conseils972, sans que cette aide ne s’étende, bien entendu, à la prise en charge de la gestion du point de vente franchisé.

Dans le même ordre d’idées, le franchiseur ne doit pas laisser le franchisé dans l’incertitude quant à la licéité de son activité973. En revanche, lorsque le franchisé est conscient que l’exercice de l’activité est soumis à l’obtention d’une autorisation administrative, le franchiseur ne peut être déclaré responsable en cas de rejet de la demande d’autorisation974.

De même, le franchiseur n’a pas, sauf stipulation contraire, l’obligation de redéfinir un plan financier ni de conseiller le franchisé sur la décision à prendre, quand bien même l’activité de ce dernier ne dégagerait pas rapidement de bénéfices975.

237. Autres domaines de l’assistance – L’assistance offerte par le franchiseur au franchisé est susceptible de se développer dans plusieurs domaines.

En amont, soit avant l’ouverture du point de vente, le franchiseur peut aider le franchisé à choisir son point de vente976 et/ou à l’aménager977, par exemple en émettant un avis à ce titre. Par ailleurs, il peut aider le franchisé à obtenir un prêt auprès d’une banque978, par exemple en se portant caution979, ou dans ses démarches auprès des fournisseurs980. Enfin, le franchiseur peut s’engager à apporter une aide au franchisé dans le cadre de ses démarches administratives981, ou à obtenir à son profit des tarifs préférentiels auprès des assurances982.

Après l’ouverture du point de vente, l’assistance peut notamment porter sur les domaines commercial983, technique984, comptable985, juridique986, fiscal987, de gestion988, ou sur la formation du personnel, la plus importante selon nous. Le franchiseur peut en outre conseiller le franchisé dans la publicité à laquelle il doit procéder989, lui accorder un prêt990 ou lui consentir des délais de paiement991, etc.

238. Information délivrée au franchisé – Outre l’assistance proprement dite, le franchiseur délivre au franchisé des renseignements992 sur l’état de la concurrence, l’évolution des goûts de la clientèle993, des techniques, voire de la législation, les performances du réseau, ou encore des autres franchisés (moyenne des chiffres d’affaires obtenus ou indication du chiffre d’affaires maximal obtenu, par exemple); il peut fournir au franchisé, lorsqu’il ne gère pas lui-même une centrale d’achat, une liste des fournisseurs offrant le meilleur rapport qualité/prix994.

Par ailleurs, il a été jugé que le franchiseur avait l’obligation de tenir le franchisé informé de sa situation juridique995. En l’espèce, la société franchiseur avait été mise en redressement puis en liquidation judiciaires et n’en avait pas averti le franchisé.

239. Services non compris dans l’assistance – Le contrat peut prévoir que certaines prestations, qui ne sont pas incluses dans l’assistance due par le franchiseur, peuvent être demandées par le franchisé. De telles prestations font l’objet d’une rémunération distincte, non comprise dans les redevances996, quoiqu’elles demeurent le plus souvent indissociables du contrat de franchise997.

b) Les modalités de la délivrance de l’assistance

240. Automaticité de l’assistance – Bien que des décisions aient été rendues dans les deux sens998, et que la solution dépende fortement des termes du contrat de franchise, le franchiseur doit proposer spontanément son assistance au franchisé. En effet, il s’agit d’une obligation essentielle du franchiseur, qui a motivé l’engagement du franchisé. L’exécution de bonne foi de ses obligations par le franchiseur ressort souvent de la preuve de l’assistance qu’il a apportée, ou, au moins, offerte999. L’assistance qui doit être ainsi offerte spontanément correspond principalement, en toute logique, à l’aide à la mise en œuvre du savoir-faire lors du début de l’activité du franchisé, et à l’actualisation de ce savoir-faire, sauf stipulation contraire évidemment1000: le franchisé qui éprouve des difficultés ignorées du franchiseur ne saurait reprocher à ce dernier son manque d’assistance à cet égard.

En revanche, si le franchisé ne se plaint que tardivement d’un défaut d’assistance ou de son insuffisance, et ne fait aucune réclamation à ce titre pendant une longue période1001 (voire manifeste sa satisfaction1002), les juridictions pourront considérer qu’il est mal fondé à invoquer ce manquement. Il en est de même lorsque le contrat a été exécuté pendant quelques mois seulement: la brièveté de l’exécution ne permet pas de se rendre compte de la correcte exécution de ses obligations par le franchiseur1003. A plus forte raison, s’il refuse l’assistance qui lui est proposée par le franchiseur, il ne peut lui reprocher une faute contractuelle de ce chef1004.

241. Modalités de l’assistance – L’assistance est apportée par le franchiseur par divers moyens. Faisant suite à la formation initiale du franchisé et de son personnel, qui a pour but de transmettre le savoir-faire, les stages1005 ultérieurs permettent d’assurer la formation continue1006 des mêmes personnes, et donc l’actualisation du savoir-faire.

A ces stages s’ajoutent des rendez-vous1007, des visites du franchiseur ou de son représentant1008 dans le point de vente (dans la franchise de distribution) ou au siège du franchisé, suivies de comptes-rendus1009. Ces visites permettent de contrôler le respect du concept par le franchisé, d’analyser sur place les difficultés qu’il rencontre et, par conséquent, de lui donner des conseils et avis circonstanciés. Les informations, les renseignements, les conseils et les rappels à l’ordre sont, eux, communiqués par tout moyen (mémos1010, bulletins de liaison1011, photographies1012, placards publicitaires1013, cahiers1014, journal du réseau1015 ou lettres adressés aux franchisés1016), ou diffusés sur l’Intranet du réseau.

Enfin, les réunions1017, séminaires1018 ou congrès1019 régionaux et locaux des franchisés, ainsi que les commissions de consultation portant sur différentes questions1020 favorisent le dialogue nécessaire à la cohésion du réseau, et sont un vecteur de l’évolution efficace du savoir-faire et de la notoriété de l’enseigne. Ce dialogue et l’organisation de commissions et de groupe de travail sont encouragés par la Fédération française de la franchise1021.

En outre, certains réseaux offrent une assistance plus étendue et organisent des services bénéficiant à l’ensemble des franchisés. Le plus fréquent de ces services est sans doute la centrale d’achats1022. On peut également citer la centralisation des commandes de la clientèle faites par téléphone ou par Internet et leur distribution aux franchisés présents dans la zone de chalandise desquels les commandes doivent être livréee, le service juridique, le back office, le réseau Intranet, la centrale de vente, la hot line (information ou juridique, par exemple), la gestion d’un fichier de clientèle commun,

Quels que soient les modes de transmission adoptés, il ressort de la jurisprudence que l’utilisation d’un seul de ces vecteurs d’information est en général estimé insuffisant1023; en effet, aucune de ces modalités ne permet réellement d’apporter l’intégralité des services dus au titre de l’assistances (conseils, avis, évolution du savoir-faire, aide en cas de difficulté…).

242. Fréquence de l’apport de l’assistance – L’assistance due par le franchiseur au franchisé est habituellement qualifiée de «continue». Cette qualification est trompeuse, en ce qu’elle laisse entendre que le franchiseur doit la transmettre en permanence.

Certes, l’obligation d’assistance est à exécution successive et incombe à son débiteur, le franchiseur, à tous les stades de l’exécution du contrat; pour être effective, elle doit être apportée régulièrement1024, et ne pas cesser pendant la période d’exécution du contrat1025.

En revanche, elle n’est pas permanente, et ne doit se manifester que ponctuellement. Par ailleurs, il est cohérent que son intensité diminue – sans pour autant disparaître totalement – au fur et à mesure que le franchisé acquière de l’expérience: plus le franchisé est expérimenté, moins l’aide à la mise en œuvre du savoir-faire est nécessaire. Il serait absurde que l’assistance apportée au franchisé présent de longue date au sein du réseau soit identique à celle fournie au néophyte. Il a ainsi été admis à juste titre que l’attention du franchiseur soit plus intense pendant la première année de l’exécution du contrat que pendant les suivantes1026. En effet, c’est au début de l’exploitation que se manifeste plus fortement le besoin d’aide du franchisé dans la mise en œuvre du savoir-faire.

c. La qualité de l’assistance

243. Assistance circonstanciée – L’assistance apportée par le franchiseur doit être adaptée aux besoins du franchisé: la responsabilité du franchiseur sera engagée si l’aide qu’il fournit est inexploitable par le franchisé1027.

De même, lorsque le franchiseur fournit au franchisé une étude d’implantation pour un changement de local, cette étude doit être effectuée sérieusement, faute de quoi sa responsabilité contractuelle sera engagée1028.

d) Les limites de l’assistance

244. Limite tenant à la nature de l’obligation: l’obligation d’assistance est une obligation de moyens – La responsabilité du franchiseur ne sera pas engagée du seul fait que l’assistance qu’il a apportée au franchisé n’a pas entraîné la réussite de ce dernier dans l’opération commerciale. En effet, l’obligation du franchiseur n’est à ce titre qu’une obligation de moyens1029: si celui-ci a mis tout en œuvre pour aider le franchisé, tout en évitant de s’immiscer dans sa gestion, il ne sera pas responsable de l’échec du franchisé1030.

245. Limite en matière d’évolution du savoir-faire: les conséquences du changement brusque du savoir-faire – Si le franchiseur a l’obligation de renouveler le savoir-faire en fonction notamment des évolutions économiques, techniques, et des goûts de la population, il commet au contraire une faute lorsqu’il transforme brutalement le concept franchisé, sans tester les modifications par exemple dans des établissements pilotes ni tenir informés les franchisés, notamment en changeant radicalement la clientèle visée1031, ou la qualité des produits1032, ce qui a pour effet une perte de clientèle pour les franchisés.

L’évolution du savoir-faire peut cependant aller jusqu’à la modification de l’image du réseau et de la marque1033, si les circonstances l’exigent1034, à la condition que cette mutation se fasse de façon prudente et raisonnable, ce qui implique (de préférence) que son effet sur la clientèle ait été testé avant d’être généralisé à l’ensemble du réseau.

246. Limite à l’assistance en matière de gestion: l’indépendance du franchisé – Commerçant indépendant, le franchisé assume en principe seul les risques de son entreprise, dont il assure par ailleurs la gestion1035. L’assistance apportée par le franchiseur en matière de gestion doit donc être limitée à l’apport de méthodes, de conseils ou de logiciels1036, sans avoir pour objet – ou pour effet – de se substituer au franchisé dans la gestion de son entreprise.

Une cour d’appel a ainsi rappelé à juste titre que «le franchisé exploitant en son nom une entreprise [devait] assumer les charges de tout entrepreneur»1037.De même, n’entre pas dans le devoir d’assistance du franchiseur celui d’attirer l’attention du franchisé sur le caractère excessif des commandes auxquelles ce dernier procède sans jamais protester lors des livraisons1038.

Si le franchiseur, allant au-delà de son obligation d’assistance, s’immisce dans la gestion du franchisé et commet des fautes de gestion, il pourra voir sa responsabilité engagée en tant que gérant de fait1039.

B. Les obligations relatives à l’image du réseau1. Les obligations relatives à la notoriété du réseau

a) L’obligation de maintenir la notoriété du réseau

247. Nécessité du contrôle du respect du savoir-faire – La clientèle ralliée au réseau par l’enseigne et/ou la marques’attend à trouverune certaine qualité dans l’accueil qui lui est fait ainsi que dans la nature et la présentation des produits ou services offerts par le franchisé; cette qualité est liée au savoir-faire communiqué. La réitération de la réussite commerciale du franchiseur, but poursuivi par le commerçant qui a choisit de s’insérer dans un réseau de franchise, suppose que ladite clientèle ne soit pas déçue dans son attente. L’image du réseau tout entier pâtirait du non-respect par l’un des franchisés du savoir-faire1040. Incombe par conséquent au franchiseur le devoir, vis-à-vis de l’ensemble des franchisés, d’éviter la dégradation de l’image de l’enseigne en contrôlant le respect du savoir-faire au sein de chacun des établissements du réseau1041, et de « sévir contre les perturbateurs»1042. D’une façon générale, le contrôle exercé par le fournisseur est «de l’essence des réseaux de distribution intégrée»1043.

C’est pourquoi le franchiseur est responsable envers les membres du réseau du respect de l’image de celui-ci par tous les franchisés.

248. Modalités de contrôle – Le contrat de franchise prévoit des clauses organisant le contrôle du franchiseur (points objets du contrôle, fréquence et modes des contrôles…) et imposant au franchisé de s’y soumettre. Ces clauses ne constituent pas des restrictions à la concurrence au regard du droit communautaire, en raison du fait que «le franchiseur doit pouvoir prendre les mesures propres à préserver l’identité et la réputation du réseau qui est symbolisé par l’enseigne», et que le contrôle qu’elles organisent est «indispensable à cette fin»1044.

Le contrôle s’exerce tout d’abord lors des visites rendues par le franchiseur ou son représentant dans l’établissement du franchisé: ces visites, au cours desquelles le franchiseur apporte une assistance personnalisée au franchisé1045, sont également l’occasion de contrôler la conformité de l’activité du franchisé avec le savoir-faire communiqué, ce qui donne lieu, éventuellement à des rappels à l’ordre. Le représentant du franchiseur peut se présenter ouvertement, après avoir prévenu le franchisé, ou inopinément; il peut également se présenter anonymement, en tant que client.

Par ailleurs, le contrat peut prévoir que le franchisé communique à une fréquence définie ses documents comptables et particulièrement son chiffre d’affaires, ce qui permet au franchiseur d’identifier les franchisés qui ont un chiffre d’affaires inférieur à celui de la moyenne des établissements du réseau, et de rechercher l’origine de cet écart. Au moyen de ce contrôle, il est possible que le franchiseur accède à des informations que le franchisé contrôlé souhaite conserver secrètes. Aussi une clause peut-elle imposer au franchiseur la conservation du secret sur ces informations.

249. Limites du contrôle – Ici encore, les limites du rôle du franchiseur tiennent à l’indépendance du franchisé. Deux dangers guettent à ce titre le franchiseur:

– l’immixtion dans les affaires du franchisé, avec ses conséquences1046,

– la requalification du contrat en contrat de travail, après caractérisation d’un lien de subordination1047.

Le contrôle doit donc porter uniquement sur le respect des normes1048 qui font partie du savoir-faire, non sur l’intégralité de l’activité du franchisé.

250. Obligation de maintenir l’importance du réseau – L’obligation de maintenir l’image du réseau a pour premier effet de rendre impératif le contrôle du respect du savoir-faire par les établissements franchisés1049.

Cependant, l’image du réseau, si elle dépend de façon fondamentale du respect du savoir-faire, est également liée à son importance, c’est-à-dire au nombre d’établissements exploités sous l’enseigne dont l’usage est concédé au franchisé. Rappelons à ce titre que l’importance pour le candidat franchisé de connaître la taille du réseau qu’il s’apprête à intégrer n’a pas échappé au législateur, qui impose au franchiseur d’indiquer le nombre et le mode d’exploitation des différentes entreprises qui composent le réseau1050.

La suppression d’un nombre important d’établissements portant l’enseigne du réseau est donc de nature à nuire à la notoriété de celui-ci. C’est pourquoi, même s’il ne peut être exigé du franchiseur qu’il maintienne tout au long de la période contractuelle le nombre de points de vente qui existaient au jour de la signature du contrat de franchise – ni qu’il l’augmente, à moins que cela ne soit prévu au contrat1051 ou que le réseau ne comporte que son établissement et celui dudit franchisé1052–, ledit franchiseur ne saurait démembrer le réseau, sous prétexte de restructuration, en diminuant de moitié le nombre d’établissements portant l’enseigne concernée1053.

251. Obligation de défendre l’image du réseau – Le dénigrement du réseau par des tiers porte atteinte à l’intérêt des franchisés. C’est pourquoi, le franchiseur a le devoir de réagir à ce type d’attaque. Néanmoins, il faut que le dénigrement soit suffisamment grave pour que la responsabilité du franchiseur resté passif soit engagée1054.

b) L’obligation de développer la notoriété du réseau: l’obligation de publicité

252. Consistance de l’obligation – L’obligation du franchiseur tenant à l’image du réseau ne s’arrête pas à celle de protéger la bonne réputation de celui-ci: pèse encore sur le franchiseur l’obligation d’en développer la notoriété1055, et donc de mener régulièrement1056 et si possible de façon répétée des campagnes publicitaires et promotionnelles profitant à l’ensemble du réseau1057, sans lesquelles, du reste, l’enseigne risquerait d’être oubliée des consommateurs. Cette obligation est d’autant plus forte que la notoriété de la marque peut être faible lors de l’entrée du franchisé dans le réseau1058.

La publicité effectuée par le franchiseur s’effectue notamment par voie d’affichage, d’encarts dans des journaux, de spots télévisés, de prospectus, du site Internet du réseau, ou encore par sa participation à des évènements tels que des foires1059. En cas de contestation, la réalité des opérations publicitaires et promotionnelles pourra ressortir non seulement de ces documents, mais également de l’importance du budget qui leur aura été consacré1060.

253. Liberté du franchiseur dans l’organisation de la publicité – Pour financer cette publicité, les franchisés versent une redevance publicitaire1061. Or, l’affectation de ces redevances, ainsi que les obligations mises à la charge du franchiseur dans le cadre de la gestion du budget publicitaire, ne sont pas nécessairement définies dans le contrat de franchise1062. Deux hypothèses doivent donc être distinguées s’agissant de la liberté du franchiseur dans l’organisation de la publicité.

Dans la première hypothèse, le contrat impose au franchiseur la charge de la publicité, sans préciser ni la proportion des redevances qui sera affectée a chacun des postes, ni l’importance de la publicité due. Dans ce cas, la jurisprudence considère que le franchiseur ne peut se voir reprocher le fait d’avoir organisé un faible nombre d’opérations publicitaires, en raison soit de l’absence d’engagement précis quant au nombre, à la périodicité et à la consistance des campagnes de publicité nationales1063, soit de l’absence de preuve par le franchisé que les redevances de publicité encaissées auraient permis de financer d’autres campagnes ou des campagnes d’une autre nature1064. De même, le franchiseur n’engage pas sa responsabilité en diminuant la part des redevances consacrée jusqu’alors à la publicité lorsque ce quota n’est pas défini dans le contrat1065. Le franchisé ne peut pas non plus alléguer que le franchiseur aurait commis une faute dans sa politique publicitaire lorsque les choix qui ont été effectués à ce titre ont été bénéfiques au réseau1066.

Dans la seconde hypothèse, le contrat précise la politique publicitaire à laquelle le franchiseur s’engage, et notamment les parts qui sont affectées à tel ou tel poste de publicité. Dans ce cas, le franchiseur ne saurait modifier la politique définie au contrat sans l’accord du franchisé1067, alors même que la majorité des franchisés se serait prononcée en faveur de ce changement1068. De même, le franchiseur ne peut décider seul de la politique publicitaire lorsque le contrat prévoit la consultation d’une commission de franchisés1069. Cependant, en toute logique, le franchisé ne saurait reprocher au franchiseur d’avoir financé une partie de la publicité locale, au-delà de ses engagements contractuels1070.

Il est possible de conférer au franchiseur, par le contrat de franchise, une marge de manœuvre dans la gestion du budget publicitaire1071. Une telle flexibilité est indispensable au fonctionnement pérenne du réseau car la durée du contrat de franchise, parfois renouvelé, peut être longue et les modes de communication les plus adaptés au réseau – dont la taille aura peut être augmenté depuis la conclusion des premiers contrats de franchise – auront parfois eux-mêmes évolué.

Les parties peuvent donc prévoir dans le contrat que le budget publicitaire est géré par le seul franchiseur ou, solution alternative, que le franchisé accepte par avance les décisions prises en matière de publicité par un organe mixte franchisés-franchiseur. L’idée de permettre au franchiseur de gérer seul le budget publicitaire est logique ; il s’agit de son enseigne, de son image. Il doit avoir un pouvoir décisionnaire sur ce qui constitue sa propriété, les franchisés restant les éphémères dépositaires de l’enseigne1072.

2. Les obligations relatives à la marque et à l’enseigne

a) L’obligation de conférer au franchisé des droits sur l’enseigne et la marque pendant toute la durée du contrat

254. Obligation de conférer au franchisé des droits sur la marque et l’enseigne – Le contrat de franchise implique que le franchiseur concède au franchisé des droits sur l’enseigne1073 et/ou sur la marque1074. Pour ce faire, le franchiseur doit en premier lieu détenir lui-même des droits sur la marque, faute de quoi le contrat est privé de cause1075. En second lieu, il doit procéder aux démarches permettant au franchisé d’obtenir à son tour le droit d’utiliser la marque. En cas de manquement à cette obligation, le franchiseur verra sa responsabilité contractuelle engagée.

255. Obligation de maintenir les droits sur la marque et l’enseigne – Le contrat de franchise étant à exécution successive, le franchiseur doit maintenir ses droits sur le signe de ralliement de clientèle objet du contrat pendant toute la durée de celui-ci.

Par conséquent, le franchiseur doit se montrer d’une particulière vigilance en matière de marque: l’article L. 712-1 du code de la propriété intellectuelle énonce en effet que l’enregistrement de la marque produit ses effets pour une durée de dix ans à compter de la date de dépôt de la demande. Cette période est indéfiniment renouvelable. Pour maintenir ses droits sur la marque, le franchiseur doit donc procéder au renouvellement de la marque conformément aux modalités définies par le code de la propriété intellectuelle1076.

Si, faute d’avoir effectué les diligences nécessaires, le franchiseur perd ses droits sur la marque en cours d’exécution du contrat, il prive ses franchisés des droits qui leur ont été concédés, et commet à leur égard une faute contractuelle1077.

b) L’obligation de protéger la marque et l’enseigne contre les tiers

256. Devoir de protection des signes distinctifs contre leur utilisation par les tiers – Pour que les membres du réseau conservent les avantages découlant de l’exclusivité de l’utilisation de la marque et de l’enseigne qui leur est accordée, il faut que cette exclusivité soit protégée par le franchiseur contre les tiers qui voudraient attirer la clientèle attachée auxdits signes distinctifs.

Il incombe donc au franchiseur de réagir à l’encontre des tiers qui pourraient usurper l’usage de la marque ou de l’enseigne. A défaut, il engagerait sa responsabilité contractuelle à l’égard de ses franchisés1078. Il a été jugé que le franchiseur devait agir en ce sens, même si cela était susceptible d’engager sa responsabilité contractuelle à l’égard du tiers intéressé1079.

257. Moyens de protection – En premier lieu, l’enregistrement de la marque permet au franchiseur de s’opposer1080 à la demande d’enregistrement d’une marque identique ou similaire pour des produits identiques ou similaires par un tiers dans un délai de deux mois1081 à compter de publication de ladite demande au B.O.P.I.. Afin de pouvoir effectuer cette opposition, le franchiseur doit être soit propriétaire d’une marque enregistrée ou déposée antérieurement, ou bénéficiant d’une date de priorité antérieure ou encore notoirement connue antérieurement1082, soit bénéficiaire d’un droit exclusif d’exploitation1083.

En deuxième lieu, la marque1084, qui a dûment fait l’objet d’un enregistrement, est protégée par l’action en contrefaçon, qui peut être intentée devant les juridictions civiles et pénales. La contrefaçon de marque est constituée par «l’atteinte portée au droit du propriétaire de la marque»1085. Sont notamment des actes de contrefaçons le fait de reproduire, imiter ou utiliser la marque appartenant à autrui sans y être autorisé1086 dans la limite du principe de spécialité1087: le franchiseur ne pourra agir en contrefaçon contre un tiers utilisant une marque contenant par exemple le même texte, pour commercialiser des produits sans rapport avec ceux qui sont distribués dans le cadre du réseau. Cette action est en principe intentée par le propriétaire de la marque ou, si celui-ci n’agit pas en ce sens après une mise en demeure, par le titulaire d’un droit exclusif d’exploitation à condition que cette faculté n’ait pas été contractuellement exclue1088. Dans la plupart des hypothèses, l’action sera donc réservée au franchiseur, propriétaire ou licencié exclusif de la marque1089, toutefois, le franchisé, en sa qualité de licencié, peut se joindre à l’action en contrefaçon1090.

En troisième lieu, enfin, le franchiseur pourra agir en concurrence déloyale à l’encontre du tiers qui utiliserait son enseigne ou sa marque, sur le fondement du droit commun de la responsabilité délictuelle (le franchiseur devra donc démontrer une faute, qui consiste en «l’utilisation de procédés contraires aux usages et habitudes professionnels tendant à détourner la clientèle d’un concurrent»1091,un préjudice et un lien de causalité). Contrairement à la contrefaçon, cette action n’est pas fondée sur l’existence de droits privatifs; ces deux actions pourront être exercées simultanément si leurs conditions respectives sont réunies1092. Le franchiseur peut également agir sur le fondement de la responsabilité contractuelle si le concurrent est un ancien franchisé violant la clause de non-concurrence qui avait été prévue au contrat. En outre, le franchiseur pourra, éventuellement, également agir sur le fondement des articles 1382 et 1383 du code civil pour parasitisme, c’est-à-dire le fait de «tirer indûment profit de la notoriété et/ou des investissements d’autrui»1093, sans qu’il soit nécessaire, contrairement à l’action en concurrence déloyale, de prouver une situation de concurrence1094.

II. Les autres obligations communément mises à la charge du franchiseur

A. L’obligation d’approvisionnement

1. Présentation de l’obligation d’approvisionnement

258. Obligation du franchiseur de fournir des produits au franchisé – Si les clauses d’approvisionnement ne sont pas de l’essence du contrat de franchise1095, elles sont extrêmement fréquentes, et systématiques dans le cadre de la franchise de distribution. Le franchiseur peut ainsi s’engager à fournir au franchisé les produits destinés à la vente ou le matériel nécessaire à cette activité1096.

259. Preuve de l’existence de l’obligation d’approvisionnement – Il appartient au franchisé de prouver l’existence de l’obligation d’approvisionnement. Une difficulté se présente à cet égard lorsque le contrat ne crée pas directement une telle obligation à la charge du franchiseur, mais impose au franchisé une obligation de s’approvisionner auprès du franchiseur pour une certaine quantité de produits1097.

Ainsi, l’obligation du franchisé de se fournir auprès du franchiseur implique celle du franchiseur de l’approvisionner1098. En revanche, la preuve de l’engagement du franchiseur de livrer une quantité minimale de produits au franchisé ne peut découler des obligations mises en la matière à la charge du franchisé. Il a ainsi été jugé qu’une telle obligation du franchiseur n’était pas prouvée par la présence, d’une part, d’une clause imposant au franchisé de se fournir auprès du franchiseur pour un certain nombre de produits et, d’autre part, d’une clause prévoyant que les produits du franchiseur devaient représenter 60% des ventes effectuées par le franchisé. En effet, «seul le franchiseur est (…) en droit de se prévaloir de ces clauses, qui créent des obligations pour le franchisé»1099.

Par ailleurs, l’engagement du franchiseur d’offrir au franchisé «un assortiment adapté à son type de magasin et à son environnement» n’emporte pas l’obligation pour lui de satisfaire à toutes les commandes du franchisé1100: une telle obligation doit être expressément stipulée.

Il a également été jugé que l’obligation du franchiseur d’approvisionner son franchisé n’entraînait pas celle de l’aider dans son financement1101. De même, il ne saurait être fait reproche au franchiseur de ne pas avoir fait bénéficier ses franchisés des avantages obtenus par lui auprès de ses fournisseurs. En effet, lorsqu’il exerce une fonction de centrale d’achats, le franchiseur ne devient pas le commissionnaire de ses franchisés. Ainsi, il n’a pas l’obligation de les faire bénéficier de tous les avantages issus des négociations qu’il a entreprises1102.

260. Garanties dues au titre de l’approvisionnement – Le franchiseur qui approvisionne ses franchisés agit en qualité de vendeur; par conséquent, il leur doit l’ensemble des garanties dues par un vendeur. Il est ainsi tenu d’une obligation contractuelle de délivrance conforme et de certaines obligations de garantie.

En vertu de l’article 1604 du code civil, le franchiseur est tenu de délivrer à l’acheteur une chose conformeà celle prévue dans le contrat de vente exécuté en application du contrat-cadre de franchise sous peine d’engager sa responsabilité contractuelle sur le fondement des articles 1147 et 1184 du code civil pouvant donner lieu à une action en résolution et/ou en dommages et intérêts. Pour ce faire, la chose doit correspondre à l’usage particulier attendu par les parties, tel qu’il est entré dans le champ contractuel1103. Le défaut de la chose, s’il ne peut donner naissance à une action sur le fondement d’un manquement à l’obligation de délivrance conforme, peut être invoqué sur le fondement de la garantie des vices cachés.

Outre l’obligation contractuelle de délivrance conforme, le franchiseur est tenu à deux obligations particulières de garantie à l’égard du franchisé: la garantie des vices cachés et la garantie d’éviction.

La garantie des vices cachés est régie par les articles 1641 et suivants du code civil. Quatre conditions doivent être remplies pour que l’action puisse être mise en œuvre avec succès: le vice doit être inhérent à la chose, causer un trouble à son usage normal, être antérieur ou concomitant à la vente et être caché. Conformément à l’article 1644 du code civil, si ces conditions sont remplies, «l’acheteur a le choix de rendre la chose et de se faire restituer le prix, ou de garder la chose et de se faire restituer une partie du prix». Dans le premier cas, il s’agit d’une action rédhibitoire, dans le second cas d’une action estimatoire. La qualité de professionnel du franchisé1104 rend toutefois plus difficile la mise en œuvre de l’action en garantie des vices cachés. Elle a tout d’abord une incidence sur la preuve du caractère caché du vice, car la Cour de cassation met à la charge de l’acquéreur professionnel une présomption simple de connaissance du vice1105. Elle fera en outre obstacle à une demande de dommages et intérêts sur le fondement de l’article 1645 du code civil, sauf si l’acheteur est victime d’un dol du franchiseur ou que le vice était indécelable. Enfin, le contrat pourra prévoir une clause exonératoire de responsabilité en faveur du franchiseur, qui sera valable dans la mesure où le franchiseur et le franchisé sont deux professionnels de la même spécialité1106.

2. Violation de l’obligation d’approvisionnement

261. Hypothèses de violation – Commet une faute le franchiseur qui manque à l’engagement contractuellement pris d’approvisionner le franchisé, que ce manquement soit total1107 ou partiel1108. De même, des retards répétés1109 ou importants1110 dans les livraisons1111 ou la livraison de produits de mauvaise qualité1112 constituent une faute contractuelle. Ces questions se posent bien souvent en termes de preuve. Le franchisé pourra plus aisément mettre en œuvre la responsabilité du franchiseur lorsqu’il justifiera avoir vainement adressé des lettres de réclamation au franchiseur1113. Toutefois, lorsque le contrat stipule des modalités spécifiques de réclamation, le franchisé devra s’y soumettre, au risque de ne pouvoir se prévaloir du mauvais état des marchandises livrées1114. De même, le franchisé ne peut se prévaloir du non respect des horaires de livraison mentionnés, lorsque ceux-ci ne le sont qu’à titre indicatif1115.

Le franchisé, en toute logique, ne peut reprocher au franchiseur un quelconque manquement à son obligation d’approvisionnement lorsqu’il a refusé les livraisons qui lui étaient faites à ce titre1116. En outre, le franchiseur qui a cessé de livrer le franchisé pourra opposer l’exception d’inexécution au franchisé qui, tout en ne payant pas les factures des produits livrés, cherche à engager sa responsabilité pour violation de l’obligation d’approvisionnement1117.

Une distinction s’impose toutefois. Si le contrat prévoit les conditions dans lesquelles le franchiseur peut cesser l’approvisionnement, il lui suffit de s’y conformer pour n’encourir aucun grief1118. Si, en revanche, le contrat ne comporte aucune prévision en ce sens, le franchiseur devra veiller à ce que le manquement du franchisé — en l’espèce le défaut de paiement — soit suffisamment caractérisé pour justifier un arrêt des livraisons1119. A l’inverse, le franchisé ne saurait reprocher son «soutien abusif» au franchiseur qui a poursuivi les approvisionnements malgré la situation déficitaire dudit franchisé, ce comportement relevant de «l’exécution normale du contrat d’approvisionnement»1120.

262. Effet du manquement à l’obligation d’approvisionnement – Dans un contrat de vente, le transfert de propriété opère solo consensu, dès qu’il y a accord sur la chose et sur le prix. Par conséquent, l’obligation du franchiseur au titre de l’approvisionnement du franchisé est exécutée dès l’accord et ne consiste pas en une obligation de faire susceptible de donner application à l’article 1142 du code civil, selon lequel l’obligation de faire se résout en dommages et intérêts1121. Rien ne s’oppose par conséquent à ce que le franchisé force le franchiseur à le livrer, si cela est possible, sur le fondement de l’article 1184 alinéa 2 du code civil.

Néanmoins, le franchisé pourra préférer s’approvisionner auprès d’autres fournisseurs. Le manquement du franchiseur dans l’exécution de l’obligation d’approvisionnent est en effet de nature à justifier la violation par le franchisé de son obligation d’approvisionnement exclusif1122. Il justifie également le non-respect de la clause d’objectif1123 mais pas celle de l’obligation de payer les marchandises effectivement livrées1124.

Le préjudice causé par de tels manquements consiste en la désorganisation de l’activité des franchisés1125, et dans la baisse de leur chiffre d’affaires à la suite du mécontentement de la clientèle1126 et du désavantage qui leur est causé vis-à-vis de la concurrence1127.

3. L’interdiction de l’abus dans le cadre de l’approvisionnement du franchisé

263. Déséquilibre entre contractants et abus – Lorsque le franchiseur se conforme à son obligation d’approvisionnement, des contrats de vente sont conclus entre lui,qui devient alors fournisseur, et le franchisé, en application du contrat cadre qu’est le contrat de franchise. S’impose alors au franchiseur l’obligation de ne pas profiter outre mesure de la position favorable qui est la sienne.

Dans le cadre des contrats de distribution en général1128, et du contrat de franchise en particulier, l’égalité entre les parties est chose rare. Cette situation traduit d’ailleurs une situation de dépendance En effet, bien que le contrat de franchise soit un contrat de collaboration, animé par l’intérêt commun des parties, il est incontestable que le franchiseur, maître du savoir-faire, titulaire de l’enseigne et de la marque, et, en somme, chef du réseau, soit, dans le contrat de franchise, et dans les contrats de fourniture pris en application de celui-ci, le contractant fort1129.

Cette position de force n’est pas en elle-même une faute. En revanche, l’abus qui, le cas échéant, en est fait constitue une faute: le contractant fort profite de sa position pour obtenir de son concurrent des avantages indus.

a) Les dispositions légales

264. Abus d’une situation de fait – Outre l’abus de position dominante et l’abus de dépendance économique1130, était par ailleurs interdit l’abus de relations de dépendance ou de sa puissance d’achat ou de vente par un commerçant, un industriel ou un artisan engage la responsabilité de ces derniers1131.

Aucune de ces trois fautes ne correspond à un abus de droit1132: le pouvoir dont abuse le contractant fautif n’a pas pour source un droit qui lui est acquis, mais une situation factuelle, d’ordre économique.

265. Abus de relations de dépendance et l’abus de puissance d’achat ou de vente – L’article L. 442-6 I du code de commerce énumère une liste de pratiques qui sont de nature à engager la responsabilité de leur auteur. Parmi ces pratiques figuraient les abus de relations de dépendance et de puissance d’achat ou de vente1133.

L’article L. 442-6 I 2° b) du code de commerce interdisait ainsi à tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers «d’abuser de la relation de dépendance dans laquelle il tient un partenaire ou de sa puissance d’achat ou de vente en le soumettant à des conditions commerciales ou obligations injustifiées, notamment en lui imposant des pénalités disproportionnées au regard de l’inexécution d’engagements contractuels».

Depuis la loi de modernisation de l’économie1134, ces abus ne figurent plus expressément au sein dudit article. Dans un souci «de simplification et d’effectivité»1135, le législateur a en effet remplacé ces notions par celle de de « déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties »: est désormais prohibé le fait de «soumettre ou de tenter de soumettre un partenaire commercial à des obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties».

b) La jurisprudence

266. Création d’un autre type d’abus: l’abus dans la fixation du prix – Ainsi qu’on l’a vu1136, l’absence de détermination et de déterminabilité du prix devant figurer dans les contrats pris en application du contrat de franchise n’est plus de nature à entraîner la nullité de ce dernier, et «l’abus dans la fixation du prix ne donne lieu qu’à résiliation» des contrats d’application «ou indemnisation» 1137. Ce n’est donc pas le contenu du contrat-cadre mais le comportement du fournisseur lors de son application qui peut entraîner une sanction1138.

Le pouvoir du fournisseur de fixer unilatéralement le prix ayant été admis1139, restait à définir le comportement constituantl’abus de ce pouvoir1140. Par exemple, en matière de surfacturation, la difficulté réside dans le fait qu’il serait contraire au droit positif, et en particulier au fait que la lésion n’est pas – sauf exception établie par la loi – une cause de nullité des conventions. La notion d’abus dans la fixation du prix ne saurait donc servir de fondement au rééquilibrage systématique des contrats pris en application des contrats cadres1141.

267. Appréciation doctrinale – La doctrine s’est attachée à définir les contours de l’abus dans la fixation du prix. Ainsi, il a été proposé de considérer que «l’une des parties abuse du droit qui lui est reconnu de fixer unilatéralement le prix, lorsqu’elle se réserve un profit qui ne permet plus à l’autre de retirer celui qu’elle est en droit d’attendre de l’exécution du contrat, rompant ainsi son équilibre»1142. Il a également été affirmé que le prix devait «être fixé à un niveau permettant à l’autre partie un fonctionnement normal de son activité, dans la situation de dépendance qui est la sienne»1143. En outre, transposant en matière d’abus dans la fixation du prix la solution issue de l’arrêt Huard1144 rendu sur le fondement de l’exigence de bonne foi contractuelle1145, la doctrine a estimé que l’abus était constitué dès lors que le prix fixé unilatéralement interdisait à son débiteur de pratiquer lui-même des prix concurrentiels et l’évinçait ainsi du marché1146. Plus récemment, ont été distingués trois types envisageables d’abus dans la fixation du prix: un abus objectif – le profit illégitime du fournisseur – et deux abus subjectifs – la faute volontaire et le détournement de pouvoir1147.

Si ces propositions doctrinales permettent de rendre moins flous les contours de la notion d’abus dans la fixation du prix, celle-ci obéit à une importante casuistique en pratique.

268. Appréciation jurisprudentielle – Pour la Cour de cassation, l’abus dans la fixation du prix suppose qu’existe une situation de dépendance; par conséquent, il ne peut être caractérisé que si le contrat prévoit une clause d’approvisionnement exclusif ou au moins quasi-exclusif. Si les parties n’ont pas stipulé une telle clause, aucun abus ne peut être constaté: le franchisé peut alors s’adresser à d’autres fournisseurs que son franchiseur1148 et négocier les prix1149. L’existence d’une clause d’approvisionnement exclusif est donc une condition de mise en œuvre du contrôle de l’abus.

Quand le contrat prévoit une clause d’approvisionnement exclusif, l’abus n’est pas nécessairement caractérisé. Ainsi, le fait que les prix pratiqués par le franchiseur soient parmi les plus élevés du marché ne peut suffire à démontrer l’abus dans la fixation du prix1150. Par exemple, dans l’hypothèse où le franchisé a l’obligation de faire connaître au franchiseur tout fournisseur pratiquant des prix plus avantageux que les fournisseurs référencés1151, l’abus n’est pas constitué. Dans ce cas, la jurisprudence semble exiger «un profit illégitime» du franchiseur et «l’impossibilité pour les franchisés, en l’état des tarifs pratiqués par la centrale d’achat, de réaliser un profit assurant le maintien de leur entreprise»1152.

B. Les obligations relatives à la zone de chalandise du franchisé1. L’obligation d’exclusivité territoriale

269. Importance de l’obligation – Par la clause d’exclusivité territoriale, le franchiseur s’interdit, dans un territoire s’étendant aux alentours du point de vente du franchisé et contractuellement défini, de fournir certaines prestations également contractuellement définies, à des tiers. Le franchisé est ainsi assuré d’avoir le monopole desdites prestations dans la zone géographique considérée.

Cette obligation, n’est pas de l’essence du contrat de franchise1153, ce qui, avec d’autres critères, distingue ledit contrat du contrat de concession exclusive. Elle doit donc expressément figurer dans le contrat pour incomber au franchiseur1154 et, dans le cas contraire, le contrat n’est pas nul pour défaut de cause1155. Cependant, lorsqu’elle est prévue, cette obligation est souvent perçue par le franchisé comme indispensable à sa réussite commerciale, et par conséquent comme l’une des obligations essentielles du franchiseur.

270. Validité de la clause d’exclusivité territoriale au regard du droit de la concurrence – L’exclusivité territoriale concédée au franchisé a souvent pour corollaire l’engagement du franchisé de ne pas vendre les produits ou services objets de la franchise en dehors de la zone concédée ; un tel engagement permet en effet de protéger l’exclusivité accordée aux autres franchisés. Cependant, la clause d’exclusivité territoriale est dans ce cas susceptible de se heurter aux droits français1156 et communautaire1157 de la concurrence, qui s’opposent à un cloisonnement absolu du marché. Aussi la validité d’une telle clause, sans être exclue a priori, est-elle soumise au respect de certaines conditions, auxquelles il est indispensable de prêter attention lors de la rédaction du contrat1158.

271. Débiteur de l’obligation – Le franchiseur est seul débiteur de l’obligation d’exclusivité territoriale, à l’exclusion – dans l’hypothèse fréquente où le franchiseur est une société – de ses associés. Aussi, l’ouverture par l’un desdits associés d’un établissement concurrent au sein de la zone concédée en exclusivité au franchisé n’engage la responsabilité de cet associé que s’il est démontré qu’il a commis une faute personnelle, ledit associé n’étant pas tenu personnellement à l’obligation d’exclusivité1159.

a) L’étendue de l’exclusivité

272. Délimitation de l’exclusivité quant à son objet – Il existe essentiellement trois types d’exclusivité en matière de franchise: exclusivité de franchise, exclusivité d’enseigne (ou d’implantation) et exclusivité de fourniture1160. L’exclusivité de franchise, comme son nom l’indique, interdit au franchiseur d’implanter un autre établissement bénéficiant de la franchise (enseigne, savoir-faire et assistance) dans la zone d’exclusivité1161. L’exclusivité d’implantation garantit au franchisé, dans le territoire qui lui est concédé, le monopole de l’utilisation de l’enseigne: sur ce territoire, le franchiseur ne pourra ni ouvrir une succursale portant son enseigne, ni accorder des droits sur son enseigne à un tiers. L’exclusivité de fourniture va plus loin: elle interdit au franchiseur d’approvisionner en produits – notamment lorsque ceux-ci portent la marque du réseau – un tiers situé dans le territoire exclusif1162. Les parties étant maîtres du champ de l’exclusivité, elles peuvent valablement décider de cumuler ces types d’exclusivité1163 ou de n’en prévoir qu’une seule1164. Lorsque les parties n’ont pas déterminé clairement l’objet de l’exclusivité, les juges du fonds interprètent souverainement les termes du contrat, dans les conditions prévues aux articles 1156 et suivants du code civil1165.

Une difficulté est susceptible de se présenter dans le cadre de l’exclusivité de franchise. Il n’est en effet pas toujours aisé de déterminer si la remise d’un meuble ou d’un appareil relève simplement de la fourniture ou fait partie intégrante de la franchise et donc du champ de l’exclusivité. Dans le premier cas, le franchiseur peut remettre ledit matériel à un tiers sans violer la clause. Dans le second, une telle remise constitue un manquement à l’obligation d’exclusivité. Une affaire offre une illustration de cette difficulté: le contrat, tout en prévoyant une exclusivité de franchise, écartait l’exclusivité de fourniture; il s’agissait de déterminer si le franchiseur pouvait remettre unappareil d’amincissement spécifique à un tiers. La Cour, constatant que le contrat imposait le retrait dudit appareil lors de la cessation des relations contractuelles, en a conclu que celui-ci faisait partie intégrante de la franchise, et que la présence d’un exemplaire dans le territoire exclusif du franchisé constituait une violation de l’obligation du franchiseur1166.

273. Délimitation de l’exclusivité dans l’espace – L’exclusivité, qu’elle soit de fourniture, de marque ou d’enseigne, ne saurait être concédée au franchisé que sur un territoire contractuellement défini1167; à défaut, le franchisé ne peut se prévaloir de toute exclusivité territoriale1168. Lorsque les parties ont fait de cette exclusivité une obligation essentielle du contrat, le caractère indéterminé et indéterminable du territoire concédé à titre d’exclusivité est de nature à entraîner la nullité du contrat sur le fondement de l’article 1129 du code civil1169. En pratique, le territoire exclusif correspond à l’ensemble de l’agglomération, si l’établissement franchisé est situé dans une petite ville, à un périmètre défini à vol d’oiseau à partir de l’emplacement dudit établissement, s’il se trouve dans une ville plus importante, ou à une région ou un pays, dans le cadre d’une master-franchise, à charge ensuite pour le master-franchisé de diviser ce territoire entre les sous-franchisés1170. Toutes les formulations sont en vérité possible, l’essentiel étant qu’elles soient claires et raisonnables.

274. Exclusivité dans l’espace et Internet – La protection du franchisé contre la concurrence au sein de son territoire exclusif est aujourd’hui confrontée à la vente de produits effectués par le franchiseur via internet. S’est donc posée la question, en jurisprudence, de l’éventuelle violation par le franchiseur de son obligation d’exclusivité territoriale du fait de ce type de vente.

Une réponse positive – en matière d’exclusivité d’enseigne – impliquerait une interprétation extensive de la notion de territoire: assimiler la création d’un site de vente par Internet à l’implantation d’un point de vente dans une zone déterminée reviendrait à attacher artificiellement ce site, espace immatériel, à une zone géographique matérielle. Aussi la Cour de cassation, cassant les décisions d’appel1171 au visa de l’article 1134 du code civil, a-t-elle adopté la position inverse, décidant que «la création d’un site Internet n’est pas assimilable à l’implantation d’un point de vente dans le secteur protégé» 1172

Cette position est conforme à la jurisprudence relative à l’interprétation des clauses d’exclusivité territoriale, qui se prononce en faveur d’une interprétation stricte. La Cour relève en effet que «le contrat souscrit par les parties se bornait à garantir au franchisé l’exclusivité territoriale dans un secteur déterminé». La solution aurait probablement été différente si le franchiseur avait accordé, en plus d’une exclusivité de franchise – ce dont il s’agissait en l’espèce1173 – une exclusivité de fourniture. La possibilité pour le franchiseur de créer un site Internet marchant dépend ainsi des prévisions exactes du contrat.

Il est conseillé d’organiser dans le contrat le fonctionnement du site Internet destiné à la vente des produits objets de la franchise.

La clause Internet pourra commencer par rappeler la liberté du franchiseur de proposer à la vente par Internet les produites pour la distribution desquels il concède une exclusivité territoriale au franchisé.

Sur cette base, il sera opportun de préciser que la clientèle Internet appartient au seul franchiseur, en indiquant que cette appartenance concerne aussi les clients Internet domiciliés ou résidant sur le territoire qui forme l’assiette géographique de l’exclusivité. Ces stipulations sont d’autant plus nécessaires – et justifiées – que les arrêts rendus le 14 mars 2006 par la chambre commerciale voient dans le site Internet un point de vente, dont la particularité – essentielle en l’occurrence – est de ne pas être rattaché à une portion d’espace de nature à entrer en concurrence avec les franchisés bénéficiaires d’un engagement d’exclusivité territoriale du franchiseur.

Il est également possible de prévoir que les franchisés percevront une commission sur les ventes aboutissant à une livraison sur leur territoire exclusif1174. Une solution complémentaire consiste à installer des bornes informatiques dans les magasins du franchisé. Il s’agit par là de permettre aux clients Internet d’accéder à ce mode d’achat en dehors des lieux où ils ont accès à un ordinateur. L’achat effectué sur Internet et effectué à partir d’une borne informatique située dans le magasin d’un franchisé ne modifie pas l’économie générale de l’opération, et notamment le fait qu’elle échappe aux contraintes résultant de l’exclusivité territoriale. Le client Internet ne devient pas client du franchisé, sauf à ce qu’il renonce à acquérir par Internet pour se fournir directement auprès du franchisé. Dans le cas contraire, le franchisé ne fait que fournir un service au point de vente immatériel du franchiseur qu’est le site Internet. Le contrat doit prévoir la rémunération spéciale du franchisé pour la mise à disposition d’une partie de son local au titre de l’installation de la borne informatique. Cette rémunération peut prendre la forme d’une commission sur chaque vente réalisée par Internet.

275. Détermination de l’exclusivité dans le temps – L’obligation d’exclusivité territoriale, à moins d’être stipulée pour une durée déterminée, se maintient jusqu’au terme du contrat. Manque donc à son obligation le franchiseur qui, deux mois avant ledit terme, adresse à la clientèle une circulaire indiquant les coordonnées du nouveau franchisé implanté dans le territoire exclusif, en l’invitant à prendre «dès à présent» contact avec lui1175.

Sauf stipulation contraire, l’exclusivité territoriale cesse au terme du contrat. N’engage donc pas sa responsabilité le franchiseur qui, après cessation des relations contractuelles, installe un nouvel établissement dans le territoire concédé pendant la durée du contrat à titre exclusif à son ancien franchisé, et même à proximité immédiate du point de vente de celui-ci1176. L’action en concurrence déloyale, fondée sur la responsabilité délictuelle, reste ouverte, et il appartient alors à l’ancien franchisé d’établir la déloyauté de la concurrence1177.

276. Interprétation stricte de l’obligation d’exclusivité – La clause d’exclusivité territoriale constitue une restriction à la liberté d’entreprendre. En tant que telle, elle est d’interprétation stricte, tant à l’égard de son objet1178 qu’à celui de la zone sur laquelle elle s’applique.

Ainsi, le franchiseur qui a consenti une exclusivité d’enseigne peut autoriser l’implantation d’un second franchisé dans la même zone1179, à condition que cette nouvelle implantation se fasse sous une enseigne distincte et clairement identifiée1180. De même, le franchiseur ne viole pas la clause d’exclusivité territoriale de fourniture lorsqu’il vend des produits dégriffés1181 ou d’une marque différente que celle commercialisée par le franchisé1182 dans le territoire concédé à ce dernier.

En outre, le franchisé ne peut prétendre que le franchiseur a violé son obligation en raison la présence sur le territoire qui lui est concédé en exclusivité d’un établissement du franchiseur qui, d’une part, commercialise des produits d’une autre marque et, de l’autre, était implantée au même endroit antérieurement au point de vente du franchisé et avait été mentionnée dans le document d’information précontractuelle1183. Dans le même ordre d’idée, ne viole pas la clause d’exclusivité territoriale le franchiseur qui change le mode d’exploitation d’établissements qui se trouvaient dans la zone d’exclusivité avant l’installation du bénéficiaire de ladite exclusivité, lorsque les termes du contrat lui «interdisaient seulement (…) de créer, dans le secteur, de nouveaux magasins en franchise ou en gestion directe»1184.

La délimitation géographique de la zone d’exclusivité doit être également interprétée restrictivement. Ainsi, lorsque la clause d’exclusivité territoriale mentionne le nom d’une ville, sans plus de précision, cette exclusivité ne s’étend pas à une autre ville, fut-elle voisine1185 voire limitrophe1186. Plus précisément, l’implantation d’un autre franchisé à la limite de la zone concédée en exclusivité ne constitue pas une violation de la clause1187.

277. Interprétation des clauses ambigües – Pour autant, le franchiseur ne saurait s’exonérer de son obligation sous couvert d’une stricte interprétation de l’exclusivité consentie. Ainsi, lorsque la clause d’exclusivité est rédigée de manière ambiguë, les juges du fonds sont tenus de l’interpréter1188.

278. Nécessité de définir l’étendue de l’exclusivité territoriale – Afin d’éviter les incertitudes et, plus encore, l’inefficacité de la clause d’exclusivité territoriale, les parties doivent s’attacher à en définir précisément les contours, à la fois quant à son objet et quant à la zone géographique qu’elle concerne. Rappelons par ailleurs que l’attention du franchisé est, en vertu de l’article R.330-1 du code de commerce, particulièrement attirée sur «le champs des exclusivités» dès la période précontractuelle, cette information figurant parmi celles qui doivent non seulement figurer dans le projet de contrat remis en même temps que le document d’information précontractuelle, mais également être rappelées au franchisé au sein dudit document lui-même.

Outre l’objet, le territoire et la durée de l’exclusivité, le contrat peut prévoir des aménagements ou des exceptions. Ainsi, le maintien de l’exclusivité peut être subordonné au respect d’une clause d’objectif. Il peut être stipulé au contraire que le territoire d’exclusvité sera diminué si le niveau d’activité du franchisé permetde penser que deux établissements pourraient prospérer à proximité1189. Le contrat pourra également prévoir – à l’inverse de l’hypothèse précédente – que la zone d’exclusivité sera élargie si certains objectifs sont atteints. Une telle clause permet au franchiseur d’évaluer l’efficacité d’un franchisé avant de lui concéder en exclusivité un territoire étendu, et de motiver les franchisés dans l’exercice de leur activité.

b) La caractérisation du manquement à l’obligation du franchiseur

279. Manquement direct du franchiseur à son obligation d’exclusivité territoriale – Le franchiseur, selon qu’il s’est engagé à une exclusivité de franchise, d’enseigne ou de fourniture, s’interdit d’implanter un autre établissement franchisé, un établissement portant la même enseigne que le franchisé, ou d’approvisionner des tiers. Il viole son engagement non seulement lorsqu’il implante un autre établissement ou commence à fournir des tiers situés dans la zone d’exclusivité après l’installation du bénéficiaire de l’exclusivité1190, mais également lorsqu’il a caché au franchisé l’existence préalable de magasins commercialisant déjà les produits qui font l’objet de la franchise1191 ou maintient un ancien franchisé dans la zone d’exclusivité du nouveau1192. En outre, il a été jugé que manquait à son obligation d’exclusivité territoriale le franchiseur ayant remis le même fichier clientèle à trois franchisés bénéficiant chacun d’un territoire exclusif1193. Le franchiseur ne peut prendre prétexte de la nécessité de «varier le niveau de son offre» pour justifier la violation de l’exclusivité territoriale1194.

280. Manquement du franchiseur à son obligation de faire respecter l’exclusivité territoriale – Le franchiseur a l’obligation de défendre l’exclusivité du franchisé sur son territoire contre des tiers qui utiliseraient sans droit les signes distinctifs concédés1195. Le franchiseur engage également sa responsabilité contractuelle en n’informant pas son cocontractant des difficultés rencontrées avec le précédent franchisé implanté dans la zone d’exclusivité, et qui continue à exploiter sans droit son point de vente sous l’enseigne du réseau1196.

Néanmoins, la responsabilité du franchiseur ne sera pas engagée lorsque les produits portant sa marque sont vendus de façon très provisoire dans des points de vente précaires et non dans des emplacements fixes1197.

c) La sanction au manquement à l’obligation d’exclusivité territoriale

281. Fondement de la sanction du manquement à l’obligation d’exclusivité territoriale – L’obligation d’exclusivité territoriale étant une obligation contractuelle, le fondement de la sanction de sa violation est en principe la responsabilité contractuelle, reposant sur les articles 11341198 ou 1147 et suivants du code civil.

Les juridictions considèrent très fréquemment que la violation de la clause d’exclusivité territoriale constitue un acte de concurrence déloyale1199. Or, la concurrence déloyale est une faute délictuelle ou quasi-délictuelle dont la sanction est fondée sur l’article 1382 ou 1383 du code civil. Cette erreur effectuée par certaines juridictions n’est pas sans conséquences: certains magistrats s’attachent à constater le risque de confusion entre la franchise concédée au bénéficiaire de l’exclusivité et les autres concepts développés par le franchiseur sur le territoire1200, alors que le franchiseur engage sa responsabilité contractuelle dès lors que sont établis l’existence de la clause d’exclusivité, sa violation, et le préjudice créé par cette violation. Ni la déloyauté de la concurrence, ni le risque de confusion n’ont à être prouvés1201.

282. Nature de la sanction – Comme dans tous les cas de manquement à ses obligations contractuelles, le franchiseur peut être condamné à réparer le préjudice du franchisé, qui consiste en une perte de clientèle1202, à condition que ce préjudice soit prouvé1203. Le contrat peut également être résilié à ses torts1204. Plus spécifiquement, le franchiseur peut être contraint à faire cesser le trouble, c’est-à-dire à retirer les enseignes et autres signes distinctifs du nouvel emplacement concurrent1205.

Le franchisé n’est pas fondé à rechercher la responsabilité du franchiseur sur le fondement de la violation de l’obligation d’exclusivité territoriale lorsqu’une transaction est intervenue de ce chef1206 ou lorsqu’il a toléré la situation pendant plusieurs années sans protestation1207.

2. Le droit de priorité

283. Définition – A côté de l’exclusivité territoriale proprement dite, se développe le droit de priorité: le franchiseur s’engage envers le franchisé à lui proposer par priorité aux tiers, dans l’hypothèse où il envisagerait d’implanter un établissement dans une zone définie au contrat, d’exploiter ce nouvel établissement.

Ce droit de priorité peut être soumis à certaines conditions, comme, par exemple, le respect par le franchisé d’une clause d’objectif ou l’absence de retard dans le paiement des marchandises.

Ce droit peut être prévu directement dans le contrat dès sa formation; il arrive également en pratique qu’il soit négocié ultérieurement, soit individuellement, entre le franchiseur et l’un de ses franchisés, soit par une association de franchisés agissant pour le bénéfice de tous1208.

284. Conclusion sur les obligations du franchiseur: l’obligation de non-discrimination entre les franchisés – Le franchiseur est en principe tenu à une règle d’égalité de traitement entre tous ses franchisés. L’existence du réseau justifie cette règle de non discrimination; les participants contribuent à égalité à la promotion de l’intérêt collectif promu par celui-ci. Toutefois, la reconnaissance dans certaines circonstances d’une certaine inégalité de traitement entre les différents franchisés ne signifie pas nécessairement qu’il existe une situation de discrimination.

Cette différence de traitement peut tout d’abord se justifier par la situation particulière du franchisé. Ainsi, si le franchiseur peut engager sa responsabilité envers le franchisé évincé si, sans justification aucune, il lui refusait un avantage qu’il a accordé aux autres membres du réseau; néanmoins, les conditions doivent être exactement identiques. Il a par exemple été jugé que le franchiseur ne commettait pas de faute à l’égard du franchisé en lui refusant un moratoire, alors qu’il n’était pas démontré qu’il avait accordé une telle facilité à d’autres franchisés ayant une situation aussi obérée que celle de la prétendue victime de la discrimination1209.

Une différence de traitement peut ensuite se justifier par la protection de l’intérêt collectif. Par conséquent, si le franchiseur apporte la preuve qu’il n’a pas commis d’abus et que son comportement est justifié par la protection de l’intérêt collectif supérieur du réseau de franchise, aucune faute ne devrait pouvoir lui être reprochée. En effet, le franchiseur et le franchisé sont liés par un rapport marqué à la fois d’indépendance et d’intuitu personae: il est normal que le franchiseur puisse agir de manière circonstanciée dans le cadre d’une relation fondée essentiellement sur la confiance; comment alors exiger une neutralité absolue?

§2. Les obligations du franchisé

I. Les obligations relevant de l’essence du contrat de franchise

A. Les obligations financières

285. Contrepartie des obligations essentielles du franchiseur – Les obligations financières du franchisé constituent la contrepartie des obligations essentielles du franchiseur. Schématiquement, à la transmission du savoir-faire répond le paiement du droit d’entrée et, à la fourniture de l’assistance, à la mise à disposition des signes distinctifs du réseau et à la publicité effectuée par le franchiseur, correspondent les redevances.

1. Le paiement du droit d’entrée

286. Causes du droit d’entrée – Ce qui vient d’être dit doit être immédiatement affiné: l’obligation de verser un droit d’entrée1210 n’a pas pour cause unique la transmission du savoir-faire. Certes, cette transmission constitue l’objet de l’obligation la plus importante du franchiseur, et la cause première de l’entrée du franchisé dans le réseau de franchise1211. Cependant, le paiement du droit d’entrée a également pour cause les divers services rendus par le franchiseur lors de l’installation du point de vente (soit l’assistance initiale1212), le matériel qu’il a fourni au franchisé (la ou les enseignes, le matériel ou «kit» publicitaire…), et la concession de droits sur la marque.

Parce qu’elle a pour contrepartie la transmission du savoir-faire, l’assistance initiale et la concession de droits sur la marque, l’obligation de payer le droit d’entrée est une obligation essentielle du contrat de franchise1213. Elle constitue l’un des critères distinguant fondamentalement la franchise1214 de la concession. Ainsi, une stipulation relative à un droit d’entrée peut être un indice tendant à la qualification de contrat de franchise1215; à l’inverse, l’absence de paiement du droit d’entrée peut exclure cette qualification1216, voire indiquer que le contrat n’a pas été formé1217, ou être un signe de l’indigence du savoir-faire1218. Une récente enquête réalisée par Franchise Magazine1219 a confirmé que 93,3 % des réseaux de franchise demandent le paiement d’un droit d’entrée. Par ailleurs, l’absence de droit d’entrée est souvent compensée, pour le franchiseur, par d’autres sources de rémunération.

287. Facteurs déterminants du montant du droit d’entrée – Le montant du droit d’entrée varie selon les réseaux. Le document d’information précontractuelle devant indiquer «la nature et le montant des dépenses et investissements spécifiques à l\’enseigne ou à la marque que la personne destinataire du projet de contrat engage avant de commencer l\’exploitation», le droit d’entrée doit y figurer. Il fait d’ailleurs partie des indications contenues dans les fiches des adhérents de la Fédération Française de la Franchise figurant sur le site Internet de cette organisation.

Plusieurs facteurs sont pris en compte pour déterminer le montant du droit d’entrée. Ils peuvent être répartis en trois catégories.

Les facteurs relevant directement des prestations fournies par le franchiseur:

– transmission du savoir-faire (remise de la bible du savoir-faire et des éventuels autres manuels, stage de formation initiale du franchiseur et de ses employés, etc.);

– fourniture de l’assistance initiale (aide à la recherche d’un point de vente, démarches administratives, présence d’un agent du franchisé dans le point de vente de ce dernier lors des premiers jours de l’installation1220, etc.);

– droits concédés sur la marque;

– fourniture du matériel (enseigne(s), matériel publicitaire…).

Les facteurs relevant du profit attendu par le franchisé:

– notoriété de la marque (celle-ci peut notamment dépendre de son ancienneté);

– nombre d’établissements exploités sous l’enseigne du réseau (ce qui est lié avec le facteur précédent, un grand nombre de magasins exploités sous la même enseigne et couvrant une plus grande partie du territoire permettant d’accroître la connaissance du réseau par le public);

– étendue de la zone d’exclusivité territoriale;

– emplacement, surface du magasin ou, s’agissant par exemple des chaînes hôtelières, nombre de chambres avec parfois un minimum, et s’agissant des stations service du nombre de pistes;

– métier choisi par le franchisé lorsque le réseau en propose plusieurs.

Les facteurs relevant de l’amortissement par le franchiseur des frais de création du réseau.

Le montant du droit d’entrée varie considérablement selon les secteurs, comme le montre le tableau suivant:

Secteur
Nombre d’enseignes
Moyenne

en €
Minimum
Maximum
Alimentaire
17
13 406
500
40 000
Automobile
15
14 682
2 436
40 000
Beauté
65
10 368
750
45 000
Habillement
24
12 950
4 000
45 000
Habitat
17
20 157
10 000
45 000
Loisirs
33
14 402
1 500
30 000
Maison
42
14 005
1 000
34 000
Restauration
34
28 135
5 100
50 000
Services
80
17 893
2 500
50 000
Total
327
16 222
500
50 000
(Source: Franchise Magazine février-mars 2008, n°204 p.1261221).

Lorsqu’un franchisé décide d’ouvrir un nouveau point de vente dans un autre emplacement, la partie du droit d’entrée correspondant à la transmission du savoir-faire n’a plus lieu d’être, celui-ci étant déjà connu du franchisé. Aussi les franchiseurs exigent-ils en pratique du franchisé exploitant déjà un établissement du réseau un droit d’entrée inférieur pour son nouveau point de vente1222.

La justification de l’obligation du franchisé de payer à nouveau le droit d’entrée lors du renouvellement de son contrat pose plus de difficultés. Certains auteurs vont jusqu’à exclure définitivement toute légitimité à cette pratique1223, alors que d’autres sont plus réservés1224. Ce procédé est en effet justifié si l’on considère que les droits concédés au franchisé au titre du droit d’entrée – et en particulier le droit d’utiliser le savoir-faire et les signes distinctifs du réseau – ne le sont que pour le temps déterminé au contrat (ce que tend à confirmer le fait que le franchisé doive cesser l’utilisation des signes distinctifs dès la cessation du contrat et que l’interdiction d’utiliser le savoir-faire après cette cessation soit le plus souvent stipulée1225): l’accord d’une nouvelle période pendant laquelle ces droits seront conférés justifie alors le nouveau paiement d’un droit d’entrée. Cependant, certaines prestations fournies par le franchiseur lors de la formation du premier contrat ne devront pas être de nouveau fournies: l’aide à la mise en œuvre du savoir-faire n’est plus nécessaire, le matériel nécessaire au démarrage est déjà remis et le point de vente est déjà installé. Le montant de la «redevance de renouvellement»1226 devrait donc en principe être significativement inférieur à celui du droit d’entrée initial; toutefois, elle peut se justifier si de nouveaux éléments complètent le savoir-faire initial.

Une autre analyse serait de considérer le paiement du droit d’entrée comme un complément du paiement des redevances. Dans ce cas, il pourrait s’analyser comme un supplément payé d’avance1227. Son paiement lors de chaque renouvellement serait alors justifié et, en contrepartie, il devrait être restitué en cas de résiliation du contrat. Néanmoins, la spécificité du droit d’entrée en matière de franchise, telle qu’elle est soulignée en jurisprudence, semble s’y opposer et semble davantage plaider pour l’analyse en termes de contrepartie du savoir-faire, qui ne serait justifiée lors d’un renouvellement que dans le cas d’un apport du franchiseur.

288. Moment du paiement du droit d’entrée – Le droit d’entrée est en principe remis au franchiseur au moment de la formation du contrat. Cependant, cette somme étant souvent importante, et s’ajoutant aux autres investissements du franchisé (qui comprennent notamment les travaux d’aménagement du point de vente), il est possible d’aménager contractuellement les modalités du paiement. Le contrat peut prévoir que ce paiement sera différé à l’ouverture du point de vente ou à une date postérieure définie par référence à ladite ouverture, que le droit d’entrée sera versé pour partie lors de la formation du contrat, et que le solde sera payé par tranches à l’échéance de tel et tel exercice. Les aménagements contractuels sont nombreux.

Dans certains réseaux, le droit d’entrée est remplacé par le versement d’une somme au terme du contrat, calculée proportionnellement au chiffre d’affaires réalisé par le franchisé. Le lien entre le droit d’entrée et ses contreparties est ainsi distendu: celles-ci ne sont plus directement facteurs de la détermination du montant dû, puisque celui-ci est fonction des résultats du franchisé. Cette pratique a pour but d’encourager les franchisés potentiels à intégrer le réseau, l’absence de paiement de droit d’entrée diminuant de façon importante l’investissement initial. Cependant, le montant de la somme due à l’expiration du contrat peut atteindre du fait de ce système un niveau très élevé1228.

2. Le paiement des redevances

a) Les types de redevance

289. Exécution successive – Le droit d’entrée rétribue les prestations fournies par le franchiseur dès la formation du contrat. Les redevances sont la contrepartie des obligations à exécution successive du franchiseur1229, et lui permettent de financer la réalisation des prestations dues au titre desdites obligations1230. De ce fait, le défaut de paiement des redevances peut être justifié si le franchiseur ne s’acquitte pas de ses obligations à exécution successive1231; l’inverse est également vrai1232. Cette exception d’inexécution est souvent soulevée par des franchisés désireux de s’affranchir du paiement des redevances, mais il y est fait échec dans de nombreux cas, le franchiseur ayant exécuté ses obligations1233 ou ayant commis des manquements dont la gravité ne suffisent pas à justifier le non-paiement des redevances1234.

On peut distinguer essentiellement trois types de redevances, qui apparaissent, selon le contrat, soit de façon distincte, soit confondues en une seule et même somme1235. Il a été jugé que lorsque les redevances étaient ainsi confondues, le franchiseur demeurait libre de leurs affectations, et n’était pas tenu de rester fidèle à une politique qu’il avait suivie pendant plusieurs années1236.

290. Redevance d’assistance – Comme son nom l’indique, la redevance d’assistance est la contrepartie de l’assistance fournie par le franchiseur au franchisé tout au long du contrat.

Les sommes ainsi perçues permettent de financer, d’une part, l’aide apportée aux franchisés, et, d’autre part, la recherche permettant de favoriser l’évolution et l’amélioration du savoir-faire1237. La redevance d’assistance, partie intégrante de la logique de la franchise, est donc une obligation essentielle du franchisé1238.

En revanche, ne font pas partie des prestations rémunérées par la redevance d’assistance les services qui, selon le contrat, ne sont pas – précisément – rendus au titre de l’assistance, mais qui peuvent être demandés par les franchisés au franchiseur en plus de l’aide prévue au contrat: ces services font l’objet d’une rémunération spéciale, qui s’ajoute aux redevances1239.

290. Redevance d’enseigne ou de marque – La redevance d’enseigne ou de marque rémunère le droit d’usage conféré par le franchiseur au franchisé sur ses signes distinctifs.

Dans de nombreux cas, les redevances d’assistance et d’enseigne sont confondues1240, par exemple sous la dénomination de «redevance de franchise»1241.

292. Redevance publicitaire – Le franchiseur ayant l’obligation de procéder à une publicité profitant à l’ensemble du réseau et développant la notoriété de celui-ci, il met à la charge des franchisés le paiement d’une redevance permettant de financer les campagnes publicitaires qu’il engage1242. Le fait que la redevance publicitaire soit la contrepartie de l’obligation de publicité n’autorise pas le franchiseur à cesser la publicité tout en ne sollicitant plus le paiement de ladite redevance, sans l’autorisation du franchisé, ce comportement constituant une modification unilatérale de l’économie du contrat1243.

Le contrat met souvent à la charge du franchisé, outre le paiement de la redevance publicitaire, l’affectation d’une part de son chiffre d’affaires à la publicité locale1244.

b) Le calcul des redevances

293. Méthodes de calcul – Les redevances1245 sont fixes ou variables; dans ce dernier cas, elles peuvent reposer sur deux sortes de calcul: elles sont proportionnelles ou forfaitaires1246. Le mode de calcul adopté doit impérativement rendre le montant des redevances déterminable au jour de leur exigibilité, à défaut de quoi le contrat sera déclaré nul sur le fondement de l’article 1129 du code civil1247.

294. Redevances fixes – Certains contrats prévoient une redevance fixe. C’est notamment le cas de certaines chaînes hôtelières qui, en parallèle d’un droit d’entrée déterminé en fonction du nombre de chambres exploitées, demandent le paiement d’une redevance fixe, qui dépend du même critère. Le même parallélisme se retrouve dans certains réseaux de stations-service, où la redevance, à l’instar du droit d’entrée, est fonction du nombre de pistes.

Ce type de redevance présente l’inconvénient d’être soumis aux fluctuations monétaires. Il est possible de d’affranchir de cet inconvénient en indexant la redevance déterminée dans le contrat. La redevance n’est donc plus absolument fixe, mais s’oppose aux deux autres types de redevances en ce sens qu’elles ne dépendent pas de l’activité du franchisé.

295. Redevance au forfait – La redevance au forfait est calculée en fonction du nombre de produits fabriqués (s’agissant de la franchise industrielle) ou vendus (s’agissant de la franchise de distribution), ou encore du nombre de contrats passés (s’agissant de la franchise de service): le contrat prévoit que le débiteur de l’obligation versera une somme définie par produit ou contrat.

Ce système présente le danger de faire dépendre la valeur des redevances des fluctuations monétaires. Cet inconvénient peut être évité par l’indexation de la somme due au franchiseur par produit ou par contrat. Malgré la possibilité de cet aménagement, ce système est rarement adopté par les franchiseurs.

296. Redevance proportionnelle – La redevance proportionnelle, très largement employée dans le cadre des contrats de franchise, est calculée en proportion d’une assiette1248, qui est le plus souvent le chiffre d’affaires hors taxe réalisé par le franchisé sur l’ensemble de son activité, ce qui permet aux parties d’échapper à l’imprévisibilité due à la variation des taxes. Dans la plupart des cas, le chiffre d’affaires pris en compte comprendra l’intégralité des activités du franchisé. Cependant, l’assiette peut être limitée à un certain domaine d’activités1249. Il a d’ailleurs été jugé que «le doute concernant l’interprétation à donner aux termes «chiffre d’affaires de l’établissement» devrait profiter au débiteur des redevances»1250. Quelle que soit l’assiette du calcul des redevances, le franchisé qui «manque de rigueur» dans la comptabilité de l’activité constituant ladite assiette engage sa responsabilité1251.

Le taux prévu par le contrat peut être fixe: quel que soit le chiffre d’affaires réalisé, le taux qui sera appliqué audit chiffre d’affaires restera le même. Ce système a pour défaut, dans certains cas, de décourager le franchisé et de l’inciter à être moins efficace, ce qui présente un net désavantage pour le franchiseur, d’autant plus que cette attitude peut se manifester chez l’ensemble des franchisés. C’est pourquoi il est conseillé de supprimer cet inconvénient par l’instauration de taux dégressifs par paliers: plus le chiffre d’affaires est élevé, plus le taux des redevances est bas. Le montant de ces paliers peut être indexés1252. Une variante consiste à accorder au franchisé qui a réalisé un chiffre d’affaires important une réduction lorsqu’il effectue des achats auprès du franchiseur1253. Enfin, il est possible de prévoir un plafond à la redevance.

Quel que soit le mode de calcul adopté, il peut être prévu au contrat une redevance minimale, qui préviendra le franchiseur contre les dangers des mauvais résultats du franchisé.

Ces différents facteurs, tels que le taux et la redevance minimale, varient considérablement d’un réseau à un autre, et d’un secteur à un autre, comme l’illustre le tableau ci-dessous1254:

Secteur
Nombre

d\’enseignes
Moyenne

en %
Min.
Max.
Alimentaire
4
3,36%
1,45%
5,00%
Services aux entreprises
7
10,29%
2,00%
18,00%
Services financiers
4
6,50%
5,00%
9,00%
Services aux particuliers
14
7,36%
3,00%
21,00%
Services particuliers et entreprises
11
5,95%
3,50%
9,00%
Dépôt vente / Cash
3
2,33%
2,25%
2,50%
Restauration classique
10
4,46%
2,00%
7,00%
Restauration rapide
18
6,28%
3,50%
12,50%
Immobilier
10
8,63%
2,75%
26,00%
Décoration
7
4,43%
0,50%
7,00%
Habitat
7
5,19%
3,00%
7,50%
Meubles
6
4,19%
2,00%
8,00%
Fleurs
6
5,50%
5,00%
6,00%
Loisirs
4
3,93%
2,70%
7,00%
Beauté
8
4,81%
2,00%
7,50%
Remise en forme
2
4,75%
3,50%
6,00%
Location de voitures
5
6,80%
6,00%
8,00%
Services automobiles
7
6,43%
1,05%
15,00%
Mode/prêt-à-porter
5
5,52%
2,00%
12,50%
Mode/

accessoires
4
4,25%
1,00%
8,00%
TOTAL
142
5,55%
0,50%
26,00%
c) Le paiement des redevances dans le temps

297. Périodicité du paiement – La date d’exigibilité et la périodicité de la redevance sont librement fixées par les parties. Toutes les hypothèses sont donc envisageables. En pratique, la plupart des contrats prévoient que l’obligation doit être exécutée mensuellement. Néanmoins, certains réseaux relèvent les redevances trimestriellement. Le franchisé doit s’acquitter spontanément de son obligation de payer les redevances à la date prévue au contrat1255.

298. Etalement de l’obligation dans le temps – L’obligation de payer les redevances, à l’instar de ses contreparties, est une obligation à exécution successive. En principe, elle est donc maintenue pendant toute la durée du contrat: elle commence dès le premier mois de l’exécution et ne prend fin qu’avec le contrat1256.

Il est cependant possible d’aménager ce principe, par exemple en prévoyant que le franchisé sera dispensé de verser une redevance pendant les premiers mois de l’exploitation de son point de vente, ou devra verser une redevance moindre que celle des années suivantes.

d) Le contrôle de l’exécution par lefranchisé de son obligation de payer les redevances

299. Modalités de contrôle – La redevance étant calculée le plus souvent en fonction du chiffre d’affaires du franchisé, qui n’est connu au cours de l’année – sauf stipulation contraire – que par ce dernier, le franchiseur s’expose à ce que le franchisé verse une redevance mensuelle ne correspondant pas à son chiffre d’affaires réel.

C’est pourquoi, dans le cadre de la redevance proportionnelle, il est indispensable pour le franchiseur de prévoir au contrat une clause faisant obligation au franchisé de communiquer très régulièrement son chiffre d’affaires, ce qui permettra au franchiseur de procéder lui-même au calcul des redevances et, le cas échéant, de prouver le montant de sa créance au titre des redevances impayées1257.

En cas de manquement à cette obligation de communiquer le chiffre d’affaires à l’échéance contractuellement prévue1258, ou de communication d’un chiffre d’affaires minoré1259, le franchisé engage sa responsabilité contractuelle.

B. Les obligations tenant à la réitération de la réussite1. Les obligations relevant du savoir-faire

a) Le respect du savoir-faire

300. Justification de l’obligation du respect du savoir-faire – L’exploitation par le franchisé du savoir-faire du franchiseur est la finalité première du contrat de franchise.

Les intérêts du réseau reposent par ailleurs en grande partie sur son homogénéité. En effet, la clientèle qui est attachée à une enseigne s’attend à retrouver dans chacun des points de vente qui l’arborent les mêmes prestations que celles qui l’ont séduite au premier abord, offertes dans des conditions identiques et revêtant une qualité semblable. Décevoir l’attente de la clientèle à cet égard pourrait avoir un effet désastreux pour le réseau qui, en perdant son homogénéité, perdrait son identité et ne représenterait plus, aux yeux des clients, une garantie de qualité1260. Aussi la bible comporte-t-elle souvent un cahier des charges1261, que l’on préfère détaillé.

La mise en œuvre du savoir-faire dans sa totalité est donc non seulement un droit pour le franchisé, mais également une obligation1262: en s’affranchissant du respect du concept, le franchisé commettrait une faute contractuelle, et porterait préjudice non seulement au franchiseur, mais à l’ensemble du réseau1263. En outre, la réitération de la réussite reposant sur le respect du savoir-faire, elle risquerait d’échapper au franchisé récalcitrant1264. Le franchisé est donc tenu au premier chef de respecter les méthodes commerciales qui lui ont été communiquées: techniques d’achat et de vente, techniques de gestion, etc.

De plus, le franchisé doit respecter les normes concernant l’aménagement intérieur et parfois extérieur des locaux, ainsi que la présentation et de la qualité des produits1265, voire l’ambiance sonore du magasin afin de «garantir une présentation uniforme répondant à certaines exigences», selon les termes de l’arrêt Pronuptia1266. De même, le cahier des charges peut imposer la tenue vestimentaire des employés du franchisé, et la conduite à tenir vis-à-vis de la clientèle. Le point de vente est ainsi reconnu par ladite clientèle comme appartenant au réseau au premier coup d’œil, quel que soit la ville, ou même le pays, où il est situé1267.

301. Renonciation – La renonciation du franchiseur à se prévaloir de la faute contractuelle commise par le franchisé qui ne respecte pas les normes du réseau ne saurait être implicite. Ainsi, il a été jugé que le franchiseur pouvait se prévaloir des manquements d’un franchisé au respect du concept jusqu’à la signification par celui-ci de la résiliation du contrat dans le cadre d’une demande reconventionnelle, même si ces manquements avaient pu être constatés par la visite effectuée par les agents du franchiseur dans l’établissement dudit franchisé sans réaction postérieure du franchiseur1268. De même, le fait d’avoir perçu les redevances sur la totalité du chiffre d’affaires, comprenant la commercialisation de produits non référencés par le franchiseur, ne constitue pas de la part ce celui-ci une acceptation de la vente par le franchisé desdits produits1269, ce qui n’est pas non plus le cas du fait que certains franchisés commercialisent certains produits dont il n’est pas certain qu’ils soient référencés1270.

302. Soumission au contrôle – Le respect du savoir-faire par le franchisé a pour corollaire celui du contrôle opéré par le franchiseur; ainsi qu’il l’a été exposé précédemment1271, ce contrôle constitue l’une des obligations essentielles de ce dernier.

Réciproquement, le franchisé a l’obligation de se soumettre au contrôle du franchiseur1272, et de tenir compte des observations de ce dernier s’il a découvert des anomalies dans l’exploitation de l’établissement du franchisé. Il serait en effet vain d’imposer une obligation de respect du savoir-faire au franchisé si celui-ci pouvait s’opposer à un tel contrôle. Le contrat de franchise prévoit en général la sanction du franchisé qui ne tient pas compte des rappels à l’ordre du franchiseur, cette sanction étant souvent la résiliation du contrat.

Ce contrôle se manifeste principalement de deux façons: les visites de contrôle effectuées – ouvertement ou anonymement – par les préposés du franchiseur, et le contrôle effectué sur la comptabilité du franchisé, qui doit être communiquée au franchiseur.

b) La mise en œuvre des mises à jour du savoir-faire définies par le franchiseur

303. Justification – L’obligation du franchisé de mettre en œuvre le savoir-faire1273 s’étend à l’ingralité du concept, et en particulier aux mises à jour effectuées par le franchiseur, afin d’adapter le procédé à l’évolution des technologies, des exigences de la clientèle et de la concurrence.

En effet, et ainsi qu’il l’a été exposé précédemment1274, l’évolution du savoir-faire a pour but l’amélioration du concept, et la conservation – voire le progrès – de la compétitivité du réseau; dans ces conditions, le franchisé ne peut se dispenser d’en tenir compte sans, d’une part, s’exposer à une diminution de son chiffre d’affaires, assiette des redevances proportionnelles – ce qui nuirait tant à lui-même qu’au franchiseur – et d’autre part, à porter atteinte à la notoriété du réseau, qui non seulement perdrait en homogénéité, mais encore présenterait, à travers l’établissement du franchisé, une vitrine surannée1275.

304. Conséquences du non-respect de l’obligation – Le franchisé qui ne met pas en application les mises à jour qui lui sont communiquées commet une faute contractuelle; il ne peut se contenter de ne respecter que partiellement l’évolution du savoir-faire: il a été jugé que commettait une faute le franchisé mélangeant le nouveau concept à l’ancien1276.

A fortiori, ce même franchisé ne peut reprocher au franchiseur le défaut de transmission des évolutions du concept, lorsqu’il a lui-même refusé de participer aux stages qui lui étaient proposés1277.

305. Participation du franchisé à l’évolution du savoir-faire – Le franchisé, tout en respectant le savoir-faire qui lui est communiqué par le franchiseur, peut être amené à découvrir des perfectionnements qui pourraient lui être apportés. A l’obligation essentielle de mettre en œuvre les mises à jour du savoir-faire élaborées par le franchiseur peut alors être ajoutée contractuellement (par une clause dite de «perfectionnement» ou de «feed back») celle de faire bénéficier le franchiseur – et par là le réseau – des améliorations découvertes par le franchisé lui-même, renforçant ainsi l’idée de collaboration qui préside au contrat de franchise1278.

Il est utile que la clause de perfectionnement définisse l’étendue des droits acquis par le franchiseur à cette occasion, et celle de ceux conservés par le franchisé1279. La clause, qui confère au franchiseur le droit d’utiliser et de transmettre aux autres franchisés lesdites améliorations, peut ainsi prévoir que le franchiseur conservera ce droit même après la cessation du contrat, et que le franchisé pourra également (ou non) exploiter ces idées pendant la période post-contractuelle (dans la mesure où ces modifications sont dissociables du savoir-faire lui-même).

La clause pourra par ailleurs préciser le caractère exclusif (ou non) de la licence ainsi accordée au franchiseur. Une difficulté peut se présenter à cet égard, lorsque le contrat entre dans le champ d’application du droit communautaire. En effet, les clauses imposant au franchisé de concéder au franchiseur une licence pour les améliorations du savoir-faire ne sont présumées être exemptées, selon les Lignes directrices sur les restrictions verticales, que dans la mesure où elles ne prévoient pas une licence exclusive1280. Cependant, si l’amélioration découverte par le franchisé n’est pas dissociable du savoir-faire lui-même, le franchisé ne pourra pas la révéler aux tiers sans violer l’obligation de confidentialité qui pèse sur lui1281.

Enfin, le contrat pourra décider de la partie à laquelle incombera la charge des frais de recherche1282, et éventuellement la rétribution du franchisé qui a fait bénéficier le réseau de ses idées.

c) L’obligation de confidentialité

306. Caractère essentiel de la confidentialité en matière de franchise – Le procédé de la franchise repose en grande partie sur la communication par le franchiseur au franchisé d’un savoir-faire qui, par définition, n’est pas aisément accessible, et se détache des règles de l’art. S’il est connu ou facilement accessible à tous, le concept transmis n’est pas un savoir-faire, et le contrat de franchise peut être annulé pour absence de cause1283 ou éventuellement requalifié1284.

Pour que le savoir-faire transmis continue à apporter aux franchisés un avantage concurrentiel, il doit demeurer hors de la sphère des connaissances facilement accessibles. Ceci est encore nécessaire pour attirer de nouveaux candidats franchisés et développer le réseau. Aussi le franchisé doit-il conserver le secret du savoir-faire qui lui est communiqué, et ne pas le transmettre à des personnes étrangères au réseau: l’obligation de confidentialité mise à sa charge est de l’essence du contrat de franchise1285.

307. Confidentialité en présence d’une clause spécifique – Les parties peuvent prévoir, ce qui est fréquent en pratique, une clause de confidentialité au sein du contrat de franchise1286.

Cette clause aménage le cadre de l’obligation de confidentialité; elle précise notamment la durée pour laquelle cette obligation est prévue, et les personnes tenues par l’obligation de confidentialité. Il est en effet important que les employés du franchisé conservent la confidentialité du savoir-faire transmis, ou des éléments de ce concept auxquels ils ont accès. Les salariés du franchisé n’étant pas parties au contrat de franchise, ledit contrat ne pourra faire peser aucune obligation sur eux. Aussi est-il utile de prévoir que le franchisé se porte fort, au sens de l’article 1120 du code civil, de la conservation du secret par ses employés. La responsabilité contractuelle du franchisé pourra ainsi être engagée en cas de divulgation opérée par ses employés. Le franchiseur pourra à son tour agir à l’encontre de l’employé indélicat.

De telles clauses sont valables au regard du droit communautaire. En effet, l’arrêt Pronuptia1287 précisait déjà que «ne constitu[ai]ent pas des restrictions de la concurrence au sens de l’article 85, paragraphe 1» les clauses permettant au franchiseur de «communiquer aux franchisés son savoir-faire et leur apporter l\’assistance voulue pour les mettre en mesure d\’appliquer ses méthodes, sans risquer que ce savoir-faire et cette assistance profitent, ne serait-ce qu\’indirectement, à des concurrents». Le règlement n°4087/88 du 30 novembre 1988 prévoyait que l’obligation mise à la charge du franchisé de «ne pas divulguer le savoir-faire fourni par le franchiseur», qui pouvait être imposée après l’expiration de l’accord, ne faisait pas perdre au contrat qui la contenait le bénéfice de l’exemption. LesLignes directrices sur les restrictions verticales indiquent que «l\’obligation pour le franchisé de ne pas divulguer à des tiers le savoir-faire fourni par le franchiseur aussi longtemps que ce savoir-faire n\’est pas tombé dans le domaine public» est couverte par le règlement d’exemption de 1999.

308. Confidentialité en l’absence de clause spécifique – La confidentialité s’impose au franchisé alors même qu’aucune clause ne l’impose expressément1288. En effet, étant essentielle à la conservation des intérêts des parties et du réseau1289, elle ressort de l’exécution de bonne foi du contrat de franchise1290.

2. Les obligations tenant à la marque et à l’enseigne

a) L’utilisation de la marque et de l’enseigne

309. Justification de l’obligation – Il semble a priori absurde que le franchisé qui paye entre autres pour avoir le droit d’exploiter son point de vente sous l’enseigne du franchiseur et en utilisant sa marque, et bénéficier de ce fait de la clientèle attachée à ces signes, puisse être tenté de renoncer à cette faculté. Aussi est-ce, en pratique, après une période plus ou moins longue d’exécution du contrat – et non dès le début de l’exploitation – que certains franchisés se défont de l’enseigne ou cessent d’utiliser la marque, ce qui manifeste leur intention de quitter le réseau1291.

Or, l’emploi de ces signes de ralliement de la clientèle, tout comme celui du savoir-faire, ne se résume pas à un droit pour le franchisé: il s’agit également de l’une de ses obligations essentielles. L’utilisation de ces signes par le franchisé ne lui bénéficie pas exclusivement: le franchiseur et l’ensemble du réseau y ont un intérêt. En effet, l’abandon des signes de ralliement dela clientèle par le franchisé est susceptible d’entraîner la diminution de son chiffre d’affaires1292, lequel est dans de nombreux cas l’assiette des redevances versées au franchiseur. De plus, il entraîne directement la diminution du nombre d’établissements exploités sous l’enseigne du réseau, et donc les chances de celui-ci d’être connu par une large clientèle.

310. Modalités d’emploi des signes distinctifs – Le contrat de franchise définit les modalités de l’obligation d’employer la marque et l’enseigne: il indique par exemple les documents et le matériel sur lesquels elle devra être apposée, et impose au franchisé de maintenir les supports de la marque et l’enseigne en bon état.

En revanche, le franchisé ne pourra employer l’enseigne ou la marque au sein de sa raison sociale. De plus, la marque ne peut être employée que dans le cadre de l’activité concernée par la franchise, ce qu’il est prudent de rappeler dans le contrat.

Par ailleurs, le franchisé ne pourra modifier la marque: celle-ci doit rester parfaitement identique à celle dont l’usage lui est concédé par le franchiseur1293.

311. Conséquence de l’abandon des signes distinctifs par le franchisé – Le franchisé qui cesse d’utiliser la marque et l’enseigne engage sa responsabilité contractuelle.

De plus, le dépôt de l’enseigne marque en réalité la volonté du franchisé de quitter le réseau1294 et, interprété comme tel, peut caractériser la résiliation unilatérale du contrat par le franchisé, souvent en violation des stipulation ou de l’obligation générale de bonne foi contractuelle et entraîner tous les risques inhérents à ce type de résiliation1295.

b) L’obligation de publicité

312. Complémentarité avec la publicité effectuée par le franchiseur – Si le franchiseur organise la publicité du réseau au niveau national, il appartient au franchisé de développer la notoriété de celui-ci au niveau local, en développant lui-même la publicité audit niveau1296.

Dans le cadre des master-franchises, les parties définissent contractuellement les charges respectives en matière de publicité. Pour des raisons pratiques, et notamment la meilleure connaissance du pays d’implantation et des goûts de ses habitants par le master-franchisé, il est logique que ce soit ce dernier qui effectue la publicité au niveau national, dans ledit pays sous le contrôle du master-franchiseur, à charge pour les sous-franchisés de procéder à la publicité locale, sous le contrôle, cette fois, du master-franchisé lui-même1297.

313. Financement de la publicité effectuée par le franchisé – Dans la plupart des cas, le franchisé s’engage, au sein du contrat de franchise, à consacrer un pourcentage défini de son chiffre d’affaires à la publicité locale. Ce pourcentage, tout comme le droit d’entrée et les redevances, varie d’un réseau à l’autre.

314. Normes en matière de publicité effectuée par le franchisé – L’exigence de l’homogénéité du réseau se manifeste encore fortement en matière de publicité. En effet, constituant un outil essentiel de communication avec la clientèle, la publicité doit présenter un visage uni sur tout le territoire couvert par le réseau1298. Aussi le franchiseur définit-il des normes en matière de publicité comme en matière de savoir-faire, afin que la réclame faite par le franchisé soit en harmonie avec celle à laquelle il procède lui-même, et avec celle effectuée par les autres franchisés1299. Il n’est d’ailleurs pas rare que le franchiseur fournisse, au titre de l’assistance initiale, une formation1300 et/ou un matériel publicitaire1301.

Le franchiseur contrôle le respect des normes qu’il fixe: le contrat prévoit souvent que le franchisé doit soumettre toute publicité qu’il envisage de mener à l’accord du franchiseur. Ce contrôle n’est pas restrictif de concurrence au sens du droit européen. En effet, l’arrêt Pronuptia1302, par lequel la Cour de justice des communautés européennes a affirmé que «les clauses qui organisent le contrôle indispensable [à préserver l’identité et la réputation du réseau] ne constituent pas (…) des restrictions de la concurrence au sens de l\’article 85, paragraphe 1», a précisé à ce titre:«comme la publicité contribue à déterminer l\’image qu\’a le public du signe symbolisant le réseau, la clause qui subordonne toute publicité du franchisé à l\’assentiment du franchiseur est également indispensable à la préservation de l\’identité du réseau, pourvu qu\’elle ne concerne que la nature de la publicité». La Commission a adopté solution voisine1303.

c) La défense de la marque et de l’enseigne

315. Obligation d’avertir le franchiseur de l’utilisation des signes distinctifs par un tiers – La défense des signes distinctifs du réseau relève de l’intérêt du franchiseur comme du franchisé. Il s’agit de l’un des points de «la rencontre heureuse de deux égoïsmes» qui se manifeste dans le contrat de franchise1304. Les parties collaborent dans cette défense à l’égard des tiers.

Aussi le contrat peut-il mettre à la charge du franchisé l’obligation d’avertir le franchiseur de toute atteinte aux signes distinctifs dont il a connaissance1305. Les clauses qui imposent une telle obligation au franchisé,ainsi que celles prévoyant l’obligation pour le franchisé «d\’assister le franchiseur dans une action en justice engagée contre un contrefacteur», sont couvertes par le règlement de 1999, selon les lignes directrices sur les restrictions verticales1306, étant considérées comme nécessaires à la protection des droits de propriété intellectuelle.

En raison de l’esprit de collaboration qui préside au contrat de franchise, il semble que, même en l’absence d’une clause expresse imposant en ce sens, l’obligation d’avertir le franchiseur de l’atteinte faite par les tiers à la marque pèse sur le franchisé, au titre de l’obligation générale de bonne foi contractuelle.

316. Action du franchisé à l’encontre du tiers portant atteinte aux signes distinctifs – Il a été jugé que « lelicencié d\’une marque, qui ne dispose pas personnellement d\’un droit privatif sur le titre de propriété industrielle, est recevable à agir en concurrence déloyale et parasitaire, peu important que les éléments sur lesquels il fonde la demande soient les mêmes que ceux que le titulaire de la marque aurait pu opposer»1307.

En revanche, le franchisé n’étant pas licencié exclusif de la marque, il ne peut agir en contrefaçon sur le fondement de l’article L. 716-5 du code de la propriété intellectuelle1308. Les Lignes directrices sur les restrictions verticales du 13 octobre 2000 indiquent que la clause qui fait obligation au franchisé d’agir à l’encontre du contrefacteur est couverte par le règlement d’exemption1309.

II. Les obligations communément mises à la charge du franchisé317. Présentation – Outre les obligations précitées qui relèvent de la nature même du contrat de franchise, il est possible de mettre à la charge du franchisé d’autres devoirs, dont certains s’avèrent même extrêmement fréquents en la matière. C’est notamment le cas, dans le cadre de tous les types de franchise, des clauses d’exclusivité. Sont également fréquentes, particulièrement dans l’hypothèse de la franchise de distribution, certaines obligations relatives à la vente.

A. Les obligations d’exclusivité1. L’exclusivité d’approvisionnement

318. Présentation de la clause d’approvisionnement exclusif – La clause d’approvisionnement exclusif impose au franchisé de ne s’approvisionner, s’agissant de produits définis, qu’auprès du franchiseur ou de l’une de ses filiales, ou encore auprès de fournisseurs référencés.

Dans certaines hypothèses, le franchisé n’est tenu de s’approvisionner auprès desdits fournisseurs qu’à hauteur d’un pourcentage de ses achats défini au contrat. On parle parfois, s’agissant de pourcentages élevés, de clause d’approvisionnement quasi-exclusif. Le contrat peut également imposer au franchisé d’acquérir auprès du franchiseur une quantité minimale de marchandise1310 ou pour un montant défini calculé par rapport au chiffre d’affaires de l’exercice précédent1311.

Lorsque l’exclusivité est prévue au profit de fournisseurs référencés, il est possible de prévoir une clause permettant au franchisé de suggérer un nouveau fournisseur au franchiseur, qui l’inscrira au nombre des fournisseurs référencés s’il rempli les conditions de qualité et éventuellement de prix exigés1312.

Rappelons que l’existence d’une clause d’approvisionnement exclusif au sein d’un contrat de franchise entraîne l’obligation pour le franchiseur de donner à son cocontractant l’information précontractuelle prévue par les articles L. 330-3 et R.330-1 du code de commerce1313.

a) Validité de la clause

319. Rédaction de la clause d’approvisionnement exclusif – Il n’existe pas, en droit français ou en droit communautaire, de texte interdisant, par principe, la clause d’approvisionnement exclusif.

Cependant, la clause d’approvisionnement exclusif constitue une restriction verticale à la liberté de la concurrence. A ce titre, sa validité est soumise aux conditions posées par le droit interne ou communautaire de la concurrence, lorsque l’accord ainsi conclu revêt une importance suffisante pour entrer dans le champ d’application de l’un ou de l’autre de ces deux corps de règles.

Aussi est-il crucial, lors de la rédaction du contrat de franchise, de déterminer si l’accord entre dans l’un desdits champs d’application et, dans l’affirmative, de respecter les conditions de validité posées par le droit applicable1314.

En effet, le non respect de ces modalités est susceptible d’entraîner non seulement la nullité de la clause, mais également celle de l’ensemble du contrat si dans l’esprit des parties – ce qui sera très souvent le cas, notamment dans le cadre des franchises de distribution – cette clause est l’une des causes essentielles dudit contrat.

320. Durée de la clause – Par ailleurs, la durée de la clause est limitée à dix ans en vertu de l’article L. 330-1 du code de commerce1315. L’obligation d’approvisionnement exclusif d’une durée supérieure à dix ans n’est pas nulle mais valable pendant dix ans et caduque au delà de cette période1316. Lorsque l’exclusivité est la cause de l’engagement des parties, la convention devient également caduque dans les mêmes conditions1317.

b) Obligations du franchisé nées de la clause d’approvisionnement exclusif

321. Obligation de s’approvisionner auprès de personnes définies par le contrat – Le franchisé qui viole une clause d’approvisionnement exclusif ou quasi-exclusif engage sa responsabilité contractuelle à l’égard du franchiseur.

Cette faute peut justifier la résiliation du contrat1318, peu important que le franchiseur ne se soit pas prévalu de cette faute à l’époque où elle a été commise1319.

322. Obligation de payer les produits fournis – Si, comme on l’a vu1320, le franchiseur a l’obligation d’approvisionner le franchisé, celui-ci est en contrepartie tenu de payer le prix des marchandises1321.

La question du domaine d’application de l’exception d’inexécution a cependant posé avec plus d’acuité ce problème en jurisprudence. Ainsi, certaines décisions montrent qu’une confusion s’opère parfois dans l’esprit des franchisés qui, estimant que le franchiseur ne leur fournit pas l’assistance qui leur est due, cessent de payer les marchandises qui leur sont livrées. Ils invoquent alors l’exception d’inexécution, qui permet à chaque partie contractante de refuser d’exécuter ses engagements tant que l’autre partie n’a pas procédé à l’exécution des siens. Toutefois, cette voie de justice privée ne s’applique pas, en principe, à des obligations nées de conventions différentes, même conclues entre des parties identiques1322. Or, le paiement du prix de ces produits par le franchisé découle d’un contrat distinct de celui qui impose l’obligation d’assistance au franchiseur. En principe, la carence du franchiseur en la matière ne peut donc fonder une exception d’inexécution que pour le manquement à l’obligation du franchisé de payer ses redevances et non les marchandises qui lui sont livrées1323.

Un arrêt rendu par la Chambre commerciale de la Cour de cassation le 12 juillet 2005 par lequel le juge a estimé «qu\’abstraction faite du motif erroné pris de ce que l\’exception d\’inexécution ne peut être opposée que pour des obligations nées d\’un même contrat, alors que l\’inexécution d\’une convention peut être justifiée, si le cocontractant n\’a lui-même pas satisfait à une obligation contractuelle, même découlant d\’une convention distincte, dès lors que l\’exécution de cette dernière est liée à celle de la première, la cour d\’appel a exactement caractérisé l\’absence d\’un lien de cette nature entre les obligations résultant du contrat de franchise, d\’une part, et celles découlant des ventes conclues entre les parties à ce contrat, d\’autre part, en relevant que l\’obligation de payer le prix d\’une marchandise n\’est pas la contrepartie de la bonne exécution du contrat de franchise, mais seulement celle de la délivrance d\’une chose conforme à la commande en exécution du contrat de vente»1324 a cependant pu créer une certaine incertitude. Cet arrêt consacre expressément le jeu de l’exception d’inexécution dans les ensembles contractuels. Toutefois, la solution est difficile à justifier; sur quel fondement la Cour décide-t-elle de rejeter en l’espèce son application? Il semble en effet difficile de ne pas admettre ici qu’il existe un ensemble contractuel. Par conséquent, soit elle consacre en réalité le principe antérieur et réaffirme que l’exception d’inexécution ne peut jouer entre deux obligations nées de conventions distinctes, soit elle déplace le raisonnement sur le terrain de la preuve, les parties devant expressément caractériser l’indivisibilité entre les deux conventions. La solution semble toutefois sévère et laisse un sentiment d’incertitude. .

2. L’obligation de non-concurrence

323. Avertissement – Une clause de non-concurrence post-contractuelle est souvent stipulée au sein des contrats de franchise. Ce type de clause, qui soulève des questions particulières, sera examiné au chapitre relatif aux relations post-contractuelles. Ne sont traitées ici que les clauses de non-concurrence applicables pendant la durée du contrat1325.

324. Fonction de la clause de non-concurrence – La clause de non-concurrence, fréquemment prévue dans les contrats de franchise, a pour but de protéger le savoir-faire du franchiseur: il s’agit d’éviter que le franchisé n’emploie ce savoir-faire pour faire fructifier une activité concurrente. Aussi une partie de la doctrine estime-t-elle que l’obligation de non-concurrence s’impose alors même qu’aucune clause ne serait prévue en ce sens1326.

Dans le cas fréquent où le franchisé est une société, il est prudent d’étendre l’obligation de non-concurrence au moins aux dirigeants de cette société, voire à certains ou à l’ensemble de ses associés, ceux-ci s’engageant à ne pas participer directement ou indirectement à une activité concurrente de celle du réseau de franchise. Une telle précaution a pour but d’éviter que le dirigeant ou l’associé de la société franchisée, dont la personne ne se confond pas avec ladite société, seule liée par l’obligation de non-concurrence, ne s’adonne impunément à une activité concurrente de celle du réseau, soit directement, soit par l’intermédiaire d’une société distincte de la société franchisée.

La Chambre commerciale de la Cour de cassation a en effet jugé que les associés et dirigeants d’une société concessionnaire exclusive liée par une clause de non-concurrence au concédant pouvaient fonder une nouvelle société exerçant une activité concurrente de celle de la première, les deux sociétés constituant «deux personnes morales distinctes l\’une de l\’autre, dont chacune était en outre distincte des personnes physiques de ses associés et dirigeants, qui n\’étaient pas débiteurs, à titre personnel, de l\’obligation de non-concurrence, dont seule était débitrice la société [concessionnaire]»1327.

Des circonstances particulières peuvent néanmoins conduire les juridictions à considérer que l’obligation de non concurrence mise à la charge d’une société s’étend à ses associés ou à ses dirigeants. Ainsi en a-t-il été jugé, s’agissant d’une obligation de non-concurrence souscrite par une EURL dans le cadre d’une cession de fonds de commerce, «en raison de la nature juridique et de la structure» de ce type d’entreprise, d’autant plus que le dirigeant était venu aux droits de cette société au moment de la dissolution de celle-ci, effectuée à son seul profit1328. Il a en outre été constaté, dans une affaire concernant également la cession d’un fonds de commerce, que les parties avaient nécessairement souhaité étendre l’obligation de non-concurrence au dirigeant de la société qui exploitait le fonds, eu égard à la personnalité du dirigeant (qui avait par ailleurs représenté la société lors de la signature de l’acte)1329.

325. Validité de la clause de non-concurrence – Lorsque le contrat concerné entre dans le champ d’application de l’article 81 du traité instituant la Communauté européenne1330, certaines obligations mises à la charge du franchisé figurent parmi celles qui, selon le point n°44 des lignes directrices sur les restrictions verticales, «sont généralement considérées comme nécessaires à la protection des DPI du franchiseur et (…) également couvertes par le règlement d\’exemption par catégorie». Il en va ainsi de l’obligation «de ne pas exercer, directement ou indirectement, une activité commerciale similaire» et de celle par laquelle le franchisé s’engage à «ne pas acquérir, dans le capital d\’une entreprise concurrente, des participations financières qui lui donneraient le pouvoir d\’influencer le comportement économique d\’une telle entreprise». Aussi la question de la validité de ce type de clause est-elle plus sensible lorsque l’obligation de non-concurrence se poursuit après l’expiration du contrat de franchise.

B. Les obligations relatives à la vente1. Les obligations tenant aux prix pratiqués par le franchisé

326. Prix imposés et prix conseillés – Le contrat peut prévoir des obligations relatives au prix de revente qui doit être pratiqué par le franchisé. Cependant, ces obligations doivent être limitées, faute de quoi le contrat encourt la nullité: les prix minima imposés sont prohibés; seuls sont autorisés les prix maxima imposés et les prix conseillés1331.

2. Les obligations relatives à la vente sur Internet

a) La validité des obligations relatives à la vente sur Internet mises à la charge du franchisé

327. Droit de la concurrence – La limitation des droits du franchisé dans le cadre de la commercialisation des biens ou services objets de la franchise est susceptible d’entrer en conflit avec les principes du droit de la concurrence. La validité d’une clause imposant une telle limitation est soumise à la réunion de certaines conditions lorsque le contrat qui la contient entre dans le champ d’application du droit interne ou du droit communautaire de la concurrence1332.

b) Le nom de domaine du site du franchisé

328. Définition et régime du nom de domaine – Le nom de domaine n’a pas fait l’objet d’une définition juridique1333. Il peut être décrit comme «l\’ensemble des caractères qui, s\’inscrivant dans un domaine, permettent de dénommer un serveur web, un serveur de messagerie électronique, etc.»1334. Le nom de domaine comprend un domaine de premier niveau (.fr, .com., .org., etc.)1335 et un domaine de second niveau qui correspond aux caractères situés à gauche du nom de premier niveau1336, appelé le radical.

Le nom de domaine de premier niveau est attribué par un registre agréé, selon le cas, par l’ICANN1337, par d’autres organismes auxquels la fonction d’agrément a été déléguée par l’ICANN, ou par les Etats dont le territoire correspond à la zone géographique désignée par le nom de domaine de premier niveau (.fr pour la France). L’article L. 45 du code des postes et communications électroniques1338 précise les modalités de désignation des registres chargés de l’attribution des noms de domaine correspondant à la zone .fr, désormais dénommés «offices d\’enregistrement»1339.

Le nom de deuxième niveau est, sous quelques réserves1340, librement composé par la personne qui en demande l’attribution. L’attribution du nom de domaine obéit à la règle du «premier arrivé, premier servi». Par ailleurs, chaque nom de domaine devant être unique, l’attribution d’un nom de domaine le rend indisponible pour toute personne en demandant ultérieurement l’attribution: le «premier arrivé» est donc non seulement «premier servi», mais également «seul servi»1341. Une application rigoureuse de la règle «premier arrivé premier servi» a favorisé la pratique du «cybersquatting», qui consiste, pour une personne ne détenant aucun droit sur une marque, à obtenir l’attribution d’un nom de domaine correspondant à l’intitulé de cette marque, provoquant ainsi une confusion dans l’esprit des utilisateurs d’Internet, et faisant obstacle à l’attribution du même nom au titulaire de la marque. Suite aux nombreuses actions des titulaires de marques1342, la jurisprudence considère désormais que le titulaire d’une marque, sur le fondement du droit des marques, peut s’opposer à l’enregistrement et l’utilisation d’un nom de domaine portant atteinte à ses droits1343.

Indépendamment du droit des marques, les nouveaux articles R.20-44-34 et suivants du code des postes et des communications électroniques issus du décret n°2007-162 du 6 février 20071344 sont venus préciser les règles d’attribution des noms de domaine pour la zone .fr, dans le but de faire obstacle à cette pratique. Désormais, «un nom identique ou susceptible d\’être confondu avec un nom sur lequel est conféré un droit de propriété intellectuelle par les règles nationales ou communautaires ou par le présent code ne peut être choisi pour nom de domaine, sauf si le demandeur a un droit ou un intérêt légitime à faire valoir sur ce nom et agit de bonne foi»1345. Il faut donc être en mesure de justifier de droits sur une marque pour demander l’attribution d’un nom de domaine correspondant à l’intitulé de cette marque: la vérification des droits est faite antérieurement à l’attribution du nom de domaine, et non plus postérieurement, comme c’était le cas avant l’entrée en vigueur du décret n°2007-162 du 6 février 2007.

329. Difficultés dues à l’utilisation par le franchisé de la marque comme nom de domaine – En matière de contrats de franchise, un conflit est susceptible de surgir entre le franchiseur et le franchisé, lorsque ce dernier crée un site en employant comme nom de domaine la marque du réseau, interdisant, de ce fait, à son cocontractant de créer son propre site ou le site du réseau sous le même nom.

On a pu s’interroger en pareil cas sur la possibilité pour le franchiseur d’agir en contrefaçon à l’encontre du franchisé. En effet, le choix de l’intitulé d’une marque comme nom de domaine par une personne ne détenant aucun droit sur cette marque constitue une contrefaçon lorsque le site ainsi désigné et la marque reproduite correspondent à la même activité1346. Cependant, le franchisé est par définition titulaire de droits sur la marque du franchiseur1347; reste à déterminer si ces droits comprennent celui d’utiliser la marque du réseau comme nom de domaine. Une affaire concernant un contrat de distribution illustre l’incertitude régnant en la matière: alors que la juridiction de premier degré1348 avait considéré que le distributeur s’était rendu coupable de contrefaçon, de parasitisme et de concurrence déloyale en reproduisant la marque dans son nom de domaine, au motif que le droit concédé aux distributeurs était «un simple droit d’utilisation accordé à titre précaire», la juridiction d’appel1349, tout en relevant que l’autorisation d’utiliser la marque conférée au distributeur avait des contours incertains, avait déduit du comportement des parties (concertation des parties lors de l’élaboration du site, participation du titulaire de la marque au financement de celui-ci, tolérance du titulaire pendant plus d’un an…) qu’un accord particulier était intervenu entre elles, autorisant le distributeur à employer le nom de domaine litigieux.

Depuis l’entrée en vigueur du nouvel article R.20-44-45 du code des postes et des communications électroniques, le demandeur d’un nom de domaine reproduisant une marque doit – s’agissant de la zone .fr – justifier d’un droit sur cette marque ou d’un intérêt légitime sur le nom employé. La logique voudrait que l’attribution d’un tel nom de domaine soit réservée au titulaire de la marque, faute de quoi le décret serait partiellement vidé de sa substance. Cependant, le texte ne précise pas l’ampleur du droit dont doit disposer le demandeur du nom de domaine. Aussi l’attitude qu’adopteront les offices d’enregistrement à l’égard d’un franchisé titulaire d’un droit sur la marque dont l’étendue est imprécise semble-t-elle incertaine à l’heure actuelle1350.

330. Prévention des difficultés – L’enregistrement de la marque dans la classe 381351 ne permet pas de s’opposer à son utilisation par autrui comme nom de domaine, mais seulement à son utilisation dans le cadre des produits ou services ayant pour objet les télécommunications1352.

Il convient donc de stipuler précisément dans chaque contrat de franchise l’étendue des droits conférés au franchisé sur la marque du réseau, et d’exclure expressément – ou, éventuellement, d’inclure – la possibilité pour le franchisé d’utiliser la marque au sein du nom de domaine de son site Internet.

3. Les clauses d’objectif

331. Présentation des clauses d’objectif – Par la clause d’objectif, le franchisé s’engage à atteindre un résultat défini par avance par les parties; il est ainsi possible de prévoir l’obligation pour le franchisé de réaliser un chiffre d’affaires évoluant progressivement d’année en année. L’objectif à atteindre peut également s’exprimer en pénétration du marché(le franchisé s’engage alors à occuper un pourcentage défini du marché concerné) ou encore en un pourcentage défini par rapport à l’activité totale du franchisé (le franchisé s’engage à consacrer un certain pourcentage de son activité à la vente des produits du franchiseur)1353. La première de ces trois solutions est souvent la plus simple à mettre en œuvre.

Ces clauses ont cet avantage de stimuler l’activité du franchisé. De plus, lorsque les redevances ont pour assiette le chiffre d’affaires, le franchiseur peut faire une estimation de la redevance minimale qu’il pourra recueillir à un degré important de probabilité. Par ailleurs, la réalisation des objectifs permet au franchiseur de présenter aux candidats franchisés un réseau en bonne santé.

Le non respect de la clause d’objectif est une inexécution du contrat, sanctionné en tant que tel conformément au droit commun1354. Cependant, le contrat peut prévoir des sanctions spécifiques; ainsi, il est possible de prévoir que le franchisé perdra le droit à tel ou tel avantage accessoire qui lui est accordé par le franchiseur1355. A l’inverse, le contrat peut prévoir l’accord d’une prime ou d’une remise à l’obtention de certains objectifs.

Il importe de préciser les modalités selon lesquelles la réalisation de l’objectif s’apprécie: on indiquera donc avec soin les dates auxquelles l’objectif doit être atteint et, le cas échéant, la zone géographique dans laquelle le résultat doit être obtenu1356.

332. Validité de la clause d’objectif – Par principe, une telle clause est valable : la Cour de cassation s’est clairement exprimée sur cette question, en censurant, au visa de l’article 1134 du code civil1357, une cour d’appel ayant méconnu les termes d’une telle clause. Encore faut-il que les conditions de l’article 1108 du code civil soient remplies et, notamment, que l’objet de la clause soit déterminé. Il a ainsi été jugé que la clause d’objectif devait être annulée sur le fondement de l’article 1129 du code civil, le contrat ne précisant pas la zone géographique dans laquelle le pourcentage de pénétration devait être réalisé1358. Par ailleurs, la clause, pour être valable, ne doit pas avoir été imposée de façon abusive et disproportionnée eu égard à l’importance du territoire concédé: s’il en était ainsi, elle serait susceptible d’être annulée pour vice de violence1359.

Enfin, l’indication de l’objectif à atteindre au candidat franchisé lors de la période précontractuelle peut entraîner la nullité de l’ensemble du contrat lorsque le chiffre d’affaires minimal ainsi indiqué est irréaliste: le candidat est ainsi incité à penser que ce chiffre d’affaires est nécessairement réalisable1360.

333. Intensité de l’obligation du franchisé – Les aléas de l’activité commerciale, qui rendent impossible la certitude de la vérification effective des comptes prévisionnels établis par les parties ou l’une d’entre elles avant la signature du contrat1361, semblent impliquer que les objectifs auxquels le franchisé s’engage contractuellement doivent revêtir la nature d’une obligation de moyens. En effet, par l’obligation de moyens, «le débiteur s’oblige seulement à utiliser tous les moyens possibles en vue d’atteindre un résultat déterminé, sans promettre qu’il y parviendra»1362. Par conséquent, la responsabilité du débiteur n’est pas engagée du seul fait qu’il n’a pas atteint le résultat, mais elle l’est lorsqu’il est établi qu’il n’a pas mis en œuvre tous les moyens possibles pour atteindre ce résultat. Appliqué à la clause d’objectif, ce principe permettrait au franchisé qui aurait fait les efforts nécessaires pour arriver au résultat contractuellement prévu sans y parvenir en raison, notamment, des aléas de l’activité commerciale, d’éviter de voir sa responsabilité contractuelle engagée. A juste titre selon nous, des auteurs se sont-ils montrés favorables à une telle analyse1363.

Néanmoins, l’intensité de l’obligation du franchisé en matière de clause d’objectif dépend avant tout de la volonté des parties. Dans les contrats de distribution, il ne fait pas de doute que, selon la rédaction retenue par les parties, l’obligation sera de moyens1364 ou de résultat1365.

Ajoutons que le franchiseur doit apprécier « objectivement et de bonne foi » le respect ou non par le franchisé de son obligation d’atteindre les objectifs de vente visés par le contrat de franchise. Tel n’est pas le cas, par exemple, lorsque le franchisé n’a pu atteindre les objectifs contractuels en raison de l’ouverture tardive de son point de vente, retard connu du franchiseur qui n’a manifesté aucune réserve et qui a néanmoins décidé de résilier le contrat avant le terme du premier exercice annuel1366; il en va ainsi, plus généralement, toutes les fois où le non respect de l’objectif est le fait du franchiseur1367.

C. Les garanties de paiement1. Garanties de paiement consenties directement et indirectement par le franchisé

a) La garantie à première demande

334. Une garantie autonome – La garantie à première demande est une sûreté personnelle visant à adjoindre un autre patrimoine au paiement de la dette. Plus précisément, il s’agit d’une garantie autonome dont l’originalité et la validité ont été consacrées par la jurisprudence1368avant d’être entérinées par une ordonnance du 23 Mars 2006.

Dans le but d’offrir à son créancier une garantie de paiement, le débiteur demande à sa banque de s’engager envers le créancier à lui payer une somme d’argent au cas où il ne satisferait pas à ses obligations. Le plus souvent la banque immobilise le montant de la garantie à première demande sur le compte du franchisé; en ce sens, la garantie est indirectement consentie par le franchisé.

335. Mise en œuvre de la garantie à première demande – Le régime juridique des garanties autonomes présente deux aspects importants, d’une part, l’autonomie de l’obligation de paiement de la banque et, d’autre part, les recours qui lui sont ouverts postérieurement au paiement.

Cette garantie d’origine conventionnelle impose à la banque de payer le franchiseur à première demande de ce dernier, sans pouvoir, hormis les cas d’abus ou de fraude, opposer la moindre exception. L’engagement de la banque est indépendant de l’obligation du franchisé; ainsi le franchiseur peut mettre en œuvre la garantie de la banque sans avoir à justifier du bien fondé de sa demande et sans que la banque puisse lui opposer une quelconque contestation. Contrairement à la caution, la banque, dans le cadre d’une convention de garantie à première demande, ne peut se prévaloir des exceptions que le franchisé peut ou pourrait opposer au franchiseur. Elle permet donc au franchiseur d’obtenir immédiatement l’exécution d’une obligation financière du franchisé sans recours préalable aux juridictions.

La banque pourra exercer un recours subrogatoire1369 contre le franchisé afin d’obtenir le remboursement de la somme versée. Le franchisé se voit lui aussi accorder des voies de recours, notamment envers le franchiseur et la banque pour les cas où la garantie aurait été actionnée à tort; il devra prouver qu’il n’avait aucune dette envers le franchiseur pour obtenir la restitution des sommes.

b) Le nantissement du fonds de commerce

336. Définition légale – Le nantissement sur fonds de commerce, défini aux articles L. 142-1 et suivants du code de commerce, est une sûreté réelle proche de l’hypothèque, permettant à un créancier, en l’occurrence le franchiseur, de se procurer un paiement préférentiel par rapport aux autres créanciers du débiteur, à savoir le franchisé. Il peut être d’origine conventionnelle ou d’origine judiciaire dans le cadre des mesures conservatoires.

337. Avantages – Le nantissement du fonds de commerce constitue une garantie appréciée car elle n’entrave pas l’activité du franchisé; ce dernier reste en possession de son fonds de commerce et en poursuit l’exploitation. Elle permet au franchiseur de bénéficier d’un droit de préférence afin de faire vendre le fonds de commerce et se faire payer sur le prix de cession.

338. Importance des conditions de forme – Il convient de prêter une attention particulière aux conditions de forme du nantissement sur fonds de commerce qui doivent être respectées à peine de nullité. En effet, les parties sont tenues de constater le nantissement par écrit et ont le choix entre la passation d’un acte authentique et la rédaction d’un acte sous seing privé. De plus, l’acte de nantissement doit être enregistré avant la publicité de l’opération. Et, en cas d’erreur sur le débiteur du fonds de commerce lors de l’inscription du nantissement, le propriétaire du fonds de commerce ne peut pas être tenu au remboursement de la dette1370.

339. Inconvénients variables – La valeur du fonds de commerce étant par définition valeur dans le temps, pouvant se déprécier en cas d’échec de l’activité du franchisé, cette garantie peut exposerle franchiseur au risque de perte de valeur du fonds de commerce, ce qui réduira potentiellement le montant des sommes qu’il pourra appréhender. Ceci est d’autant accentué par le fait que la créance du franchiseur figure parfois en second rang, après la banque qui aura nanti le fonds de commerce en garantie des financements qu’elle aura accordés au franchisé.

2. Garanties de paiement consenties par le dirigeant de la société franchisée

a) Le cautionnement du dirigeant de la société franchisée

340. Définition – Le cautionnement est une sûreté personnelle par laquelle une personne, la caution, s\’engage à l\’égard d\’une autre, le bénéficiaire, à payer la dette du débiteur principal, le cautionné, pour le cas où ce dernier faillirait à ses engagements. Dès lors, en pratique, il est fréquent que le gérant d’une société franchisée se porte caution personnelle envers le franchiseur des dettes dont répondrait la société en question1371.

341. Les conditions de forme – L’engagement de la caution personne physique doit comporter certaines mentions prescrites par la loi; à défaut, la validité du cautionnement peut être remise en question. En effet, l’acte renfermant l’engagement de la caution doit comporter les mentions manuscrites imposées par les articles L. 341-2 et L 341-3 du code de la consommation dans la mesure où le dirigeant n’a pas la qualité de commerçant. Il s’agit d’un formalisme ad validatem. Il convient donc d’être particulièrement vigilant lors de la conclusion d’un tel acte, puisqu’une simple insuffisance des mentions imposées par la loi emporte la nullité du cautionnement, sans que le juge ait même à apprécier la gravité ou la portée de la carence constatée1372.

342. Les avantages et inconvénients – En pratique, l’acte de cautionnement ne soulève pas de grandes difficultés quant à sa formation, notamment en matière de franchise; lorsque le gérant n’a pas la qualité de commerçant, le formalisme des articles L.341-2 et L.341-3 du code de la consommation devra être respecté. En revanche, l’acte de cautionnement doit faire apparaître le caractère limité de l’engagement de la caution; cette limitation concerne le montant de la dette garantie – lorsqu’elle est déterminée –, la nature et la durée de l’engagement souscrit. Il appartient donc à la caution et au bénéficiaire, le franchiseur, d’être particulièrement vigilants lors de la rédaction de l’acte.

De plus, le cautionnement est accessoire au contrat principal, en l’occurrence, le contrat de franchise. Dès lors, en application du principe selon lequel l’accessoire suit le principal, il faut relever qu’en cas d’annulation du contrat de franchise, la garantie ainsi souscrite tombera corrélativement.

Surtout, il faut relever que la caution peut exciper de toutes les exceptions inhérentes à la dette, comme le paiement, la prescription ou la compensation. En revanche, elle ne peut pas opposer les exceptions purement personnelles au débiteur principal, tel que notamment la nullité pour dol1373.

b) Le porte-fort d’exécution du gérant de la société franchisée

343. Porte-fort d’exécution et porte-fort de ratification – La jurisprudence distingue le porte-fort de ratification du porte-fort d’exécution. En effet,la Haute juridiction considère que «celui qui se porte-fort pour un tiers en promettant la ratification par ce dernier est tenu d’une obligation autonome, tandis que celui qui se porte-fort de l’exécution d’un engagement par un tiers s’engage accessoirement à l’engagement principal souscrit par le tiers à y satisfaire si le tiers ne l’exécute pas lui-même»1374.

Le contrat de franchise peut comporter une clause de porte-fort d’exécution aux termes de laquelle le dirigeant et/ou l’associé de la société franchisée se fait garant, au profit du franchiseur, de la parfaite exécution par la société franchisée des obligations qu’elle a souscrites en vertu du contrat de franchise.

344. Mise en œuvre du porte-fort d’exécution – L’engagement de porte-fort d’exécution est une obligation de résultat1375; la simple constatation du non-respect de l’obligation garantie engage la responsabilité du promettant. Ainsi, la défaillance de la société franchisée emporte de plein droit l’obligation pour le porte-fort d’indemniser le franchiseur du préjudice que lui cause cette inexécution.

345. Porte-fort et cautionnement – Le porte-fort d’exécution constitue une garantie autonome, accessoire à l’engagement garanti. Cette garantie se rapproche donc du cautionnement. Pour autant, le porte-fort d’exécution et le cautionnement se différencient par l’objet même de l’obligation souscrite; dans un cas, le porte-fort s’engage à indemniser le créancier d’une obligation du préjudice qu’il subit du fait de l’inexécution du débiteur de celle-ci; dans l’autre cas, la caution se substitue purement et simplement au débiteur défaillant.

Il semble que tout comme pour le cautionnement, l’engagement du porte-fort «ne peut excéder ce qui est dû par le débiteur»1376 et que celui-ci n’existe que dans la seule mesure où l’obligation garantie existe et est valable, son extinction devant entrainer celle du porte-fort. Par ce mécanisme, il ressort que la simple inexécution par le franchisé de l’une quelconque de ses obligations a pour effet de faire naître une créance de dommages-et-intérêts à l’encontre du porte-fort. La jurisprudence, en décidant que la promesse de porte-fort constitue un engagement personnel «autonome», en a déduit que la mise en œuvre de la responsabilité du promettant, en cas d’inexécution par le franchisé de ses obligations contractuelles, ne pouvait être paralysée par l’invocation de la nullité de cette dette par le promettant1377.

346. Applicabilité de l’article 1326 du code civil – La doctrine s’interroge quant à l’applicabilité de l’article 1326 du code civil à la promesse de porte-fort. Le texte impose que «l’acte juridique par lequel une seule personne s’engage envers une autre à lui payer une somme d’argent […] doit être constaté dans un titre qui comporte la signature de celui qui souscrit cet engagement ainsi que la mention, écrite «par lui-même», de la somme […] en toutes lettres et en chiffres».

La question mérite d’être relevée, dès lors que le porte-fort s’oblige à indemniser le créancier du préjudice qui résulte pour lui de la défaillance du débiteur, et non pas à sa substitution pure et simple au débiteur dans l’exécution d’une obligation. Aussi, l’engagement du porte-fort n’est pas quantifiable au moment de la signature de l’engagement. Néanmoins, cette difficulté peut être facilement contournée, comme elle l’a déjà été pour le cautionnement. En effet, le porte-fort doit porter une mentionexprimant « sous une forme quelconque, mais de façon explicite et non équivoque, la connaissance qu’il a de la nature et de l’étendue de l’obligation contractée»1378.

347. Conclusion sur les relations entre les parties – Sanction de l’inexécution des obligations réciproques – Conformément au droit commun, l’inexécution de ses obligations par une partie entraîne la responsabilité contractuelle de celle-ci1379. La partie défaillante peut ainsi être condanmée à réparer le préjudice de son cocontractant1380, à condition que ce préjudice soit démontré1381. Par ailleurs, si l’inexécution revêt une gravité suffisante1382, le contrat pourra être résilié judiciairement aux torts exclusifs de l’une ou de l’autre des parties1383 ou aux torts partagés1384.

Les actions en nullité fondées sur une inexécution sont naturellement rejetées1385.

Parallèlement aux fautes contractuelles qu’elles peuvent avoir commises, les parties peuvent s’être rendues coupables l’une envers l’autre d’infractions pénales, lors de la formation1386 ou de l’exécution du contrat, et engager leur responsabilité à ce titre1387.

348. Conclusion sur les relations entre les parties – Charge de la preuve – L’article 1315 du code civil énonce que «celui qui réclame l\’exécution d\’une obligation doit la prouver» et que «réciproquement, celui qui se prétend libéré doit justifier le paiement ou le fait qui a produit l\’extinction de son obligation». Lorsque le créancier d’une obligation découlant du contrat en demande l’exécution, il appartient au débiteur de prouver qu’il a procédée à cette exécution, la preuve de l’obligation figurant dans le contrat1388.

Néanmoins, dans la plupart des hypothèses, le créancier de l’obligation contractuelle n’en demande pas l’exécution, mais demande réparation du préjudice que lui cause l’inexécution, en application de l’article 1147 du code civil. La source de l’obligation de réparer n’est pas le contrat, mais la responsabilité contractuelle. Il appartient donc à celui qui demande l’exécution de cette obligation de prouver ladite responsabilité dans tous ses éléments: faute (c\’est-à-dire inexécution de l’obligation contractuelle), préjudice et lien de causalité1389. En conséquence, si l’une des parties demande réparation du préjudice que lui cause l’inexécution du contrat, la charge de la preuve de cette inexécution lui incombe.

La preuve de l’inexécution est plus ou moins aisée à rapporter pour le créancier selon que l’obligation qu’il prétend n’avoir pas été exécutée était de résultat ou de moyens. Ainsi, lorsque l’obligation est de moyens, le créancier doit prouver que le débiteur n’a pas fait tout ce qui était en son pouvoir pour obtenir le résultat escompté; lorsque l’obligation est de résultat, la preuve de l’inexécution découle de l’absence d’obtention du résultat, et le débiteur ne peut se dégager de sa responsabilité qu’en prouvant l’intervention d’une cause étrangère1390.

Il appartient ainsi à la partie qui demande réparation du dommage issu l’inexécution d’une obligation ressortant du contrat de franchise de prouver cette inexécution1391. Cette preuve peut découler du propre aveu du débiteur de l’obligation1392, mais pas de documents, tel que des factures1393, établis par son créancier ou les préposés de celui-ci1394.

Par ailleurs, le franchiseur fournisseur qui demande paiement des marchandises impayées doit prouver sa créance1395 qui, contrairement aux autres créances qu’il détient sur le franchisé, ne découle pas directement du contrat de franchise. La preuve étant, en vertu de l’article L.110-3 du code de commerce, libre en droit commercial, elle peut notamment être apportée au moyen d’une comptabilité régulièrement tenue1396.

Section 2 : Les relations entre les contractants et les tiers

§1. La responsabilité des tiers vis-à-vis des contractants

I. La responsabilité des tiers vis-à-vis du franchiseur

A. La responsabilité du dirigeant de la société franchisée

350. Qualité de tiers du dirigeant – Dans de nombreuses hypothèses, le franchisé est une société, préexistante au contrat de franchise ou créée dans cet objectif. La société franchisée, dotée de la personnalité morale, est alors la seule cocontractante du franchiseur. Elle fait en effet écran entre les tiers et les associés et dirigeants de la société; ces derniers sont donc tiers au contrat de franchise conclu par leur société. Néanmoins, la société, si elle a la personnalité morale, doit être représentée par une personne physique; le dirigeant de la société franchisée, au titre de son mandat social, est par conséquent l’interlocuteur privilégié du franchiseur au cours des relations contractuelles et peut parfois engager sa responsabilité envers ce dernier.

1. La responsabilité contractuelle du dirigeant de la société franchisée

a) La responsabilité des dirigeants fondateurs de la société

351. Contrat conclu au nom d’une société en formation – Il est relativement fréquent que la société appelée à intégrer le réseau de franchise ne soit pas encore formée lors de la signature du contrat. Dans cette hypothèse, le contrat de franchise est conclu au nom de la société en formation. Il appartient alors aux personnes agissant au nom de ladite société de faire en sorte que celle-ci, dûment constituée et immatriculée, reprenne le contrat ainsi passé en son nom; à défaut, les personnes ayant représenté la société lors de la signature du contrat sont solidairement et indéfiniment responsables des actes accomplis au nom de la société, en application des dispositions de l’article L.210-6 du code de commerce.

Pour apprécier la possibilité de retenir la responsabilité de la personne ayant conclu le contrat au nom de la société en formation, le juge se place au jour où il statue: lorsque l’action à l’encontre du représentant est intentée alors que la société appelée à devenir franchisée n’a pas encore repris le contrat, mais que cette reprise a lieu avant le jour du jugement, le représentant ne pourra donc être déclaré responsable des actes qu’il a passés au nom de la société1399.

b) Le cautionnement consenti par le dirigeant de la société franchisée

352. Conditions – Le franchiseur, comme tout créancier, a tout intérêt à demander au franchisé de fournir des garanties, telle que notamment, lorsque le franchisé est une société, la caution du dirigeant. Dans ce cas, conformément à l’article 2288 du code civil, le dirigeant de la société franchisée s’engage envers le franchiseur à exécuter les obligations de la société franchisée, si celle-ci n’y satisfait pas elle-même1400. Le cautionnement ainsi consenti au franchiseur peut être simple ou solidaire; dans ce dernier cas, le créancier pourra poursuivre, à son choix, le débiteur principal, la caution ou les deux, sans que puisse lui être opposé l’exception de discussion1401: la caution ne peut imposer au créancier de poursuivre d’abord le débiteur.

L’engagement de caution du dirigeant doit respecter les conditions de validité du contrat de cautionnement. Il doit tout d’abord répondre aux conditions de validité des conventions définies par les articles 1108 et suivants du code civil1402.

Il doit ensuite respecter les conditions propres au contrat de cautionnement. La caution est protégée à divers égards par la loi et par la jurisprudence1403. L’article 2292 du code civil énonce que «le cautionnement ne se présume point; il doit être exprès, et on ne peut pas l’étendre au-delà des limites dans lesquelles il a été contracté». Le cautionnement doit donc être exprès1404. S’agissant d’un engagement unilatéral, la caution doit en outre se soumettre à l’exigence de l’article 1326 du code civil qui impose «la mention, écrite par lui-même, de la somme ou de la quantité en toutes lettres et en chiffres». S’agissant d’une simple disposition probatoire, son absence n’entraîne pas la nullité pour défaut de forme du contrat de cautionnement1405; l’acte, même s’il est irrégulier aux termes de l’article 1326 du code civil, peut constituer un commencement de preuve par écrit1406, et la qualité de dirigeant de la personne morale débiteur principal suffit à compléter cette preuve1407.

L’exigence est écartée si le dirigeant est un commerçant1408, puisque la preuve est libre en matière commerciale. Lorsque la volonté des parties quant à l’étendue du cautionnement ne ressort pas de façon certaine du contrat, le doute profite à la caution1409.

Lors de la rédaction du contrat de cautionnement, le franchiseur doit donc être attentif à ce que l’étendue souhaitée de l’engagement du dirigeant de la société franchisée (droit d’entrée, redevances, paiement des marchandises fournies, tous engagements financiers du franchisé nés du contrat de franchise et de ses contrats d’application…) ressorte clairement des termes dudit contrat.

Le législateur met en outre à la charge du créancier professionnel l’obligation de transmettre un certain nombre d’informations et de procéder à certains contrôles à l’égard de la caution personne physique1410. L’article L. 341-4 du code de la consommation, instauré par la loi sur l’initiative économique du 1 août 2003, dispose ainsi que «le créancier professionnel ne peut se prévaloir d’un contrat de cautionnement conclu par une personne physique dont l’engagement était, lors de sa conclusion, manifestement disproportionné à ses biens et revenus, à moins que le patrimoine de cette caution, au moment où celle-ci est appelée, ne lui permette de faire face à son obligation». Alors que le contrôle de la proportionnalité était déjà consacré en jurisprudenceer, il ne s’appliquait pas à la caution avertie et, en particulier, au dirigeant caution1411. La loi semble donc avoir alourdi cette obligation en utilisant comme critère la qualité de personne physique de la caution. La sanction en cas de manquement à cette obligation consiste dans la décharge de la caution.

Les droits du créancier sur la caution sont susceptibles de s’éteindre par accessoire, du fait de l’extinction de la dette principale. La nullité ou l’extinction de celle-ci – c\’est-à-dire dans le cas présent des obligations financières du franchisé – pour quelle que cause que ce soit, entraîne à sa suite celle de la caution1412. L’alinéa 1 de l’article 1287 du code civil énonce en particulier que «la remise ou décharge conventionnelle accordée au débiteur principal libère les cautions». Cette disposition fait l’objet d’une interprétation stricte par la jurisprudence: pour que la caution soit libérée par une remise ou une décharge, il faut que celle-ci soit conventionnelle, ce qui n’est pas le cas lorsque, à la suite de l’ouverture d’une procédure de redressement judiciaire à l’égard de la société franchisé, le franchiseur se désiste des demandes formulées à l’encontre de celui-ci puis déclare sa créance au passif de la procédureer. Le caractère accessoire du cautionnement permet également à la caution, en application de l’article 2313 du code civil, de se prévaloir de toutes les exceptions qui appartiennent au débiteur principal, et qui sont inhérentes à la dette, sans préjudice de celles qui sont purement personnelles au débiteur1413.

Le cautionnement peut également s’éteindre par voie principale soit, si l’engagement a pour objet une dette future et est conclu à durée indéterminée, par l’extinction expresse de son engagement pour l’avenir par la caution, soit du fait de la faute du créancier. Un cas en particulier est visé, qui consiste dans la perte préjudiciable d’un droit préférentiel, consacrée par l’article 2314 du code civil qui énonce que «la caution est déchargée, lorsque la subrogation aux droits (…) du créancier, ne peut plus, par le fait de ce créancier, s’opérer en faveur de la caution». La caution n’est déchargée que lorsque la perte de la subrogation, due à la faute exclusive du franchiseur1414, porte sur un avantage particulier1415.

2. La responsabilité délictuelle du dirigeant de la société franchisée

353. Faute personnelle séparable du dirigeant en droit commun – Si la société franchisée commet une faute à l’égard des tiers, elle engage sa responsabilité sur son patrimoine dans la mesure où, lorsque la société franchisée est une société à responsabilité limitée, ses associés ne sont responsables qu’à hauteur de leurs apports. Toutefois, comme la société agit par l’intermédiaire de son dirigeant, les tiers peuvent être tentés d’engager la responsabilité délictuelle de celui-ci pour faute dans l’exercice de son mandat social. Or, conformément aux articles 1850 du code civil, L.223-22 (SARL) et L.225-251 (SA) du code de commerce1416, chaque dirigeant est «responsable individuellement envers la société et envers les tiers, soit des infractions aux lois et règlements, soit de la violation des statuts, soit des fautes commises dans sa gestion»; par conséquent, selon les textes, toute faute commise à l’occasion de ses fonctions par le dirigeant peut entraîner sa responsabilité à l’égard des tiers. Mais, alors que la faute de gestion est en principe d’interprétation large, la jurisprudence a au contraire opté pour une conception très restrictive de la faute pouvant donner lieu à la responsabilité du dirigeant, dans le but de substituer à la responsabilité de ce dernier la responsabilité de la société.

Le fondement de cette jurisprudence réside dans la théorie de la faute séparable, dégagée par un arrêt rendu par la Chambre commerciale le 4 octobre 19881417 qui pose le principe d’une «faute extérieure à la conclusion et à l’exécution du contrat», et consacrée par un arrêt du 22 janvier 19911418, qui exige une faute «qui soit séparable de ses fonctions de dirigeant et lui soit imputable personnellement». Cette position est cependant très critiquée en doctrine car, loin de substituer la responsabilité de la personne morale à celle du dirigeant, elle a pour effet de déresponsabiliser totalement le dirigeant, la faute séparable devenant en pratique introuvable1419.

Face à ces critiques, la Chambre commerciale de la Cour de cassation a amorcé un revirement en conservant le théorie de la faute séparable, mais en en proposant une définition dans un arrêt du 20 mai 2003, selon lequel la faute est constituée lorsque «le dirigeant commet intentionnellement une faute d’une particulière gravité incompatible avec l’exercice normal de ses fonctions sociales»1420. Elle la caractérise en l’espèce alors qu’il s’agissait d’une double mobilisation de créances, comme dans l’arrêt du 4 octobre 1988 où elle l’avait refusée. Cette solution est confirmée par la suite1421.

354. Application dans le cadre de la franchise – Le franchiseur, tiers à la société franchisée peut ainsi obtenir des dirigeants de cette société – c\’est-à-dire le plus souvent du gérant de la SARL – réparation du préjudice qu’il aura subi en raison de leurs fautes détachables. Le franchiseur peut par exemple être victime d’une telle faute dans le cadre de l’approvisionnement du franchisé1422.

Néanmoins, les conditions très restrictives de la mise en œuvre de la responsabilité personnelle du gérant vis-à-vis des tiers à la société font dans la grande majorité des hypothèses obstacle à la condamnation de ces dirigeants. Aussi la condamnation du dirigeant de la société franchisée pour la faute séparable de ses fonctions qu’il aurait commise à l’égard du franchiseur n’est-elle pas chose fréquente1423.

B. La responsabilité du tiers auteur d’une atteinte aux signes distinctifs ou au savoir-faire du réseau355. Rappel – Le franchiseur a l’obligation de protéger les signes distinctifs du réseau, pour que l’usage de ceux-ci reste réservé aux membres de son réseau, et ne soit pas accaparé par des tiers1424; il dispose pour ce faire de l’action en contrefaçon et du droit commun de la responsabilité délictuelle1425.

1. La responsabilité de l’auteur d’une contrefaçon

356. Pluralité de types de contrefaçon – Comme il l’a rappelé précédemment1426, la contrefaçon désigne, aux termes de l’article L. 716-1 du code de la propriété intellectuelle, «l\’atteinte portée au droit du propriétaire de la marque». L’atteinte aux droits du propriétaire d’une marque valable et dûment enregistrée, dont la preuve incombe audit propriétaire1427, est susceptible de prendre plusieurs formes. L’article L. 716-1 du code de la propriété intellectuelle poursuit en effet: «constitue une atteinte aux droits de la marque la violation des interdictions prévues aux articles L. 713-2, L. 713-3 et L. 713-4».

Dans tous les cas, eu égard au principe de spécialité, la contrefaçon n’est constituée que si le signe contrefaisant est employé pour vendre des produits ou des services identiques ou similaires à ceux désignés lors de l’enregistrement de la marque contrefaite. En revanche, le risque de confusion n’est exigé que pour certains types de contrefaçon, les atteintes les plus directes à la marque étant prohibées sans qu’il soit nécessaire de caractériser un tel risque.

357. Contrefaçon par reproduction, usage ou apposition de la marque – La reproduction, l\’usage ou l\’apposition d\’une marque, ainsi que l\’usage d\’une marque reproduite est prohibée tant pour des produits ou services identiques à ceux désignés dans l\’enregistrement1428 que pour des produits ou services similaires1429 à ceux ainsi désignés1430.

Lorsque les produits ou services concernés sont identiques à ceux désignés dans l’enregistrement, la contrefaçon est constituée sans qu’il soit nécessaire de prouver l’existence d’un risque de confusion. En revanche, lorsque ces produits ou services sont seulement similaires à ceux désignés dans l’enregistrement, la victime de contrefaçon doit préalablement établir un risque de confusion1431.

Contrefaçon par reproduction

La distinction entre ce type de contrefaçon et la contrefaçon par imitation est parfois malaisée1432. Les juridictions françaises, dans la mouvance de la Cour de justice des communautés européennes1433, décident «qu\’un signe est identique à la marque lorsqu\’il reproduit, sans modification ni ajout, tous les éléments constituant la marque ou lorsque, considéré dans son ensemble, il recèle des différences si insignifiantes qu\’elles peuvent passer inaperçues aux yeux d\’un consommateur moyen»1434.

Désormais seule la reproduction servile de la marque échappe à l’exigence de preuve d’un risque de confusion.

Contrefaçon par usage

La prohibition de l’usage de la marque d’autrui sans son autorisation permet de sanctionner la personne qui emploie un signe contrefaisant1435, alors même qu’elle n’est pas elle-même l’auteur de la reproduction; elle permet également de sanctionner la personne qui commercialise sans l’autorisation du titulaire de la marque des produits sur lesquels la marque originaire a été régulièrement apposée1436.

Contrefaçon par apposition

L’article L. 713-2 du code de la propriété intellectuelle prohibe en troisième lieu l’apposition de la marque d’autrui sur des produits sans autorisation du titulaire de la marque.

358. Contrefaçon par suppression ou modification d\’une marque régulièrement apposée – La suppression ou la modification de la marque constitue en toute logique une contrefaçon alors même qu’aucun risque de confusion n’existe. En effet, dans ce cas particulier, l’atteinte faite à la marque contrefaite n’a pas pour origine l’existence d’une marque contrefaisante, mais une action – suppression ou modification – exercée directement sur la marque régulièrement apposée.

359. Contrefaçon par imitation – L’imitation de la marque d’autrui n’est constitutive de contrefaçon que si le titulaire du droit sur la marque établit l’existence d’un risque de confusion, d’où l’importance de la distinction entre «reproduction» et «imitation». Si un tel risque existe, l’interdiction joue tant pour les produits et services similaires que pour les produits et services identiques à ceux désignés dans l’enregistrement.

L’imitation de la marque consiste à adopter un signe distinctif ressemblant – mais non identique – à une marque protégée, la ressemblance devant être telle que la confusion risque de se faire dans l’esprit du consommateur. Il peut s’agir par exemple de l’adjonction, de la suppression ou de la modification d’une lettre dans la marque imitée1437 ou encore de la reprise du segment accrocheur de clientèle de ladite marque1438. La contrefaçon s’apprécie d’après les ressemblances et non les différences et c’est l’impression d’ensemble qui est prise en compte par les tribunaux pour déterminer s’il y a, ou non, risque de confusion1439 du fait de l’imitation1440 dans l’esprit du consommateur moyennement attentif1441; aussi n’est-il pas nécessaire que la marque reprenne précisément un ou plusieurs éléments de la marque imitée pour que le délit soit constitué. En particulier, la similitude des produits ou services eux-mêmes entre dans l’impression d’ensemble: plus les produits ou services portant la marque litigieuse sont proches de ceux vendus sous la marque imitée, plus il est facile de caractériser l’imitation. La renommée de la marque ne fait pas présumer le risque de confusion mais facilite considérablement la preuve d’un tel risque de confusion.

360. Sanction civile – Aux termes de l’article L. 716-1 du code de la propriété intellectuelle, l\’atteinte portée au droit du propriétaire de la marque, qui constitue une contrefaçon, engage la responsabilité civile de son auteur1442. L’auteur de la contrefaçon, poursuivi devant l’un des tribunaux de grande instance1443 désignés par voie règlementaire comme compétents en matière de marque1444, doit ainsi réparer le préjudice que la contrefaçon qu’il a commise a causé. Or, le préjudice ainsi causé est parfois délicate à évaluer.

Par ailleurs, le montant des dommages et intérêts fondés sur ce seul préjudice est parfois inférieur aux profits réalisés par les contrefacteurs. Aussi la loi du 29 octobre 20071445 dite « de lutte contre la contrefaçon » prévoit-elle la possibilité de déterminer le montant des dommages et intérêts1446 non seulement en se fondant sur « les conséquences économiques négatives » (qui comprennent le manque à gagner) et le préjudice moral subis par le propriétaire de la marque, mais également en prenant en compte «les bénéfices réalisés par le contrefacteur»; ainsi, les dommages et intérêts ne sont-ils pas évalués au seul regard du préjudice subi; ils peuvent être augmentés en fonction des bénéfices réalisés par l’auteur de la contrefaçon1447.

Par ailleurs, l’alinéa 2 de l’article L. 716-14 du code de la propriété intellectuelle offre la possibilité à la victime de demander au juge, à titre d’alternative, l’allocation d’une «une somme forfaitaire qui ne peut être inférieure au montant des redevances ou droits qui auraient été dus si le contrefacteur avait demandé l\’autorisation d\’utiliser le droit auquel il a porté atteinte».

En plus de la condamnation monétaire, la juridiction peut, en vertu des dispositions de l’article L. 716-15 du code de la propriété intellectuelle, ordonner le rappel et la destruction ou la confiscation au profit de la victime des produits contrefaisants et des matériaux et instruments ayant principalement servi à leur création ou fabrication. Le contrefacteur supporte alors les frais de ces démarches. Selon l’alinéa 2 du même article, la juridiction «peut aussi ordonner toute mesure appropriée de publicité du jugement, notamment son affichage ou sa publication intégrale ou par extraits dans les journaux ou sur les services de communication au public en ligne qu\’elle désigne», aux frais du contrefacteur1448.

Préalablement à la sanction, le juge peut prononcer, sur requête, la saisie-contrefaçon des biens ou services prétendument contrefaisants et des matériels et instruments utilisés pour fabriquer ou distribuer lesdits produits ou fournir lesdits services1452article812 du Code de procédure civilearticle L.716-7 du Code de la propriété intellectuelle. Le juge peut également prononcer, en référé ou sur requête, selon que les circonstances exigent ou non que les mesures ne soient pas prises contradictoirement, des mesures provisoires, à condition que le demandeur apporte des éléments de preuve rendant vraisemblable «qu\’il est porté atteinte à ses droits ou qu\’une telle atteinte est imminente», et accorder une provision lorsque le préjudice n’est pas sérieusement contestable1450.

361. Délit pénal – Le code de la propriété intellectuelle érige également certains agissements constituant des contrefaçons en infractions pénales.

Les sanctions les plus graves sont prévues par l’article L. 716-9 du code pénal, qui sanctionne de quatre ans d\’emprisonnement et de 400 000 € d\’amende1451 l’importation, l’exportation, la réexportation et le transbordement, d’une part, et la production industrielle, d’autre part, de marchandises présentées sous une marque contrefaisante. Par ailleurs, cet article érige en infraction autonome les actes qui auraient, sans ce texte, été sanctionnés au titre de la complicité par instruction des comportements précités. L’élément intentionnel de l’infraction comporte un dol spécial: ces faits constituent des infractions lorsqu’ils ont été commis «en vue de vendre, fournir, offrir à la vente ou louer» les marchandises concernées.

Les articles suivants sanctionnent quant à eux de trois ans d\’emprisonnement et de 300 000 euros d\’amende certains agissements considérés comme moins graves que les précédents.

Est d’abord concernée une hypothèse proche de celle du recel: la détention de marchandises présentées sous une marque contrefaisante. Sont également sanctionnées par ces dispositions l’importation et l’exportation de telles marchandises; cette sanction s’applique dans l’hypothèse où le dol spécial exigé par l’article L. 716-9 du code n’est pas prouvé. L’offre à la vente et la vente des marchandises présentées sous une marque contrefaisante sont en outre sanctionnées en elle-même par le même texte1452. Les mêmes peines sont prévues pour les agissements constituant le délit civil de contrefaçon: reproduction, imitation, utilisation, apposition1453, suppression ou modification d’une marque1454, ainsi que pour la livraison d’un produit ou la fourniture d’un service autre que celui qui lui est demandé sous une marque enregistrée; dans cette dernière hypothèse, le délit n’est constitué que si l’auteur a agi «sciemment» ce qui n’est pas exigé s’agissant des autres agissements1455.

Pour que l’un des délits prévus par l’article L. 716-11 du code de la propriété intellectuelle soit constitué, il faut que l’auteur ait agi sciemment. La sanction de la tentative n’étant prévue pour aucun des délits énumérés ci-dessus, ceux-ci ne sont punissables que lorsqu’ils sont consommés.

2. L’auteur d’une faute délictuelle de droit commun

362. Concurrence déloyale – Contrairement àl’action en contrefaçon1456, l’action en concurrence déloyale n’est pas fondée sur l’atteinte aux droits du titulaire de la marque, sanctionnée par un texte spécial1457, mais sur le manquement aux devoirs mis à la charge de chacun dans le cadre de la concurrence, sanctionné par les articles 1382 et 1383 du code civil1458. Cette action se distingue également – au moins théoriquement – de l’action en contrefaçon par le but poursuivi par celui qui l’intente: si cette dernière protège le droit de propriété détenu par le titulaire de l’enregistrement sur sa marque, l’action en concurrence déloyale a pour but la réparation du préjudice subi par la victime, et la cessation des actes incriminés1459.

Ainsi, l’action en contrefaçon sanctionne l’atteinte à un droit, c’est une action de nature réelle qui protège un droit réel. L’action en concurrence déloyale ou pour agissements parasitaires tend à réparer le dommage subi par un concurrent ou non en raison de la faute commise, c’est une action de nature personnelle qui protège un droit personnel. Chaque action répond à des conditions différentes : alors que l’action en contrefaçon nécessite la preuve d’un acte de contrefaçon indépendamment de tout préjudice, l’action en responsabilité civile suppose d’établir une faute1460, un dommage et un lien de causalité1461. Il en ressort alors deux logiques distinctes: l’une de réservation et de sanction, l’autre de réparation. Posée par la doctrine, cette distinction entre les deux actions est reprise par la jurisprudence: «l’action en concurrence déloyale exige une faute, alors que l’action en contrefaçon concerne l’atteinte à un droit privatif, que ces deux actions procèdent de causes différentes et ne tendent pas aux mêmes fins, que la seconde n’est pas l’accessoire… le complément de l’autre »1462.

Ainsi posé, le principe d’indépendance entre les deux actions n’exclut pas un «cumul»: on peut exercer les deux actions dans un même procès1463 à condition qu’elles procèdent de faits distincts1464. La Cour de cassation contrôle la caractérisation de ces faits distincts qui ne peuvent être réduits à ceux qui découlent de la contrefaçon. Il doit s’agir d’actes qui ne résident pas simplement dans la copie et dans la commercialisation car cela est déjà réparé au titre de la contrefaçon, les faits peuvent se trouver en amont ou en avalde ceux-ci1465. Cependant, force est de constater qu’une confusion s’opère parfois en jurisprudence, et que des faits constitutifs d’une contrefaçon sont sanctionnés au titre de la concurrence déloyale1466.

L’exercice d’une action en concurrence déloyale ou pour parasitisme dans l’hypothèse d’absence de droits privatifs est le domaine d’application privilégié car l’action: «a pour objet de protéger celui qui ne peut se prévaloir d’un droit privatif»1467. L’action en contrefaçon étant soumise à des conditions strictes (tenant notamment à l’existence des droits sur la marque1468, au principe de spécialité et à la qualité pour agir du demandeur1469), la notion de concurrence déloyale permet parfois à la victime de certains agissements portant atteinte aux signes distinctifs du réseau (comme, par exemple, l’enseigne et le nom commercial) d’obtenir la réparation de son préjudice et la cessation desdits agissements, alors même que lesdites conditions ne sont pas remplies1470.

Aux yeux de la jurisprudence, constitue un acte de concurrence déloyale le fait de créer un risque de confusion dans l’esprit du consommateur quant au fournisseur des produits ou services, et notamment quant à l’appartenance de l’établissement à un réseau1471. Plusieurs conditions doivent être réunies pour qu’un risque de confusion existe: une situation de concurrence doit exister concrètement1472;les éléments du signe distinctif reproduits ne doivent pas être usuels au regard des produits ou services que ce signe désigne1473; enfin, ces éléments doivent être suffisamment standardisés1474. Cependant, la banalité du terme reproduit n’exclut pas la qualification d’acte de concurrence déloyale: si l’aspect original du terme (calligraphie, couleurs, etc.) sont également reproduits, l’acte de concurrence déloyale est constitué1475. Par ailleurs, la personne se prétendant victime d’une copie de ses signes distinctifs constitutive d’un acte de concurrence déloyale doit prouver avoir fait usage desdits signes avant son adversaire1476.

La preuve des actes de concurrence déloyale incombe à la personne qui s’en prétend victime soit, dans la présente hypothèse, au franchiseur1477.

363. Parasitisme – La notion de parasitisme est une création doctrinale consacrée en jurisprudence et par le législateur1478. Le parasitisme constitueune faute délictuelle de droit commun, à l’instar de la concurrence déloyale. Aussi, les deux notions sont fréquemment associées1479, bien qu’elles soient distinctes. Le parasitisme consiste, en effet, dans le fait de «tirer profit de l’activité d’autrui sans bourse délier »1480. Aussi la notion de parasitisme n’implique-t-elle pas, contrairement à celle de concurrence déloyale, que l’auteur et la victime du comportement litigieux se trouvent dans une situation de concurrence1481, et qu’une confusion soit créée dans l’esprit du consommateur1482.

En matière de franchise, le parasitisme peut consister, par exemple, dans l’utilisation par un tiers d’un slogan publicitaire proche de celui adopté par un réseau ayant acquis une notoriété importante1483, ou dans la reproduction de l’intitulé de la marque du réseau, afin de bénéficier de sa réputation1484, alors même que les produits ou services concernés seraient fondamentalement différents de ceux commercialisés par ledit réseau.

En outre, le parasitisme économique, reposant sur l’usurpation de l’effort intellectuel et des investissements d’autrui – notion dont l’adoption soulève une controverse en doctrine1485 – trouve un terrain d’application privilégié dans le cadre de la franchise, eu égard au caractère central du savoir-faire dans ce système de distribution1486. La justification de l’extension de la notion de parasitisme à l’usurpation des efforts intellectuels et des investissements d’autrui (efforts et investissements qui sont précisément nécessaires à l’élaboration d’un savoir-faire1487) repose en effet, selon la doctrine favorable à la sanction d’un tel comportement1488, sur l’analogie qui doit être faite entre la renommée, obtenue par lesdits efforts intellectuels et investissements, et les situations acquises par des efforts similaires.

C. La responsabilité du tiers complice de l’inexécution de ses obligations par le franchisé364. Obligations contractuelles du franchisé – Le manquement à certaines des obligations mises à la charge du franchisé – comme, par exemple, celles imposées par les clauses de non-concurrence précontractuelle, de préemption, de résiliation anticipée du contrat, ou l’obligation générale de bonne foi contractuelle ressortant de l’article 1134 du code civil – implique nécessairement ou peut impliquer, selon l’obligation concernée, l’intervention d’un tiers, contractant du franchisé.

Dans le cas d’un tel manquement commis à l’occasion de la signature d’un contrat entre le franchisé et le tiers, ou précédemment à cette signature, le franchisé engage sa responsabilité contractuelle. Néanmoins, le franchiseur peut vouloir engager la responsabilité du tiers complice du manquement contractuel.

365. Responsabilité délictuelle du tiers complice – L’effet relatif des conventions, énoncé par l’article 1165 du code civil, ne fait pas obstacle à une telle action; l’existence du contrat constitue, à l’égard des tiers, un fait juridique1489. En effet, il convient de distinguer entre les effets obligatoires du contrat, la création d’obligations, qui ne visent que les parties cocontractantes, et les autres effets de la convention, opposables aux tiers qui peuvent les utiliser au soutien de leurs actions. La réciproque est d’ailleurs également vraie: les tiers peuvent se prévaloir du fait juridique que constitue à leur égard la fin des relations constractuelles1490.

En particulier, il est admis de façon classique que «toute personne qui, avec connaissance, aide autrui à enfreindre les obligations contractuelles pesant sur lui, commet une faute délictuelle a l\’égard de la victime de l\’infraction»1491. La victime – c\’est-à-dire, dans l’hypothèse qui nous occupe, le franchiseur – et le tiers complice n’entretenant en effet par hypothèse aucune relation contractuelle, la responsabilité de ce dernier envers le franchiseur ne peut être que délictuelle ou quasi-délictuelle1492.

Commet ainsi une faute délictuelle le tiers au contrat de franchise qui, conscient des obligations contractuelles du franchisé, forme néanmoins avec ce dernier un contrat dont la conclusion entraîne la violation desdites obligations1493. Est donc fautif:

– le fournisseur qui, ayant connaissance de l’obligation du franchisé de ne pas adhérer à un autre groupement pendant l’exécution du contrat1494, met néanmoins son enseigne à la disposition du franchisé, avant même la rupture du contrat, et se rend ainsi complice de la rupture fautive de celui-ci1495;

– le fournisseur qui, en ayant connaissance de l’obligation d’exclusivité d’approvisionnement incombant au franchisé, l’approvisionne1496;

– le franchiseur qui contracte avec un nouveau franchisé en ayant connaissance de l’obligation de non ré-affiliation pesant sur ce dernier1497;

– la société qui prend le contrôle de la société franchisée, participant ainsi à la fraude au droit de préemption du franchiseur1498;

– la société qui conclut avec le franchisé un contrat d’affiliation en connaissance du pacte de préférence auquel ledit franchisé est tenu1499.

366. Absence de responsabilité du tiers – En revanche, le fait pour le chef d’un réseau de concéder son enseigne à un ancien franchisé, en connaissance de l’appartenance passée de celui-ci à un réseau de franchise, n’est pas constitutif d’une complicité dans la rupture avant terme du contrat de franchise, lorsque l’intervention dudit chef de réseau lors de la rupture n’est pas établie1500. Qui plus est, lorsque le franchisé rompt le contrat de franchise dans le but de céder son fond de commerce, l’acquéreur ne souhaitant pas intégrer le réseau, cette acquisition ne constitue pas en elle-même une faute de nature à rendre l\’acquéreur complice de la rupture, même fautive, du contrat de franchise par ledit franchisé; il en serait différemment si l’acquisition s’était faite avec déloyauté et en violation du droit de préemption conféré au franchiseur1501, ce qui n’est pas le cas lorsque le franchiseur a renoncé à son droit de préemption en connaissance de l’intention des parties à la cession de rompre le contrat de franchise1502.

La démonstration de la connaissance par le complice de l’obligation contractuelle violée avec son aide est en principe exigée: il ressort des arrêts précités1503 qu’est fautive la personne qui, «avec connaissance», aide autrui à enfreindre les obligations contractuelles mises à sa charge1504. Néanmoins cette exigence est parfois assouplie: la connaissance de l’obligation ressort parfois de la qualité même du cocontractant qui, en vertu de cette qualité, est considéré comme ne pouvant ignorer la présence de telles obligations dans le cadre du contrat violé1505, ce qui est susceptible de se produire fréquemment dans l’hypothèse de la violation d’une clause de non-ré-affiliation1506 compte tenu de la fréquence de ce type de clause dans les contrats de franchise. Dans le cas où le nouveau contractant a connaissance de l’existence du contrat de franchise, il doit s’assurer de sa rupture avant de conclure avec le franchisé un contrat incompatible avec le respect par ce dernier de ses obligations contractuelles1507. De même, lorsque, professionnel de la distribution lui-même, il sait que le candidat franchisé appartient ou a appartenu récemment à un réseau de franchise, il doit vérifier dans le contrat de franchise l’absence de clauses entrant en contradiction avec le contrat envisagé et fréquemment présentes dans ce type de contrat et, le cas échéant, de la libération du candidat de cette obligation1508.

II. La responsabilité des tiers vis-à-vis du franchisé

A. La responsabilité délictuelle des tiers vis-à-vis du franchisé

1. Le tiers à l’origine d’une violation de l’exclusivité du franchisé

367. Contrefaçon– L’action en contrefaçon est réservée par l’article L. 716-5 du code de la propriété intellectuelle au propriétaire de la marque et, sauf stipulation contraire du contrat, au bénéficiaire d\’un droit exclusif d\’exploitation après mise en demeure d’agir adressée au titulaire et restée infructueuse; dans le cadre d’un réseau de franchise, la qualité pour agir en contrefaçon appartient donc généralement au franchiseur, le franchisé disposant néanmoins, en vertu de l’alinéa 2 de l’article L. 716-5 précité, de la faculté d’intervenir à l’instance intentée par le franchiseur, afin d’obtenir réparation de son préjudice.

368. Concurrence déloyale – Au contraire, l’action en concurrence déloyale étant fondée sur le droit commun de la responsabilité délictuelle, la qualité à agir n’est en la matière soumise à aucune condition particulière; elle se confond avec l’intérêt à agir. Aussi est-elle ouverte au franchisé victime d’actes de concurrence déloyale.

Pour obtenir la condamnation de son concurrent, le franchisé doit, conformément au droit commun de la responsabilité, prouver que son adversaire1509 a commis une faute qui lui a causé un préjudice.

Or, tout acte de concurrence n’est pas constitutif d’une faute, loin s’en faut: le principe est celui de la liberté de la concurrence. Ainsi, le simple fait, pour un commerçant, d’installer son point de vente à proximité d’un établissement pratiquant la même activité que lui ne constitue pas un acte de concurrence déloyale1510. L’emploi par ce commerçant d’une enseigne de même couleur que son concurrent peut ne pas être constitutif d’une faute lorsque cette couleur est fréquemment utilisée pour symboliser ce type d’activité1511.

Le franchisé doit donc prouver que son concurrent a adopté un comportement particulier, allant au-delà de ce qui est tolérable au regard des usages du commerce1512. Ce faisant, si le type d’annonce publicitaire promettant le remboursement de la différence de prix à l’acheteur qui trouverait le même produit à un prix inférieur dans un autre établissement est en principe licite, il cesse de l’être lorsqu’il est mensonger et attire la clientèle au détriment d’un concurrent1513. En outre, le fait de créer un risque de confusion dans l’esprit du consommateur quant à l’appartenance d’un établissement au réseau de franchise constitue de la part de son auteur un acte de concurrence déloyale, préjudiciable tant à l’égard du franchiseur que des franchisés qui, situés à proximité du concurrent déloyal, voient la clientèle locale attachée au réseau détournée par ce dernier1514. Plus particulièrement, il a été jugé que l’ancien franchisé contrefaisant la marque du réseau commettait un acte de concurrence déloyale à l’égard du franchisé lui succédant dans la même zone de chalandise1515.

2. Les relations des franchisés entre eux

369. Relations entre franchisés concomitants – Les franchisés d’un même réseau sont contractants du même franchiseur mais ne sont pas contractants entre eux, sauf conventions particulières telles que des ventes de marchandises entre franchisés, assez peu fréquentes en pratique. Or, il existe un intérêt collectif entre tous ceux qui sont liés au franchiseur, par des contrats le plus souvent identiques1516; chaque participant a intérêt à ce que les autres respectent leurs obligations. En effet, l’inexécution par un franchisé des engagements qu’il a pris vis-à-vis du franchiseur est susceptible de nuire aux autres franchisés du réseau; c’est en particulier le cas de la violation de l’obligation tenant à l’exclusivité territoriale. En effet, l’efficacité de l’exclusivité territoriale concédée par le franchiseur1517 implique que cette exclusivité soit respectée par les autres membres du réseau; aussi les clauses d’exclusivité territoriale ont-elles pour corollaire l’engagement du franchisé de ne pas procéder à des ventes actives1518 en dehors du territoire qui lui est concédé. Il peut ainsi être fait interdiction au franchisé de vendre les produits faisant l’objet de l’exclusivité en ouvrant un point de vente sur le territoire concédé en exclusivité à un autre franchisé, de vendre lesdits produits à un commerçant présent sur ledit territoire, ou encore de prospecter la clientèle située sur ce territoire par la diffusion d’une campagne publicitaire ciblée sur cette clientèle1519.

En cas de violation d’une telle obligation, le franchiseur peut agir à l’encontre du franchisé récalcitrant sur le fondement de la responsabilité contractuelle; le franchisé victime de l’invasion de son territoire peut agir – également sur le fondement de la responsabilité contractuelle – à l’encontre du franchiseur défaillant ce dernier étant contractuellement tenu de faire respecter l’exclusivité territoriale qu’il a consentie1520. Mais, en cas d’inaction du franchiseur, dans quelle mesure un franchisé peut-il invoquer la violation par un co-franchisé de ses obligations contractuelles?

Plusieurs solutions sont possibles, plus ou moins directes. Sur le fondement de sa clause d’exclusivité, le franchisé victime peut tout d’abord agir contre le franchiseur, afin que ce dernier se retourne contre le franchisé en faute. Ensuite, le franchisé victime peut agir directement à l’encontre de son co-franchisé sur le fondement d’une action oblique ou, depuis la consécration de la dérelativisation de la faute contractuelle par l’arrêt du 6 octobre 2006 rendu par l’Assemblée plénière de la Cour de cassation, sur le fondement du manquement par le co-franchisé à son obligation contractuelle, dans la mesure où elle lui a causé un préjudice1521. Cette solution était discutée, certains arrêts considérant que la faute contractuelle devait être détachable du contrat pour pouvoir être qualifiée de faute délictuelle1522; mais elle est désormais bien établie, la fauté contractuelle pouvant automatiquement fonder une action en responsabilité délictuelle1523.

Lorsqu’aucune interdiction n’est faite à ses co-franchisés de procéder à des ventes actives sur son territoire, le franchisé peut-il agir contre le tiers en violation de son obligation d’exclusivité? S’agissant d’une clause contractuelle, elle n’est en principe pas opposable aux tiers, sur le fondement de l’article 1165 du code civil.

Néanmoins, même si le tiers n’a commis aucun manquement contractuel, la troisième chambre civile de la Cour de cassation a jugé en matière de bail, au visa des articles 1134, 1147 et 1165 du code civil, que «le locataire bénéficiaire d’une clause d’exclusivité qui lui a été consentie par son bailleur est en droit d’exiger que ce dernier fasse respecter cette clause par ses autres locataires, même si ceux-ci ne sont pas parties au contrat contenant cette stipulation»1524. Par conséquent, elle consacre l’opposabilité erga omnes de cette clause, dont la portée se trouve en quelque sorte décontractualisée. Pour les auteurs, cette solution rendue en matière de contrat de bail pourrait être étendue à l’ensemble des contrats intégrant une clause d’exclusivité1525.

La question de la sanction se pose alors. Au-delà du versement de dommages et intérêts et de la résiliation du contrat aux torts exclusifs du franchiseur, la solution, si elle est transposée au contrat de franchise, signifie-t-elle implicitement que pourra être prononcée une mesure d’interdiction sous astreinte des termes du second contrat qui contreviendraient à la clause d’exclusivité? Cette sanction, consacrée ici selon certains auteurs1526, serait cependant extrêmement sévère car elle aurait pour effet d’étendre à un tiers de bonne foi l’effet obligatoire d’un contrat auquel il n’est pas partie, alors qu’il n’a commis aucune faute au sens de l’article 1382 du code civil1527.

370. Relations entre franchisés successifs – Dans de nombreuses hypothèses, le territoire dans lequel s’installe un nouveau franchisé était préalablement occupé par un ancien membre du réseau. A moins que ce dernier n’ait transmis son contrat de franchise à son successeur1528, les franchisés consécutifs n’ont entre eux aucun lien contractuel.

Néanmoins, le fait que le nouveau franchisé et son prédécesseuroccupent successivement la même zone de chalandise a des conséquences sur les relations entre les parties. En premier lieu, le nouveau franchisé est souvent la première victime des actes de concurrence déloyale effectués par l’ancien1529. Par ailleurs, les résultats obtenus par l’ancien franchisé sont, pour le candidat à la succession, le meilleur indice de la rentabilité du projet; aussi l’ancien franchisé commettrait-il une faute s’il trompait le candidat sur les résultats pouvant être espérés1530.

B. La responsabilité contractuelle des tiers vis-à-vis du franchisé1. Les relations du franchisé avec le bailleur commercial

371. Positionnement du problème – Dans de nombreuses hypothèses interessant au premier chef la franchise de distribution, le franchisé est preneur du point de vente dans lequel il exerce son activité; la location permet en effet d’alléger l’investissement de départ. Aussi le franchisé bénéficie-t-il des droits dévolus au locataire1531. Or, le régime des baux commerciaux est d’ordre public et déroge à celui des baux de droit commun sur un élément essentiel: le preneur à bail bénéficie d’un droit au renouvellement du bail ou, si ce renouvellement ne lui est pas accordé par le bailleur, d’une indemnité d’éviction.

L’application de ce régime dérogatoire est soumise à la réunion de plusieurs conditions. Ainsi, l’article L.145-8 du code de commerce précise-t-il que «le droit au renouvellement du bail ne peut être invoqué que par le propriétaire du fonds qui est exploité dans les lieux». Or, l’élément essentiel du fonds de commerce est, selon une jurisprudence constante1532 bien que fortement critiquée1533, la clientèle: pour bénéficier du régime des baux commerciaux, le preneur doit disposer d’une clientèle propre. En effet, par un arrêt du 24 avril 1970, l’Assemblée Plénière de la Cour de cassation a défini le critère relatif à la clientèle délimitant le champ d’application du régime des baux commerciaux1534. En raison des conséquences – fondamentales pour un commerçant – ainsi attachées à l’attribution de la clientèle, il s’est révélé important de déterminer qui, du franchiseur ou du franchisé, détient la propriété de ladite clientèle. Cette «irritante question»1535 a soulevé un débat doctrinal1536 et une évolution jurisprudentielle, qui a pris fin en 2002 par l’intervention de la Cour de cassation.

372. Historique – On le sait, en recherchant l’existence d’une clientèle personnelle du franchisé, les juridictions ont rendu des décisions longtemps disparates, sans véritable cohérence d’ensemble1537, ce dont il est résulté une incertitude et une insécurité, déplorées par certains1538.

Au milieu des années 1990, le critère de l’existence de la clientèle personnelle du franchisé (ou du concessionnaire) a été énoncé de la façon suivante: «pour qu\’un locataire franchisé ou concessionnaire d\’une marque soit considéré comme ayant un fonds de commerce en propre, il faut qu\’il apporte la preuve de ce qu\’il a une clientèle liée à son activité personnelle indépendamment de son attrait en raison de la marque du franchiseur ou du concédant, ou bien, qu\’il démontre que l\’élément du fonds qu\’il apporte, le droit au bail, attire la clientèle de manière telle qu\’il prévaut sur la marque»1539. Cette solution ne niait pas la possibilité pour le franchisé d’avoir une clientèle propre: la clientèle était présumée être attirée uniquement par l’enseigne, mais il était admis qu’une partie de cette clientèle puisse être attraite par les qualités du franchisé ou de son emplacement. Il appartenait donc au franchisé désireux de bénéficier du régime des baux commerciaux de prouver qu’une partie de la clientèle était attirée d’avantage par ses compétences ou par son emplacement que par la marque du franchiseur. Cette position a été critiquée tant dans son principe1540 que pour ses effets potentiels : elle avait pour défaut de faire peser sur le franchisé une preuve difficile à apporter1541, ce qui a provoqué des craintes pour la viabilité de la situation des franchisés1542 et donc pour la survie de la franchise1543. De plus, la détermination de ce qui, entre l’enseigne du franchiseur d’une part, et les compétences et l’emplacement du franchisé de l’autre, attire le plus la clientèle, était délicate à effectuer1544. L’analyse des éléments de faits, soumise à l’appréciation souveraine des juges du fonds dont le niveau d’exigence pouvait varier1545, ne pouvait mener qu’au maintien de la casuistique inaugurée par l’arrêt précité de l’Assemblée plénière1546. Aussi a-t-il été suggéré par plusieurs auteurs d’insérer dans les contrats de bail une clause ayant pour effet de faire bénéficier en tout état de cause le franchisé locataire du statut des baux commerciaux1547.

Un arrêt rendu par la Cour d’appel de Paris1548 a marqué une nette évolution par rapport à cette jurisprudence, même si certains n’y ont vu qu’un renversement de la charge de la preuve par rapport à la jurisprudence antérieure1549. En effet, la Cour a considéré que le franchisé était propriétaire de la clientèle au motif que «le fonds de commerce est un ensemble d’éléments de nature à attirer la clientèle intéressée par le produit vendu ou la prestation offerte en vue de l’enrichissement de celui qui assume le risque d’une telle entreprise, c\’est-à-dire celui de la perte des investissements qu’il a faits pour l’acquérir, le maintenir et le développer» et que «la sanction d’une éventuelle perte de clientèle voire d’un insuccès total frappe directement le franchisé au point le cas échéant de mettre en péril l’existence de son fonds».

373. Droit positif – La Cour de cassation a ensuite fermement désavoué la jurisprudence antérieure1550. Rejetant le moyen qui reprenait la formulation issue d’un arrêt de la Cour d’appel de Paris, la troisième chambre civile a approuvé la juridiction du fond d’avoir relevé «que si une clientèle est au plan national attachée à la notoriété de la marque du franchiseur, la clientèle locale n\’existe que par le fait des moyens mis en œuvre par le franchisé, parmi lesquels les éléments corporels de son fonds de commerce, matériel et stock, et l\’élément incorporel que constitue le bail, que cette clientèle fait elle-même partie du fonds de commerce du franchisé puisque, même si celui-ci n\’est pas le propriétaire de la marque et de l\’enseigne mises à sa disposition pendant l\’exécution du contrat de franchise, elle est créée par son activité, avec des moyens que, contractant à titre personnel avec ses fournisseurs ou prêteurs de deniers, il met en œuvre à ses risques et périls, d\’autre part, que le franchiseur reconnaissait aux [franchisés] le droit de disposer des éléments constitutifs de leur fonds».

En vérité, cette solution ne lève pas toutes les incertitudes. En particulier, on peut s’interroger sur la nature de la clientèle nationale attribuée au franchiseur et sur sa distinction avec l’ensemble des clientèles locales attribuées aux franchisés1551.

Il nous semble néanmoins que la solution adoptée par la Cour de cassation doive mettre fin à la casuistique précédente. Dès lors que le franchisé crée une clientèle en exerçant son activité à titre personnel et à sa risques et périls1552, et peut, en vertu du contrat de franchise, disposer des éléments constitutif du fonds de commerce, il dispose d’une clientèle.. Il est ainsi désormais acquis que le franchisé locataire, commerçant agissant en son nom et pour son compte, bénéficie du régime des baux commerciaux et, en particulier, du droit au renouvellement de son bail ou à une indemnité d’éviction1553.

2. Les relations du franchisé avec ses employés

374. Particularités des relations employeur/employés dans le cadre de la franchise – Dans de nombreuses hypothèses, le franchisé, personne morale ou physique, emploie des salariés1554. Quelques spécificités peuvent être évoquées dans le cadre des relations employeur/employés en matière de contrat de franchise.

Tout d’abord, il est utile de rappeler à ce stade que la préservation du caractère secret du savoir-faire implique que soit mise à la charge desdits employés une obligation de confidentialité1555. Par ailleurs, le franchisé a pu s’engager à soumettre ses employés à une obligation de formation initiale et continue dans un cadre défini par le franchiseur (au sein d’un établissement du franchiseur, auprès d’une école sélectionnée par celui-ci ou au sein d’une école propre au réseau, par exemple)1556.

Il a en outre été jugé que, si l’employé du franchisé avait le droit d’exiger de son employeur le respect des normes d’hygiène et de sécurité, et même le devoir de signaler ces manquements à l’inspection du travail, il commettait une faute en dénonçant directement lesdits manquements au franchiseur1557.

Enfin, peut être imposée aux salariés une obligation de non affiliation à un réseau concurrent après expiration du contrat de travail. Si l’obligation de non-concurrence est ainsi limitée, le salarié conserve le droit d’être embauché dans un établissement appartenant au même réseau, et il n’est possible d’engager la responsabilité délictuelle dudit salarié pour concurrence déloyale que s’il est prouvé qu’il a employé des manœuvres dans le but de détourner les clients de son ancien employeur1558.

3. La responsabilité du banquier dispensateur de crédit envers le franchisé

375. Obligation de mise en garde du banquier à l’égard de l’emprunteur1559 – L’existence et le contenu de l’obligation de mise en garde du banquier à l’égard de l’emprunteur ont été discutés, marqués par la divergence de jurisprudence entre la Chambre commerciale et la Première chambre civile de la Cour de cassation1560. En effet,la Chambre commerciale ne posait aucune obligation de mise en garde à la charge du banquier. Ce dernier devait simplement fournir une information neutre à son client1561; sa responsabilité ne pouvait être retenue que si preuve était apportée qu’il disposait d’informations sur la situation de l’emprunteur que ledit emprunteur ignorait lui-même et qu’il retenait cette information1562. Par conséquent, pour que le banquier ait à répondre d’un quelconque manquement, il fallait que les conditions de la réticence dolosive soient remplies. Au contraire, la Première chambre civile semblait admettre l’existence d’un devoir de mise en garde à la charge du banquier1563.

A la suite des arrêts rendus par la Première chambre civile réunie en formation plénière le 12 juillet 20051564, de l’assouplissement de la position de la Chambre commerciale1565 et des arrêts récents rendus par la Cour de cassation en Chambre mixte le 29 juin 20071566, l’étendue de l’obligation d’information et de mise en garde1567 mise à la charge du banquier dispensateur de crédit a pu (enfin) être précisée1568. Celle-ci est différente selon que l’emprunteur est averti ou profane, qualité que le juge apprécie in concreto en fonction de la compétence et de l’expérience des parties, ce qui imlique une certaine casuistique. Il doit caractériser un déséquilibre entre l’information de l’emprunteur et du banquier ainsi que l’ignorance de l’emprunteur1569:

– lorsque l’emprunteur est averti, le banquier est tenu à une simple obligation d’information objective mais, si l’emprunteur apporte la preuve que le prêteur détenait des informations auxquelles il ne pouvait avoir accès1570, il pourra agir sur le fondement de la réticence dolosive1571;

– lorsque l’emprunteur est profane, le banquier est tenu par une obligation de mise en garde1572. Cette obligation vise non seulement le caractère excessif du crédit consenti lorsque les revenus de l’emprunteur sont faibles1573, mais également d’autres hypothèses1574. Il appartient dans ce cas à la banque de prouver qu’elle s’est acquittée de son obligation1575.

Des incertitudes demeurent , notamment sur le contenu du devoir de mise en garde et sur les qualités d’emprunteurs avertis et profanes1576. Néanmoins, il est certain, s’agissant de ce dernier point, que le fait que l’emprunteur agisse en qualité de professionnel n’implique pas qu’il soit averti1577, à moins que la nature même de la profession concernée implique que l’emprunteur le soit1578. Par ailleurs, le fait que des proches de l’emprunteur aient été avertis ne fait pas présumer que ce dernier l’ait lui-même été1579, quand bien même le proche concerné serait coemprunteur1580.

La nature de l’obligation ne fait quant à elle pas de doute: les différents arrêts rendus en la matière au visa de l’article 1147 du code civil1581 montrent que l’obligation d’information et de mise en garde du banquier dispensateur de crédit est de nature contractuelle.

Enfin, et conformément à une tendance marquée en matière d’obligation d’information, la charge de la preuve de la délivrance de l’information est mise à la charge de son débiteur1582, c\’est-à-dire en l’espèce du banquier1583.

376. Responsabilité du banquier dans le cadre de la franchise – L’emprunteur agissant à titre professionnel n’étant pas en lui-même considéré comme un emprunteur averti, il n’est pas exclu que le candidat franchisé demandant l’octroi d’un prêt pour financer le démarrage de son exploitation soit profane en matière de crédit, et créancier à ce titre d’une obligation de mise en garde de la part du banquier1584.

Dans le cas où il est averti, la réticence dolosive du banquier sera rarement caractérisée, car la situation dans laquelle le banquier dispose sur la situation de l’emprunteur d’informations ignorées par l’emprunteur lui-même est a priori exceptionnelle, ce qui est d’ailleurs souligné par la jurisprudence1585. Toutefois, la conjoncture préalable à la signature d’un contrat de franchise est favorable à ce type de situations: l’appréciation des chances de succès du projet du franchisé dépend partiellement de la réussite du franchiseur, que le franchisé est censé reproduire; or, si certains éléments relatifs aux résultats obtenus par le franchiseur ont été transmis directement par ce dernier au banquier, le franchisé reste dans l’ignorance d’éléments capitaux dont le banquier dispose. Le banquier engagera donc sa responsabilité à l’égard du franchisé, alors même que ce dernier est averti1586

§2. La responsabilité des contractants vis-à-vis des tiers

I. La responsabilité du franchiseur vis-à-vis des tiers

A. La responsabilité du franchiseur de son fait

1. La responsabilité du franchiseur en tant que tête du réseau

a) La responsabilité civile du franchiseur

377. Responsabilité du franchiseur créateur du réseau de franchise – Lorsque le débiteur d’une obligation de non-concurrence ou de non-affiliation, envisage de créer un réseau de franchise, il s’expose à voir sa responsabilité contractuelle engagée. Viole ainsi son obligation contractuelle de non-affiliation:

– l’ancien franchisé qui fonde un nouveau réseau1587, à moins que l’interdiction ne soit limitée au réseau préexistant ou de grande ampleur;

-le franchiseur, débiteur d’une obligation de non-concurrence à l’égard d’un tiers au réseau, qui permet à ses franchisés de s’installer sur les zones faisant l’objet de l’interdiction1588.

Par ailleurs, le fondateur du réseau qui adopterait une marque faisant d’ores et déjà l’objet d’un droit privatif dans le même domaine d’activité commettrait un acte de contrefaçon, que ledit droit antérieur soit détenu par l’ancien franchiseur du fondateur du nouveau réseau1589 ou par un tiers1590.

378. Responsabilité du franchiseur dans le cadre de l’exécution du contrat de franchise – Comme on l’a indiqué1591, l’inexécution de ses obligations par une partie à un contrat peut constituer une faute délictuelle à l’égard des tiers, et entraîner la responsabilité de son auteur à l’égard de la tierce victime de cette inexécution.

Aussi l’inexécution de ses obligations par le franchiseur est-elle parfois susceptible d’engager sa responsabilité à l’égard des tiers. Ainsi, lorsque le franchiseur s’est engagé envers le franchisé à l’aider à trouver un emplacement adéquat pour son exploitation, il voit sa responsabilité engagée à l’égard des voisins dudit franchisé, lorsque l’installation de ce dernier provoque des troubles anormaux de voisinage1592.

Cependant, le franchiseur doit effectivement avoir manqué à ses obligations contractuelles pour que sa responsabilité soit engagée à ce titre à l’égard des tiers. Ainsi, les juges du fond ne peuvent se fonder de façon générale sur un manquement à l’obligation de conseil mise à la charge du franchiseur: ils doivent préciser la stipulation dont la violation a entraîné le préjudice des franchisés1593. De même, dans une affaire où il était fait état de la contrefaçon constituée par la publicité élaborées par le franchisé, il a été jugé que le franchiseur n’avait pas commis de faute à l’égard des victimes en ne procédant pas au contrôle de cette campagne, contrairement aux stipulations contractuelles, lorsque ce défaut de contrôle était du au fait que le franchisé n’avait pas procédé à la demande d’agrément prévue au contrat1594. En revanche, le franchiseur engage sa responsabilité lorsqu’il est l’auteur de la publicité litigieuse et l’a fournit aux tiers1595.

b) La responsabilité pénale du franchiseur

379. Responsabilité pénale du franchiseur dans le cadre de son obligation d’assistance – Le franchiseur peut voir sa responsabilité pénale engagée tant pour des infractions contre les biens que pour des infractions contre les personnes, lorsqu’il commet une faute dans l’exécution de son obligation d’assistance.

Ainsi, un franchiseur a été condamné pour faux, escroqueries, abus de biens sociaux et recel1596, et un autre pour homicide involontaire, la faute commise dans le cadre de son obligation d’assistance ayant entraîné la mort d’un employé du franchisé1597

380. Responsabilité pénale du franchiseur dans le cadre de la publicité faite au bénéfice du réseau – Lorsqu’il définit la publicité du réseau, le franchiseur doit se conformer à la réglementation protectrice des consommateurs en matière de publicité, et en particulier ne pas constituer une pratique commerciale trompeuse au regard de l’article L.121-1 du code de la consommation1598.

2. La responsabilité du franchiseur en tant que fournisseur

381. Garantie des vices cachés – Lorsque le franchiseur est également fournisseur des franchisés, pèsent sur luiles obligations mises à la charge de tout vendeur, parmi lesquelles figure la garantie des vices cachés.

S’il ressort des termes de l’article 1641 du code civil que le créancier de la garantie des vices cachés est en priorité l’acheteur, c\’est-à-dire dans l’hypothèse qui nous occupe le franchisé, il est aujourd’hui admis que le vendeur soit également débiteur de cette garantie à l’égard des acheteurs successifs de la chose1599. En conséquence, les consommateurs ayant acquis des produits viciés auprès du franchisé peuvent intenter une action à l’encontre du franchiseur, dans un délai de deux ans à compter de la découverte du vice1600 pour obtenir, soit le remboursement de la totalité du prix en l’échange de la remise de la chose (action rédhibitoire), soit celui d’une partie du prix en conservant la chose (action estimatoire)1601.

Une exécution en nature par réparation ou remplacement est également parfois envisageable1602. Cette action est de nature contractuelle1603. En conséquence, le franchiseur pourra opposer au client du franchisé tous les moyens de défense qu’il aurait pu opposer au franchisé lui-même.

382. Produits défectueux – Par ailleurs, toute victime d’un produit n’offrant pas «la sécurité à laquelle on peut légitimement s’attendre»1604, qu’elle soit ou non sous-acquéreur du produit, pourra, sous certaines conditions, demander réparation au franchiseur, sur le fondement des articles 1386-1 et suivants du code civil, du préjudice corporel subi par elle ou du dommage causé à ses biens (autres que le produits défectueux lui-même)1605.

Une distinction doit être opérée selon que le franchiseur est producteur du produit ou simplement fournisseur. Dans le premier cas, il sera déclaré responsable du dommage causé par le produit, à moins d’établir l’existence d’une cause d’exonération1606. Dans le second, la responsabilité du franchiseur ne pourra être engagée que si le producteur est inconnu; le franchiseur poursuivi pourra alors se dégager de sa responsabilité en désignant son propre fournisseur ou le producteur dans un délai de trois mois à compter de la notification de la demande par la victime, conformément à l’article 1386-7 du code civil1607.

383. Responsabilité pénale du franchiseur en tant que fournisseur d’un produit défectueux – La responsabilité du franchiseur peut également être engagée lorsque le défaut d’un produit qu’il a fourni cause un dommage à un tiers. Ainsi, dans l’espèce ayant donné lieu à l’un des arrêts précités relatifs à la responsabilité pénale du franchiseur dans le cadre de son obligation d’assistance1608, cette responsabilité avait également été retenue en raison des défauts de conception de la machine fournie, défauts identifiés comme l’une des causes de l’homicide involontaire.

B. L’absence de responsabilité du franchiseur du fait du franchisé384. Absence de relation de commettant à préposé – Le franchisé, commerçant indépendant, n’est pas le préposé du franchiseurau sens de l’article 1384 du code civil. Le franchiseur ne peut donc être responsable du fait de son franchisé. De même, étant tiers aux contrats conclus entre le franchisé et les cocontractants de celui-ci, il ne pourra être déclaré responsable de la mauvaise exécution de ses obligations contractuelles par le franchisé1609. Cependant, le franchiseur est responsable vis-à-vis du cocontractant du franchisé lorsque le franchisé paraît aux yeux de celui-ci comme étant le mandataire du franchiseur1610.

Il convient également de souligner à nouveau l’incidence de l’article 1360 du code civil, tel qu’il résulterait de l’avant-projet de réforme du droit des obligations s’il était adopté en l’état. En effet, alors même que le franchisé n’est pas le préposé du franhiseur, l’existence d’un contrôle économique du second sur le premier pourrait donner naissance à une action fondée sur la responsabilité du fait d’autrui1611. Cette possible extension de la responsabilité du franchiseur n’est cependant que prospective.

C. La responsabilité du franchiseur complice du franchisé385. Précision préalable – S’il n’existe pas de responsabilité du franchiseur du fait de son franchisé1612, il arrive que le franchiseur et le franchisé agissent de concert et causent par leur action commune un préjudice à autrui. Dans ce cas, le franchiseur n’est pas en tant que tel responsable du fait de son franchisé: en se rendant complice de celui-ci, il commet une faute personnelle, tout comme le franchisé1613.

386. Complicité et responsabilité civile du franchiseur – Les hypothèses susceptibles de provoquer la responsabilité du franchiseur en tant que complice de la faute civile d’un franchisé sont nombreuses, au moins en théorie1614. La complicité du franchiseur dans la faute civile du franchisé est susceptible de se produire dans le cadre de la violation par ce dernier d’une clause de non-concurrence ou de non-réaffiliation à laquelle il était tenu, en tant qu’ancien salarié ou ancien franchisé d’une autre enseigne.

Ainsi, le complice de l’ancien franchisé violant son obligation de non-réaffiliation, dont la responsabilité a été étudiée précédemment1615, est fréquemment le franchiseur d’un réseau concurrent.

Par ailleurs, le franchiseur qui signe un contrat de franchise avec une société dont le gérant est un ancien salarié tenu par une clause de non-concurrence, en connaissance de l’existence de cette clause, et alors que l’exploitation de l’établissement ainsi créé constitue une violation de ladite clause, engage sa responsabilité délictuelle à l’égard de l’ancien employeur du gérant1616; cette solution n’est pas choquante1617.

387. Complicité et responsabilité pénale du franchiseur – Dans certaines hypothèses, le franchiseur se rend complice, au sens pénal du terme, des infractions commises par son franchisé.

Une telle hypothèse est notamment susceptible de se présenter en matière de franchise de distribution, en matière d’escroquerie ou d’infractions proches commises au détriment du consommateur; un franchiseur a ainsi été déclaré complice du délit de tromperie sur les qualités substantielles des marchandises1618 commis par son franchisé1619, ledit franchiseur ayant fourni au franchisé les fiches techniques contenant les informations manifestement trompeuses.

II. La responsabilité du franchisé vis-à-vis des tiers

A. La responsabilité du franchisé vis-à-vis de ses employés

388. Application du droit commun du travail – Comme on l’a indiqué, il est fréquent que le franchisé emploie des salariés. Lui incombent alors en tant qu’employeur toutes les obligations qui sont mises à la charge de tout autre employeur par les contrats de travail dont il est partie, la loi, et les conventions collectives éventuellement applicables1620. L’appartenance du franchisé à un réseau soulève cependant parfois des difficultés dans l’application du droit du travail.

389. Incidence de l’appartenance du franchisé à un réseau sur son obligation de reclassement – Lorsque le salarié ne peut plus demeurer dans ses fonctions, soit en raison des difficultés économiques de l’entreprise, soit parce qu’il est devenu inapte à son emploi à la suite d’une maladie professionnelle ou d’un accident du travail, il incombe à l’employeur une obligation de reclassement, qui lui impose, dans la mesure du possible, de proposer au salarié un autre emploi1621. L’employeur ne peut licencier le salarié – hors autre cause de licenciement – que si ce reclassement se révèle impossible ou si l’emploi régulièrement proposé est refusé par le salarié1622. Or, le périmètre de reclassement n’est pas nécessairement limité à l’entreprise où travaillait le salarié; on le sait, «les possibilités de reclassement des salariés doivent être recherchées à l\’intérieur du groupe parmi les entreprises dont les activités, l\’organisation ou le lieu d\’exploitation leur permettent d\’effectuer la permutation de tout ou partie du personnel»1623.

C’est dans ce cadre qu’intervient la difficulté soulevée par l’appartenance de l’employeur à un réseau, en tant que franchisé: le réseau est-il constitutif d’un groupe au sein duquel le reclassement du salarié du franchisé serait possible? Dans l’affirmative, le franchisé engagerait sa responsabilité vis-à-vis de son employé s’il ne recherchait les possibilités de reclassement de ce dernier que dans le cadre de sa propre entreprise.

L’indépendance des membres du réseau entre eux semble devoir s’opposer à une telle qualification. C’est d’ailleurs en ce sens que se sont prononcées certaines juridictions1624. Cependant, aucune solution générale ne peut être prononcée en la matière; l’indépendance des franchisés entre eux n’exclut pas en elle-même la possibilité que le réseau constitue un groupe constituant le périmètre du reclassement du salarié du franchisé. La Cour de cassation exige en effet que les juges du fond s’attachent à rechercher concrètement s’il existe des permutations de personnel entre les membres du réseau concerné1625.

390. Appartenance du franchisé au réseau et modification dans la situation juridique de l’employeur – L’article L.1224-1 du code du travail1626 dispose: «Lorsque survient une modification dans la situation juridique de l\’employeur, notamment par succession, vente, fusion, transformation du fonds, mise en société de l\’entreprise, tous les contrats de travail en cours au jour de la modification subsistent entre le nouvel employeur et le personnel de l\’entreprise». Les contrats de travail ainsi transmis le sont dans tous leurs éléments1627.

Il peut se révéler difficile, dans le cadre d’un contrat de franchise, d’identifier la modification juridique de l’employeur, lorsqu’un franchisé quitte le réseau sans céder son fond de commerce1628. C’est le cas notamment lorsqu’un nouveau franchisé du même réseau succède à l’ancien franchisé dans la même zone de chalandise. Ainsi, si l’entité à laquelle sont attachés les employés n’est pas transférée à un nouveau franchisé – soit qu’il n’y ait pas de nouveau franchisé, soit que l’on considère que l’ancien franchisé conserve son fonds de commerce – l’ancien franchisé reste l’employeur des salariés1629. En revanche, dans le cas contraire, il y a bien transfert des contrats de travail; il a été jugé que le transfert de la marque entraînait, dans le cadre de la franchise, transfert d’une entité économique et des contrats de travail attachés à cette entité, peu important que les éléments corporels du fonds de commerce n’aient pas été cédés1630. En revanche, lorsque dans de telles circonstances, des salariés continuent à travailler au sein de l’entreprise de l’ancien franchisé malgré la perte de la marque, il n’y a pas, en ce qui les concerne, modification de la situation juridique de l’employeur1631. De même, il n’y a pas modification de la situation juridique de l’employeur lorsque le salarié d’un franchisé démissionne de son poste et est engagé par un autre franchisé du même réseau: les deux employeurs successifs sont deux entités indépendantes, qui coexistent et ont pour seul point commun leur appartenance au réseau de franchise1632.

B. Les obligations du franchisé à l’égard des consommateurs391. Obligations tenant aux produits commercialisés – Le franchisé qui commercialise des produits est tenu à toutes les obligations mises à la charge du vendeur par le droit commun de la vente1633: les garanties d’éviction et des vices cachés ainsi que, dans la mesure où le producteur n’est pas identifié, la responsabilité du fait des produits défectueux1634. Aucune spécificité n’est attachée au statut de franchisé en la matière; aussi ne sera-t-il apporté ici qu’une précision concernant le dernier cas de responsabilité évoqué ci-dessus : dans l’hypothèse, fréquente, où le franchisé est tenu par une clause d’approvisionnement exclusif ou quasi-exclusif, il peut se défendre contre une action formée à son encontre en raison de la défectuosité des produits en désignant, dans un délai de trois mois suivant la demande de la victime, son propre fournisseur1635, c\’est-à-dire, selon le cas, le franchiseur, la centrale d’achat du réseau (si celle-ci dispose d’une personnalité juridique distincte de celle du franchiseur) ou l’un des fournisseurs référencés.

392. Obligation d’information du commerçant franchisé – L’obligation d’information pesant sur le franchisé lui est en revanche spécifique: il s’agit là du seul domaine dans lequel le législateur soit intervenu spécifiquement en matière de franchise (sans pour autant définir ce terme1636). Ainsi, l’arrêté dit Neiertz du 21 février 1991 «relatif à l\’information du consommateur dans le secteur de la franchise» dispose, en son article 1: «Toute personne vendant des produits ou fournissant des services, liée par un accord de franchise à un franchiseur, doit informer le consommateur de sa qualité d\’entreprise indépendante, de manière lisible et visible, sur l\’ensemble des documents d\’information, notamment de nature publicitaire, ainsi qu\’à l\’intérieur et à l\’extérieur du lieu de vente.». Le respect de cette disposition doit permettre d’éviter que le consommateur croie contracter avec un simple représentant du franchiseurer.

L’arrêté ne précise pas la sanction de l’infraction à la règle qu’il définit. La note de service Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes concernant l’application de ce texte1637 indique à ce titre que les services de la concurrence et de la consommation doivent «vérifier si l’obligation pour le franchisé d’indiquer sa qualité de commerçant indépendant figure effectivement dans le contrat de franchise» et, si ce n’est pas le cas, demander au franchiseur l’inscription de cette obligation dans le contrat.

C. La responsabilité du franchisé vis-à-vis de ses concurrents393. Concurrence déloyale – Ainsi qu’on la vu, le franchisé peut agir à l’encontre de ceux de ces concurrents qui ne respectent pas les usages du commerce en matière de concurrence1638. L’inverse est également vrai: les concurrents du franchisé peuvent eux-mêmes lui reprocher des actes de concurrence déloyale1639.Ici encore, la simple installation du franchisé à proximité d’un concurrent distribuant des produits similaires n’est pas constitutive d’un acte de concurrence déloyale1640, d’autant plus que l\’attraction de la clientèle est due, dans de nombreuses hypothèses, à la marque du franchiseur, et non à la réputation du concurrent situé à proximité1641.

Chapitre 4 : La renégociation du contrat de franchise

Section 1 : Les conditions de la renégociation

§1. En l’absence de clause de renégociation

396. Droit commun –  On le sait, l’imprévision1642  est définie comme « la situation d’une partie confrontée à des circonstances extérieures imprévisibles lors de la conclusion d’un contrat et qui, sans la mettre dans l’impossibilité absolue d’exécuter ses prestations, rendent celles-ci tellement onéreuses, qu’à défaut d’un rééquilibrage des obligations contractuelles, la réalisation de l’objet du contrat se trouverait sérieusement compromise1643 » .

Depuis le célèbre arrêt « Canal de Craponne »1644  , la Cour de cassation refuse de consacrer la théorie de l’imprévision, ce qui n’est pas sans soulever un problème de cohérence à la fois interne1645  et externe1646 .

Face à ce refus de principe deux premiers tempéraments se dégagent. Un tempérament légal, limité à l’hypothèse prévue à l’article 1152 du code civil, qui permet au juge de modifier le montant des clauses pénales lorsqu’il est excessif ou dérisoire. Un tempérament conventionnel, les parties pouvant prévoir des clauses de renégociations dans l’hypothèse de la survenance d’un déséquilibre économique dans les prestations, de sorte que si la partie non lésée refuse de renégocier le contrat, sa responsabilité contractuelle pourra alors être engagée1647 .

397. Contrat de franchise – Le contrat de franchise ne peut faire l’objet d’une renégociation en raison d’un élément que l’une des parties contractantes, par sa négligence ou son imprudence, n’a pas su apprécier lors de la conclusion du contrat ; c’est alors, conformément à la tradition du droit français, le triomphe de la force obligatoire du contrat. Certaines exceptions sont néanmoins admises par la jurisprudence lorsque l’un des contractants a commis une faute de nature à provoquer un déséquilibre contractuel ; dans ce cas, la jurisprudence sanctionne le comportement du contractant fautif qui refuserait néanmoins de renégocier le contrat.

I. Le principe : l’intangibilité du contrat de franchise398. Droit commun1648  – Car la liberté préside à la formation du contrat, les contractants ne peuvent remettre en cause le contrat auxquels ils ont adhéré, quand bien même celui-ci serait profondément déséquilibré : le contractant lésé ne peut en exiger la renégociation. C’est ce qui ressort clairement de la jurisprudence de la Cour de cassation qui a eu l’occasion de rappeler cette règle fondamentale1649 .

Pour écarter toute obligation de renégocier, la première Chambre civile1650  retient en effet que l’auteur du pourvoi ne mettait pas en cause « le refus injustifié de la commune et de l’association de prendre en compte une modification imprévue des circonstances économiques » mais « le déséquilibre financier existant dès la conclusion du contrat ». Aussi, après avoir écarté toute obligation de renégocier, parce que le déséquilibre invoqué existait dès la conclusion même du contrat, la Cour de cassation relève que la société auteur du pourvoi « ne pouvait fonder son retrait brutal et unilatéral sur le déséquilibre structurel du contrat que, par sa négligence ou son imprudence, elle n’avait pas su apprécier ».

Autrement dit, toute obligation de renégocier est exclue lorsque le déséquilibre qui affecte le contrat existait dès sa conclusion. Dans cette hypothèse, le contractant, à qui profite le déséquilibre financier, ne peut être contraint de renégocier le contrat en vue d’en modifier les termes. Le contractant victime d’un déséquilibre contractuel originel ne peut donc faire autrement que d’exécuter les obligations qui lui incombent. Ce déséquilibre, fût-il avéré, ne confère pas au contractant lésé le droit de révoquer unilatéralement ses engagements, de modifier le contrat ou d’en exiger la renégociation.

399. Illustrations jurisprudentielles – C’est pourquoi la jurisprudence retient-elle, par exemple, que le refus par un franchiseur de modifier la nature des relations juridiques l’unissant à son franchisé pour conclure avec lui un contrat d’affilié, ne peut être regardé comme constitutif en lui-même d’une manœuvre déloyale, le franchisé ne pouvant revendiquer un droit à la conclusion d’un tel contrat, ce qui impliquerait l’obligation pour le franchiseur de contracter contre son gré, en mettant fin à l’exécution de contrat de franchise avant son terme1651 .

En revanche, le fait pour un franchiseur d’avoir proposé à ses franchisés de modifier leur contrat ne constitue pas une faute, dès lors que cette offre a été soumise à des négociations entre les parties et que les franchisés qui ont refusé cette offre n’ont pas été sanctionnés1652 .

II. Les exceptions400. Hypothèses – La jurisprudence sanctionne le comportement du contractant qui refuse de renégocier le contrat alors qu’il a commis une faute de nature à provoquer un déséquilibre contractuel. Cette faute peut intervenir lors de la formation ou de l’exécution du contrat.

A. Renégociation du contrat en cas de dol401. Incidence de la faute précontractuelle sur la renégociation du contrat – Si les illustrations jurisprudentielles sont encore rares, il ressort de celles si qu’il peut être fait grief au franchiseur qui, durant la phase pré-contractuelle, a commis une faute de nature à vicier le consentement de son franchisé, de n’avoir pas renégocié son contrat de franchise avec le franchisé, victime de ses agissements fautifs lors de la formation du contrat.

Ainsi, par un arrêt But 1653 , la chambre commerciale de la Cour de cassation avait-elle retenu la responsabilité du franchiseur qui, après avoir commis une erreur d’appréciation dans la phase précontractuelle, n’avait pas modifié la politique commerciale de façon à l’adapter au secteur où le franchisé était installé.

De même, lorsqu’un franchiseur manque à son obligation précontractuelle1654  d’information en s’abstenant d’informer son cocontractant du montant des investissements préalables nécessaires à l’exploitation et en augmentant le montant des investissements réclamés postérieurement à la conclusion du contrat, il commet une faute de nature à justifier la résolution du contrat à ses torts en refusant une proposition de renégociation du montant de ces investissements et en se contentant de proposer au franchisé une rupture amiable du contrat assortie d’une indemnité1655 .

B. Renégociation du contrat en cas d’exécution fautive402. Jurisprudence – Par ses arrêts Huard et Chevassus-Marche, la chambre commerciale de la Cour de cassation a érigé une obligation de renégociation en cas de changement imprévu de circonstances économiques lorsque l’un des contractants fait preuve de mauvaise foi lors de l’exécution du contrat.

Dans l’arrêt Huard1656 , la Cour de cassation avait condamné le comportement déloyal d’une compagnie pétrolière, qui imposait à l’un de ses distributeurs des prix d’achat très supérieurs aux prix de revente que parvenaient à pratiquer les autres contractants de la compagnie, qui bénéficiaient ainsi d’un statut nettement plus favorable. En l’espèce, la Cour de cassation avait justement considéré qu’en privant son distributeur « des moyens de pratiquer des prix concurrentiels », la société « n’avait pas exécuté le contrat de bonne foi »1657 .

Dans l’arrêt Chevassus-Marche1658 , les données du litige étaient somme toute assez proches de celles de l’arrêt Huard. En l’espèce, un agent commercial se plaignait de la très vive concurrence à laquelle il se trouvait confronté, notamment de la part de centrales d’achat qui se fournissaient directement auprès de ses mandants. La chambre commerciale casse l’arrêt ayant débouté l’agent infortuné, au motif que les juges du fond auraient dû rechercher si les sociétés avaient pris « des mesures concrètes pour permettre à leur mandataire de pratiquer des prix concurrentiels »1659 .

Il s’est agit, par ces deux arrêts, de sanctionner « la mauvaise foi d’un contractant qui refuse obstinément d’aider son cocontractant à sortir de l’impasse économique qu’il a largement contribué à provoquer »1660  ; autrement dit, d’imposer aux contractants une obligation de renégocier dès lors que le changement de circonstances procède d’un fait imputable à l’un des d’eux1661 , et non pas d’un événement « extérieur » à leur volonté1662 .

On relèvera enfin, plus récemment encore, le jugement rendu le 28 janvier 2008 par le Tribunal de commerce de Bobigny1663  qui, dans une affaire Nouvelle Frontière, reprend une approche voisine de celle ainsi préconisée par la jurisprudence de la Cour de cassation. Dans cette espèce, le litige opposait un voyagiste à l’association regroupant ses agents et mandataires exclusifs. Entre autres griefs, il était reproché à la tête de réseau d’avoir profité du silence du contrat pour créer un site Internet marchand par lequel il exerçait l’activité de vente de billets d’avion qui, générant près de 20% de son chiffre d’affaires, était pour partie concurrente de celle ses agents et mandataires1664 . Le Tribunal « dit que les contrats en vigueur doivent s’appliquer de bonne foi par (la société tête de réseau) dans les termes de ceux-ci, mais que dans l’intérêt des parties, les termes en soient rediscutés afin qu’il soit tenu compte des conséquences du site Internet (…) et de son développement de sorte que l’équilibre sur lequel est fondé le mandat d’intérêt commun qui les unit puisse être préservé (…) ». Ce faisant, le Tribunal précise que, pour aider à la recherche de cette solution, il nommera un « conciliateur » sur demande éventuelle des parties.

403. Doctrine – Ainsi que certains commentateurs l’ont fort justement relevé1665 , l’obligation de renégocier peut s’imposer aux contractants lorsque le changement de circonstances procède d’un fait imputable à l’un des d’eux, et ne résulte donc pas d’un événement « extérieur » à leur volonté1666 .

404. Appréciation critique – On ne peut qu’approuver cette approche ; il ne semble en effet pas anormal de considérer qu’une partie a une obligation de renégociation lorsqu’elle se rend coupable de faits qui lui sont imputables lors de l’exécution du contrat et qui ont créé un déséquilibre contractuel, dénominateur commun des situations ayant donné lieu aux décisions Huard, Chevassus-Marche et Nouvelles-Frontières.

On observera toutefois que l’appréciation de cette faute peut être subjective et peut conduire à des décisions contestables, comme l’illustre un arrêt de la Cour d’appel de Paris1667 .

Dans cette affaire, l’exploitation de deux enseignes avait été abandonnée, à la suite d’un rapprochement entre deux groupes franchiseurs. Il avait donc été proposé à un franchisé de changer l’enseigne de ses magasins, en passant deux magasins sous l’enseigne A et le troisième sous l’enseigne B. Ce dernier avait refusé la proposition, souhaitant bénéficier de la même enseigne pour tous ses magasins. En conséquence, la résiliation du contrat lui avait été notifiée sur le fondement d’une clause contractuelle autorisant la résiliation anticipée du contrat en cas de cessation de l’activité commerciale de l’une des parties. La Cour d’appel a considéré qu’il n’y avait pas eu à proprement parlé « cessation d’activité commerciale » mais « poursuite d’une activité identique dans un autre cadre, librement choisi », et que « [A] était dès lors tenue de proposer à sa franchisée, par l’intermédiaire de la société [B], des solutions raisonnables lui permettant de poursuivre son activité commerciale dans des conditions équivalentes ». Puis, la Cour a considéré qu’il appartenait au franchisé de démontrer que « la solution suggérée par son partenaire n’était pas commercialement acceptable et que, dans ces conditions, le franchiseur était fondé, à l’issue des négociations qui ont été rappelées, à résilier le contrat de franchise sans engager sa responsabilité ». La Cour ne semble pas tirer la conséquence de ses propres constatations ; il ne s’agissait pas en l’espèce d’une cessation d’activité à proprement parler, puisque l’abandon des enseignes ressortait d’une nouvelle politique commerciale. La solution semble donc particulièrement sévère à l’égard du franchisé1668  ; il lui appartenait de démontrer que la solution alternative avancée par le franchiseur n’était pas satisfaisante. Seulement, la proposition ainsi faite par le franchiseur constituait purement et simplement une demande de modification du contrat de franchise en cours, de telle sorte que le franchisé aurait dû bénéficier d’un pouvoir discrétionnaire pour accepter ou refuser la proposition ainsi faite. Cette solution pourrait laisser entendre que le cocontractant ne peut s’opposer à une modification du contrat que s’il démontre que celle-ci lui cause un préjudice ; la solution nous semble contestable au regard des faits rapportés1669 .

§2. En présence d’une clause de renégociation

405. Objet de la clause – Par le recours aux clauses de « renégociation », les contractants se prémunissent, dès la conclusion du contrat, du danger que représente la survenance d’un évènement imprévisible ou imprévu de nature à en bouleverser l’économie générale1670 . De telles clauses permettent à l’une ou l’autre des parties de tenter de parvenir à un « réaménagement du contrat qui les lie si un changement intervenu dans les données initiales au regard desquelles elles s’étaient engagées vient à modifier l’équilibre de ce contrat au point de faire subir à l’une d’elles une rigueur injuste »1671 . Elles ont pour fonction de rapprocher les parties afin qu’elles reconsidèrent l’équilibre du contrat ou, à défaut, posent les bases d’une rupture consensuelle. Souvent utilisée dans les relations de longue durée, la « clause de renégociation » se rencontre sous des termes divers : « clause d’imprévision », de « révision », de « rencontre », de « sauvegarde », d’« équité » ou de « hardship »1672 .

Si l’objet de la clause de renégociation diffère donc de celui de la clause de « conciliation »1673  et de la clause « d’allègement des obligations »1674 , sa validité ne fait aucun doute1675 .

406. Mise en œuvre de la clause – Afin d’éviter tout recours intempestif à de telles clauses, il convient de préciser tout d’abord les conditions de mise en œuvre du processus de renégociation, en indiquant notamment :

– les cas d’ouverture du processus de renégociation1676 ,

– si le mécanisme prévu par la clause peut être initié par les deux parties ou une seule1677 ,

– dans quelle mesure les parties se trouveront contraintes de s’informer réciproquement de tout évènement de nature à bouleverser l’économie générale du contrat1678

Dès lors que les conditions de mise en œuvre de la clause de renégociation sont réunies, les parties doivent effectivement entrer en discussion : il s’agit d’une obligation de résultat1679 . Engage donc sa responsabilité contractuelle la partie ayant refusé de renégocier le contrat ; son cocontractant est bien fondé à demander indemnisation de son préjudice qui, lorsque le contrat est devenu déséquilibré en cas de modification du contexte économique, réside dans la perte de chance d’obtenir, après négociation, le rééquilibrage du contrat1680 .

407. Effets de la clause – La clause de renégociation doit encore préciser les modalités de la renégociation proprement dite et ses conséquences sur la relation contractuelle en cours, à savoir notamment :

– les modalités suivant lesquelles la renégociation pourra se dérouler1681 ,

– l’objet même de la renégociation1682 ,

– le sort du contrat pendant la phase de renégociation1683 .

Si les contractants renégocient conformément à l’engagement qu’ils ont souscrit dans la clause de renégociation, celle-ci ne saurait pour autant les contraindre à réviser le contrat1684 . La Cour de cassation1685  considère en effet que de telles clauses « n’obligent en aucune façon le contractant à accepter les modifications du contrat proposées par l’autre partie […], n’obligent nullement les parties à réviser le contrat mais en autorisent seulement la possibilité ». Ainsi, alors même que les propositions formulées lors de la renégociation du contrat, en vue de son adaptation aux nouvelles circonstances économiques, sont raisonnables, les contractants ne sont nullement contraints d’accepter la révision proposée ; ils sont libres de la refuser, sans que leur responsabilité puisse être mise en jeu de ce chef.

Ce faisant, la clause renégociation pourra avoir précisé la solution à adopter entre les contractants en cas d’échec des discussions ainsi engagées. Plusieurs solutions peuvent être retenues :

– la poursuite du contrat jusqu’à son terme1686 ,

– la résiliation du contrat assortie d’un préavis1687 ,

– la suspension provisoire du contrat conduisant à une résiliation si les circonstances exceptionnelles ne disparaissent pas au terme contractuellement déterminé.

Section 2 : Les effets de la renégociation

§1. En cas d’accord entre les parties

I. L’existence de l’accord

A. La concrétisation de l’accord

409. Rencontre des volontés– Toute modification du contrat de franchise doit être acceptée par les parties au contrat1688. En effet, une partie ne peut modifier unilatéralement les termes du contrat de franchise sans obtenir le consentement de l’autre1689. Seule la volonté commune du franchiseur et du franchisé peut donc autoriser qu’une modification soit apportée au contrat de franchise.

Autrement dit, le franchiseur ne peut donc pas imposer unilatéralement au franchisé des règles nouvelles modifiant les droits que ce dernier a acquis en vertu du contrat de franchise1690, quand bien même d’autres franchisés les auraient acceptées1691.

410. Sanction de la modification unilatérale du contrat– Toute modification unilatérale du contrat de franchise, alors même qu’elle constitue une faute, n’emporte pas nécessairement la résiliation du contrat aux torts exclusifs de son auteur. Encore faut-il que l’obligation modifiée soit essentielle. La Cour de cassation a ainsi rappelé que la modification unilatérale de ses obligations par une des parties ne pouvait justifier la résiliation de la convention, lourde de conséquences, que si le changement imposé porte sur une obligation substantielle et déterminante de l’adhésion du franchisé au réseau1692. Une telle modification unilatérale du contrat pourra par exemple entraîner la résiliation en cas de changement de tarifs sans respecter le préavis conventionnel1693, de suppression de l’accès direct à un système de réservation automatisé1694, de modification des conditions financières du contrat1695 ou de la répartition des sommes encaissées à l’occasion d’une formation1696.

Si le franchiseur décidait de passer outre, il s’exposerait au prononcé de la résiliation du contrat de franchise à ses torts exclusifs1697.

411. Rôle des associations de franchisés – Le franchiseur ne peut donc pas imposer unilatéralement au franchisé des règles nouvelles modifiant ses droits acquis, étant précisé que le franchisé est un commerçant indépendant qui ne peut se voir imposer des règles, peut-être applicables à d’autres franchisés, mais qu’il n’a pas personnellement acceptées.

En raison de cette indépendance, une association de franchisés remplissant auprès du franchiseur un rôle consultatif ne peut, sauf clause contraire, accepter une modification contractuelle au nom de l’ensemble des franchisés1698; de même, une modification acceptée par la majorité des franchisés ne saurait s’appliquer à tous1699, sauf si elle est dans l’intérêt exclusif de ceux-ci.

Le contrat peut cependant prévoir que le contrat pourra être modifié sur proposition du franchiseur acceptée par une association de franchisés, un organe mixte franchisés-franchiseur ou encore la majorité, qualifiée ou simple, de l’ensemble des franchisés1700. Lorsque la procédure prévue au contrat est régulièrement appliquée1701, les contrats contenant une telle clause sont tous modifiés, et les franchisés parties à ces contrats sont tenus par les stipulations issues de cette modification.

A l’inverse, il a été jugé que lorsque le franchiseur propose à l’ensemble de ses franchisés un nouveau contrat, il accorde sans faute des avantages aux seuls franchisés ayant accepté, dès lors que ces avantages ne sont pas accordés avec effet rétroactif et que le franchiseur s’engage à appliquer l’ancien contrat à ceux qui refusent de signer le nouveau1702.

412. Conséquence du retrait de l’offre de renégocier – Tant qu’une proposition de signer un nouveau contrat n’a pas fait l’objet d’une acceptation, elle peut être retirée sans préjudice pour l’autre partie, sauf à ce que cette dernière démontre l’existence d’un abus de droit1703.

B. La manifestation de l’accord413. Preuve– Pour des raisons évidentes de preuve, il est préférable que l’accord des parties définissant les nouvelles conditions du contrat de franchise donne lieu à la conclusion d’un avenant, qui prendra la forme d’un contrat, voire d’un simple échange de courriers.

L’exigence d’un écrit n’est toutefois pas requisepour rapporter la preuve d’un tel accord1704 lorsque le comportement des parties atteste de sa réalité1705.

Ce qui importe c’est que, d’une manière ou d’une autre, il n’y ait aucun doute sur la volonté commune de deux parties de se soumettre au nouveau contrat. Et cette exigence n’est pas sans risque car, à défaut d’une telle preuve, c’est le contrat d’origine qui continue de s’appliquer1706 ou se renouvelle par tacite reconduction lorsqu’il comprend une telle clause.

Le contrat peut prévoir que le contat renégocié ne pourra être formé que par la conclusion d’un avenant, à l’exclusion de toute modification tacite. L’utilité d’une telle stipulation n’est pas négligeable: l’application temporaire de conditions plus favorables à l’une des parties ne pourra alors être interprétée comme l’accord tacite de l’autre partie à la modification du contrat.

 

II. Les conséquences de l’accord

A. Conséquences entre les parties

414. Force obligatoire – Les consentements des parties s’étant à nouveau rencontrés, le contrat modifié, contrat consensuel, a force obligatoire entre lesdites parties, en vertu de l’article 1134 du code civil. Comme tout contrat, la modification peut être soumise à des modalités particulières; ainsi, sa formation peut être subordonnée à la réalisation d’une condition. Par ailleurs, ses effets peuvent être immédiats ou différés.

B. Conséquences vis-à-vis des tiers1. Tiers et autres franchisés

415. Tiers: L’accord intervenu entre le franchiseur et l’un de ses franchisés est par principe sans effet sur les tiers au contrat. Cette solution découle logiquement des dispositions de l’article 1165 du code civil.

416. Autres franchisés: L’accord intervenu entre le franchiseur et certains de ses franchisés est sans effet sur le contrat que ce franchiseur a par ailleurs conclu avec d’autres franchisés de son réseau.

Ces derniers ne peuvent se voir imposer une modification de leur contrat de franchise sous prétexte que celle-ci aurait été acceptée par d’autres franchisés.

2. Administration fiscale

417. Rappel– La renégociation d’un contrat, quelqu’il soit, emporte des conséquences fiscales1707. Par l’accord issu de la renégociation, le franchiseur peut être amené à accorder à ses franchisés un avantage d’ordre financier qui peut prendre différentes formes, telles que notammentun abandon de créances, une exonération partielle de redevance, une subvention commerciale, une avance sans intérêts, ou une aide publicitaire, etc. Les modalités financières permettant au franchiseur de venir ainsi en aide au franchisé ne manquent pas.

418. Généralités– Il convient de rappeler tout d’abord deux règles parfaitement connues et constamment appliquées par le Conseil d’Etat1708 :

– d’une part, les abandons de créances ou les subventions accordés par une entreprise au profit d’un tiers relèvent d’une gestion commerciale normale – et sont alors déductibles du bénéfice imposable – s’il apparaît qu’en consentant de tels avantages, l’entreprise a agi dans son «propre intérêt»;

– d’autre part, l’administration est réputée apporter la preuve des faits sur lesquels elle se fonde pour estimer qu’un avantage consenti par une entreprise (ici le franchiseur) à un tiers (ici le franchisé) constitue un acte anormal de gestion, dès lors que l’entreprise n’est pas en mesure de justifier qu’elle a bénéficié en retour de contreparties.

Ainsi, lorsque le franchiseur ne démontre pas avoir bénéficié d’un avantage en contrepartie de celui qu’il a consenti à son franchisé, l’application de ces deux règles fait donc présumer la non déductibilité du gain dont le franchiseur s’est privé1709.

419. Acte anormal de gestion– Un récent arrêt conduit à s’interroger sur le point de savoir si un tel avantage constitue ou non un «acte anormal de gestion»1710.

Les faits étaient particulièrement simples, ce qui donne à cet arrêt une portée importante. En l’espèce, un franchiseur, dont le réseau comprenait une trentaine de points de vente essentiellement en franchise, avait consenti des aides à l’un de ses franchisés, pour un montant global de l’ordre de 60.000 euros, comprenant: un abandon de créances commerciales, une exonération de redevance de franchise d’une durée de 24 mois, et une subvention commerciale.

Faisant suite à une vérification de comptabilité conduisant à un redressement fiscal confirmé par le Tribunal administratif de Paris1711, la Cour administrative d’appel de Paris retient en effet, par un arrêt rendu le 11 juillet 20071712, une position de principe pouvant surprendre:

«Considérant que [le franchiseur] fait valoir que l’abandon de créances ainsi consenti l’a été dans son intérêt commercial propre dès lors qu’il était destiné à maintenir, face à la concurrence, l’un de ses points de vente et à sauvegarder son image ainsi que sa crédibilité vis-à-vis des prescripteurs, des éditeurs et de ses clients, en évitant la disparition d’un franchisé et que le montant de l’aide octroyée devait être apprécié au regard de son intérêt commercial propre lequel ne saurait se réduire au ratio retenu par les premiers juges ; que, toutefois, il n’est pas contesté que l’activité [du franchisé] représente moins de 2,5 % des ventes annuelles du réseau qui comporte trente points de vente dont vingt-six en franchise ; que, par suite, c’est à bon droit que les premiers juges qui ont correctement apprécié les faits de l’espèce ont estimé que l’abandon de créances litigieux n’avait pas eu pour la contribuable de contrepartie commerciale ; qu’enfin, la société requérante ne peut utilement se prévaloir de la réponse ministérielle à la question écrite n° 39257 de M. François Hollande, député, qui est relative au régime des entreprises nouvelles développées en franchise et n’est pas invocable en l’espèce».

Ce «considérant» nous semble d’autant plus critiquable que l’appréciation de l’intérêt propre du franchiseur, consécutif à la sauvegarde de l’activité du franchisé, ne peut se borner au seul constat de l’insuffisance du chiffre d’affaires réalisé par ledit franchisé par rapport à l’ensemble des points de vente1713.

Cette appréciation nécessite, au contraire, d’examiner toutes les conséquences que la disparition du franchisé eût engendrées, conformément à la jurisprudence du Conseil d’Etat1714.

L’intérêt propre du franchiseur, c’est-à-dire la contrepartie dont il bénéficie en accordant tel ou tel avantage au franchisé, consiste à éviter les différentes conséquences attachées à la disparition du ou des points de vente du franchisé. Il convient de distinguer quatre catégories de conséquences possibles, susceptibles de pouvoir être invoquées par le franchiseur (elles ne seront peut être pas vérifiées dans tous les cas, tout étant appréciation d’espèce), et que la jurisprudence administrative admet en règle générale dès lors qu’elles sont tout à la fois réelles et suffisantes1715:

– les pertes financières du franchiseur1716;

– la mise en œuvre de la responsabilité du franchiseur1717;

– l’impact sur les franchisés existants et à venir1718;

– la perte d’image1719.

§2. En l'absence d'accord entre les parties

420. Sort du contrat– Sauf dispositions contraires prévues dans la clause de renégociation, un tel contrat est purement et simplement maintenu en dépit du déséquilibre qui l’affecte. Le franchiseur et le franchisé restent donc tenus par les termes du contrat initial1720.

En conséquence, de deux choses l’une:

– soit le contrat est à durée indéterminée et le contractant lésé pourra choisir de le résilier unilatéralement, en respectant de préférence un délai raisonnable1721,

– soit le contrat est à durée déterminée et il devra être exécuté tel quel, jusqu’à son terme1722.

Il arrive en revanche que l’échec de la renégociation du contrat de franchise conduise l’une des parties contractantes à prendre des mesures de représailles envers l’autre:

– soit en violant certaines des obligations du contrat non renégocié; dans ce cas, le cocontractant fautif s’expose au prononcé de la résiliation judiciaire du contrat de franchise à ses torts exclusifs1723,

– soit en refusant le renouvellement du contrat non renégocié; en effet, dans ce cas, le refus de renouveler le contrat de franchise pourrait conduire à la mise en œuvre de sa responsabilité, sur le terrain de l’abus de droit, s’il est établit un «lien de causalité» entre le refus de renégocier auquel il s’est heurté et le non-renouvellement du contrat qu’il a ensuite décidé1724.

Chapitre 5 : La cession du contrat de franchise

Section 1 : La cession du contrat de franchise et la substitution de franchiseur

§1. Le changement de franchiseur résultant de la cession pure et simple du contrat de franchise

I. Les modalités de la cession du contrat par le franchiseur423. Prévisions des parties – Les modalités encadrant la cession des contrats de franchise varient en fonction des prévisions des partiesqui, selon les cas, n’ont pas envisagé la cession du contrat de franchise ou, au contraire, ont inséré une clause autorisant ab initio sa cession à un tiers.

A. En l’absence de clause autorisant la cession ab initio1. Autorisation du franchisé

424. Objet de l’autorisation – Le franchiseur doit alors recueillir l’autorisation1725 du franchisé à la cession1726; la solution est conforme au principe du consensualisme, lequel conserve toute sa force en matière de cession de contrat.

Il ne s’agit donc jamais, à cet égard, que de manifester un accord qui participe de la volonté contractuelle, même si, avec une doctrine autorisée1727, on considérera que l’autorisation du contractant cédé a pour seul objet de rendre le contrat cessible, et non pour effet de faire du contractant cédé une partie au contrat de cession.

Ainsi, l’acceptation du cédé permet, à elle-seule, au cessionnaire de se substituer au cédant dans l’exécution du contrat initial qui perdure dans toute sa plénitude. Il faut ici relever que certains auteurs ont considéré que les arrêts du 6 mai 1997 avaient ôté au contrat tout caractère translatif; ils en déduisaient que le changement de cocontractant impliquait la conclusion d’un nouveau contrat1728, interprétation qui n’a pas été confirmée1729.

425. Manifestation de l’autorisation – L’acceptation de la cession par le franchisé peut être expresse ou tacite. Ainsi, l’acceptation du franchisé peut résulter de l’exécution du contrat postérieurement à la connaissance de la réalisation de l’opération de cession, par exemple par les paiements effectués entre les mains du cessionnaire.

En revanche, l’acceptation du franchisé ne saurait résulter de la poursuite par le franchisé de son approvisionnement auprès de fournisseurs non agréés1730, postérieurement à la cession du contrat de franchise. Plus généralement, la Haute juridiction a-t-elle récemment énoncé dans un attendu de principe, rendu au visa de l’article 1315 du code civil, que «le silence opposé à l’affirmation d’un fait ne vaut pas à lui seul reconnaissance de ce fait»1731.

2. Refus du franchisé

426. Maintien du franchiseur dans les relations contractuelles – En l’absence d’accord du franchisé à la cession, le franchiseur est maintenu dans la relation contractuelle.

Dans ce cas, le franchiseur initial devra poursuivre l’exécution du contrat de franchise; à défaut, le franchisé sera enclin à en solliciter et en obtenir la résiliation pour faute du franchiseur1732. Il faut relever que la circonstance que les autres franchisés, membres du réseau, aient donné leur accord à la cession de leur contrat de franchise est sans incidence, ceux-ci étant tiers au contrat conclu par le franchisé réfractaire.

427. Aménagement jurisprudentiel – Il faut relever que lorsque le franchiseur décide de céder ses contrats de franchise, cela induit qu’il cesse son activité de franchiseur et d’animateur du réseau de franchise constitué. Autrement dit, il transmet à un tiers l’ensemble des éléments constituant le réseau, en ce compris les contrats de franchise qu’il a régularisés. Il en ressort qu’il ne peut plus, une fois la cession opérée, exécuter le contrat de franchise puisqu’il ne dispose plus des moyens techniques et humains pour ce faire. Aussi, la Haute juridiction consciente de cet état de fait a pu considérer qu’il n\’était pas «exigé que le franchiseur assure l\’animation et le développement d\’un réseau identique à celui existant avant la cession» mais qu\’il restait débiteur des obligations essentielles telles que l\’approvisionnement et la promotion du réseau de franchise. Le franchiseur doit donc honorer ses engagements jusqu\’au terme du contrat même si, du fait de la cession, il ne peut plus exécuter ses obligations dans la même mesure1733.

428. Encadrements contractuels – Afin d’éviter le risque de se voir opposer un refus abusif du franchisé à la cession, il est possible d’introduire dans le contrat de franchise une clause encadrant la demande d’autorisation du franchisé. Aux termes de cette clause, le franchiseur s’engage à informer ses franchisés, par lettre recommandée avec accusé de réception, de sa volonté de céder le contrat à telle personne. Il parait judicieux d’octroyer un délai au franchisé pour accepter ou refuser la cession et de prévoir les conséquences d’une absence de réponse du franchisé, qui pourrait par exemple être réputée valoir acceptation de la cession envisagée.

La contractualisation de la preuve de l’acceptation de la cession par le franchisé permet ainsi de palier une possible inertie des franchisés.

B. En présence d’une clause autorisant la cession ab initio429. Autorisation préalable – Devant la contrainte résultant de l’obtention du consentement de l’ensemble des franchisés à la cession, le franchiseur peut valablement, dès l’origine, insérer dans le contrat une clause lui permettant de céder librement les contrats de franchise1734. Ainsi, les franchisés consentent ab initio à la cession ultérieure de leur contrat, qui peut intervenir à tout moment, y compris peu de temps après la conclusion du contrat de franchise1735. Une cession opérée immédiatement après la conclusion du contrat de franchise ne permet pas pour autant de donner à la clause autorisant par avance la cession un caractère léonin1736.

Comme pour toute manifestation de volonté, l’autorisation de cession donnée ab initio par le franchisé peut être expresse ou tacite; la cessibilité d’une position contractuelle peut, en effet, être déduite d’un ensemble de stipulations, notamment celles qui organisent les conséquences d’une circulation du contrat, alors même qu’elle n’a pas été expressément évoquée par les parties.

Par ailleurs, la jurisprudence privilégie, en matière de clause autorisant la cession ab initio, une interprétationextensive. Ainsi, la clause stipulée dans un contrat d’achat exclusif prévoyant que le débitant de boissons s’engageait à s’approvisionner auprès du brasseur ou de tout autre entrepositaire qu’il désignerait a été interprétée comme une autorisation implicite du distributeur de la cession de cette convention à un autre entrepositaire1737.

Il est préférable que le contrat précise également les modalités suivant lesquelles les franchisés seront informés de la cession de leur contrat de franchise et de l’identité du nouveau franchiseur. La clause d’autorisation ab initio peut encore recouvrir les modifications structurelles intervenant au sein même de la société franchiseur emportant transmission de patrimoine, tel que les fusion-absorption par exemple.

430. Clause de cession sous condition d’agrément – Les parties peuvent préférer une clause de cession sous condition d\’agrément. Par cette stipulation, le franchisé conserve le droit d\’accepter ou de refuser la personne du cessionnaire.

Afin que ce pouvoir ne soit pas totalement discrétionnaire, la clause peut énoncer, limitativement, les types de motifs propres à justifier un tel refus (expérience/inexpérience du cessionnaire dans la franchise, et/ou dans l\’activité du réseau ; insuffisance des garanties commerciales, financières, ou autres). Cette exigence oblige le franchisé à motiver précisément son refus. Le contrat peut prévoir qu\’un défaut ou une insuffisance de motivation prive d\’effet un refus d\’agrément et autorise donc la cession.

La clause de cession sous condition d\’agrément doit organiser les modalités d\’expression de la décision du franchisé, à savoir :

les conditions de communication du projet de cession, tout particulièrement quant à la personne du cessionnaire pressenti ;

le délai dans lequel le franchisé devra faire connaître sa décision au franchiseur ;

les formes d\’expression de cette décision (il est judicieux de prévoir que le silence du franchisé vaudra acceptation).

II. Conséquences de la cession du contrat par le franchiseur431. Portée de la cession – Le principe en matière de cession de contrat est la substitution du cessionnaire au cédant, non seulement pour l’avenir, mais encore pour le passé. Le cessionnaire est donc débiteur et créancier des dettes et droits que le cédant devait au franchisé cédé et qu’il avait à son égard.

En cas de cession des contrats à un nouveau franchiseur, celui-ci est tenu d\’exécuter les contrats existants jusqu\’à leur terme, sans en modifier l’économie: le contrat de franchise perdure; toutes modifications souhaitées par le franchiseur substitué devra être préalablement acceptée par chacun de ses franchisés1738.

432. Encadrement contractuel – Les parties peuvent contractuellement organiser les conséquences de la cession du contrat; notamment, la relation franchiseur cédant / franchisé cédé peut être maintenue pour ce qui est des obligations réciproques antérieures à la cession. Encore faut-il le prévoir dans le contrat de franchise, et pas seulement dans le contrat de cession, car le franchisé cédé n’est pas partie à cette dernière convention. La cession est, par définition, neutre quant au contenu de ce contrat, puisqu’elle n’affecte que la personne du cocontractant.

§2. Le changement de franchiseur résultant d’un apport partiel d’actifs

I. Le principe de transmission universelle de patrimoine433. Définition – La fusion, visée à l’article L. 236-1 alinéa 1er du code de commerce est l’opération par laquelle deux sociétés se réunissent pour n’en plus former qu’une seule. Elle peut résulter soit de la création d’une société nouvelle par plusieurs sociétés, soit de l’absorption d’une société par une autre.

Toutefois, le procédé de la «fusion absorption» reste beaucoup plus utilisé que celui de la fusion par création d’une société nouvelle dans la mesure où les sociétés fusionnantes étant souvent d’importance inégale, la plus puissante absorbe les autres.

La scission, visée à l’article L. 236-1 alinéa 2 du code de commerce, est l’opération par laquelle le patrimoine d’une société scindée est partagé en plusieurs fractions simultanément transmises à plusieurs sociétés existantes ou nouvelles. Toutefois, il n’est pas indispensable que les sociétés bénéficiaires soient toutes des sociétés existantes ou des sociétés nouvelles. En effet, la scission peut être réalisée par voie de transmission du patrimoine de la société scindée au profit d’une ou de plusieurs sociétés nouvelles et d’une ou de plusieurs sociétés existantes.

434. Conséquences – Les opérations de fusion et de scission ont pour caractéristique commune la transmission de l’ensemble des éléments d’actif et de passif composant le patrimoine d’une société au profit d’une ou plusieurs autres sociétés qui le recueillent en tout ou partie. Ces sociétés se substituent à la société absorbée dans tous les droits, biens ou obligations de cette dernière. Il a ainsi été jugé que la société nouvelle issue d’une fusion «devient l’ayant cause à titre universel des sociétés absorbées, tenue de toutes les obligations de ces dernières non réservées lors de la fusion»; ainsi notamment, la société absorbante peut devoir respecter une clause de non concurrence à la charge de la société absorbée1739.

Aussi, il convient de préciser que l’article L. 236-22 du code commerce permet de soumettre l’apport partiel d’actifs au régime des scissions. La Cour de cassation a d’ailleurs affirmé que l’effet de transmission universelle de patrimoine attaché aux opérations de fusion et de scission s’applique également aux opérations d’apports partiels d’actifs dans les limites de la branche d’activité apportée1740. Par conséquent, sauf réserve expresse, les contrats sont donc automatiquement transférés.

Néanmoins, à ce principe de transmission universelle du patrimoine s’ajoutent quelques exceptions. En effet, la transmission universelle ne saurait porter sur des biens qu’une disposition légale a rendu intransmissibles, ni sur des contrats qui auraient été conclus intuitus personae dans la mesure où le cocontractant n’aurait pas donné son accord.

Il apparaît donc un clivage entre les contrats de droit commun et les contrats intuitus personae, d’où l’intérêt de déterminer la nature du contrat de franchise dans la mesure où le franchiseur peut être amené à céder son réseau.

Cependant, ce n’est pas la nature elle-même qui doit être précisée mais la personne qui aura le bénéfice de cet intuitus personae pour le cas où le contrat serait conclu en considération d’un cocontractant.

En d’autres termes l’intuitus personae est-il bilatéral ou le contrat n’est il conclu qu’en considération de l’une des parties ? Cette question qui a fait l’objet de nombreux débats jurisprudentiels et doctrinaux n’est pas sans conséquence sur le principe de transmission universelle.

II. L’exception au principe de transmission universelle de patrimoine: l’intuitus personae du contrat de franchise435. Absence de dispositions légales – Le code civil affirme expressément que certains contrats échappent à la transmission universelle du patrimoine1741. Par ailleurs, la jurisprudence étend la règle aux conventions d’ouverture de crédit ou de comptes courants. Néanmoins, les solutions apportées concernent des contrats conclus en considération d’une personne physique. La question qui se pose alors est celle de savoir si ces solutions peuvent être transposées purement et simplement aux contrats conclus en considération d’une personne morale. La Cour de cassation, dans plusieurs arrêts, y répond par l’affirmative1742.

436. Débats jurisprudentiels et doctrinaux –quant au caractère intuitus personae du contrat de franchise – Le caractère hétérogène de l’intuitus persona nécessiterait d’identifier en quoi a consisté la considération de la personne lors de la conclusion du contrat et si l’opération d’apport partiel d’actifs a porté atteinte à ce caractère du contrat1743. Une partie de la doctrine préconisait alors une approche in concreto1744, consistant à se demander si les bouleversements dus à l’opération entraient dans les prévisions des parties ou heurtaient leurs intérêts légitimes.

En matière de franchise, la détermination des modalités de la cession du contrat ne va pas de soi en raison de l’incertitude1745 attachée au caractère réciproque ou non de l’intuitus personae entre le franchiseur et le franchisé. La jurisprudence demeure toujours partagée sur ce point, certaines décisions1746 considérant que le contrat de franchise ne présenterait pas de caractère intuitus personae envers le franchiseur, d’autres1747 affirmant au contraire que ce contrat serait réciproquement intuitus personae.

La loi ne se prononçant pas à ce sujet, la jurisprudence est venue préciser les contours du caractère intuituspersonae du contrat de franchise. En effet, pendant longtemps, la jurisprudence a considéré que l’intuitus personae était plus fort du côté du franchisé dans la mesure où la société franchisée est animée par un seul homme dont l’absence est de nature à modifier les conditions d’exécution du contrat alors que la société franchiseur étant plus importante, l’entité juridique est moins affectée par l’absence d’une personne1748. En conséquence, une partie de la jurisprudence considérait que «les modifications qui pourraient intervenir dans la personne du franchiseur, telles que par exemple fusion, scission, absorption, apport partiel d’actif ou cession et tout accord juridique ou commercial avec un tiers seraient sans effet sur l’existence ou l’exécution du présent contrat»1749. Il a néanmoins été admis que l’intuitus personae pouvait devenir réciproque dans la mesure où les sociétés franchisées souscrivaient une part sociale de la société du franchiseur et adhéraient au règlement intérieur1750.

Mais la Cour de cassation, dans deux arrêts de principe rendus le 3 juin 2008 semble opérer un revirement de jurisprudence.

437. Débat tranché par la Chambre commerciale de la Cour de cassation – En effet, par deux arrêts, rendus le même jour1751 comme pour lieux insister, la Cour de cassation change complètement la donne. En effet, il s’agissait dans les deux espèces de l’exécution d’un contrat de franchise conclu entre une chaine de distribution alimentaire et un détaillant gérant d’un fonds de commerce à l’enseigne de cette chaîne.

La Cour de cassation, au visa de l’article 1134 du code civil casse les deux arrêts aux motifs que «le contrat de franchise conclu en considération de la personne du franchiseur ne peut, sauf accord du franchisé, être transmis par fusion absorption à une société tierce» et ni «par l’effet d’un apport partiel d’actif placé sous le régime des scissions»1752.

Il semblerait alors que la nature intuitus personae du contrat de franchise soit consacré, mais la Cour souligne toutefois que ce caractère est attaché à la personne du franchiseur ce qui conduit à penser que tel ne serait pas le cas pour la personne du franchisé.

Section 2 : La cession du contrat et/ou de son fonds de commerce par le franchisé

§1. La clause d’agrément

I. Présentation de la clause d’agrément439. Notion – La clause d’agrément se rencontre le plus souvent en droit des sociétés ; elle permet aux associés (ou actionnaires) d’une structure de contrôler la cession par l’un d’entre eux de tout ou partie de sa participation à un tiers, les associés (ou actionnaires) disposant d’un droit d’agrément du cessionnaire.

En droit des contrats, il est possible d’insérer une telle clause; elle permet alors au cocontractant cédé d’agréer le cessionnaire ; en matière de franchise, il est fréquent de rencontrer des clauses d’agrément aux termes desquelles le franchiseur se réserve le droit d’agréer le cessionnaire du fonds de commerce du franchisé1753 ou du contrat de franchise, même si ce cas est plus rare.

440. Validité et étendue – La jurisprudence reconnait la validité de la clause d’agrément, qui n’est pas selon elle une restriction à la concurrence mais qui constitue une modalité d’application de l’intuitus personae propre au contrat de franchise1754. Dans sa portée, la clause d’agrément s’applique aux opérations d’apport partiel d’actifs – telle que les fusions-absorptions1755 – comme à celles ayant pour effet de modifier le capital social de la société franchisée1756.

Il appartiendra au rédacteur d’être particulièrement rigoureux dans la rédaction de la clause, notamment en explicitant l’intérêt d’une telle limitation de la liberté de la société franchisée; elle pourrait être causée par la notion d’intuitus personae ou par la volonté légitime du franchiseur de protéger son savoir-faire.

441. Effet de l’agrément – Si le franchiseur accepte d’agréer le candidat, le contrat de franchise lui est transmis et il se substitue au cédant dans le rapport contractuel. C’est le même contrat qui se poursuit, et le franchiseur n’est donc pas tenu de délivrer le document d’information précontractuelle prévu par la loi Doubin1757, à moins évidemment que le franchiseur ait fait le choix de conclure un nouveau contrat de franchise avec le cessionnaire1758. En effet, la jurisprudence n’exige le respect des prescriptions légales que dans l’hypothèse de la conclusion d’un nouveau contrat, qu’il résulte de la signature d’un nouvel acte ou de l’effet produit par la tacite reconduction du premier1759. Le nouveau franchisé ne peut donc pas se prévaloir de l’inobservation de l’article L. 330-3 du code de commerce dès lors qu’il a été averti, à l’occasion des négociations ayant précédé l’acquisition du fonds, de l’existence de la franchise, de ses modalité d’exécution et de ses résultats1760.

II. Contrôle du refus d’agrément442. Droit discrétionnaire – Le refus d’agrément fait obstacle à la cession, ce qui soulève le mécontentement du franchisé. La jurisprudence a en conséquence eu à s’interroger sur les modalités du refus d’agrément opposé par le franchiseur au franchisé. La question soulevée faisait écho au mouvement favorable à la motivation introduit en droit des contrats: le franchiseur doit-il motiver son refus d’agrément du cessionnaire? La Cour de cassation a considéré que le refus d’agrément étant un droit discrétionnaire, le franchiseur n’a pas à motiver son refus, à moins évidemment que cette exigence de motivation n’ait été expressément envisagée dans le contrat1761.

443. Abus de droit – Le droit de refuser l’agrément trouve sa limite dans l’abus de droit1762. Et, si les motifs n’ont pas à être exposés a priori au moment de la prise de cession, ils peuvent faire l’objet d’un contrôle a posteriori par le juge en cas de litige. Le refus d’agrément doit en conséquence être fondé sur de justes motifs.

L’analyse des solutions jurisprudentielles en la matière révèle que la légitimité des motifs du refus est appréciée au regard des intérêts propres à l’agréant et au regard de l’économie générale du contrat de franchise. Par ailleurs, les motifs du refus peuvent tenir à des considérations étrangères au candidat présenté, telle que notamment l’absence de viabilité économique du projet1763.

L’abus de droit constitue une faute justifiant la réparation du préjudice consécutif au refus subi par le franchisé. En revanche, la jurisprudence refuse de sanctionner le refus abusif d’agréer par la privation d’effet dudit refus.

444. Appréciation – Les clauses soumettant la transmission du contrat de franchise à l’agrément du franchiseur sont parfois mal perçues par les franchisés. Pourtant, la clause d’agrément n’aggrave pas leur situation par rapport au principe d’intransmissibilité, bien au contraire. Si le contrat en est dépourvu, le franchiseur peut refuser discrétionnairement la cession : son refus est libre, sous réserve d’abus.

III. Violation de la clause d’agrément445. Sanction – La cession effectuée en violation d’une telle clause entraîne la résiliation du contrat de franchise aux torts exclusifs du franchisé1764. La jurisprudence interprète de manière très large cette clause dans la mesure où elle considère que le silence du franchiseur quant à la cession du contrat de franchise ne vaut pas acceptation1765.

Le contrat peut prévoir que la sanction de la résiliation du contrat de franchise sera renforcée par une clause pénale aux termes de laquelle le franchisé devra s’acquitter du paiement d’une certaine somme dans l’hypothèse où il cèderait son contrat de franchise en violation de la clause d’agrément. Le franchisé sera d’autant plus dissuadé de céder ainsi son contrat si le montant de l’indemnité est élevé, même si celui-ci ne devra pas être disproportionné pour éviter le risque de réduction du prix par le juge.

§2. La clause de préférence

I. Présentation de la clause de préférence446. Notion – Aux termes d’une clause de préférence, une personne, le promettant, s’engage, pour le cas où elle se déciderait à vendre un bien, à l’offrir prioritairement à une autre, le bénéficiaire, qui jouit d’un droit de préemption devant s’exercer aux conditions proposées par un tiers (ou à des conditions prédéterminées).

L’objet du droit du franchiseur doit être précisément défini et viser avec précision les différentes hypothèses couvertes par le droit de préférence. Ainsi, a-t-il été jugé notamment que lorsque ce droit porte sur la cession du fonds de commerce du franchisé, il ne s’étend pas à l’hypothèse de la cession des parts sociales de la société franchisée1766.

447. Validité – Ce type de clause est parfaitement usuel en matière de franchise et la jurisprudence en a admis la validité depuis longtemps1767. En effet, le franchiseur insère souvent dans le contrat de franchise une clause de préférence portant sur la vente du fonds de commerce du franchisé afin de se prémunir contre les conséquences d’une telle cession. La réussite du réseau de franchise étant intimement liée aux emplacements de ses magasins franchisés, le franchiseur veille à préserver les magasins existants, dans l’intérêt collectif du réseau tout entier.

II. Sanctions des parties à la cession

A. Sanction du franchisé

1. Sanction du franchisé violant la clause de préférence

448. Violation de la clause de préférence – En premier lieu, la violation est bien sûr caractérisée lorsque le franchisé réalise la cession, objet du pacte, sans l’avoir proposée en priorité au franchiseur1768 ; il convient de préciser qu’une offre présentée postérieurement à la conclusion du contrat litigieux ne saurait exonérer le promettant de sa responsabilité, une telle attitude n’ayant aucun effet sur la violation du pacte1769. Dans une moindre mesure, la violation peut résulter de l’entrée en pourparlers du franchisé avec un tiers relativement à la cession de son fonds1770.

En second lieu, le droit de préférence est violé lorsque le franchisé, après avoir proposé la vente au franchiseur qui l’a refusée, cède à un tiers à des conditions plus avantageuses1771. En pareil cas, le franchiseur, qui n’a pas été mis en mesure de pouvoir se substituer au cessionnaire à des conditions équivalentes, peut légitimement invoquer la violation de la clause. Il ne suffit pas que l’offre présentée ultérieurement au tiers soit similaire à celle soumise au franchiseur1772. Précisons que la jurisprudence ne semble pas toujours tenir compte de l’évolution du marché puisqu’il a été jugé que le pacte de préférence ne peut plus être valablement invoqué par le bénéficiaire qui l’a d’abord refusé, dès lors que le bien vient à être vendu aux conditions de l’offre1773.

Enfin, la jurisprudence retient que le pacte est violé, alors même que la cession s’est réalisée postérieurement à la survenance du terme du contrat de franchise, dès lors qu’il est établi que le cédant et le cessionnaire se sont entendus sur les conditions de la cession avant l’expiration dudit contrat. En principe, lorsque le droit de préférence est stipulé dans un contrat conclu pour une durée déterminée, la survenance du terme entraîne l’extinction du droit de préférence : le promettant retrouve la liberté de céder son bien sans le proposer en priorité au bénéficiaire. Mais les juges, soucieux de sanctionner les comportements déloyaux, considèrent que la violation est caractérisée dès lors qu’il est établi que la période de discussion et de négociation s’est déroulée peu avant le terme du contrat de franchise1774. Autrement dit, la violation du droit de préférence est démontrée dès lors que le bénéficiaire du pacte établit qu’une offre précise et définitive existait avant l’expiration du contrat de franchise1775. Pour ce faire, il peut saisir le juge des référés d’une demande de mesure d’instruction sur le fondement de l’article 145 du CPC, sans que puisse lui être opposé le fait que la cession soit intervenue après le terme du contrat1776. Toutefois, il ne sera fait droit à sa demande que s’il justifie d’un motif légitime1777.

449. Responsabilité contractuelle – La sanction de la violation de la clause de préférence est calquée sur celle de la violation du pacte de préférence.

Ainsi, le bénéficiaire du pacte peut engager la responsabilité contractuelle du débiteur de l’obligation qui ne respecte pas son engagement1778; le franchiseur dispose donc de la faculté de résilier le contrat en raison du manquement à l’obligation contractuelle1779. Dans ce cas, le franchiseur dont le droit de préférence a été violé est indemnisé de sa perte de chance de perception des cotisations de franchise, de la marge brute sur les approvisionnements et de son préjudice commercial résultant de l’atteinte à l’image du réseau de franchise (auquel donne lieu le passage d’un franchisé à une enseigne concurrente)1780.

2. Sanction du franchisé malgré le respect de la clause de préférence

450. Absence d’exercice du droit de préférence – Lorsque le franchiseur averti du projet de vente n’exerce pas son droit de préférence, le franchisé retrouve la liberté de vendre son fonds de commerce à toute personne de son choix, avec ou sans le contrat de franchise1781.

Pour autant, le respect du droit de préférence n’exclut pas, dans certains cas, la mise en œuvre de la responsabilité du franchisé cédant.

451. Jurisprudence – Le franchisé a la possibilité de céder son fonds sans le contrat de franchise. Dans ce cas, la cession du fonds de commerce ne s’accompagne pas de la cession automatique du contrat de franchise1782.

Dans la mesure où le contrat de franchise n’est pas automatiquement transmis au cessionnaire du fonds, il est résilié. En effet, si cette cession intervient avant le terme du contrat de franchise, elle a pour effet d’empêcher l’exécution de celui-ci et entraîne donc sa rupture. En pareil cas, la responsabilité de la rupture est imputée au franchisé. Les juridictions du fond semblent s’être fixées en ce sens1783, fort logiquement d’ailleurs.

A notre connaissance, cette solution n’a jamais été énoncée par la Cour de cassation; un arrêt semble néanmoins la conforter. Dans un attendu de principe, la Cour de cassation juge que l’acquisition d’un fonds de commerce, faite sans déloyauté et dans le respect du droit de préemption du franchiseur, ne constitue pas une faute de nature à rendre l’acquéreur complice de la rupture, même fautive, du contrat de franchise1784. Par cet obiter dictum, il semblerait que la Haute juridiction ait implicitement (mais nécessairement?) jugé que la résiliation du contrat de franchise résultant de la cession du fonds de commerce pouvait être imputée au franchisé-cédant, alors même que le franchiseur, invité à se porter acquéreur, n’avait pas fait usage de son droit de préemption.

452. Contrat – Si cette solution ne venait pas à prospérer, le franchiseur pourrait se prémunir par une clause d’agrément qui viendrait compléter la clause de préférence. Ainsi, le franchisé ne serait pas libéré par le seul fait que le franchiseur bénéficiaire de la clause de préférence n’ait pas exercé son droit. Encore faudra t-il que le cessionnaire du fonds de commerce soit agréé par le franchiseur. La difficulté vient de ce que si la vente du fonds a lieu sans le contrat de franchise, la légitimité du franchiseur à agréer l’acquéreur du fonds devient fort discutable. Sans doute est-elle contractuellement prévue mais, en l’absence de relation contractuelle entre le franchiseur et l’acquéreur du fonds de commerce, le droit pour le premier d’agréer le second risque fort d’être déclaré sans cause.

La clause d’agrément prend tout son sens en cas de cession du contrat de franchise avec le fonds de commerce. Le franchiseur qui n’exerce pas le droit de préemption que lui confère le contrat de franchise ne se verra imposer un nouveau franchisé que s’il l’accepte. L’importance de la personne du franchisé dans le contrat de franchise justifie amplement une telle stipulation; elle ne fait que renforcer le pouvoir d’autoriser la cession de contrat dont dispose tout contractant.

453. Référés – Le juge des référés sera compétent afin de prévenir un dommage imminent, lequel pourra découler notamment de la cession projetée du fonds de commerce du franchisé en violation de la clause de préférence. Toutefois, le juge des référés pourra se déclarer incompétent si «le franchisé qui a informé le franchiseur de son intention de céder son fonds de commerce et l’a mis en mesure d’exercer son droit de préférence contractuel n’a pas méconnu de manière flagrante ses obligations contractuelles»1785, le juge des référés demeurant le juge de l’évidence. Dans ce cas, un débat au fond devra être engagé.

454. Appréciation critique – On pourrait se demander si la vente du fonds de commerce sans le contrat de franchise a tout de même bien pour objet le fonds, et non les éléments corporels et incorporels cédés. Le fonds est fédéré par la clientèle par laquelle il existe. Aussi, une cession de fonds n’a lieu que lorsque sont cédés les éléments attractifs de la clientèle. Or, le contrat de franchise constituera, fréquemment sinon toujours, un facteur attractif de clientèle dans la mesure où il permet d’accéder à des produits ou des services auxquels les clients sont attachés1786. Si cette circonstance ne suffit pas à déporter la clientèle directement vers le franchiseur, il ne saurait en être déduit que le contrat de franchise ne constitue pas un élément attractif de clientèle. C’est pourquoi il est douteux que la vente d’un fonds de commerce sans le contrat de franchise – qui contribue pourtant si décisivement à la formation, au développement et au maintien d’une clientèle –, constitue une véritable vente de fonds.

B. Sanction du tiers acquéreur1. Sanction du tiers acquéreur en cas de violation de la clause de préférence

455. Nature et conditions de la sanction – Le bénéficiaire du pacte peut également engager la responsabilité délictuelle du tiers acquéreur lorsque celui-ci a contracté en connaissance de l’existence du pacte de préférence1787.

Aussi, le bénéficiaire pourra obtenir la nullité de la vente et sa substitution aux tiers si certaines conditions sont remplies. Il peut en effet obtenir l’annulation de la vente conclue par le promettant et le tiers en violation du pacte lorsque deux conditions sont réunies: le tiers doit avoir, d’une part, eu connaissance de l’existence du droit de préférence et, d’autre part, appris que son bénéficiaire entendait s’en prévaloir1788.

Concernant la substitution pure et simple du bénéficiaire aux lieu et place du tiers acquéreur à l’acte, celle-ci était, traditionnellement, totalement exclue1789. Or, par un arrêt du 26 mai 2006, qui ne concerne pas le droit de la franchise mais dont la généralité des termes permet d’en étendre la portée à tous les domaines du droit, la Chambre mixte de la Cour de cassation affirme solennellement: «si le bénéficiaire d’un pacte de préférence est en droit (…) d’obtenir sa substitution à l’acquéreur c’est à la condition que ce tiers ait eu connaissance, lorsqu’il a contracté, de l’existence du pacte de préférence et de l’intention du bénéficiaire de s’en prévaloir»1790. Puis, par un arrêt du 31 janvier 2007, la troisième chambre civile de la Cour de cassation proclame à son tour que le bénéficiaire d’un tel pacte«est en droit d’exiger l’annulation du contrat passé avec un tiers en méconnaissance de ses droits et d’obtenir sa substitution à l’acquéreur», mais en précisant bien que ce droit est subordonné à «la condition que ce tiers ait eu connaissance, lorsqu’il a contracté, de l’existence du pacte et de l’intention du bénéficiaire de s’en prévaloir»1791.

La substitution du bénéficiaire aux lieu et place du tiers acquéreur est donc désormais admise. Elle reste subordonnée aux mêmes conditions que celles requises pour l’annulation de l’acte: le bénéficiaire devra donc démontrer que le tiers acquéreur connaissait l’existence du pacte de préférence ainsi que l’intention du bénéficiaire de s’en prévaloir.

En outre, la substitution ne sera pas prononcée si elle est impossible : tel est le cas en cas de disparition de l’objet du contrat conclu en fraude des droits du bénéficiaire du pacte1792.

456. Preuve de la réunion des conditions – Ces deux preuves sont particulièrement difficiles à rapporter. Il est donc vivement conseillé au franchiseur d’introduire une clause d’exécution forcée. La validité d’une telle clause a été récemment admise par la jurisprudence1793 mais la question de savoir si elle pourra recevoir application en cas de bonne foi du tiers acquéreur demeure entière.

Reste à savoir si la jurisprudence introduira une présomption portant sur la connaissance par le tiers de la volonté du bénéficiaire de se prévaloir du pacte ou, sinon, un devoir pour celui-ci de «se» renseigner1794. Pour l’heure, la Haute juridiction ne semble pas (encore?) déterminée à s’engager dans l’une de ces voies. Elle s’attache à vérifier que les juges du fond ont bien établi la double condition de connaissance par le tiers, lorsqu’il a contracté, de l’existence du pacte et de l’intention du bénéficiaire de s’en prévaloir.

Toutefois, un arrêt du 14 février 2007, rendu par la troisième chambre civile1795, témoigne d’une certaine souplesse des juges dans l’appréciation de la preuve de la connaissance par le tiers de l’intention du créancier de se prévaloir du pacte. En l’espèce, les juges ont estimé que la connaissance était établie par le fait que le tiers acquéreur avait eu connaissance du litige opposant le cédant à la société bénéficiaire du pacte au cours duquel son représentant légal avait exprimé sa volonté d’acquérir l’immeuble. Or, force est de constater que s’il était établi que le tiers avait bien eu connaissance du litige, rien ne permettait d’affirmer avec certitude qu’il avait eu connaissance de la volonté du bénéficiaire du pacte exprimée à cette occasion. N’y a-t-il pas là le signe annonciateur de l’institution prochaine d’une présomptionde la connaissance par le tiers de la volonté du bénéficiaire de se prévaloir du pacte ?

L’exigence de sécurité des affaires recommande en effet de ne pas permettre à ceux qui, tentés de se retrancher derrière une prétendue ignorance du pacte, entendraient déjouer les effets d’une telle clause. En matière de clause de non-réaffiliation, il a ainsi été admis que le franchiseur, sachant que le candidat franchisé a appartenu récemment à un autre réseau de franchise, doit vérifier l’absence de clauses entrant en contradiction avec le contrat qu’il envisage de signer1796.

2. Sanction du tiers acquéreur en l’absence de violation de la clause de préférence

457. Principe – Le franchiseur faisant l’acquisition d’un fonds de commerce appartenant à l’un des franchisés de son concurrent ne commet aucune faute dès lors que son concurrent a régulièrement été mis en mesure d’exercer son droit de préférence et n’en a pas usé dans le délai qui lui était contractuellement imparti1797.

458. Fraude – La Cour de cassation réserve opportunément l’hypothèse où l’acquéreur aurait agi avec déloyauté ou se serait rendu coupable d’une fraude1798.

Chapitre 6 : L'extinction du contrat de franchise

Section 1 : Les modalités de l’extinction

§1. La survenance du terme

I. Le principe: l’extinction du contrat

A. La détermination du délai

1. La détermination conventionnelle

a) Prise d’effet

461. Liberté des parties – Les parties déterminent librement la date de prise d’effet du contrat de franchise. Le contrat peut prendre effet1800:

-à sa date de signature, solution qui prévaut en l’absence de clause contraire1801 ;

– à une date ultérieure1802 ;

– ou à la réalisation d’un évènement déterminé, tel que par exemple la date de signature d’un bail ou la date d’ouverture du magasin par le franchisé1803.

b) Durée

462. Critères de détermination de la durée – Le franchiseur est libre de fixer la durée qui lui semble la plus en adéquation avec son modèle économique. La détermination de la durée optimale est propre à chaque franchise ; elle dépend notamment de la nature de la franchise mise en œuvre1804, du secteur d’activité considéré, et de la durée de vie prévisible du bien ou du service commercialisé.

Il est toutefois de l’intérêt commun du franchiseur et du franchisé que la durée du contrat de franchise soit au moins égale à celle nécessaire au remboursement des crédits habituellement consentis. A cet égard, l’article 5.3 du code de Déontologie Européen rappelle que la durée du contrat doit être fixée « de façon à permettre au franchisé l’amortissement des investissements spécifiques à la franchise ». C’est pourquoi la durée du contrat de franchise sera sensiblement plus longue dans les secteurs d’activité nécessitant un investissement initial important (hôtellerie et restauration notamment).

Il est encore loisible aux contractants de ne pas retenir une durée de jour à jour, notamment pour les activités qui, en raison de l’objet même de l’activité franchisée ou de la localisation géographique du point de vente, demeurent saisonnières.

463. Statistiques – La durée moyenne d’un contrat de franchise est de l’ordre de six ans1805.

2. Les limites légales

a) Droit interne

464. Textes – Selon l’article L.330-1 du code de commerce, « est limitée à un maximum de dix ans la durée de validité de toute clause d’exclusivité par laquelle l’acheteur, cessionnaire ou locataire de biens meubles s’engage vis-à-vis de son vendeur, cédant ou bailleur, à ne pas faire usage d’objets semblables ou complémentaires en provenance d’un autre fournisseur ».

En outre, l’article L. 330-2 du code de commerce précise que « lorsque le contrat comportant la clause d’exclusivité mentionnée à l’article L. 330-1 est suivi ultérieurement, entre les mêmes parties, d’autres engagements analogues portant sur le même genre de biens, les clauses d’exclusivité contenues dans ces nouvelles conventions prennent fin à la même date que celle figurant au premier contrat ».

Ces dispositions s’appliquent aux contrats de fourniture comportant la fourniture ou l’usage de biens mobiliers corporels1806 et ne concernent donc que les franchises de distribution de produits.

465. Applications – Ces textes étant d’ordre public1807, le contrat dont la clause d’exclusivité excèderait la durée légale de 10 ans serait valable jusqu’à ce terme légal et deviendrait caduque pour la période postérieure1808.

Il reste que, à l’expiration du délai de 10 ans, les parties peuvent valablement conclure un contrat contenant une clause d’exclusivité de même nature1809 Cass. com., 11 mars 1981, D. 1982, IR p. 108; v. aussi Cass. com., 30 mars 1981, JCP G, 1981, IV, 219: « rien n’interdit aux parties de renégocier un contrat pour une nouvelle période de dix ans, même à l’expiration de la première »., le contrat renégocié ne constituant pas la prorogation du précédent1810 Cass. com., 21 févr. 1995, RJDA 7/95 n°803..

L’essentiel est ici d’éviter que de tels contrats soient convenus alors que les précédentes obligations sont toujours en vigueur, car le débiteur de l’obligation exclusive visée à l’article L.330-1 précité ne peut être engagé au-delà de 10 ans sans avoir recouvré, à tout le moins un bref instant, sa liberté, fût-ce pour convenir d’un engagement supplémentaire1811.

b) Droit communautaire

466. Textes– Selon l’article 5 (a) du règlement du 22 décembre 1999, l’exemption ne s’applique pas à «toute obligation directe ou non directe de non concurrence, dont la durée est indéterminée ou dépasse cinq ans; une obligation de non concurrence tacitement renouvelable au-delà d’une période de cinq ans doit être considérée comme ayant été conclue pour une durée indéterminée; cette limitation à la durée de cinq ans n’est toutefois pas applicable lorsque les biens ou services contractuels sont vendus par l’acheteur à partir de locaux et de terrains dont le fournisseur est propriétaire ou que le fournisseur loue à des tiers non liés à l’acheteur, à condition que la durée de ses obligations de non concurrence ne dépasse pas la période d’occupation des locaux et des terrains par l’acheteur». Et, dès lors que la clause d’approvisionnement exclusif constitue une obligation de non concurrence selon l’article 1 (b) dudit règlement, la durée ne doit pas en principe excéder cinq ans.

Toutefois, les «lignes directrices» précisent que cette obligation de non-concurrence ne tombe pas sous le coup de l’article 81.1 quand elle est nécessaire au maintien de l’image commune et de la notoriété du réseauer.

467. Applications– En conséquence, si la clause d’approvisionnement exclusif répond à l’exigence fixée par les lignes directrices, autrement dit qu’elle est effectivement nécessaire au maintien de l’identité commune et de la réputation du réseau, sa durée peut dépasser la limitation de 5 ans, sans pouvoir pour autant excéder celle du contrat de franchise1812.

B. L’extinction du délai468. Absence de nécessité d’un préavis – S’agissant d’un contrat à durée déterminée, le contractant n’a pas à être prévenu longtemps à l’avance de l’absence de renouvellement du contrat arrivé à son terme.

Il en va différemment en présence d’une clause contractuelle fixant un préavis. Ainsi, notamment, est-il jugé que ne commet aucune déloyauté le franchiseur ayant respecté la clause selon laquelle, six mois au moins avant l’expiration d’une période de dix ans, la partie qui souhaite ne pas renouveler le contrat ou qui désire en modifier les conditions, en avertit l’autre en respectant un préavis de six mois1813.

Les juridictions du fond apprécient souverainement le caractère suffisant du préavis contractuel1814.

469. Comportement des parties pendant le préavis– Les contrats à durée déterminée sont les contrats à exécution successive affectés d’un terme extinctif. Leur force obligatoire est absolue pendant cette duréeet ne cesse qu’à l’expiration du terme1815. Autrement dit, les contrats à durée déterminée ne peuvent être rompus avant le terme que sur l’accord des deux parties. En conséquence, le franchiseur comme le franchisé doivent respecter l’ensemble de leurs obligations contractuelles jusqu’au terme du contrat. Ainsi, le franchisé ne peut rompre unilatéralement le contrat avant son terme sans commettre une faute1816.

Cette situation perdure évidement pendant le préavis. Ainsi, commet une faute contractuellele franchiseur qui, au cours du préavis,réduit le territoire du franchisé1817ou invite les clients du franchisé à prendre contact avec le futur franchisé1818.

470. Effets de la survenance du terme– Si le franchiseur ou le franchisé décide de ne pas renouveler le contrat en le dénonçant dans le respect du préavis contractuel, le contrat prendra fin à l’arrivée du terme, et ce sans indemnité de part ni d’autre.

La survenance du terme entraîne l’extinction automatique du contrat à durée déterminée, avec toutes les conséquences y attachées. En particulier, l’existence de pourparlers postérieurement à la survenance du terme, ne peuvent justifier la poursuite par le franchisé de son activité sous l’enseigne du franchiseur1819.

Une fois le contrat de franchise à durée déterminée arrivé à son terme, le franchisé ne peut invoquer l’obligation de respecter un préavis en cas de rupture, prévue par l’article L. 442-6-I, 5° du code de commerce1820.

 

II. Les aménagements au principe: la prolongation du contrat471. Généralités – Conformément au droit commun des contrats, la prolongation du contrat de franchise peut intervenir suivant deux modalités distinctes : sa prorogation ou son renouvellement. L’enjeu consiste dans l’effet de la prolongation : est-ce le contrat initial qui est prorogé ou un nouveau contrat qui prend sa suite et qui le reconduit ?

A. La prorogation472. Présentation–La prorogation d’un contrat, aussi appelée « substitution de terme », permet d’en différer le terme extinctif et, partant, de prolonger son existence. La clause de prorogation énonce les conditions et les effets de ce prolongement.

1. Conditions de la prorogation

473. Modalités– Il convient de distinguer trois types de clauses de prorogation.

En premier lieu, la prolongation de la durée du contrat peut s’effectuer automatiquement, indépendamment de la volonté des parties, qui l’ont acceptée ab initio, sous réserve de la réunion de certaines conditions. Ainsi, lorsque, à la survenance du terme, les conditions auxquelles les parties ont à l’avance donné effet sont réunies, le contrat est prorogé de plein droit. Par exemple, les parties pourraient convenir que le contrat de franchise sera automatiquement prorogé pour telle durée supplémentaire pour le cas où le franchisé aurait réalisé tel chiffre d’affaires.

En deuxième lieu, la prolongation de la durée du contrat peut être abandonnée à la volonté d’une seule des parties, l’autre étant d’ores et déjà engagée. La clause correspond ici à une promesse de prorogation. Selon la rédaction retenue, l’acte de volonté de son bénéficiaire devra ou non être exprès.

Enfin, les contractants peuvent décider de soumettre la prorogation de la durée de leur contrat à la réitération de leur volonté respective, chacune d’elle ayant alors la faculté de s’y opposer. Ici encore, selon la rédaction retenue, l’acte de volonté de chacune des parties devra ou non être exprès.

474. Accord des parties avant le terme– En cours de contrat, les parties peuvent toujours décider d’en proroger la durée, c’est-à-dire de prolonger son exécution pour une nouvelle période. Elles doivent impérativement se mettre d’accord sur cette prorogation avant l’expiration du contrat initial car, passé ce délai, il ne s’agirait plus de proroger le contrat mais d’en conclure un nouveau1821.

2. Effets de la prorogation

475. Effets entre les parties – Entre les parties, les effets d’un avenant de prorogation sont simples. Puisque c’est le contrat primitif qui continue:

– il n’y a aucun changement dans le cours de l’exécution sauf concernant la durée1822;

– la loi applicable au contrat reste celle qui présidait lors de la conclusion1823,

– il n’est pas nécessaire que le franchiseur respecte, au moment de la prorogation du contrat, l’obligation d’information découlant du décret n°91-337 du 4avril 19911824.

La prorogation du contrat peut s’accompagner d’une modification de certaines des obligations mises à la charge de l’une ou l’autre des parties1825. Toutefois, les conditions du contrat initial doivent être réexaminées et doivent être respectées1826, par exemple la condition tenant à la durée, puisqu’il s’agit du même contrat qui se poursuit.

476. Effets à l’égard des tiers – Les effets à l’égard des tiers restent néanmoins plus délicats à appréhender : il suffit d’envisager le cas de la caution dont le contrat principal garanti a été prorogé. La discussion qui s’instaure à partir de l’article 2316 du code civil, consiste à déterminer si cet avenant n’opère qu’une prorogation du terme du contrat principal, auquel cas la caution reste tenue ou si, en revanche, cette prorogation fait naître des obligations supplémentaires à sa charge, ce qui la libérera alors de ses engagements.La prorogation du terme visée à cet article désigne en effet la question de l’exigibilité de l’obligation et non la question de la prorogation du contrat. Si l’on ne peut nier l’existence d’hésitations en jurisprudence1827, il ressort de la plupart des décisions rendues que la caution consentie en garantie de l’exécution du contrat de franchise initial n’est pas déchargée1828.

B. Le renouvellement477. Nouveau contrat – Le renouvellement ou la reconduction du contrat se distingue de la prorogation car il donne naissance à un nouveau contrat, même s’il est modelé sur la base du contrat initial.

1. Absence de renouvellement automatique

a) Le principe: l’absence de droit au renouvellement du contrat

478. Droit de ne pas renouveler le contrat–Sauf stipulations contractuelles contraires, il n’existe ni pour le franchisé ni pour le franchiseur de «droit» au renouvellement du contrat de franchise. La Cour de cassation affirme régulièrement, en effet, qu’il n’existe pas de droit au renouvellement des contrats de distribution en général1829 et des contrats de franchise en particulier1830.

La jurisprudence retient régulièrement que le non renouvellement d’un contrat de franchise arrivé à terme est un «droit» pour le franchiseur, lequel n’engage donc sa responsabilité qu’en cas d’«abus» dans l’exercice de celui-ci.

479. Etendue du droit de ne pas renouveler le contrat – La solution est d’application générale: le franchiseur est libre de ne pas renouveler le contrat de franchise, quels que soient les mérites de son franchisé, le rendement de son activité, l’importance des investissements qu’il a réalisés, ses perspectives d’évolution, l’absence de grief imputable au franchisé1831, la durée des relations contractuelles appelées à disparaître, etc.

Et quelles que soient ses motivations lorsqu’il décide de ne pas renouveler son contrat de franchise, le franchiseur ne fait finalement qu’exercer un droit contractuel1832; autrement dit, rien ne peut justifier que le contrat, dont la durée a été déterminée par la volonté commune des parties, puisse continuer de produire, par la volonté d’un seul, quelque effet au-delà du terme initialement convenu. C’est pourquoi la jurisprudence considère – à fort juste titre – que le franchiseur refusant de renouveler le contrat de franchise n’est pas tenu de motiver sa décision1833. Ainsi, même s’il invoque des motifs fallacieux, l’abus ne pourra être constitué1834.

Parfois critiquée en doctrine1835, cette solution est d’application générale. Il en va ainsi de tous les contrats de distribution1836 et notamment des contrats de franchise1837. La décision de ne pas renouveler le contrat de franchise ne saurait donc pouvoir donner lieu à l’octroi de dommages et intérêts au profit du franchisé1838.

b) La limite au principe : l’abus de droit

480. Abus de droit de non renouvellement – Si le franchiseur a le droit de refuser de renouveler un contrat à durée déterminée arrivé à son terme, sa responsabilité pourra être engagée en cas d’«abus de droit»1839.

La jurisprudence considère que la responsabilité du contractant qui abuserait de son droit de ne pas renouveler le contrat est délictuelle1840. Reste donc au franchisé à qui la décision de refus de renouvellement aura été opposée d’invoquer l’existence d’un «abus»1841. La preuve de l’abus incombe à celui qui l’invoque soit, en règle générale, au franchisé1842. Cette preuve est d’autant plus délicate à rapporter en pratique que, selon la jurisprudence, elle ne peut résulter de l’expression d’un simple refus1843, ni même d’ailleurs du caractère infondé de ce refus1844; un tel abus ne peut pas davantage s’inférer de la seule disproportion de la puissance économique des parties1845.

A l’instar du droit commun, le non-renouvellement du contrat de franchise à durée déterminée constitue un abus de droit lorsque l’un des contractants a commis une faute intentionnelle. Peut encore être abusif le fait pour le franchiseur:

d’avoir laissé croire au franchisé que son contrat serait renouvelé1846;

de ne pas lui avoir signalé que son contrat serait substantiellement modifié;

d’avoir fait réaliser au franchisé des investissements importants en vue d’un renouvellement ultérieurement refusé1847;

ou encore, de n’avoir pas avisé le franchisé du non renouvellement de son contrat dans un délai de préavis insuffisant1848.

En revanche, ne saurait constituer un abus de droit le fait pour le franchiseurde refuser de renouveler le contrat de franchise en raison :

de la violation par le franchisé de ses obligations contractuelles1849;

de l’inefficacité du franchisé1850;

d’une réorganisation du réseau de distribution.

2. Renouvellement conventionnel

a) Modalités du renouvellement

α) Techniques contractuelles

481. Diversité– En l’absence de stipulations contractuelles, le contrat à durée déterminée prend fin à la survenance du terme. Les parties peuvent en revanche envisager dans le contrat initial les conditions dans lesquelles celui-ci sera renouvelé ; il convient alors de distinguer les trois formules possibles : la reconduction non-automatique par laquelle les parties prévoient de se mettre d’accord pour un renouvellement exprès, la reconduction semi-automatique du contrat par laquelle les parties prévoient dans le contrat initial les modalités du renouvellement, la clause de reconduction tacite ou la tacite reconduction.

i) Renouvellement exprès

482. Clause de reconduction non-automatique– Le renouvellement du contrat de franchise peut imposer le caractère exprès de cette reconduction, qui devra par exemple intervenir au moyen d’une lettre recommandée avec accusé de réception, voire écarter la reconduction tacite. On est alors en présence d’une « clause de non reconductiontacite » – assez fréquente en pratique – excluant tout renouvellement tacite, à laquelle la jurisprudence attribue un effet extinctif de l’accord initial, quand bien même les parties auraient poursuivi leur relation contractuelle au-delà du terme1851.

Une telle clause prévoit généralement les modalités d’un éventuel renouvellement par la conclusion d’un nouveau contrat, en fixant un calendrier prévoyant notammentle délai dans lequel le franchiseur adresse le document d’information pré-contractuelle1852 et, le cas échéant, le nouveau contrat,puis celui dans lequel le franchisé doit, s’il l’accepte, signer le contrat ainsi renouvelé.

Le contrat pourra également préciser la durée des contrats renouvelés, ainsi que le nombre de renouvellements (limité ou non selon les cas).

483. Clause de reconduction semi-automatique– Le renouvellement du contrat peut encore être abandonné à la volonté d’un seul des deux contractants.

Ainsi, est-il parfois préconisé que le franchisé ayant respecté le contrat initial puisse décider seul de son renouvellement. A notre avis, ce type de clause soulève toutefois une difficulté et un danger. La difficulté vient de ce qu’un désaccord pourra naître entre les parties sur le point de savoir si la condition de fond requise pour la mise en œuvre de cette clause (le respect du contrat par le franchisé) est réalisée ou non; une telle appréciation nous semble trop subjective pour qu’en dépende le renouvellement du contrat. Le danger que comporte une telle clause concerne la situation du franchiseur qui aurait commis une faute lors de l’exécution du contrat initial; dans ce cas, en effet, le franchisé pourrait obtenir une indemnisation bien plus importante, dès lors que celle-ci serait calculée en fonction de la durée du contrat initial augmentée de celle du contrat renouvelé.

ii) Reconduction tacite

484. Clause de tacite reconduction –Les clauses organisant une reconduction tacite sont fréquentes. Selon de telles clauses, le silence observé par l’une et l’autre des parties durant une période déterminée signifiera que chacune d’elles a exprimé la volonté de conclure le nouveau contrat.Ce n’est rien d’autre qu’une reconduction non-automatique du contrat, assortie d’une présomption de l’accord des deux parties pour le renouveler; ici, le renouvellement du contrat est donc tacite.

On est en présence d’une « clause de tacite reconduction »1853 par l’effet de laquelle le contrat se renouvelle automatiquement, pour des périodes d’une durée déterminée, sauf dénonciation par l’une ou l’autre des parties1854, avant l’expiration de la période en cours lors de la dénonciation et dans un délai de préavis prédéterminé.

Ici encore, le contrat précisera notamment la durée des contrats reconduits, le nombre de reconductions (limité ou non selon les cas). A cet égard, il est recommandé de fixer la longueur du préavis en fonction de la durée du contrat, afin de permettre aux contractants de s’organiser.

485. Manifestation du non renouvellement – Lorsque le non renouvellement du contrat requiert une manifestation de volonté, l’envoi d’une lettre recommandée peut suffire, quand bien même son destinataire ne l’aurait pas retirée1855. La solution est logique: la négligence de l’une des parties, réelle ou affichée, ne saurait pouvoir emporter des conséquences préjudiciables pour son cocontractant. Les parties peuvent encore décider d’avoir à recourir à la notification du non-renouvellement par un acte d’huissier1856. Quoiqu’il en soit, l’on prendra soin d’insérer dans le contrat une clause d’élection de domicile de nature à permettre la mise en œuvre de l’article 111 du code civil1857 et de se prémunir contre le changement d’adresse ou de siège social de l’une des parties signataires1858.

486. Tacite reconduction ou poursuite de l’activité franchisée au-delà du terme –Une question se pose de la tacite reconduction du contrat de franchise si les parties, que ce soit dans le contrat initial ou au moment du terme, se contentent de poursuivre l’exécution du contrat initial. Reconnaître un effet à la continuation du contrat est consacré de manière extensive par la jurisprudence sur le fondement de l’article 1738 du code civil, qui régit le contrat de bail. Toutefois, en matière de franchise, les juges considèrent que la simple poursuite des relations entre les parties au contrat éteint par l’arrivée du terme ne saurait s’interpréter comme le renouvellement de l’accord initial1859. Si les parties ont inséré une clause par laquelle elles excluent toute tacite reconduction, la solution est logique1860, même si elle est discutée en jurisprudence1861. La prudence recommande au franchiseur poursuivant l’exécution à titre précaire de tout ou partie de ses obligations au profit de l’ex-franchisé, de l’indiquer expressément par écrit, en précisant que la poursuite de leurs relations contractuelles est menée à titre transitoire1862, et même de fixer au besoin un terme précis à cette période de survivance1863.

487. Tacite reconduction– Lorsque le contrat est à durée déterminée, il arrive que les relations commerciales se poursuivent après la survenance du terme initialement fixé. Une convention à durée indéterminée se noue alors entre les parties.

488. Condition– De même, le franchiseur pourra subordonner la signature du nouveau contrat à la réalisation par le franchisé de travaux de mise aux normes de son point de vente.

β) Droit d’information du franchisé

489. Obligation d’information–Se pose la question de savoir si la procédure d’information de la loi Doubin doit être conduite à chaque reconduction de contrat entrant dans son domaine d’application.

Lors du renouvellement du contrat de franchise, fût-ce par tacite reconduction1864, le franchiseur est tenu par une obligation d’information de son franchisé car le renouvellement, contrairement à une simple prorogation, repose sur la conclusion d’un nouveau contrat1865 et il paraît logique que ce nouveau contrat – nouveau negotium –respecte les conditions imposées par le régime juridique de la catégorie d’accords à laquelle il appartient. Le franchiseur devra veiller à informer son franchisé dans les conditions prévues par ledécret n°91-337 du 4avril 1991, en particulier sur les modifications éventuelles de l’état du marché local et de la situation du réseau, qui sont les plus évolutives.

Méconnue par certaines législations étrangères1866, cette règle a été consacrée par les juridictions du fond1867avant d’être retenue par la Cour de cassation1868.

490. Sanctions de la violation de l’obligation d’information– Sont en revanche bien moins connues les conséquences de l’inexécution par le franchiseur de son obligation d’information lors du renouvellement du contrat. A cet égard, une distinction s’impose.

Lorsque le franchisé sollicite la nullité du contrat de franchise ainsi renouvelé, il doit alors démontrer que l’information qui lui a été communiquée ou celle dont il a été privé a véritablement vicié son consentement; à défaut de pouvoir rapporter une telle preuve1869, la demande de nullité du franchisé est vouée à l’échec. C’est la solution consacrée par la Cour de cassation1870 et les juridictions du fond1871, que l’on retrouve également en ce qui concerne les autres types de contrats entrant dans le champ d’application de la loi Doubin1872.

Lorsqu’en revanche le franchisé sollicite la mise en œuvre de la responsabilité du franchiseur – et non plus la nullité du contrat de franchise renouvelé –, il n’a plus à démontrer que le défaut d’information a vicié son consentement; en pareil cas, en effet, le juge du fond doit simplement rechercher si la faute du franchiseur a causé un préjudice au franchisé1873.

b) Conséquences du renouvellement du contrat

491. Nouveau contrat – Le renouvellement du contrat consiste en la substitution d’un nouvel accord au contrat échu; il s’analyse en « la création d’un nouveau contrat à l’expiration du précédent en raison de la prolongation de l’état de fait qui résultait de celui-ci entre les parties »1874. Ilfait donc naître un nouveau contrat, qui emprunte à l’accord précédent l’essentiel de ses dispositions sauf celle de la durée.

α) Durée du nouveau contrat

492. Durée du nouveau contrat –Lorsque la clause du contrat initial ne comporte pas d’indication, sa poursuite au-delà du terme convenu donne naissance à nouveau contrat, de durée indéterminée1875; il en va toujours ainsi1876, sauf volonté contraire des parties.

Si la clause du contrat initial comporte en revanche une indication, deux cas sont possibles.

En premier lieu, si la clause prévoit une durée déterminée1877, le nouveau contrat devra la respecter. On veillera même à préciser que chaque contrat successif sera conclu pour telle durée déterminée, sans quoi le contrat faisant suite au contrat ainsi renouvelé serait réputé à durée indéterminée1878.

En second lieu, si la clause retient – plus rarement en pratique – la durée indéterminée, le contrat tacitement reconduit suivra le régime des contrats à durée indéterminée et sera donc résiliable à tout moment, au gré de la volonté de l’une ou l’autre des parties, à la seule condition de respecter un préavis raisonnable afin d’éviter l’application de l’article L. 442-6 I 5° du code de commerce1879.

Plus généralement, les obligations liées au caractère déterminé de la durée du contrat initial1880 disparaissent1881; ainsi, par exemple, devient inapplicable la clause du contrat de franchise prévoyant le montant des indemnités dues au franchiseur jusqu’au terme contractuel1882.

β) contenu du nouveau contrat

493. Contenu du contrat renouvelé – Sauf disposition contraire, le contenu du contrat renouvelé est identique à celui du contrat initial.

Cette situation n’est pas sans inconvénients. Le contrat de franchise, dont les stipulations ont vocation à s’appliquer pour toute sa durée, peut renfermer des stipulations qui, avec le temps, s’avèrent inadaptées aux évolutions du concept, du savoir-faire ou, plus généralement, du mode de fonctionnement du réseau de franchise. L’inadéquation croissante du contrat de franchise avec les caractéristiques du réseau rend alors préférable1883 de proposer au franchisé, lors du renouvellement de l’accord, le contrat alors en vigueur dans le réseau. Ce mécanisme conduit les franchisés les plus anciens à atteindre le même degré de perfectionnement et d’évolution du concept que les nouveaux franchisés, de sorte que l’homogénéité du réseau est en permanence conservée.

Le renouvellement du contrat de franchise pourra également être l’occasion pour le franchisé d’accomplir certaines obligations tenant compte de l’évolution du réseau: obligation de mise aux normes de son point de vente, obligation d’effectuer un stage de remise à niveau, etc.

494. Droit d’entrée – Aucun texte n’interdit le versement – total ou partiel – d’un nouveau droit d’entrée lors du renouvellement du contrat de franchise; cette situation est encore assez rare en pratique dans la mesure où ce paiement doit comporter une réelle contrepartie, bien distincte des obligations déjà exécutées, telles que notamment l’utilisation de la marque et des signes distinctifs, le transfert initial de savoir-faire, l’accès à l’assistance initiale.

495. Loi applicable – Ce nouveau contrat est soumis à la loi applicable au jour de ce renouvellement et non à celle en vigueur à la conclusion du contrat initial1884.

496. Garanties– Sauf dispositif contractuel particulier, le fait qu’un nouveau contrat succède au premier entraîne la disparition du contrat de cautionnement attaché au contrat de franchise initial1885.

Le franchiseur devra alors veiller à la régularisation d’un nouvel acte de cautionnement.

§2. La résiliation

I. La résiliation sans faute

A. La résiliation unilatérale classique

1. Le principe: un droit de résiliation unilatérale

497. Présentation du principe – Les engagements perpétuels sont prohibés en droit français1886. Aussi le contrat à exécution successive dont la durée est indéterminée peut-il être résilié unilatéralement par chacune des parties, alors même qu’aucune stipulation ne serait précisée en ce sens1887: si une partie ne pouvait pas se dégager unilatéralement d’un engagement souscrit sans terme extinctif, elle s’exposerait à être perpétuellement engagée. Cette faculté est par conséquent d’ordre public: les parties ne peuvent y déroger par une stipulation contraire1888.

La liberté de rompre unilatéralement le contrat à durée indéterminée a été affirmée par la Cour de cassation1889 et a valeur constitutionnelle1890.

Ce droit de résiliation unilatérale se justifie par la prohibition des engagements perpétuels et ne s’applique donc pas aux contrats à durée déterminée, la force obligatoire de celui-ci imposant sa survie jusqu’à l’arrivée du terme extinctif. Les parties sont donc tenues par le contrat jusqu’au terme défini au sein de cet acte, à moins d’avoir prévu une clause résolutoire1891 ou de s’entendre amiablement pour y mettre fin1892; dans tous les autres cas, elles ne sauraient le résilier unilatéralement, sauf à commettre une faute1893.

498. Application du principe au contrat de franchise – Le contrat de franchise, contrat à exécution successive, a parfois une durée indéterminée, notamment lorsqu’il s’agit d’un contrat reconduit tacitement alors que le contrat initial n’a pas prévu la durée des contrats reconduits dans cette hypothèse1894. Dans ce cas, les parties disposent d’une faculté de résiliation unilatérale du contrat ; le franchisé ne peut donc demander aucune précision quant au motif de résiliation, ni aucune indemnité à la fin du contrat, pour quelque raison que ce soit, et notamment pour sa contribution au développement de la clientèle. Une limite générale permet d’encadrer ce droit, qui n’est pas discrétionnaire: le contrôle de l’abus qui pourrait naître à l’exercice de cette faculté1895.

2. La limite: l’abus du droit de résiliation unilatérale

499. Abus de droit de résiliation unilatérale – Le Conseil constitutionnel, tout en conférant valeur constitutionnelle à la liberté de rompre unilatéralement le contrat à durée indéterminée, a indiqué les limites relatives à cette liberté; il précise en effet que doivent être garanties «l\’information du cocontractant, ainsi que la réparation du préjudice éventuel résultant des conditions de la rupture» 1896

Ce raisonnement est d’autant plus logique en matière de contrat de franchise, comme dans tous les contrats de distribution, que le franchisé se trouve dans une situation extrêmement précaire et dans un état de dépendance à l’égard du franchiseur. L’extinction du contrat est une illustration de cet état de précarité, renforcé par le refus de la jurisprudence d’appliquer à la rupture d’un tel contrat le régime du mandat d’intérêt commun1901.

500. Consistance de l’abus – Est susceptible notamment de constituer une rupture abusive la résiliation sans préavis1902 ou la rupture intervenue brutalement alors que la partie victime était en droit de croire que les relations commerciales seraient durables1903. Le délai de préavis devant être respecté en cas de résiliation unilatérale du contrat à durée indéterminée peut être défini contractuellement1904. L’abus s’apprécie donc de manière stricte et l’intérêt commun des parties ne peut être invoqué1905.

B. La résiliation amiable1. Les conditions de l’accord révocatoire

501. Accord révocatoire exprès – Les parties peuvent s’accorder en vue de mettre fin au contrat initial. Cette résiliation opérée d’un commun accord – le mutuus dissensus1906 – est conforme à la logique de la force obligatoire du contrat. En effet, elle trouve son fondement dans l’article 1134 alinéa 2 du code civil, qui dispose que les conventions «ne peuvent être révoquées que de leur consentement mutuel, ou pour les causes que la loi autorise». La force obligatoire des contrats a pour corollaire qu’il ne puisse être mis fin au contrat que par accord de l’ensemble des parties qui l’ont formé1907. La révocation résulte, comme tout contrat, d’une offre suivie d’une acceptation1908; elle est donc souvent exprès1909.

502. Accord révocatoire tacite – Cependant, un tel accord, «n\’est soumis à aucune condition de forme, peut être tacite et résulter des circonstances dont l\’appréciation appartient aux juges du fond»1910. Il ne suppose que l’accord de l’ensemble des parties. Aussi, si la preuve de l’accord de l’ensemble des parties doit être apportée1911, n’est-il pas nécessaire que cette preuve soit écrite1912.

Pour juger qu’un contrat de franchise a été résilié par l’accord tacite des parties, les juges retiennent un faisceau d’indices précis, graves et concordants manifestant la volonté commune du franchiseur et du franchisé de résilier le contrat qui les liait1913. Tel est le cas, notamment, de l’inexécution de leurs obligations par l’ensemble des parties à compter d’une certaine date1914, ou d’un échange de courrier duquel il résulte que l’une des parties a proposé la résiliation, et l’autre pris acte de celle-ci1915; de même, il a été jugé que, lorsque le franchiseur permet à son franchisé de céder son fonds de commerce à un non-franchisé, il ne saurait, sauf à adopter un comportement contradictoire,lui interdire la résiliation de son contrat de franchise1916. Dès lors que la volonté commune des parties de résilier de manière anticipée le contrat de franchise ressort des circonstances, le juge en tire les conséquences en constatant la résiliation du contrat à la date de l’accord intervenu, tout en aménageant par ailleurs les conséquences pratiques de cette résiliation.

2. Les effets de l’accord révocatoire

503. Force obligatoire – L’accord révocatoire, comme tout contrat, tient lieu de loi entre les parties qui l’ont formé, conformément à l’article 1134 du code civil. Aussi les parties ne peuvent-elles pas remettre en cause ses stipulations, notamment en revenant sur leur décision de mettre fin au contrat1917.

504. Accord des parties sur les effets de la résiliation – Les parties, dans le cadre de l’accord révocatoire, peuvent en fixer les effets, par exemple en prévoyant le maintien de la clause de non-concurrence prévue au contrat résilié d’un commun accord1918. Elles peuvent également prévoir des dédommagements1919, la reprise des stocks par le franchiseur1920.

En tout état de cause, les parties pourront décider que la résiliation amiable vaudra confirmation et emportera extinction du droit d’agir en nullité pour quelque cause que ce soit1921. Pour que la confirmation opère, l’auteur de la renonciation doit à la fois avoir connaissance du vice1922 et manifester la volonté de passer outre. À défaut d’une telle précaution, la résiliation amiable laisse subsister pour l’une ou l’autre des parties la faculté d’agir en nullité et d’obtenir, le cas échéant, des dommages et intérêts1923.

505. Effet de la résiliation en dehors de l’accord des parties – La révocation produit le même effet que l’accomplissement d’une condition résolutoire. Le franchiseur peut, notamment, obtenir le paiement des sommes restant dues par le franchisé à la date de la résiliation du contrat1924. Le franchisé peut, quant à lui, demander, le cas échéant, réparation de son préjudice1925. Les obligations contractuelles doivent être exécutées jusqu’à la date de résiliation choisie par les parties1926.

Une clause de transaction permet de compléter efficacement un contrat de résiliation, à condition qu’elle établisse une véritable transaction, ce qui requiert des concessions réciproques des parties1927. Si l’acte de résiliation amiable remplit ces conditions, sauf à être soumis par les parties à des conditions suspensives qui ne se réalisent pas1928, il devient transactionnel et purge donc, pour le passé comme pour l’avenir, tout litige fondé sur la même cause, à savoir la relation contractuelle amiablement éteinte1929.

II. La résiliation sanction

A. Les modes de résiliation pour inexécution

1. Le principe: la résiliation judiciaire

506. Clause résolutoire sous-entendue – En cas d’inexécution de ses obligations par l’une des parties, la résiliation du contrat de franchise peut être invoquée sur le fondement de l’article 1184 du code civil, qui consacre l’existence d’une clause résolutoire tacite. L’article 1184 du code civil dispose en effet en son alinéa 1: «la condition résolutoire est toujours sous-entendue dans les contrats synallagmatiques, pour le cas où l’une des deux parties ne satisfera point à son engagement». Ainsi est-il sous-entendu dans tout contrat que, conformément au régime des conditions résolutoires, la survenance de l’évènement que constitue l’inexécution d’une obligation contractuelle entraîne l’anéantissement rétroactif du contrat. La résiliation prévue dans cette disposition suppose donc l’inexécution d’une obligation contractuelle. Dans la mesure où il s’agit d’une sanction, elle doit nécessairement être constatée par le juge pour empêcher les voies d’exécution privée.

507. Résiliation – Pour les contrats synallagmatiques à exécution successive, le principe est moins celui d’une résolution que d’une résiliation, qui a pour effet d’entraîner l’anéantissement du contrat de manière non rétroactive, pour l’avenir seulement1930. La question est discutée1931. Certains condamnent cette solution et considèrent que l’anéantissement doit toujours être rétroactif, sous réserve de l’impossibilité pratique. La doctrine majoritaire se prononce toutefois en faveur de la résiliation pour l’avenir des contrats à exécution successive, dans la mesure où l’anéantissement du contrat se justifie non par l’existence d’un vice de formation, mais par un incident d’exécution; Pourquoi remettre en cause le contrat alors qu’il a pendant une certaine période fait l’objet d’une exécution paisible?

Les juges privilégient la seconde solution et prononcent la résiliation du contrat soit à compter du jour où le débiteur a cessé de remplir ses obligations1932, soit à compter du jour de la demande en justice1933, soit à compter du jour de la décision de justice1934. Elle est en effet plus logique et plus pratique, puisqu’il est impossible de revenir sur ce qui a été exécuté; les parties ne peuvent pas être remises au même état que si le contrat n’avait pas existé. Le contrat de franchise illustre bien cette impossibilité: il est impossible de revenir sur l’exécution par le franchiseur de ses obligations essentielles, en particulier la transmission du savoir-faire, l’assistance et tous les avantages apportés par le droit d’utiliser la marque et l’enseigne du franchiseur. La seule exception réside dans le contrat à exécution échelonnée, qui forme un tout indivisible et dont l’inexécution, même partielle, devrait entraîner la résolution; toutefois, cette question ne concerne pas le contrat de franchise dont l’exécution peut être bien fractionnée. Aussi la sanction prononcée par le juge est-elle d’ordinaire la résiliation1935.

508. Nécessaire intervention du juge – La résolution – ou la résiliation – du contrat pour inexécution ne peut en principe intervenir que sur décision du juge. En effet, l’alinéa 2 de l’article 1184 du code civil précise qu’en cas d’inexécution, «le contrat n’est point résolu de plein droit» et que «la partie envers laquelle l’engagement n’a point été exécuté, a le choix ou de forcer l’autre à l’exécution de la convention lorsqu’elle est possible, ou d’en demander la résolution avec dommages et intérêts»; l’alinéa 3 du même article énonçant par ailleurs que «la résolution doit être demandée en justice» et qu’un délai peut être accordé au défendeur.

Le principe de l’intervention du juge peut être écarté par l’insertion dans le contrat d’une clause résolutoire1936.

Par ailleurs, la jurisprudence a admis une exception à l’interdiction de la résiliation unilatérale du contrat à durée déterminée1937.

509. Intensité de l’inexécution justifiant la résiliation – Le juge saisi d’une demande de résiliation n’est pas tenu de la prononcer dès qu’il constate une inexécution: la résiliation, sanction lourde puisqu’elle met un terme au contrat, n’est prononcée que si le juge constate une inexécution grave1938 en raisonde son caractère répété ou de l’importance de l’obligation inexécutée, essentielle au contrat de franchise, le caractère de gravité de l’inexécution relevant en tout état de cause de l’appréciation souveraine des juges du fond1939.

Aussi la résiliation du contrat de franchise pourra-t-elle être prononcée en cas de manquements graves ou répétés du franchisé à son obligation :

– de payer le droit d’entrée1940,

– de se soumettre aux visites de contrôle du franchiseur1941,

– de communiquer son chiffre d’affaires au franchiseur1942,

– de payer les redevances d’assistance et/ou publicitaires1943 ainsi que les marchandises1944,

– d’utiliser l’enseigne du réseau1945,

– de non-concurrence pendant la période d’exécution du contrat1946,

– d’approvisionnement exclusif1947,

– de commercialiser les produits du franchiseur1948,

– de se conformer aux normes de celui-ci1949 et de ne pas exercer un commerce incompatible avec celui qui est objet1950 de la franchise ou des droits de préemption1951 et d’agrément1952 du franchiseur,

– de remontée d’informations1953,

– d’informer le franchiseur en cas de cession de ses parts1954,

– de demander l’agrément du franchiseur en cas de cession1955,

– et enfin, a fortiori, en cas d’inexécution totale du contrat1956.

S’agissant des obligations du franchiseur, la résiliation pourra être prononcée en cas de:

– violation de façon prolongée ou de défaillances fréquente dans le cadre de ses obligations d’approvisionnement1957 ou de publicité1958,

– violation des obligations d’exclusivité territoriale1959, de défendre le réseau contre les actes de concurrence déloyale des tiers1960, de développer le réseau1961, de transmettre le savoir faire1962 ou de l’obligation d’assistance1963,

– perte par le franchiseur de ses droits sur la marque concédée1964,

– abandon de l’exploitation de ladite marque1965 ou d’atteinte à la pérennité du réseau1966,

– modification substantielle des conditions contractuelles1967

– manquement à son obligation d’informer son franchisé sur sa situation juridique1968,

En revanche, sauf stipulation contraire, la résiliation ne sera pas prononcée dans le cas de rares retards de livraison de la part du franchiseur ou de paiements de redevances de la part du franchisé1969.

2. Les exceptions au principe de la résiliation judiciaire

a) La résiliation unilatérale aux risques et périls du créancier

510. Défense contre l’inexécution de ses obligations par le cocontractant – En cas d’inexécution de ses obligations par son cocontractant, une partie ne peut en principe obtenir la résolution ou la résiliation du contrat qu’en saisissant le juge à cette fin, conformément aux dispositions de l’article 1184 du code civil1970.

Il est encore possible de demander l’exécution forcée de l’obligation, si la nature de l’obligation ne l’interdit pas. En effet,il est en principe impossible de demander l’exécution forcée d’une obligation de faire ou de ne pas faire, l’inexécution d’une telle obligation se résolvant, selon les termes de l’article 1142 du code civil, par l’octroi de dommages et intérêts. Ce principe connaît néanmoins des exceptions, et ne s’applique pas lorsque la liberté directe du débiteur n’est pas atteinte1971. L’obligation de payer une somme d’argent peut, quant à elle, faire l’objet d’une exécution forcée. Ainsi, le franchiseur peut-il demander la condamnation du franchisé au paiement des redevances et du prix des marchandises livrées1972.

Enfin, la victime de l’inexécution peut cesser d’exécuter ses propres obligations, et opposer à son adversaire, s’il lui en est fait le reproche, l’exception d’inexécution1973. Cependant, cette exception ne peut justifier que l’inexécution des obligations réciproques à celles qui sont inexécutées de première part1974. De plus, la seconde inexécution doit être proportionnée à la première1975.

511. Affirmation de l’exception au principe – La Cour de cassation a admis que, dans certaines circonstances, l’une des parties puisse mettre unilatéralement fin à un contrat à exécution successive, sans avoir recours au juge1976. Cette solution a été admise pour les contrats à durée indéterminée, puis pour les contrats à durée déterminée.

Dans un arrêt de le première chambre civile du 13 octobre 19981977, la Cour a jugé que «la gravité du comportement d\’une partie à un contrat peut justifier que l\’autre partie y mette fin de façon unilatérale à ses risques et périls1978, et que cette gravité (…) n\’est pas nécessairement exclusive d\’un délai de préavis».

La Cour a par la suite confirmé sa position à plusieurs reprises, en précisant, dans un arrêt rendu le 20 février 20011979, qu’il importe peu que le contrat soit à durée déterminée ou indéterminée.

512. Conditions de l’exception au principe – Le principe de la nécessité du recours au juge n’a pas été renversé. En effet, dans les affaires ayant donné lieu aux deux arrêts précités, les cours d’appel avaient rejeté la demande d’indemnisation formée par la victime de la résiliation, au motif que celle-ci n’avait pas exécuté ses obligations; la Cour de cassation a cassé ces décisions, reprochant aux juges du fond de n’avoir pas «recherch[é] si le comportement de [ladite victime] revêtait une gravité suffisante pour justifier cette rupture». Par conséquent, la résiliation unilatérale d’un contrat à durée déterminée ne peut être justifiée que defaçon exceptionnelle, par un comportement dont la gravité particulière doit être démontrée1980.

En tout état de cause, il appartient à la partie qui prend l’initiative de la rupture de prouver que les manquements de son cocontractant sont de nature à justifier la résiliation du contrat1981. La gravité de l’inexécution est identique à celle qui aurait donné lieu à une résiliation judiciaire; il est en effet logique qu’elle soit appréciée selon les mêmes critères, puisqu’elle a les mêmes effets.

Si la résiliation unilatérale est possible, elle se fait aux risques et périls du créancier. Le débiteur peut en effet demander au juge d’en contrôler a posteriori la régularité1982 et, si celle-ci n’est pas constatée, l’auteur de la rupture sera considéré comme fautif et devra répondre de l’inexécution du contrat. La résiliation pourra alors être prononcée à ses torts exclusifs et il pourra être tenu au versement de dommages et intérêts. Une partie de la doctrine s’interroge même sur la possibilité de maintenir le contrat abusivement résolu1983. De la même manière, le caractère urgent de la rupture ne fait pas obstacle à une mise en demeure du débiteur.

b) La résiliation organisée par la convention: la clause résolutoire

513. Présentation de la clause de résiliation – Une autre exception au principe de la résiliation judiciaire réside dans la clause de résiliation de plein droit stipulée de manière expresse par les parties1984. Si le juge est saisi, et relève que la stipulation a été mise en œuvre régulièrement1985, son rôle se borne alors à constater la bonne exécution de la clause1986. S’il n’est pas précisé que la résiliation aura lieu de plein droit, l’intervention du juge demeure nécessaire; l’utilité de la clause consiste alors à contraindre le juge à mettre fin au contrat lorsque l’une des causes de résiliation énumérées dans la stipulation est constatée. Cette clause ne bénéficie pas nécessairement à l’ensemble des parties; aussi le contrat doit-il préciser la ou les parties au profit de laquelle ou desquelles la clause est prévue.

La clause précise la liste des obligations ou des évènements dont l’inexécution ou la survenance justifie la résiliation1987. Il n’est donc pas nécessaire que l’inexécution justifiant la résiliation remplisse les conditions de gravité nécessaires au prononcé d’une résiliation judiciaire, même dans l’hypothèse ou le prononcé de la résiliation n’est qu’une faculté pour le bénéficiaire de la clause1988. Toutefois, cette clause est d’interprétation stricte.

La clause fixe également les modalités de la résiliation, qui doivent être respectées sous peine que le contrat soit résilié par le juge aux torts de l’auteur de la rupture1989. Ainsi, la clause peut offriraux parties ou à l’une d’entre elles la simple faculté de résilier le contrat1990; dans ce cadre, elle peut imposer à la partie qui se plaint d’une inexécution d’accomplir certaines formalités, consistant par exemple, en la mise en demeure du cocontractant d’exécuter l’obligation concernée suivi d’un délai défini au contrat1991 ou en la saisine d’un arbitre1992 avant de procéder à la résiliation. Par principe, une clause de résolution de plein droit ne dispense pas le créancier d’effectuer une mise en demeure1993. Il peut cependant être prévu qu’en cas d’inexécution de telle ou telle obligation, le contrat sera résilié sans qu’il soit nécessaire d’accomplir de formalité1994, la résiliation opérant alors «de plein droit et sans sommation»1995. Par ailleurs, la clause peut prévoir une faculté de résiliation unilatérale en dehors de toute faute contractuelle1996, moyennant parfois le versement d’une indemnité1997. Il peut être encore stipulé que la clause de résiliation ne pourra être invoquée que lorsque le contrat aura été exécuté pendant un certain temps1998. On le voit, la liberté contractuelle est ici quasi-totale.

Cependant, cette liberté est encadrée par un principe général de bonne foi: «si les clauses résolutoires s’imposent aux juges, leur application reste néanmoins subordonnée aux exigences de bonne foi, par application de l’article 1134 du Code civil»1999.

514. Effet de la clause sur la faculté des parties de demander la résiliation en justice – La présence d’une telle clause n’empêche pas le créancier de l’obligation inexécutée de rechercher la résiliation par la voie judiciaire, à moins que ce dernier n’ait renoncé, de manière non équivoque, aux dispositions de l’article 1184 du code civil2000.

En revanche, le contractant mettant en œuvre la faculté de résiliation unilatérale ne peut de ce fait demander la résiliation judiciaire, celle-ci étant devenue sans objet2001.

515. Non-respect de la clause de résiliation – La clause de résiliation, comme toute stipulation, a force obligatoire. Sa violation constitue donc une faute contractuelle. Une telle violation est commise notamment en cas d’usage de la clause en dehors du cadre de son champ d’application2002, ou de résiliation sans respect de la procédure contractuellement prévue2003.

B. La réparation du préjudice issu de la résiliation516. Généralités – La résiliation opère pour l’avenir; elle ne donne donc pas naissance à une obligation de restitution. Toutefois, si la résiliation est judiciaire, c’est le juge qui fixe la date à laquelle il considère que le contrat a été résilié; les obligations des parties sont donc maintenues jusqu’à cette date, ce qui peut avoir de lourdes conséquences2004. En outre, la victime de la rupture – qui peut être exceptionnellement la partie qui y a procédé unilatéralement – pourra obtenir réparation au titre du préjudice subi du fait de la résiliation, dont le montant relève de l’appréciation souveraine des juges du fond, à moins qu’elle ne soit prédéterminée par les parties elles-mêmes au moyen d’une clause pénale.

1. La fixation judiciaire du montant de la réparation

a) Les conditions du droit à réparation

517. Intérêt à agir – La demande de réparation fondée sur la résiliation fautive du contrat ne peut être demandée que par le cocontractant de la partie à l’origine de la résiliation du contrat, c\’est-à-dire, dans l’espèce qui nous occupe, selon le cas, le franchisé ou le franchiseur. En aucun cas le dirigeant de la société contractante ne peut demander réparation sur un tel fondement: en l’absence de lien de droit entre la partie fautive et ledit dirigeant, ce dernier n’a pas intérêt à agir au sens de l’article 31 du code de procédure civile2005.

518. Incidence de l’écoulement du temps entre l’inexécution et la demande de résiliation – Le fait, pour la partie non fautive, de ne pas demander la résiliation du contrat ou de ne pas mettre en œuvre la clause de résiliation au moment de l’inexécution n’implique pas par principe qu’elle tolère cette inexécution et renonce à agir sur son fondement2006. Lorsque la partie fautive résilie le contrat, son cocontractant peut demander en justice, d’une part,le prononcé de la résiliation aux torts de ladite partie fautive, et, d’autre part, réparation de son préjudice2007.

De même, le fait que la partie non fautive n’ait pas demandé la résiliation du contrat pendant son exécution pour les manquements de son cocontractant est sans incidence sur son droit à demander réparation à l’expiration du contrat2008.

519. Nécessité de la démonstration d’un préjudice et d’un lien de causalité – Conformément au droit commun de la responsabilité, auquel elle est soumise, la résiliation fautive n’entraîne pas automatiquement droit à réparation au profit du cocontractant de la partie ayant procédé à la résiliation: des trois éléments de la responsabilité, elle ne caractérise que la faute. Aussi, le droit à réparation dudit cocontractant suppose-t-il également la démonstration de l’existence d’un préjudice lié à la résiliation fautive lui a causé un préjudice, ce que les juridictions sont parfois amenées à rappeler2009.

b) La mise en œuvre du droit à réparation

520. Distinctions – La rupture du contrat est susceptible de causer au cocontractant non fautif un préjudice propre, distinct de celui qui est issu de l’inexécution contractuelle ayant motivé la résiliation; ce préjudice est également distinct de celui causé par les fautes commises après l’extinction du contrat, telles que la conservation par le franchisé des signes distinctifs du réseau2010.

Par ailleurs, la résiliation motivée par la violation d’une obligation financière – qui incombe en matière de contrat de franchise, sauf exception, au franchisé – entraîne la condamnation à l’exécution desdites obligations : paiement du droit d’entrée2011, des marchandises livrées2012 et des redevances restant dues en exécution du contrat de franchise avant la résiliation2013, le cas échéant, assorties des pénalités de retard prévues au contrat2014.

Comme tout préjudice, le préjudice issu de la rupture fautive du contrat, élément de fait, relève de l’appréciation souveraine des juges du fond2015 qui, au besoin, nomment un expert afin d’évaluer le préjudice2016.

521. Cas particulier de la résiliation de plusieurs contrats indivisibles – La rupture du contrat de franchise peut entraîner la résiliation d’un contrat auquel le contrat de franchise se trouve lié dès lors que les parties ont convenu que la dénonciation de l’un des contrats entraînerait celle de l’autre. Ainsi, les parties peuvent lier le sort de plusieurs contrats en stipulant une clause d’indivisibilité2017. Si la résiliation du contrat est jugée fautive, l’auteur de la rupture sera condamné à réparer les préjudices résultant de la résiliation de tous les contrats dont les parties ont voulu lier le sort. La résiliation d’un contrat en raison de son indivisibilité avec un contrat résilié prend effet au jour où elle est demandée, et non au jour de la résiliation de cet autre contrat2018.

En outre, en l’absence d’une clause d’indivisibilité, le juge peut considérer que des conventions présentent un caractère indivisible, dès lors que les contrats se servent mutuellement de cause, et ne présentent aucune utilité considérés isolément et cessent par conséquent de présenter un quelconque intérêt si l’un d’entre eux cesse d’exister2019. Dans ce cas, la résiliation de l’un des contrats emporte la caducité des autres contrats formant le groupe contractuel2020, sans qu’une clause de divisibilité puisse y faire obstacle2021. La caducité entraîne les restitutions réciproques, sauf indemnité correspondant aux prestations non restituables, ainsi que l’éventuelle réparation d’un préjudice2022.

α) En cas de résiliation imputable au franchiseur

522. Préjudices réparables – Ainsi qu’il l’a été rappelé précédemment2023, le préjudice du franchisé doit, pour être réparé, être établi et présenter un lien de causalité avec la résiliation prononcée aux torts du franchiseur2024.

La jurisprudence n’est pas uniforme sur la question de l’indemnisation2025. Ainsi, si la réparation des pertes d’exploitation est parfois admise2026, à conditions que les chiffres avancés par le franchisé soient établis par un professionnel du chiffre et attestés par lui, et/ou corroborés par des déclarations fiscales2027, la Cour d’appel de Paris a refusé de condamner le franchiseur à réparer le préjudice du franchisé constitué par le passif généré par l’exploitation de son fonds2028. La réparation d’un préjudice moral fait également l’objet d’une importante casuistique2029.

L’examen des décisions permet cependant de dégager quelques courants jurisprudentiels. Ainsi, la réparation du préjudice consistant en les frais engagés pour lancer l’activité et non amortis est souvent admise2030 Par ailleurs, la réparation versée au titre du manque à gagner2031, lorsque celui-ci est établi, n’est pas appréciée au regard du chiffre d’affaires prévisionnel mais compte tenu de celui effectivement réalisé, et est constitué par la seule privation des bénéfices attendus de l’exploitation de la franchise, après déduction des charges d’exploitation2032.

β) En cas de résiliation imputable au franchisé

523. Préjudices réparables – Lorsque la résiliation fautive est imputable au franchisé, les juridictions condamnent le plus souvent le franchisé à payer au franchiseur les sommes que celui-ci aurait dû percevoir jusqu’au terme du contrat: redevances2033 et perte de chance de percevoir une marge bénéficiaire réalisée sur la vente des produits au franchisé2034. Néanmoins, la réparation accordée à ce titre au franchiseur peut être inférieure aux sommes qu’il aurait perçues si le contrat avait été poursuivi dans les mêmes conditions jusqu’à son terme. Ainsi, il a été jugé que les difficultés connues par le secteur concerné pouvaient être prises en compte dans l’appréciation desdites sommes2035. Par ailleurs, lorsque la faute du franchisé consiste à ne pas avoir respecté le préavis prévu par la clause de résiliation, la somme devant être payée par le franchisé peut être limitée aux redevances dues jusqu’au terme du préavis qui aurait dû être respecté2036.

A la réparation de ce préjudice sont ajoutées, selon les espèces, l’indemnisation d’autres dommages, et par exemple celle du trouble commercial résultant du départ anticipé et brutal du franchisé2037.

2. L’aménagement conventionnel du montant de la réparation

524. Présentation – Plusieurs clauses permettent aux parties d’aménager leur responsabilité contractuelle en cas d’inexécution. Ces clauses peuvent prévoir un allègement de la responsabilité ou un forfait de responsabilité au moyen d’une clause pénale.

a) Les clauses allégeant la responsabilité

525. Clauses limitatives et élusives de responsabilité – Deux types de clauses permettent d’alléger la responsabilité des parties: les clauses exonératoires ou les clauses limitatives de responsabilité2038. Elles sont en principe valables dans les relations contractuelles2039, mais la loi les encadre de plus en plus. Ces clauses relatives à la responsabilité ne sont efficaces que si le débiteur commet une faute légère ou ordinaire; si le créancier démontre que le débiteur a commis une faute dolosive ou lourde, elles ne peuvent jouer. La faute lourde peut être caractérisée par l’analyse du comportement du débiteur, s’il commet un fait dont il était très probable qu’il entraînerait un dommage. Elle peut également tenir à l’importance de l’obligation inexécutée, considérée comme essentielle, et dont la méconnaissance a pour effet de vider le contrat de sa substance2040. Ainsi, en matière de clause limitative de responsabilité, la Cour de cassation, dans un arrêt Chonopost de la chambre commerciale du 22 octobre 19962041, a jugé sur le fondement de l’article 1131 du code civil relatif à la cause qu’«en raison du manquement à son obligation essentielle, la clause limitative de responsabilité du contrat, qui contredisait la portée de l’engagement pris, devait être réputée non écrite».

La principale limite aux clauses relatives à la responsabilité réside dans la préservation de l’équilibre contractuel. Une limite légale a d’ailleurs été posée en ce sens, qui consiste dans la protection contre les clauses abusives2042. Cependant, la protection contre les clauses abusives est strictement réservée aux contrats conclus entre un consommateur et un professionnel; dans les rapports entre professionnels, dès lors qu’elle a été acceptée, une telle clause ne peut être déclarée abusive. Par conséquent, un tel fondement ne pourra être invoqué en matière de franchise, où les cocontractants sont des professionnels.

b) Les clauses pénales

α) Les caractères de la clause pénale

526. Définition – Les parties peuvent évaluer par avance les dommages et intérêts dus par le débiteur en cas de retard ou d’inexécution par l’une des parties, par la stipulation d’une clause pénale2043, régie par les articles 1152 et 1226 et suivants du code civil2044. Ainsi, les parties s’accordent sur le fait que celui qui n’exécutera pas l’obligation principale pesant sur lui versera à l’autre, à titre de peine privée, une somme d’argent déterminée à l’avance; la cause de l’obigation de payer consiste alors dans l’exécution même du contrat. Présentant une nature forfaitaire, la clause pénale se distingue des clauses qui ne fixent pas le montant de l’indemnité à l’avance, mais par référence à certains facteurs2045. Cette clause, qui a la nature d’une peine privée, remplit deux fonctions essentielles: il s’agit d’une clause indemnitaire, qui remplit également un rôle comminatoire. Cette double finalité permet de la distinguer des clauses de dédit.

Tout d’abord, elle a pour but de contraindre les parties à exécuter leurs obligations2046. Ainsi, alors que la clause de dédit2047 profite au débiteur, qui a le choix entre le dédit ou l’exécution2048, la clause pénale profite au créancier, qui peut soit y recourir soit agir en exécution forcée. Ensuite, elle a une nature indemnitaire, qui a deux conséquences. D’une part, elle implique un manquement du débiteur à son obligation, qui n’est pas requis en matière de dédit. En effet, la cause du paiement, dans le dédit, ne réside pas dans l’inexécution, mais se comprend simplement comme la faculté de dédit. D’autre part, dans la mesure où elle a un rôle indemnitaire, son montant peut être modifié par le juge en cas de disproportion2049.

527. Etendue – La nature de la clause pénale influe nécessairement sur l’étendue des réparations. Tout d’abord, l’article 1229 du code civil dispose que «la clause pénale est la compensation des dommages et intérêts que le créancier souffre de l’inexécution de l’obligation principale. Il ne peut demander en même temps le principal et la peine, à moins qu’elle n’ait été stipulée pour le simple retard». Cette disposition s’explique par la nature indemnitaire de la clause; elle joue comme une compensation des dommages et intérêts et ne peut donc permettre un cumul.

Cependant, l’absence de cumul ne signifie pas que la clause pénale qui sanctionne l’inexécution d’une obligation déterminée fasse échec à l’octroi de dommages et intérêts complémentaires dus au titre d’autres obligations. Ainsi, comme le prévoit le texte de l’article 1229 du code civil, si elle sanctionne le seul retard dans l’exécution de l’obligation, le créancier peut obtenir la réparation du préjudice que lui cause par ailleurs l’inexécution de ses obligations par le débiteur2050. A fortiori, la clause pénale insérée dans le contrat de franchise ne s’applique pas aux autres contrats conclus entre le franchiseur et le franchisé et concernant les services annexes que le franchisé a pu demander au franchiseur2051.

Ensuite, elle a pour finalité l’exécution des obligations et a une fonction comminatoire; par conséquent, elle ne fait pas obstacle à l’exécution forcée de certaines obligations, lorsque celle-ci est possible, et notamment à l’exécution forcée du paiement de sommes d’argent2052. Le débiteur est alors condamné à payer à son créancier, d’une part, le montant de la clause pénale, mais encore, d’autre part, les sommes qu’il doit en exécution du contrat. Toutefois, une nouvelle fois, la clause pénale exclut tout cumul: pour une même obligation, l’exécution exclut le jeu de la clause pénale qui intervient en cas d’inexécution.

β) La révision judiciaire de la clause pénale

528. Présentation – Alors que la définition de la clause pénale est prévue aux articles 1226 et suivants du code civil, une loi du 9 juillet 19752053 a conféré au juge un pouvoir modérateur dans l’évaluation de la clause pénale à l’alinéa 2 de l’article 1152 du code civil. Cet alinéa prévoit que «le juge peut, même d’office2054, modérer ou augmenter la peine qui avait été convenue si elle est manifestement excessive ou dérisoire. Toute stipulation contraire sera réputée non écrite»2055. Ce pouvoir, donné au juge en 1975, est l’une des manifestations les plus flagrantes de l’intervention du juge dans le contrat. Il a été reconnu en raison du développement de clauses pénales d’un montant excessif.

Le principe demeure néanmoins la force obligatoire de la clause pénale: les juges n’ont pas à motiver spécialement leur décision lorsque, faisant application pure et simple des conventions, ils refusent de modérer la peine forfaitairement convenue2056; en revanche, si lesdits juges décident d’user de leur pouvoir de révision, ils doivent motiver leur décision et exposer les raisons qui les ont conduits à admettre que la somme prévue à titre d’indemnité était « manifestement excessive »2057 ou au contraire « manifestement dérisoire »2058.

i) Les critères d’appréciation du caractère manifestement excessif ou dérisoire

529. Tendance jurisprudentielle – Une ligne directrice se dégage à l’examen des décisions rendues en matière de franchise : si, pour justifier l’exercice de la faculté de révisions, les tribunaux adoptent toujours une approche objective en constatant quantitativement l’écart existant entre la valeur du dommage et celle de l’indemnité contractuellement fixée, ils n’hésitent pas à examiner, de manière plus subjective, si cet écart peut être justifié au regard de l’économie générale du contrat et du comportement des parties.

– Appréciation objective

530. Disproportion manifeste – La constatation d’une disproportion manifeste entre le montant de la pénalité et la valeur du préjudice est, en toute hypothèse, exigée pour justifier l’exercice du pouvoir de révision judiciaire2059. La Cour de cassation a eu l’occasion de l’affirmer, en précisant qu’il ne suffit pas de relever le défaut de concordance des deux valeurs2060 ou en affirmant que « des motifs tirés du comportement du débiteur sont impropres à justifier, à eux seuls, le caractère manifestement excessif du montant de la clause pénale »2061. Le pouvoir du juge se situe dans une fourchette comprise entre la peine et le dommage; il ne peut retirer la fonction comminatoire de la clause en réduisant fortement le montant fixé; il ne peut élever la clause à un niveau manifestement supérieur au montant du préjudice2062.

Dans ces conditions, l’absence d’écart considérable entre l’ampleur du dommage et la somme stipulée justifie le refus opposé au franchiseur, créancier de la clause pénale, d’augmenter le montant prévu par ladite clause. Tel est le cas lorsque la peine compense exactement le préjudice subi par le franchiseur2063 ou que l’indemnité contractuelle est égale au total des redevances dues par le franchisé durant les six derniers mois précédant la rupture2064. De même, en l’absence d’un écart manifeste entre le montant dû au titre de la clause pénale et celui équivalant au préjudice, le franchisé ne peut obtenir la minoration de l’indemnité contractuellement prévue2065.

L’exigence de la caractérisation d’une disproportion manifeste semble imposer la comparaison entre deux montants définis: celui indiqué dans la clause et celui correspondant aux préjudices; néanmoins, il a été jugé que le fait que le préjudice soit difficilement quantifiable, loin d’exclure la possibilité de constater le caractère manifestement excessif de la clause, était au contraire de nature à l’établir2066.

– Appréciation subjective

531. Influence de la durée des relations contractuelles – Le critère tiré de la durée des relations contractuelles est utilisé pour autoriser la révision des clauses pénales dont le montant est proportionné au temps restant à courir jusqu’au terme contractuel. Aussi, la brièveté des relations contractuelles entre le franchiseur et son franchisé justifie une minoration de la clause pénale2067.

Il est néanmoins possible de prévoir que le montant contractuellement dû sera calculé au prorata temporis: le fait que le montant dudit montant soit élevé en cas de résiliation unilatérale au cours de la première année d’exécution du contrat est alors justifié2068.

532. Attitude des parties – Le juge tient parfois ouvertement compte de l’attitude des parties au moment de l’exécution du contrat afin d’apprécier le bien fondé d’une éventuelle révision2069. Ainsi, lorsque qu’une action en référé a été nécessaire pour que le franchisé cesse son infraction au contrat, le juge est plus réticent à constater la disproportion manifeste de la clause 2070.

Par ailleurs, lorsque le franchiseur n’a pas rempli son obligation d’assistance, le franchisé peut, en vertu de l’exception d’inexécution, s’abstenir de payer les redevances et le montant de la clause pénale après résiliation2071.

533. Profit tiré de l’exécution du contrat de franchise – Le profit qu’a retiré le débiteur de la clause pénale de l’exécution du contrat motive parfois le refus de révision de la clause pénale2072.

A l’inverse, la perte du contrat de franchise, qui entraîne celle de l’enseigne et qui constitue donc par elle-même une sorte de sanction «de fait», peut être de nature à motiver pour partie la modération de la clause pénale2073.

ii) La preuve du caractère manifestement excessif ou dérisoire

534. Charge de la preuve – Conformément au droit commun de la preuve, et mis à part le cas où le juge use de son pouvoir de révision d’office, il appartient au créancier de la clause pénale d’apporter la preuve du caractère manifestement dérisoire de celle-ci. Inversement, c’est au débiteur de la clause pénale, désireux d’obtenir sa réduction, qu’incombe la charge de la preuve de son caractère manifestement excessif. Par conséquent, le franchisé, aux torts duquel le contrat a été résilié, qui sollicite la réduction de la pénalité stipulée au contrat, est débouté de sa demande dès lors qu’il « ne verse aux débats aucune pièce démontrant que son montant serait manifestement excessif »2074.

535. Moment de l’appréciation du caractère manifestement excessif ou dérisoire – Le caractère « manifestement » excessif ou dérisoire de la peine convenue s’apprécie au jour où le juge statue sur la demande tendant au paiement de la pénalité, et non au moment de la conclusion du contrat2075. Par conséquent, si des paiements partiels sont déjà intervenus, il les comparera aux sommes restant dues.

Section 2 : Les effets de l’extinction

§1. Les obligations post-contractuelles du franchiseur

I. Les obligations incombant au franchiseur à l’extinction du contrat537. Obligations de ne pas faire – A première vue, l’extinction du contrat implique avant tout la sortie du franchisé du réseau, marquée concrètement par la restitution des signes distinctifs2076; le franchiseur, lui, reste à la tête dudit réseau. Sauf exception ou faute de sa part, il n’a rien à restituer. Aussi, les obligations naissant à l’occasion de l’extinction du contrat de franchise sont-elles principalement mises à la charge du franchisé. Il est néanmoins possible de prévoir contractuellement de telles obligations.

538. Obligations du franchiseur relatives au fichier client du franchisé – Le franchisé peut tenir un fichier contenant des renseignements relatifs à sa clientèle. Le cas échéant, ce fichier peut être commun à l’ensemble du réseau. En tant que traitement de données personnelles, ce fichier doit être conforme aux dispositions de la Loi informatique et libertés2077.

Des difficultés sont susceptibles de survenir lors de la cessation des relations contractuelles, quant aux droits respectifs des parties sur ce fichier. Il résulte en toute logique de l’arrêt Trévisan du 27 mars 20022078 que, si les conditions posées par cet arrêt pour que la clientèle locale soit considérée appartenir au franchisé sont remplies2079, le fichier clientèle qu’il a établi appartient également au franchisé, et le franchiseur n’a pas le droit d’en faire usage, sauf stipulation contraire2080. De même, un fichier appartient, là encore sauf stipulation contraire, à celui qui le constitue2081. En effet, il constitue une base de données au sens de l’article L.112-3 du code de la propriété intellectuelle2082 et est protégé en tant que tel par les droits d’auteur, sous réserve de la réunion des conditions d’application de ce dernier, et notamment de la condition d’originalité; en outre, en tant que producteur, celui qui constitue la base dispose d’un droit sui generis qui lui permet d’interdire l’extraction totale ou partielle de données, et leur réutilisation par la mise à la disposition du public2083.

Cependant, il est prudent que les parties prévoient contractuellement le sort du fichier de clientèle élaboré par le franchisé. Ainsi, le contrat pourra stipuler que ce fichier est la propriété exclusive du franchisé, ou, au contraire, qu’il est transmis au franchiseur à l’extinction des relations contractuelles. Dans le premier cas, le franchiseur ne pourra, sauf à commettre une faute, exploiter ledit fichier2084. Dans le second, cette exploitation sera prohibée au franchisé.

539. Obligations du franchiseur relatives aux stocks et au matériel du franchisé – Pour pallier les problèmes pouvant survenir en fin de contrat du fait que le franchisé a conservé un stock de marchandises fournies par le franchiseur ou sa centrale d’achat2085, il est également souhaitable, en particulier dans le cadre des réseaux de franchise de distribution, que le contrat comporte une stipulation relative à la reprise des stocks du franchisé par le franchiseur; de même, il est judicieux de préciser le sort du matériel (et du mobilier) qui a été acquis par le franchisé pour la mise en œuvre du savoir-faire, et qu’il ne sera plus amener à utiliser par la suite2086.

Selon ce qui est souhaité par les parties, cette reprise des stocks pourra être facultative ou obligatoire pour le franchiseur, concerner la totalité ou une partie2087 du stock conservé par le franchisé au moment de l’extinction du contrat. En outre, la clause devra indiquer la méthode permettant de fixer le prix de reprise, qui peut notamment correspondre à la valeur nette comptable ou au prix d’achat minoré d’un pourcentage prédéfini au contrat.

540. Obligations du franchiseur relatives aux anciens employés du franchisé – Afin de préserver les intérêts du franchisé, une clause du contrat de franchise peut interdire au franchiseur d’employer, pendant un certain délai, les anciens salariés du franchisé2088.

Néanmoins, une telle interdiction ne joue pas lorsque les circonstances de fait sont telles que le fonds de commerce du franchisé est transféré au franchiseur et qu’il y a, ainsi, modification dans la situation juridique de l’employeur au sens de l’article L.1224-1 du code du travail2089 et, par conséquent, transfert de tous les contrats de travail en cours au franchiseur, en sa qualité de nouvel employeur.

II. Les obligations n’incombant pas au franchiseur à l’extinction du contrat541. Obligation d’indemnité de clientèle – Si un courant doctrinal et jurisprudentiel a tenté d’assimiler les contrats de franchise (et de concession) à des mandats d’intérêt commun2090, en relevant que l’article L.330-3 du code de commerce fait référence au «contrat conclu dans l’intérêt commun des deux parties», cette analyse est aujourd’hui rejetée par la jurisprudence en raison de l’indépendance du franchisé2091.

La qualification de mandat d’intérêt commun étant exclue, le régime attaché à cette qualification l’est aussi: le franchisé n’a pas droit, à l’expiration du contrat, à l’indemnité de clientèle due au mandataire.

542. Obligation de non-concurrence – Après l’extinction du contrat, le franchisé conserve en principe son bail commercial, et continue à exploiter son commerce au même emplacement, sous réserve l’application de l’engagement de non-concurrence qu’il a contracté2092. Le territoire sur lequel est situé l’ancien franchisé – qui a dans de nombreuses hypothèses été protégé par une clause d’exclusivité territoriale – n’est plus couvert par le réseau. A moins que le contrat ne lui en fasse l’interdiction, le franchiseur a donc intérêt à concéder le territoire à un nouveau franchisé, voire à ouvrir un établissement en propre, afin de préserver la notoriété dudit réseau.

L’ancien franchisé et le nouvel établissement sont ainsi susceptibles de se trouver en situation de concurrence, et la nouvelle installation entraîne le transfert au profit du nouveau point de vente de la partie de la clientèle de l’ancien franchisé qui était attachée à la marque et non à la personne du franchisé. Et, en raison du principe de la liberté de la concurrence, cette nouvelle installation ne constitue pas en elle-même, de la part du franchiseur, un acte de concurrence déloyale2093.

§2. Les obligations post-contractuelles du franchisé

543. Importance quantitative – Les obligations post-contractuelles du franchisé, qu’elles découlent de plein droit de la cessation des relations contractuelles ou soient contractuellement prévues, sont en pratique plus nombreuses que celles du franchiseur.

I. Les obligations du franchisé découlant de plein droit de la cessation du contrat de franchise

A. L’obligation de l’ancien franchisé relative aux signes distinctifs du réseau

544. Perte du droit d’usage des signes distinctifs – C’est en vertu du contrat de franchise que l’ancien franchisé disposait du droit, et même du devoir, d’employer les signes distinctifs du réseau. Ce droit disparaît lorsque le contrat est éteint2094, quelle que soit la cause de la cessation des relations contractuelles2095, et le franchisé doit cesser tout emploi de ces signes : marque2096, enseigne2097, nom commercial, nom de domaine2098, logo du réseau, initiales relatives à la franchise, aménagements et agencements du magasin spécifiques au concept du franchiseur, documents publicitaires2099, etc.

Le plus souvent, le contrat prévoit, parfois sous astreinte, que les supports physiques de ces signes doivent être, selon leur nature, restitués au franchiseur ou détruits. En tout état de cause, l’ancien franchisé doit restituer au franchiseur les éléments dont ce dernier a conservé la propriété, ce qui sera le plus souvent le cas de l’enseigne, et des documents relatifs au savoir-faire (bible ou manuel, par exemple) et aux normes du réseau (charte graphique ou autre).

En cas de refus, il pourra y être contraint par décision de justice2100.

545. Actions ouvertes au franchiseur à l’égard du franchisé continuant à utiliser les signes distinctifs du réseau – L’ancien franchisé étant devenu tiers au réseau, le franchiseur dispose à son encontre, en cas d’utilisation des signes distinctifs du réseau, des actions qu’il peut exercer à l’encontre de tout tiers portant atteinte auxdits signes2101. Aussi, l’ancien franchisé commet-il un acte de contrefaçon en poursuivant sans droit son exploitation sous la marque du réseau auquel il a cessé d’appartenir2102, quand bien même il ferait précéder cette marque du terme «anciennement»2103. S’il continue à employer les signes distinctifs du réseau non protégés par des droits exclusif, il commet à l’égard du franchiseur un acte de concurrence déloyale, sanctionné sur le fondement du droit commun de la responsabilité délictuelle et quasi-délictuelle2104.

La jurisprudence a reconnu l’urgence s’attachant à mettre fin au risque que l’ancien franchisé fait courir à l’image du réseau en continuant à utiliser les signes distinctifs de ce dernier, et le franchiseur peut toujours saisir le juge des référés afin qu’il ordonne, au besoin sous astreinte, le retrait de tout signe distinctif du réseau2105.

En revanche, lorsque l’ancien franchisé a vendu son fonds de commerce à un non franchisé, il ne peut être tenu responsable de l’utilisation que fait son acquéreur desdits signes2106. Par ailleurs, sauf stipulation contraire, l’ancien franchisé peut continuer de vendre le stock constitué pendant l’exécution du contrat, alors même que ces marchandises seraient exclusivement commercialisées par le réseau2107.

Il appartient toujours au franchiseur de prouver que le franchisé poursuit l’utilisation des signes distinctifs du réseau2108.

B. Les obligations du franchisé créant de nouveaux signes distinctifs546. Obligations relatives à l’aspect des nouveaux signes distinctifs – L’ancien franchisé, en abandonnant les signes distinctifs du réseau dont il avait l’usage pendant la période d’exécution du contrat de franchise, est conduit en pratique à adopter une autre enseigne voire une autre marque; à moins d’adhérer à un autre réseau, l’ancien franchisé crée ces éléments.

Dans ce cas, l’ancien franchisé doit faire en sorte que ceux-ci soient suffisamment différents de la marque du réseau qu’il a quitté pour ne pas risquer de créer de confusion dans l’esprit du public ; à défaut, il commettrait un acte de contrefaçon2109.

547. Obligations relatives à l’exploitation des nouveaux signes distinctifs – L’ancien franchisé qui a créé une nouvelle marque et de nouveaux signes distinctifs peut vouloir créer son propre réseau, le cas échéant en se regroupant avec d’autres anciens membres du réseau qu’il vient de quitter. Ceci ne lui est pas interdit, sous réserve du respect des clauses de non-concurrence et de non-réaffiliation éventuellement mises à sa charge2110.

Toutefois, l’ancien franchisé ne doit pas, ce faisant, agir avec déloyauté envers son ancien franchiseur; en particulier, il ne saurait s’adresser spécifiquement aux franchisés du réseau dudit franchiseur en dénigrant ce dernier afin de les inciter à quitter le réseau auquel ils appartiennent et à se joindre au sien2111. Dans tous les cas où le franchisé agirait avec déloyauté, il engagerait sa responsabilité délictuelle à l’égard du franchiseur.

II. Les obligations fréquemment stipulées à la charge du franchisé548. Survie d’une partie du contrat – Le contrat de franchise aménage fréquemment les relations post-contractuelles des parties. Une partie des obligations imposées par le contrat survit ainsi à l’extinction des obligations principales dudit contrat2112.

A. L’aménagement des obligations découlant de plein droit de l’extinction du contrat549. Astreinte et autres modalités – Si l’obligation de cesser l’utilisation des signes distinctifs du réseau découle de plein droit de l’extinction des relations contractuelles, il peut être utile d’aménager contractuellement cette obligation, notamment en l’assortissant d’une astreinte. Un tel dispositif s’avère souvent efficace.

De même, le contrat peut prévoir les modalités de restitution des éléments dont le franchiseur a conservé la propriété (délai, astreinte éventuelle, etc.), ou préciser les éléments qu’il est interdit au franchisé d’employer dans la nouvelle marque qu’il adopte2113, étant entendu que dans cette hypothèse, le franchiseur peut toujours arguer de son droit sur la marque pour empêcher l’ancien franchisé d’adopter une marque imitante susceptible d’engendrer un risque de confusion dans l’esprit du consommateur2114.

B. La protection du savoir-faire550. Obligation de confidentialité – Comme on l’a déjà exposé2115, il est prudent de faire peser sur le franchisé une obligation de confidentialité tant durant les pourparlers que lors de la phase d’exécution du contrat de franchise, afin d’éviter la divulgation du savoir-faire qui, dans le cas d’une telle divulgation, perdrait son caractère secret et donc de sa valeur.

Cette obligation doit survivre à l’extinction du contrat: le franchisé a, sauf exception, appliqué le savoir-faire pendant plusieurs années. Aussi, même si, le franchiseur ayant eu la précaution de conserver la propriété des documents relatifs au savoir-faire, l’ancien franchisé ne détient plus lesdits documents, il est en mesure de communiquer le savoir-faire propre au réseau à des tiers. Il est donc nécessaire qu’il s’engage contractuellement à ne pas procéder à une telle divulgation postérieurement à la cessation des relations contractuelles. La légitimité d’une telle obligation est si bien reconnue que le règlement d’exemption de 1999 précise expressément qu’«une restriction (…) à la divulgation d’un savoir-faire qui n’est pas tombé dans le domaine public» peut être imposée pour une durée indéterminée sans pour autant être privée de l’exemption.

551. Clause interdisant l’utilisation du savoir-faire – La restriction à l’utilisation du savoir-faire qui n’est pas tombé dans le domaine public bénéficie également expressément de l’exemption prévue par le règlement de 1999. Il est en effet légitime que le franchiseur veuille protéger le savoir-faire sur lequel est assis son système de franchise, et en réserver l’usage exclusif à ses franchisés.

Néanmoins, l’ancien franchisé ayant adopté le savoir-faire et l’ayant intégré à sa pratique commerciale, il peut s’avérer difficile en pratique de l’empêcher d’utiliser ce savoir-faire, à moins que celui-ci n’implique l’emploi d’un matériel particulier dont le franchiseur a repris possession, soit qu’il en ait conservé la propriété et l’ait simplement mis à disposition du franchisé pendant la durée du contrat, soit qu’il l’ait racheté en fin de contrat en application des stipulations relatives à la reprise du matériel. En tout état de cause, dès lors qu’il a quitté le réseau, l’ancien franchisé ne bénéficie plus des évolutions du savoir-faire; par conséquent, si le préjudice consécutif à l’utilisation d’un savoir-faire identique à celui du réseau est optimal au moment de l’extinction du contrat de franchise, il s’amenuise progressivement au fil du temps.

C. Les obligations de non-concurrence et de non-réaffiliation1. Présentation des clauses de non-concurrence et de non-réaffiliation

552. Définitions – Par la clause de non-concurrence, le franchisé s’interdit d’exercer une activité similaire à celle du réseau qu’il quitte, dans des limites de temps et de lieu définies2116; il est ainsi fait obstacle à la poursuite par l’ancien franchisé de l’exploitation du savoir-faire de façon considérablement plus efficace qu’au moyen de la clause d’interdiction d’utilisation du savoir-faire. En effet, pendant le délai de l’interdiction de concurrence, le savoir-faire a en principe considérablement évolué.

Par la clause de non-réaffiliation, le franchisé s’engage à ne pas s’affilier à un réseau concurrent du réseau qu’il quitte, dans des limites de temps et de lieu définies2117; si cette clause n’est pas associée à une clause de non-concurrence proprement dite, le franchisé conserve le droit d’exercer une activité similaire à celle qui était la sienne durant la période d’exécution du contrat2118. Selon la rédaction de la clause, l’interdiction d’affiliation concerne tous les réseaux ou uniquement ceux qui bénéficient d’une renommée régionale ou nationale; dans cette dernière hypothèse, il appartient au franchiseur qui prétend que l’ancien franchisé a violé son obligation de non-réaffiliation de prouver que le réseau auquel ce dernier adhère bénéficie d’une telle renommée2119. Cette clause permet d’éviter que l’ancien franchisé, devenu membre d’un réseau concurrent, ne divulgue le savoir-faire à l’intérieur de ce réseau; en effet, s’il est en règle générale contractuellement prévu une obligation de confidentialité post-contractuelle à la charge du franchisé, une telle obligation ne peut garantir le franchiseur initial contre une diffusion discrète de son savoir-faire à l’intérieur d’un réseau concurrent.

553. Conditions de validité – Les clauses de non-concurrence sont soumises à des conditions de validité tant en droit commercial qu’en droit de la concurrence. Ces conditions, qui sont relativement proches bien que de sources distinctes seront étudiées plus précisément dans le chapitre consacré au droit de la concurrence2120. En principe, une condition générale pose que l’obligation de non concurrence doit être limitée dans le temps et dans l’espace et «être proportionnée aux intérêts légitimes à protéger»2121.

Une question s’est cependant posée s’agissant de l’exigence supplémentaire en droit interne d’une contrepartie financière à l’engagement de non-concurrence. En droit du travail en effet, la validité de la clause de non-concurrence imposée au salarié est subordonnée au versement d’une contrepartie financière à son profit2122, condition à laquelle une convention collective ne peut déroger2123. Cette condition s’imposait-elle dans le cas du franchisé2124, comme l’invoquait une partie de la doctrine2125?

Il apparaît qu’il n’en est rien, même si un raisonnement par analogie sembalit possible2126. En effet, par plusieurs arrêts du 1 juillet 2003, la chambre commerciale de la Cour de cassation montre au contraire que la contrepartie financière n’est pas une condition de validité de la clause de non-concurrence et se contente de rappeler les conditions classiques de validité de la clause de non-concurrence, sans y ajouter aucune condition supplémentaireer. Le droit communautaire de la concurrence, pourtant plus exigent que la jurisprudence interne en matière de validité des clauses de non-concurrence insérées dans les contrats de distribution, consacre la même solution en refusant d’imposer une telle condition. La chambre commerciale, dans un arrêt rendu à la fin de l’année 2007 et concernant un agent commercial, semble confirmer sa position2127, même s’il est vrai qu’en l’espèce la validité de la clause était régie par un texte particulier2128, ce qui n’est pas le cas en matière de contrat de franchise.

2. La mise en œuvre des clauses de non-concurrence et de non-réaffiliation

554. Modalités de mise en œuvre – Outre les stipulations nécessaires à la validité de la clause – c’est-à-dire l’indication de l’activité, de la durée et du territoire concernés – les parties peuvent prévoir les modalités de sa mise en œuvre.

Ainsi, le non-respect de cette clause peut être sanctionné par une clause pénale2129. Il est également prudent pour le franchiseur d’indiquer que le franchisé s’interdit d’exercer l’activité déterminée tant directement qu’indirectement2130.

En outre, le contrat peut parfaitement prévoir que l’applicabilité de la clause dépend de la cause d’extinction des relations contractuelles. Par exemple, il est possible de prévoir que la clause ne sera pas applicable si le contrat a été résilié aux torts exclusifs du franchiseur2131. Le contrat peut au contraire retenir que la clause sera applicable quelle que soit l’origine de la cessation des relations contractuelles2132: dans ce cas, le franchisé sera débiteur de l’obligation de non-concurrence en dépit du fait que la résiliation est due aux manquements contractuels du franchiseur2133.

Enfin, les parties peuvent décider que le franchisé recevra une contrepartie financière; qui peut le plus, peut le moins.

555. Interprétation stricte – Il ne faut pas perdre de vue que les clauses de non-concurrence et de non-affiliation sont une exception à la liberté du commerce et à la liberté de la concurrence qui restent le principe. Comme toute exception à un principe, elles sont donc d’interprétations strictes2134.

En revanche, lorsque la validité de la clause est établie ou n’est pas contestée, cette clause produit un effet absolu dans les limites décidées par les contractants. Ainsi, un ancien franchisé ne peut exercer l’activité prohibée par la clause, fut-ce au sein d’une activité plus large2135. De même, une clause de non-réaffiliation absolue interdit au franchisé de créer son propre réseau de franchise dans les limites d’activité, de temps et de lieu de la clause2136.

556. Responsabilité contractuelle – L’obligation de non-concurrence ou de non-réaffiliation étant stipulée par les parties, la violation de ladite obligation entraîne la responsabilité contractuelle de son auteur. Bien que quelques juridictions opèrent en la matière une confusion regrettable2137, la violation de l’obligation contractuelle de non-concurrence, faute contractuelle sanctionnée en tant que telle par l’application de l’article 1147 du code civil, ne constitue pas un acte de concurrence déloyale, qui relève de la responsabilité délictuelle régie par les articles 1382 et suivants du code civil2138.

Le débiteur fautif de l’obligation de non-concurrence doit réparer le préjudice causé à son cocontractant2139. Si l’infraction n’a pas cessé au jour de la décision, la juridiction saisie peut enjoindre à l’ancien franchisé d’y mettre fin, le cas échéant sous astreinte2140.

Il incombe au franchiseur de rapporter la preuve de la poursuite de l’activité2141 et de l’étendue du préjudice qu’il a subi2142.

557. Incidence du versement d’une contrepartie financière – Lorsqu’une contrepartie financière a été versée au débiteur de l’obligation de non-concurrence, la violation par ce dernier de ladite obligation entraîne la restitution d’une partie de la contrepartie au créancier de l’obligation, calculée au prorata de la durée de la violation2143.

558. Indemnisation du franchisé – Si la chambre commerciale de la Cour de cassation ne semble pas vouloir ériger l’existence d’une contrepartie financière en condition de validité de la clause de non-concurrence2144, elle n’exclut pas la possibilité d’allouer une indemnité à l’ancien franchisé débiteur d’une telle obligation, en faisant appel à la notion de quasi-contrat. L’arrêt d’une cour d’appel qui avait refusé à l’ancien franchisé une indemnité pour perte de clientèle a en effet été cassé sur le fondement de l’article 1371 du code civil au motif suivant: «en statuant ainsi, alors qu’elle constatait, tout à la fois, que le franchisé pouvait se prévaloir d’une clientèle propre, et que la rupture du contrat stipulant une clause de non-concurrence était le fait du franchiseur, ce dont il se déduisait que l’ancien franchisé se voyait dépossédé de cette clientèle, et qu’il subissait en conséquence un préjudice, dont le principe était ainsi reconnu et qu’il convenait d’évaluer, au besoin après une mesure d’instruction, la cour d’appel a violé le texte susvisé»2145.

Cette décision est importante. Aux termes de cet arrêt, l’indemnisation de l’ancien franchisé débiteur d’une obligation de non-concurrence suppose la réunion de deux conditions cumulatives: le franchisé doit pouvoir se prévaloir d’une clientèle propreet la rupture du contrat doit être le fait du franchiseur. Si ces conditions sont réunies, l’ancien franchisé se trouve dépossédé de sa clientèle par l’effet de la clause de non-concurrence, ce qui lui cause un préjudice qu’il appartient aux juges du fond d’évaluer. Cet arrêt suscite des interrogations s’agissant tant des conditions qu’il pose, que du fondement de la réparation.

En premier lieu, si la première condition ne semble pas devoir poser de difficulté particulière en raison de la reconnaissance d’une clientèle propre au franchisé par l’arrêt Trévisan du 27 mars 20022146, la seconde est plus floue2147. On se demande en effet s’il faut entendre le terme de «rupture» au sens strict (c’est-à-dire au seul sens de résiliation) ou dans un sens plus large (qui engloberait le non-renouvellement). L’expression « du fait» n’est pas plus claire: doit-elle être entendue comme désignant la seule résiliation anticipée et fautive réalisée par le franchiseur ou comme toute résiliation ou non-renouvellement opéré par le franchiseur? Serait-elle réservée aux manquements graves de ce dernier à ses obligations contractuelles? En tout état de cause, le franchisé n’aura pas droit à une indemnité lorsque la rupture du contrat sera due à son propre fait2148.

En second lieu, le visa de l’article 1371 du code civil semble indiquer que la Cour de cassation fonde l’indemnité due au franchisé sur l’enrichissement sans cause (à moins qu’il ne s’agisse de la consécration d’un nouveau type de quasi-contrat2149). Or, l’application de ce mécanisme en la matière est contestable à deux titres. D’une part, en effet, l’appauvrissement et l’enrichissement corélatif consisteraient dans le transfert de la clientèle du franchisé au franchiseur; la preuve d’un tel transfert pourrait se révéler difficile à apporter2150. Il était ainsi permis de douter de ce transfert dans l’espèce ayant donné lieu à la décision de la Cour de cassation2151. Par ailleurs, l’absence de cause à l’éventuel enrichissement a également été discutée, la cause du transfert de la clientèle résidant – de l’aveu de l’arrêt lui-même – dans la mise en œuvre de la clause de non-concurrence2152.

Chapitre 7 : Franchise et droit de la concurrence

Section 1 : Les droits applicables

§1. Le droit interne de la concurrence

561. Source du droit interne de la concurrence – L’ordonnance n°2000-912 du 18 septembre 2000, tout en procédant à la recodification du code de commerce, a incorporé dans ledit code les dispositions de l’ordonnance de 19862153 qui constituait autrefois le droit interne de la concurrence; la matière est aujourd’hui régie par le Livre IV dudit code, intitulé «De la liberté des prix et de la concurrence».

I. Le régime des pratiques anticoncurrentielles

A. Le principe d’interdiction des pratiques anticoncurrentielles

1. La prohibition des ententes

a) La nature des ententes prohibées

562. Typologie – L’article L. 420-1 cite plusieurs types de pratiques susceptibles de revêtir un caractère anticoncurrentiel; il s’agit des «actions concertées, conventions, ententes expresses ou tacites ou coalitions». Le texte ne donne aucune définition de ces termes. Il est néanmoins possible de distinguer parmi eux deux types de pratiques: les pratiques expresses et les pratiques tacites.

563. Pratiques tacites – Les pratiques tacites regroupent les actions concertées, les ententes tacites et les coalitions. On le sait, la Cour de justice des Communautés européennes a indiqué que la notion de «pratique concertée» était relative à «une forme de coordination entre entreprises qui, sans avoir été poussée jusqu’à la réalisation d’une convention proprement dite, substitue sciemment une coopération pratique entre elles aux risques de la concurrence» et que «par sa nature même, la pratique concertée ne réunit donc pas tous les éléments d’un accord, mais peut notamment résulter d’une coordination qui s’extériorise par le comportement des participants»2154.

La décision précitée de la Cour de justice des Communautés européennes permet ainsi de préciser l’idée qui préside à la catégorie des pratiques tacites. Il peut néanmoins se révéler difficile de distinguer avec précision les notions entrant dans cette catégorie au sens de l’article L. 420-1 du code de commerce. Le vocabulaire commun définit l’action concertée comme l’action projetée «de concert avec une ou plusieurs personne», le concert étant lui-même défini comme l’«accord de personnes qui poursuivent un même but». La coalition est, quant à elle, la «réunion momentanée (…) de personnes dans la poursuite d’un intérêt commun d’opposition ou de défense». L’entente, enfin, est «le fait de s’entendre, de s’accorder» et «l’état qui en résulte». Les définitions2155 des deux autres termes renvoient à la notion même d’entente. On retrouve ce phénomène en droit interne de la concurrence, où le terme d’«entente» est employé pour désigner l’ensemble des pratiques visées à l’article L. 420-1 du code de commerce2156.

Les ententes tacites seraient donc la catégorie de pratiques à laquelle appartiennent les actions concertées et les coalitions; ces deux notions se distingueraient l’une de l’autre en ce que le but poursuivi par la coalition – opposition ou défense – serait plus étroit que celui poursuivi par l’action concertée.

564. Pratiques expresses – Sont regroupées dans cette catégorie les conventions et ententes expresses. Cependant, la notion d’entente regroupant l’ensemble des pratiques auxquelles renvoie l’article L. 420-1 du code de commerce, cette catégorie correspond en pratique aux conventions, parmi lesquelles se trouvent l’ensemble des contrats de distribution, et plus particulièrement le contrat de franchise.

b) L’impact des ententes prohibées sur le marché

α La nécessité d’une menace à la liberté de la concurrence

565. Part de marché et menace à la liberté de la concurrence – Lorsque la liberté de la concurrence n’est pas menacée, il n’y pas lieu de la protéger; aussi la logique veut-elle que le droit de la concurrence, qui a pour objectif de préserver cette liberté des atteintes qui pourraient y être faites, ne soit applicable que lorsque le risque d’une telle atteinte est présent.

L’article L. 420-1 du code de commerce prohibe certaines pratiques «lorsqu’elles ont pour objet ou peuvent avoir pour effet d’empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence sur un marché». Le Conseil de la concurrence estime à ce titre que «seuls un dysfonctionnement sérieux de la concurrence, une affectation non insignifiante de la concurrence, justifient l’intervention des autorités de concurrence, afin de leur permettre de se concentrer sur les atteintes les plus graves»2157. L’article L. 464-6-1 du code de commerce permet audit Conseil de ne poursuivre les auteurs des pratiques mentionnées par l’article L. 420-1 précité – à moins que ces pratiques ne constituent des restrictions caractérisées de concurrence2158 – que dans l’hypothèse où les auteurs de ces pratiques détiennent de façon cumulée une part suffisamment importante du marché considéré pour empêcher, restreindre, ou fausser le jeu de la concurrence2159. Les autorités judiciaires, compétentes pour connaître des demandes de nullité des actes passés en violation de ce texte2160, ont adopté une position similaire; la Cour de cassation a en effet approuvé une cour d’appel d’avoir constaté la licéité d’un contrat ayant un objet anticoncurrentiel au motif que l’accord n’avait qu’une portée limitée sur le marché pertinent2161.

566. Seuil de sensibilité – Ce n’est que récemment que le droit interne a fixé le seuil à partir duquel une entreprise est susceptible de menacer la concurrence par ses pratiques anticoncurrentielles2162; en dessous du seuil ainsi défini, le Conseil de la concurrence, auquel se substituera l’Autorité de la concurrence le 1 janvier 2009 au plus tard, peut se dispenser de poursuivre les auteurs de pratiques anticoncurrentielles. L’article L. 464-6-1 du code de commerceer distingue le seuil applicable selon que les auteurs de la pratique anticoncurrentielle sont concurrents ou non. Le Conseil de la concurrence peut ainsi décider de ne pas poursuivre lorsque, entre autres, «la part de marché cumulée détenue par les entreprises ou organismes parties à l’accord ou à la pratique en cause ne dépasse pas soit :

a) 10 % sur l’un des marchés affectés par l’accord ou la pratique lorsqu’il s’agit d’un accord ou d’une pratique entre des entreprises ou organismes qui sont des concurrents, existants ou potentiels, sur l’un des marchés en cause ;

b) 15 % sur l’un des marchés affectés par l’accord ou la pratique lorsqu’il s’agit d’un accord ou d’une pratique entre des entreprises ou organismes qui ne sont pas concurrents existants ou potentiels sur l’un des marchés en cause».

C’est à cette dernière catégorie qu’appartiennent les contrats de distribution en général, et les contrats de franchise en particulier.

Les autorités saisies d’une question relative à une pratique prétendument anticoncurrentielle s’attachent en premier lieu à définir le marché en cause – le «marché pertinent»2163 – avant de déterminer la part de marché détenue par le ou les auteurs de ladite pratique2164.

β. La détermination de la part de marché de l’auteur de la pratique anticoncurrentielle

567. Définition du marché pertinent – Le Conseil de la concurrence a consacré une partie de son rapport annuel pour l’année 2001 à l’étude de la notion de marché pertinent2165. Ladite autorité a repris à cette occasion une définition du marché pertinent qu’il avait précédemment adoptée: «Le marché, au sens où l’entend le droit de la concurrence, est défini comme le lieu sur lequel se rencontrent l’offre et la demande pour un produit ou un service spécifique. En théorie, sur un marché, les unités offertes sont parfaitement substituables pour les consommateurs qui peuvent ainsi arbitrer entre les offreurs lorsqu’il y en a plusieurs, ce qui implique que chaque offreur est soumis à la concurrence par les prix des autres. À l’inverse, un offreur sur un marché n’est pas directement contraint par les stratégies de prix des offreurs sur des marchés différents, parce que ces derniers commercialisent des produits ou des services qui ne répondent pas à la même demande et qui ne constituent donc pas, pour les consommateurs, des produits substituables. Une substituabilité parfaite entre produits ou services s’observant rarement, le Conseil regarde comme substituables et comme se trouvant sur un même marché les produits ou services dont on peut raisonnablement penser que les demandeurs les considèrent comme des moyens alternatifs entre lesquels ils peuvent arbitrer pour satisfaire une même demande ».

Comme le Conseil l’indique lui-même, il n’existe pas de lignes directrices permettant de délimiter le marché pertinent; cependant, cette autorité emploie des méthodes qui se dégagent de sa jurisprudence et sont parfois exposées au sein des rapports annuels: le Conseil s’attache à déterminer le marché en cause tant au regard des produits que de la zone géographique concernés. Le principal critère pris en compte, ainsi que cela ressort de la définition du marché pertinent reproduit ci-dessus, est la substituabilité des biens ou service concernés dans l’esprit des demandeurs de ces produits (biens ou services).

568. Détermination du marché quant aux produits en cause – Pour déterminer la subsituabilité des produits en cause, le Conseil de la concurrencese fonde sur un certain nombre d’indices: l’existence et la nature d’une offre2166, et d’une demande 2167; la nature ou la fonction organique d’un produit2168, ainsi que ses caractéristiques physiques et matérielles; la fonction et l’utilisation du produit2169; les caractéristiques de l’offre2170; le cadre juridique2171; les prix2172; la préférence des consommateurs due à des raisons subjectives. La substituabilité de l’offre est parfois également prise en compte dans la mesure où elle est de nature à fournir un indice sur le comportement de la demande.

569. Détermination du marché quant à la zone géographique concernée – Le marché pertinent est limité dans l’espace. En effet, certains biens ou services substituables à d’autres dans une zone géographique ne le seront pas dans une autre. Ce phénomène s’explique par plusieurs raisons. Ainsi, les frontières géographiques du marché en cause sont parfois définies par rapport aux contraintes liées au transport et au déplacement tant de l’offrant que des consommateurs; ces éléments sont de nature à faire hausser le prix des produits proposés, voire à les rendre indisponible dans certaines régions. Par ailleurs, la délimitation géographique peut être due à certaines règlementations, qui peuvent instaurer un monopole ou imposer des normes auxquelles tout produit n’est pas conforme. Enfin, les comportements subjectifs des consommateurs peuvent en outre varier de manière significative d’une zone géographique à l’autre.

La taille des différents marchés pertinents est très variable.

570. Calcul de la part de marché – Une fois le marché pertinent (ou, le cas échéant, les marchés pertinents) déterminé, le Conseil de la concurrence calcule le chiffre d’affaires dégagé au sein de ce marché annuellement, puis compare à ce chiffre d’affaires le cumul de celui produit par les auteurs de la pratique anticoncurrentielle dans le cadre de l’activité concernée2173.

c) Le caractère anticoncurrentiel

571. Atteintes à la concurrence – Les pratiques énumérées par l’article L. 420-1 du code de commerce ne sont pas prohibées en elles-mêmes; elles ne le sont que «lorsqu’elles ont pour objet ou peuvent avoir pour effet d’empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence sur un marché»2174.

L’article L. 420-1 précité donne une liste d’effets néfastes à la concurrence qui sont en cela de nature à entraîner la prohibition de la pratique qui en est la cause. Précédée du terme «notamment», cette liste n’est donc pas exhaustive; toute entente a pour objet ou pour effet d’empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence sur un marché est prohibée, peu important qu’elle ne corresponde pas à l’une des hypothèses envisagées expressément par le texte.

Celui-ci évoque quatre effets anticoncurrentiels:

– la limitation de l’accès au marché ou du libre exercice de la concurrence par d’autres entreprises ;

– l’obstacle fait à la fixation des prix par le libre jeu du marché en favorisant artificiellement leur hausse ou leur baisse ;

– la limitation ou le contrôle de la production, des débouchés, des investissements ou du progrès technique ;

– la répartition des marchés ou des sources d’approvisionnement.

Ces effets sont évalués sur le marché pertinent2175.

572. Indifférence de la réalisation des effets – L’article L. 420-1 du code de commerce indique que les ententes sont prohibées lorsqu’elles «ont pour objet ou peuvent avoir pour effet» de porter atteinte au jeu de la concurrence sur un marché. Sont donc envisagées les hypothèses où les effets anticoncurrentiels sont seulement projetés ou potentiels. Par conséquent, le fait que l’effet anticoncurrentiel se réalise effectivement est indifférent: la liberté de la concurrence est protégée dès le stade où elle est seulement menacée et non-encore atteinte.

S’agissant des ententes ayant pour objet de porter atteinte au jeu de la concurrence, le Conseil de la concurrence a souligné qu’il n’était pas nécessaire de prouver l’effet réellement produit, ces pratiques étant «en elles-mêmes présumées attenter au jeu de la concurrence» et l’atteinte étant «en quelque sorte (…) contenue à titre latent dans l’accord»2176.

S’agissant des ententes pouvant avoir pour effet une atteinte à la concurrence, le Conseil précise que la caractérisation de l’infraction à la concurrence nécessite«qu’il soit possible de prévoir avec une assez bonne probabilité que cette pratique aura sur le marché en cause des effets négatifs sur les prix, la production, l’innovation, la diversité ou la qualité des produits et services»2177.

573. Caractérisation de l’objet anticoncurrentiel – Il peut se révéler malaisé de démontrer que le but poursuivi par la pratique litigieuse est une atteinte à la concurrence. Cependant, certains accords sont considérés comme ayant par nature un objet anticoncurrentiel; ceux-ci comprennent, selon l’autorité française de la concurrence, «les pratiques visant à évincer un opérateur du marché, à restreindre les échanges ou à s’entendre sur les prix» 2178

d) Le rôle de l’intention de l’auteur de l’entente

574. Intention de l’auteur et sanction civile – Il ressort également des termes de l’article L. 420-1 du code de commerce que l’intention de son auteur est totalement indifférente à l’application de ce texte. Il n’est donc pas nécessaire que l’atteinte à la concurrence soit le but de la pratique considérée: il suffit qu’elle puisse en être l’effet, voulu ou non2179.

En revanche, l’entente doit être établie; autrement dit, l’intention qu’ont eue les parties de participer à la même action doit être démontrée2180.

Dans son rapport d’activité de l’année 2003, le Conseil de la concurrence a souligné que cette distinction était en grande partie théorique: la démonstration de l’intention de porter atteinte à la concurrence découle dans de nombreux cas de celle de l’entente2181.

Néanmoins, si le consentement de l’une des parties est vicié, son intention à l’entente n’est pas démontrée2182.

575. Infraction intentionnelle – L’article L. 420-6 du code de commerce sanctionne pénalement «toute personne physique de prendre frauduleusement une part personnelle et déterminante dans la conception, l’organisation ou la mise en œuvre de pratiques visées aux articles L. 420-1 et L. 420-2». L’emploi de l’adverbe «frauduleusement» indique que l’infraction n’est constituée que lorsque l’auteur de la pratique anticoncurrentielle en cause a eu l’intention de la commettre.

2. La prohibition de l’exploitation abusive d’une position de force

576. Généralités – L’article L. 420-2 du code de commerce envisage deux situations distinctes, qui ont pour point commun la détention par une entreprise ou un groupe d’entreprises d’une position de force; dans le premier cas, cette position s’apprécie par rapport au marché, et dans le second, par rapport au partenaire – client ou fournisseur – de l’entreprise concernée. La position de force occupée par ladite entreprise n’est dans aucune de ces hypothèses une faute; dans les deux cas, la faute consiste en l’exploitation abusive de cette situation.

a) La prohibition de l’exploitation abusive d’une position dominante

577. Condition de la prohibition – L’exploitation abusive d’une position dominante est prohibée, selon les termes du premier alinéa de l’article L. 420-2 du code de commerce, «dans les conditions prévues à l’article L. 420-1». Cette exploitation n’est donc prohibée que dans la mesure où elle «[a] pour objet ou [peut] avoir pour effet d’empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence».

578. Notion de position dominante – L’article L. 420-2 du code de commerce n’apporte pas de définition au terme de «position dominante». Selon le Conseil de la concurrence, une entreprise détient une position dominante sur un marché lorsqu’elle «est en position de s’abstraire de la concurrence d’autres entreprises présentes sur le même marché»2183. En d’autres termes, l’entreprise (ou le groupe d’entreprises) détient une position dominante lorsqu’elle (ou il) peut adopter un comportement de façon indépendante, c’est-à-dire sans être tenue de prendre en compte la réaction de la concurrence ou de ses clients.

Cette position dominante s’apprécie par rapport au marché en cause, qui doit être déterminé préalablement aux autres démarches2184.

La part détenue par l’entreprise ou le groupe d’entreprise sur le marché pertinent constitue l’un des indices dans la recherche de la position dominante. Elle constitue un indice suffisant lorsque l’entreprise en cause détient la totalité ou la quasi-totalité du marché; dans les autres cas, cet élément doit parfois être complété par d’autres, tels que, notamment, la part de marché des concurrents et le fait que l’entreprise en cause a ou non un accès préférentiel à certaines matières premières ou sources de financement2185.

579. Exploitation abusive – L’article L. 420-2 du code de commerce ne définit pas l’exploitation abusive, mais en donne des exemples: refus de vente, ventes liées ou en conditions de vente discriminatoires, rupture de relations commerciales établies, au seul motif que le partenaire refuse de se soumettre à des conditions commerciales injustifiées. Ces comportements sont prohibés indépendamment de la position dominante détenue par leur auteur sur le marché, lorsque d’autres conditions sont réunies; ainsi, le refus de vente et les ventes liées sont interdits par l’article L.122-1 du code de la consommation lorsqu’ils sont opposés aux consommateurs; la rupture de relations commerciales établies – à moins d’être justifiée par la force majeure ou l’inexécution par le partenaire de ses obligations contractuelles – est quant à elle sanctionnée par l’article L. 442-6 I 5° lorsqu’il y est procédé brusquement2186.

S’ajoutent à cette liste non-exhaustive d’autres comportements fautifs, tels que notamment la pratique des prix prédateurs2187, et les actes de concurrence déloyale, dès lors qu’ils sont adoptés par une entreprise ou un groupe d’entreprises détenant une position dominante sur un marché2188.

b) La prohibition de l’exploitation abusive de l’état de dépendance économique

580. Condition de la prohibition – L’Etat de dépendance économique n’est pas en lui-même illicite: c’est l’exploitation abusive qui en est faite qui l’est2189. Par ailleurs, tout comme l’exploitation abusive d’une position dominante, l’exploitation abusive de l’état de dépendance économique n’est pas sanctionnée en tant que telle au titre de l’article L. 420-2 du code de commerce: encore faut-il qu’elle ait un effet sur la concurrence2190, ce qui s’inscrit dans la logique du Livre IV du code de commerce, livre dédié à la liberté des prix et de la concurrence, au sein duquel se trouve ledit article.

Le second alinéa de l’article L. 420-2 du code de commerce, contrairement au premier, ne renvoie pas à l’article L. 420-1 du même code, et précisedirectement l’effet sur la concurrence qui est de nature à motiver la sanction en cas d’exploitation abusive d’un état de dépendance économique. L’article 8 de l’Ordonnance n°86-1243 du 1 décembre 1986, qui a introduit la sanction de l’exploitation abusive d’un état de dépendance économique en droit français, n’opérait pas cette distinction: l’exploitation abusive tant d’une position dominante que d’un état de dépendance économique était sanctionnée dans les mêmes conditions que les ententes. Il s’est cependant avéré fréquemment difficile pour la personne située en dépendance économique à l’égard de l’un de ses clients ou fournisseur de démontrer que l’abus dont elle était victime affectait l’ensemble d’un marché. Aussi, le texte a-t-il été modifié à l’occasion de son introduction dans le code de commerce par la loi NRE2191 ; désormais, l’exploitation abusive d’un état de dépendance économique est sanctionnée «dès lors qu’elle est susceptible d’affecter le fonctionnement ou la structure de la concurrence» sans qu’il soit nécessaire de démontrer l’affectation d’un marché.

581. Notion d’état de dépendance économique – Pas plus qu’il ne définit la notion de position dominante, le texte ne définit celle de dépendance économique2192. S’agissant de la dépendance économique de l’acheteur, la Cour de cassation a adopté la définition suivante2193: «l’état de dépendance économique, pour un distributeur, se définit comme la situation d’une entreprise qui ne dispose pas de la possibilité de substituer à son ou ses fournisseurs un ou plusieurs autres fournisseurs répondant à sa demande d’approvisionnement dans des conditions techniques et économiques comparables»2194.

La jurisprudence a cependant dégagé quelques critères qui, lorsqu’ils sont réunis, permettent de caractériser un état de dépendance économique2195:

– l’importance du fournisseur dans le chiffre d’affaires du distributeur ou inversement(il a ainsi été jugé qu’une part de 20 % était insuffisante2196; en revanche, une part s’élevant aux deux tiers du chiffre d’affaires du distributeur est un indice de dépendance économique2197, de même, a fortiori, que la quasi-intégralité du chiffre d’affaires du franchisé2198);

– la notoriété de la marque du fournisseur2199;

– l’importance de la part du fournisseur ou du distributeur sur le marché2200 (cette importance ne saurait se déduire de la notoriété de la marque2201);

– l’absence d’une solution équivalente pour le distributeur. La loi du 15 mai 2001, dite loi NRE, a supprimé la référence à cette notion du texte lors de sa codification. Néanmoins, la jurisprudence continue à exiger l’acquisition de cette condition2202. A titre d’exemple, cette condition est remplie lorsque le fait de rompre le contrat de franchise aurait eu pour conséquence inévitable la rupture d’un contrat de location-gérance2203; en revanche, ce n’est pas le cas lorsque le contractant prétendument dépendant peut facilement mettre fin au contrat2204 ou lorsqu’il pouvait s’approvisionner auprès d’autres franchisés du réseau2205.

582. Exploitation abusive – Ici encore, le législateur a préféré procéder par voie d’exemples, plutôt que de donner une définition à l’exploitation abusive. Le second alinéa de l’article L. 420-2 du code de commerce dispose ainsi in fine: «ces abus peuvent notamment consister en refus de vente, en ventes liées, en pratiques discriminatoires visées au I de l’article L. 442-6 ou en accords de gamme». Les deux premières pratiques sont également données à titre d’exemple par l’alinéa précédent, concernant l’abus de puissance économique. Alors que ledit précédent alinéa ne citait par ailleurs que l’un des cas visés par I de l’article L. 442-6, toutes les hypothèses énumérées à l’article L. 442-6 I sont visées par l’alinéa 2 de l’article L. 420-2. Par ce procédé est envisagé un nombre relativement large de comportements, parmi lesquels se trouvent notamment les pratiques suivantes: la soumission à des obligations créant un déséquiliblre significatif dans les droits et obligations des parties, l’obtention (ou la tentative d’obtention) d’avantages sans contrepartie et la rupture brutale des relations commerciales2206.

 

B. L’exception au principe de l’interdiction des pratiques anticoncurrentielles1. Les conditions de l’autorisation

583. Présentation – De nombreuses opérations pratiquées couramment constituent des atteintes à la concurrence telles qu’énoncées par l’article L. 420-1 du code de commerce. C’est notamment le cas des accords de distribution qui, par exemple, font dans une certaine mesure obstacle à la libre fixation des prix par le jeu de la concurrence et ont pour effet le contrôle des débouchés de produits ou services. Ces pratiques sont néanmoins susceptibles de provoquer un progrès économique.

Aussi les pratiques anticoncurrentielles ne sont-elles pas interdites de façon absolue: de manière pragmatique, le droit interne autorise de telles pratiques lorsque quatre conditions cumulatives – au nombre desquelles figure la production d’un progrès économique – sont remplies2207. L’article L. 420-4 I du code de commerce dispose ainsi:

«Ne sont pas soumises aux dispositions des articles L. 420-1 et L. 420-2 les pratiques (…) dont les auteurs peuvent justifier qu’elles ont pour effet d’assurer un progrès économique, y compris par la création ou le maintien d’emplois, et qu’elles réservent aux utilisateurs une partie équitable du profit qui en résulte, sans donner aux entreprises intéressées la possibilité d’éliminer la concurrence pour une partie substantielle des produits en cause. Ces pratiques (…) ne doivent imposer des restrictions à la concurrence, que dans la mesure où elles sont indispensables pour atteindre cet objectif de progrès».

On le voit, les pratiques promouvant un progrès économique échappent non seulement à la prohibition prévue par l’article L. 420-1 mais également à celle prévue par l’article L. 420-2. Le droit interne permet donc, contrairement au droit communautaire2208, d’exempter de la prohibition, outre les ententes, les actes constitutifs d’une exploitation abusive d’une position dominante ou d’un état de dépendance économique.

584. Condition tenant à la production d’un progrès économique – L’article L. 420-4 du code de commerce envisage expressément l’un des progrès économiques pouvant être provoqués par une pratique anticoncurrentielle: la création ou le maintien d’emplois. Le règlement d’exemption du 22 décembre 1999 offre d’autres exemples de progrès économique: il peut s’agir d’une«diminution des coûts de transaction et de distribution des parties» ou encore de la procuration d’un «niveau optimal de leurs investissements et de leurs ventes».

Le progrès économique visé par l’article L. 420-4 précité peut ainsi consister, notamment, en un progrès technique, une amélioration de la qualité des produits, la favorisation de l’emploi, ou une réduction des coûts, ce dernier effet étant particulièrement susceptible d’être produit par les accords de distribution.

Quel qu’il soit, le progrès économique, pour faire échapper l’accord en cause à la prohibition, ne doit pas bénéficier aux seules entreprises qui y sont parties, mais à la collectivité dans son ensemble2209.

585. Condition tenant au partage des profits avec les utilisateurs – L’avantage procuré par la ou les pratiques anticoncurrentielles en cause ne doivent pas profiter uniquement à leurs auteurs, mais également aux utilisateurs des produits, au nombre desquels se trouvent en premier lieu les consommateurs2210. Cette condition part de l’idée que la pratique en cause, en portant atteinte au libre jeu de la concurrence, prive l’utilisateur du bénéfice qu’il tire de ce jeu; l’utilisateur brimé doit donc bénéficier, en échange de cette perte, d’un intérêt, à défaut la pratique anticoncurrentielle tombe sous le coup de la prohibition.

Cet avantage peut consister notamment en la baisse du prix des biens ou services consommés: la baisse des coûts due à l’organisation du réseau de distribution bénéficie également au consommateur. L’amélioration de la qualité des biens ou services présente également un avantage certain pour leurs utilisateurs2211, ce qui est également le cas de l’amélioration du choix qui leur est offert.

586. Condition tenant à la subsistance de la concurrence – Quels que soient les progrès économiques qu’elle apporte et le bénéfice qui en résulte pour les utilisateurs, la pratique restrictive n’est pas tolérée si elle a pour effet d’annihiler toute concurrence, ou de la réduire à presque rien.

587. Condition tenant à l’indispensabilité de la restriction apportée à la concurrence – Enfin, la pratique restrictive de concurrence en cause n’échappe à la prohibition prévue par l’article L. 420-1 du code de commerce que si aucune pratique non restrictive – ou moins restrictive – n’est pas susceptible d’apporter le même progrès économique.

2. Les modalités de l’autorisation

588. Exemptions – L’article L. 420-4 II du code de commerce énonce que «certaines catégories d’accords ou certains accords, notamment lorsqu’ils ont pour objet d’améliorer la gestion des entreprises moyennes ou petites, peuvent être reconnus comme satisfaisant à ces conditions par décret pris après avis conforme du Conseil de la concurrence».

A côté des exemptions particulières, accordées au cas par cas, le droit interne de la concurrence, à l’instar du droit communautaire2212, rend ainsi possible l’exemption de catégories d’accords. Cette exemption est accordée par voie de décret pris après avis du Conseil de la concurrence, qui sera remplacé à partir du 1 janver 2009 au plus tard par l’Autorité de la concurrence; tout accord entrant dans la catégorie exemptée est alors présumé échapper à la prohibition, sans que les conditions énoncées précédemment aient à être caractérisées.

Les contrats de distribution ne bénéficient pas d’une telle exemption catégorielle en droit interne de la concurrence. Ils sont donc en théorie soumis au cas par cas à la vérification de chacune des conditions énumérées par l’article L. 420-4 I du code de commerce. Cependant, le Conseil de la concurrence indique depuis l’année 2000 que le règlement d’exemption du 22 décembre 1999 constitue un «guide d’analyse utile»er dans le cadre de l’application du droit interne de la concurrence2213; en employant ainsi le règlement d’exemption issu du droit européen et concernant les contrats de distribution comme guide d’analyse du droit interne, le Conseil de la concurrence supplée à l’absence de décret d’exemption.

C. Les sanctions de la violation du droit interne de la concurrence1. Les sanctions prononcées par les juridictions de droit commun

589. Nullité – L’article L. 420-3 du code de commerce dispose: «est nul tout engagement, convention ou clause contractuelle se rapportant à une pratique prohibée par les articles L. 420-1 et L. 420-2». Ainsi, à moins que les conditions posées par l’article L. 420-4 du même code pour l’exonération de la prohibition soient remplies, la clause instaurant une pratique anticoncurrentielle doit être annulée; si cette clause est essentielle dans l’esprit des parties, sa nullité entraîne celle du contrat.

590. Dommages et intérêts – Les juridictions de droit commun peuvent prononcer, outre la nullité de la clause anticoncurrentielle ou celle du contrat dans son ensemble, la condamnation des auteurs de pratique anticoncurrentielle à réparer le préjudice subi par la victime de cette pratique (entreprise concurrente ou consommateur)2214.

Cette réparation ne peut être obtenue que devant ces juridictions: le Conseil de la concurrence et, à compter du 1 janvier 2009 au plus tard, l’Autorité de la concurrence ne réparent pas le préjudice subi par les victimes des actes anticoncurrentiels, et ne le prennent pas en compte dans le cadre du calcul de la sanction qu’ils prononcenter.

591. Sanctions pénales – Au titre de l’article L. 420-6 du code de commerce, «le fait, pour toute personne physique de prendre frauduleusement une part personnelle et déterminante dans la conception, l’organisation ou la mise en œuvre de pratiques visées aux articles L. 420-1 et L. 420-2» est puni d’un emprisonnement de quatre ans et de 75000 € d’amende. Par ailleurs, l’article L. 442-5 du même code punit d’une amende de 15000 € «le fait par toute personne d’imposer, directement ou indirectement, un caractère minimal au prix de revente d’un produit ou d’un bien, au prix d’une prestation de service ou à une marge commerciale».

2. Les sanctions prononcées par les autorités de la concurrence

592. Avertissement – La loi de modernisation de l’économie prévoit la substitution de l’Autorité de la concurrence au Conseil de la concurrence, à compter de l’adoption de l’ordonnance devant instituer cette autorité, et au plus tard le 1 janvier 2009. Si la loi a d’ores et déjà défini la composition de la nouvelle autorité et certains de ses pouvoirs, les règles de fonctionnement et de procédures applicables devant l’Autorité de la concurrence doivent être définies par l’ordonnance précitéeer encore à prendre à l’heure où sont écrites ses lignes. La procédure décrite ci-après est celle prévue par l’avant-projet d’ordonnance. Des modifications pourront par conséquent être intervenues lors de l’adoption de l’ordonnance à venir. L’avant-projet d’ordonnance prévoit de manière général, outre des dispositions particulières, que «dans toutes les dispositions législatives et réglementaires, les références au Conseil de la concurrence seront remplacées par la référence à l’Autorité de la concurrence».

a) Présentation des autorités compétentes en matière de concurrence

593. Autorité de la concurrence – L’Autorité de la concurrence, créée par la loi du 4 août 2008, remplacera à compter du 1 janvier 2009 au plus tard le Conseil de la concurrence créé par l’Ordonnance du 1er décembre 1986. Celui-ci succède lui-même à la Commission de la concurrence qui remplaçait elle-même la Commission technique des Ententes. L’Autorité a le statut d’autorité administrative indépendante. Elle est composée de dix-sept membres nommés pour cinq ans, auxquels s’ajoutent les rapporteurs et les enquêteurs, dirigés par le rapporteur général2215.

L’Autorité de la concurrence rend un rapport d’activité annuel remis au Gouvernement et au Parlement.

Les pouvoirs de l’Autorité de la concurrence sont nettement plus étendus que celui des trois organismes qui l’ont précédé. Comme le Conseil de la concurrence, l’Autorité dispose d’un pouvoir de sanction des pratiques visées aux articles L. 420-1, L. 420-2 et L. 420-5 du code de commerce; d’autre part, elle dispose d’un pouvoir décisionnel en matière de concentrations, ce qui constitue sa différence essentielle avec l’ancien Conseil de la concurrence, qui n’avait en la matière qu’une fonction consultative.

594. Ministre chargé de l’économie – L’avant-projet d’ordonnance portant création de l’Autorité de la concurrence prévoit de donner compétence au ministre chargé de l’économie pour enjoindre aux entreprises auteurs d’une pratique anticoncurrentielle affectant un marché de dimension locale – micro pratique anticoncurrentielle ou encore micro PAC – de cesser cette pratique, et pour transiger avec ces entreprises2216. Cette faculté serait limitée aux ententes de faible importancene relevant pas du droit communautaire et formées par des entreprises n’ayant pas réalisé lors de leur dernier exercice clos un chiffre d’affaires individuel supérieur à 50 milions d’euros, et un chiffre d’affaires cumulé supérieur à 100 millions d’euros.

595. Cour d’appel de Paris – A l’instar du droit boursier2217, les recours contre les décisions du Conseil de la concurrence sont portées devant la Cour d’appel de Paris dans un délai de dix jours à compter de leur notification; ladite Cour doit alors statuer dans le délai d’un mois2218. La Cour d’appel de Paris restera compétente pour connaître des recours formés à l’encontre des décisions rendues par l’Autorité de la concurrence en matière de pratiques anticoncurrentielles2219. Le recours ainsi formé n’est en principe pas suspensif. Exceptionnellement, le premier président de la Cour d’appel de Paris peut ordonner le sursis à l’exécution. Ce sursis peut être obtenu dans deux hypothèses: lorsque la décision est susceptible d’entraîner des conséquences manifestement excessives ou lorsqu’il est intervenu, postérieurement à la notification de la décision, des faits nouveaux d’une exceptionnelle gravité. Le pourvoi qui peut être formé à l’encontre de l’arrêt de la Cour d’appel de Paris doit l’être dans un délai d’un mois à compter de la notification dudit arrêt.

b) Pouvoirs de sanction des autorités compétentes en matière de concurrence

596. Procédure de sanction – Dans le cadre de son pouvoir de sanction, le Conseil de la concurrence, puis à compter du 1 janvier 2009, l’Autorité de la concurrence, peut être saisi par le ministre chargé de l’économie, les entreprises, ou par les collectivités territoriales, les organisations professionnelles et syndicales, les organisations de consommateurs agréées, les chambres d’agriculture, les chambres de métiers ou les chambres de commerce et d’industrie, en ce qui concerne les intérêts dont ces organismes ont la charge. Le Conseil peut également se saisir d’office, pouvoir qui sera également accordé à l’Autoritéer.

En vertu de l’article L. 462-8 du code de commerce, la charge de la preuve pèse sur les parties saisissantes2220. Une expertise contradictoire peut en outre être menée2221. Le Conseil peut par ailleurs demander aux juridictions d’instruction et de jugement les procès-verbaux ou rapports d’enquête ayant un lien direct avec des faits dont il est saisi2222, et entendre des témoins2223. L’Autorité de la concurrence disposera des mêmes pouvoirs, mais pourra se faire communiquer, outre le rapport d’enquête, toutes autres pièces de l’instruction pénale2224.

597. Echec des poursuites – Le Conseil de la concurrence peut déclarer la saisine irrecevable dans des conditions similaires à celles du droit commun2225, ou lorsqu’il s’estime incompétent. Par ailleurs, il peut rejeter la saisine lorsque la preuve des pratiques anticoncurrentielle n’est pas suffisamment apportée, ou mettre fin à la procédure lorsque celles-ci ne sont pas établies2226. Il peut également être mis fin à la procédure – ou celle-ci peut être suspendue – lorsque le Conseil a connaissance du fait qu’une autre autorité de la concurrence appartenant à la Communauté européenne est saisie des mêmes faits. Dans tous les cas, il doit motiver sa décision2227. L’avant-projet d’ordonnance prévoit de conférer à l’Autorité de la concurrence les mêmes facultés.

598. Aboutissement des poursuites et typologie des peines – L’article L. 464-2 du code de commerce donne compétence au Conseil de la concurrence, lorsque celui-ci constate que les faits allégués constituent des pratiques anticoncurrentielles, pour prononer des injonctions et des sanctions pécuniaires, pour accepter les engagements des entreprises poursuivies, et pour ordonner la publication de la décision ou d’un extrait de celle-ci. Selon l’avant-projet d’ordonnance portant création de l’Autorité de la concurrence, cette dernière se verra attribuer des pouvoirs similaires, à quelques nuances près.

599. Injonctions – Les injonctions ont pour rôle de rétablir la situation concurrentielle ébréchée par les pratiques illicites. Dans ce but, le Conseil, prochainement relayé par l’Autorité, ordonne aux auteurs des pratiques constatées d’y mettre fin – par exemple en supprimant des contrats les clauses litigieuses – dans un certain délai. L’objectif des injonctions ainsi défini en constitue le cadre: l’injonction prononcée doit être limitée à ce qui est strictement nécessaire pour faire cesser l’atteinte portée à la concurrence.

Depuis l’ordonnance du 4 novembre 20042228, qui a ainsi considérablement augmenté l’efficacité du pouvoir d’injonction du Conseil de la concurrence, ces injonctions peuvent être assorties d’une astreinte journalière, dont le montant est plafonné à 5 % du chiffre d’affaires journalier moyen.

Lorsque l’infraction est d’une faible gravité, et que le Conseil estime qu’il est suffisant de la faire cesser, sans qu’il soit nécessaire de sanctionner les auteurs, l’injonction est prononcée seule; c’est également le cas lorsque l’auteur de la pratique anticoncurrentielle n’est pas une organisation à but lucratif et a de faibles revenus2229. Dans les autres hypothèses, elle s’ajoute à la sanction pécuniaire.

600. Sanctions pécuniaires – Les sanctions pécuniaires peuvent être prononcées soit en raison de l’existence de pratiques anticoncurrentielles, soit en cas de non-respect de l’injonction ou du délai dont celle-ci est assortie, ou encore de l’engagement pris.

Le Conseil de la concurrence indique que les sanctions qu’il prononce sont conçues pour revêtir un caractère préventif – et doivent par conséquent, pour être dissuasives, atteindre un niveau élevé – mais ont également un effet punitif, et doivent à ce titre répondre aux principes de proportionnalité et de personnalisation de la peine; en revanche, les sanctions prononcées par le Conseil n’ont pas pour objet de réparer le préjudice subi par les victimes des pratiques anticoncurrentielles2230.

Les pouvoirs du Conseil, qui deviendront ceux de l’Autorité de la concurrence, dans le domaine de la détermination du montant des sanctions pécuniaires sont limités de trois manières. En premier lieu, le texte précise les quatre critères devant être pris en compte par le Conseil de la concurrence dans le cadre de la détermination des sanctions: celles-ci «sont proportionnées à la gravité des faits reprochés, à l’importance du dommage causé à l’économie, à la situation de l’organisme ou de l’entreprise sanctionné ou du groupe auquel l’entreprise appartient et à l’éventuelle réitération de pratiques prohibées». En deuxième lieu, le Conseil doit individualiser les sanctions pour chaque entreprise, et motiver chaque sanction. En troisième lieu, l’article L. 464-2 du code de commerce prévoit des plafonds : si la personne sanctionnée n’est pas une entreprise, le plafond s’élève à 3 millions d’euros; s’il s’agit d’une entreprise, la sanction peut atteindre au maximum une somme égale à «10 % du montant du chiffre d’affaires mondial hors taxes le plus élevé réalisé au cours d’un des exercices clos depuis l’exercice précédant celui au cours duquel les pratiques ont été mises en œuvre»2231, étant précisé que «si les comptes de l’entreprise concernée ont été consolidés ou combinés en vertu des textes applicables à sa forme sociale, le chiffre d’affaires pris en compte est celui figurant dans les comptes consolidés ou combinés de l’entreprise consolidante ou combinante»2232.

Le Rapport d’activité de l’année 2005, qui consacre l’une de ses Etudes thématiques aux «sanctions, injonctions, engagements, transactions [et à la] clémence»2233, fait état de la démarche suivie par le Conseil de la concurrence dans la détermination de la sanction au regard des dispositions précitées. Il indique qu’afin de se conformer au principe de proportionnalité de la peine telle que définie par la loi, il ne saurait établir une échelle des peines en fonction des différentes infractions à la concurrence, la loi n’ayant pas opéré une telle distinction; cette observation est logique. Les critères légaux sont pris en compte cumulativement dans l’ordre suivant: dans un premier temps sont évalués les critères concernant l’ensemble des entreprises en cause, c’est-à-dire la gravité des faits et le dommage causé à l’économie; dans un second temps, interviennent les critères d’individualisation de la sanction, c’est-à-dire la situation de l’organisme, de l’entreprise ou du groupe auquel l’entreprise appartient et éventuellement la réitération de pratiques prohibées. Le Conseil de la concurrence évalue ces différents éléments en fonction de différentes données qui varient selon le cas. Certaines sont cependant prises en compte de façon récurrente. Ainsi, la gravité des faits est appréciée en fonction du trouble causé au fonctionnement du marché2234. Plusieurs éléments sont pris en compte pour apprécier cette gravité: le caractère secret de la pratique, sa durée, le montant du marché affecté, le nombre d’entreprises parties à l’entente, le caractère captif des consommateurs. Ces quatre derniers éléments entrent également dans le cadre de l’appréciation du préjudice causé à l’économie, qui tient compte également de la taille du marché pertinent et de l’évolution des prix et des quantités des produits échangés ; le profit retiré par les auteurs de la pratique anticoncurrentielle minore le dommage causé à l’économie. Dans le cadre de l’individualisation des sanctions, le Conseil prend essentiellement en compte la taille des entreprises, leur situation financière, leur comportement individuel dans la mise en œuvre des pratiques prohibées et, le cas échéant, l’éventuelle réitération par l’entreprise concernée de pratiques anticoncurrentielles.

601. Publication de la décision – Le Conseil de la concurrence, relayé prochainement par l’Autorité, peut enfin ordonner la publication, la diffusion ou l’affichage de sa décision ou d’un extrait de celle-ci, voire son insertion dans le rapport établi sur les opérations de l’exercice par les gérants, le conseil d’administration ou le directoire de l’entreprise. Ce type de mesure entreprise aux frais de la personne condamnée peut avoir un effet dissuasif efficace.

602. Acceptation des engagements – La fonction du Conseil de la concurrence, ainsi que de la future Autorité, étant de protéger la concurrence en prévenant les atteintes susceptibles de lui être portées et en remédiant aux atteintes effectives, la décision prononcée est orientée tout d’abord dans ce but, et la nécessité de sanctionner l’auteur de la pratique anticoncurrentielle ne tient que la seconde place dans le cadre de la prise de décision. Aussi, afin d’améliorer la rapidité et l’efficacité du retour à une situation de libre concurrence, les entreprises sont-elles encouragées à s’engager à modifier leur comportement pour l’avenir.

Deux hypothèses sont envisagées dans ce cadre. Dans la première, les entreprises reconnaissent les griefs allégués; dans ce cas, l’article L. 464-2-III du code de commerce donne pouvoir au Conseil de la concurrence, sur proposition du rapporteur général et dans le cadre d’une procédure accélérée2235, de prononcer une sanction minorée, et le montant maximal de la sanction est diminué de moitié. Dans la seconde, les entreprises prennent des engagements avant même que les griefs ne leur soient notifiés, ce qui permet au Conseil de mettre fin à la procédure, les pratiques prohibées devant cesser par l’effet de la mise en œuvre de ces engagements.

La sanction prononcée par l’Autorité de la concurrence connaîtra un degré supplémentaire: la seule absence de contestation permettra au rapporteur général de proposer la procédure prévue à l’article L. 464-2 III et décrite ci-dessus, diminuant le montant maximal de la sanction de moitié. L’acceptation d’engagement pourra faire encore baisser ce montant2236.

603. Procédure d’urgence – Une procédure d’urgence est également prévueà l’article L. 464-1 du code de commerce, qui permet au Conseil – lorsqu’il est porté une atteinte grave et immédiate à l’économie générale, à celle d’un secteur, à l’intérêt des consommateurs ou à une entreprise –, de prendre des mesures conservatoires, qui peuvent consister notamment en la suspension de la pratique concernée ainsi qu’une injonction aux parties de revenir à l’état antérieur. Cette injonction peut être assortie d’une astreinte, dans la même limite que les injonctions prononcées hors urgence. Le Conseil peut également prononcer des sanctions pécuniaires, sans que celles-ci puissent être supérieures à 750.000 € par personne condamnée2237. Cette faculté sera également ouverte à l’Autorité de la concurrence2238.

II. Le contrôle des concentrations604. Source du droit interne des concentrations – Le droit interne du contrôle des concentrations est né avec la loi du 19 juillet 19772239, par laquelle avait été créée la Commission de la concurrence. La matière est aujourd’hui régie par les articles L. 430-1 et suivants du code de commerce, issus de la loi dite «NRE»du 15 mai 20012240 et en grande partie modifiés par la loi de modernisation de l’économie2241.

La Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes a publié des lignes directrices, en 2005 et 2007. Ces lignes directrices, qui n’ont aucune valeur normative, «constituent un document de synthèse et de commentaire de la méthode d’analyse des autorités françaises compétentes pour le contrôle des concentrations»2242, et se réfèrent également aux décisions rendues par les autorités communautaires. Elles ont pour objet de «contribuer à la transparence et à la prévisibilité des décisions rendues en la matière par le ministre chargé de l’économie»2243, en fournissant des explications sur le déroulement de la procédure et l’analyse au fond.

605. Rôle subsidiaire du droit interne des concentrations – A l’instar des pratiques anticoncurrentielles, les concentrations, qui sont également soumises au droit de la concurrence, sont soumises à une réglementation en droit interne comme en droit communautaire. Le rôle susbsidiaire du droit interne est indiqué expressément en la matière: l’article L. 430-2 du code de commerce, relatif au champ d’application du contrôle interne des concentrations, pose comme condition d’application dudit contrôle – entre autres – que l’opération n’entre pas dans le champ d’application du droit communautaire relatif au contrôle des opérations de concentration entre entreprises.

A. Notion de concentration606. Définition de la notion concentration – La notion de concentration est définie par l’article L. 430-1 du code de commerce. Trois hypothèses sont envisagées par ce texte.

La première est celle de la fusion de deux ou de plusieurs entreprises antérieurement indépendantes.

La deuxième est celle de l’acquisition du contrôle de l’ensemble ou de parties d’une ou plusieurs entreprises par une autre ou d’autres entreprises ou par une ou plusieurs personnes, détenant déjà le contrôle d’une entreprise au moins. L’acquisition de ce contrôle peut être directe ou indirecte, et réalisée par prise de participation au capital ou achat d’éléments d’actifs, par contrat ou par tout autre moyen.

La troisième est celle de la création d’une entreprise commune, c’est-à-dire contrôlée par plusieurs sociétés-mères,«accomplissant de manière durable toutes les fonctions d’une entité économique autonome». Cette expression indique que l’entreprise commune créée ne constitue une concentration que si elle est «de plein exercice»: les lignes directrices publiées par la DGCCRF précisent que si l’entreprise commune n’exerce que l’une des fonctions de ses fondatrices (comme, par exemple, celle de la recherche et des développements), sans avoir accès au marché, elle ne constitue pas une concentration. L’exercice de «toutes les fonctions d’une entité économique autonome» implique que l’entreprise commune dipose des moyens humains et financiers et des actifs nécessaires pour exercer son activité.

607. Définition de la notion de contrôle dans le cadre du droit des concentrations – La notion de contrôle est au centre de celle de concentration: toutes les situations de concentrations précitées consistent en un changement durable de contrôle2244. L’article L. 430-1 du code de commerce indique ce qui doit être entendu par cette notion: «le contrôle découle des droits, contrats ou autres moyens qui confèrent, seuls ou conjointement et compte tenu des circonstances de fait ou de droit, la possibilité d’exercer une influence déterminante sur l’activité d’une entreprise».

Deux exemples conférant un tel pouvoir sont cités, de façon non limitative, par le texte: les droits de propriété ou de jouissance sur tout ou partie des biens d’une entreprise, d’une part, et les droits et contrats qui confèrent une influence déterminante sur la composition, les délibérations ou les décisions des organes d’une entreprise, de l’autre.

L’hypothèse la plus évidente de l’acquisition de droits conférant une «influence déterminante» est celle de l’acquisition de la majorité des parts ou des droits de vote dans une société. Les décisions des autorités compétentes en matière de concentration permettent de donner des précisions sur les droits conférant une telle influence de manière moins directe. Les ligne directrices publiées par la DGCCRF indiquent que les autorités compétentes se fondent sur un faisceau d’indices, appréciés au cas par cas. On peut relever, parmi les indices cités comme les plus fréquents par la DGCCRF, la possibilité de nommer des dirigeants au sein de la société cible, la dispersion des autres actionnaires, qui confère à une participation même minoritaire un poids relativement plus significatif dans les délibérations, ou l’existence de liens commerciaux déterminant une part majeure du chiffre d’affaires de la société cible.

B. Champ d’application du droit interne des concentrations608. Inapplicabilité du droit communautaire – Toute concentration répondant à la définition précitée n’est pas soumise au droit interne des concentrations. L’article L. 430-2 du code du commerce énonce trois conditions qui doivent être cumulativement réunies pour que l’opération de concentration soit soumise au contrôle du droit interne. La dernière de ces conditions a déjà été évoquée: pour que le droit interne soit applicable à une concentration, celle-ci ne doit pas entrer dans le champ d’application du droit communautaire. Cependant, lorsqu’une opération de concentration soumise au droit communautaire a fait l’objet d’un renvoi total ou partiel à l’autorité nationale, l’objet du renvoi est soumis au droit interne, à condition de remplir les deux autres conditions posées par l’article L. 430-2, relatives au chiffre d’affaires2245 des parties à la concentration.

609. Seuils de sensibilité – L’opération de concentration n’entrant pas dans le champ d’application du droit communautaire est soumise au droit interne en principe lorsque:

le chiffre d’affaires total mondial hors taxes de l’ensemble des entreprises ou groupes des personnes physiques ou morales parties à la concentration est supérieur à 150 millions d’euros ;

le chiffre d’affaires total hors taxes réalisé en France par deux au moins des entreprises ou groupes des personnes physiques ou morales concernés est supérieur à 50 millions d’euros.

Cependant, ces seuils sont considérablement abaissés lorsque deux au moins des parties à la concentration exploitent un ou plusieurs magasins de commerce de détail; dans cette hypothèse en effet, le permier est abaissé à 75 millions d’euros, et le second à 15 millions d’euros2246.

Cet abaissement des seuils en matière de distribution avait été préconisé par le rapport Canivet qui soulignait que «le relèvement des seuils de notification obligatoire issu de la loi sur les nouvelles régulations économiques [avait] pour effet de rendre non contrôlable la plupart des petites opérations de prise de contrôle de supermarchés»2247.

Les entreprises «parties à la concentration» sont les entreprises prenant le contrôle de la société cible et la cible elle-même. Dans le cadre de la création d’une entreprise commune, les entreprises concernées sont les sociétés mères.

Dans l’appréciation du chiffre d’affaires d’une entreprise est pris en compte celui du groupe auquel elle appartient.

 

C. Modalités du contrôle des concentrations

1. Procédure de contrôle

610. Nécessité d’une autorisation – La réalisation d’une concentration répondant aux conditions ci-dessus exposées est soumise à l’obtention d’une autorisation préalable2248. Les parties procédant à la notification2249 peuvent néanmoins, en cas de nécessité dûment motivée, demander une dérogation leur permettant d’exécuter tout ou partie de l’opération avant l’obtention de l’autorisation2250.

Ladite autorisation est jusqu’à la création de l’Autorité de la concurrence donnée par le ministre chargé de l’économie, sur consultation, le cas échéant, du Conseil de la cocnurence. A partir du 1 janvier 2009 au plus tard, cette autorisation est délivrée en principe par l’Autorité de la concurrence. Elle émane néanmoins du ministre chargé de l’économie lorsque ce dernier a évoqué l’affaire.

611. Notification à l’Autorité de la concurrence – L’opération de concentration doit être notifiée à l’Autorité de la concurrence avant sa réalisationer. La notification est réalisée par les personnes qui acquièrent le contrôle d’une entreprise ou d’une partie de celle-ci ou, dans le cas d’une fusion ou de la création d’une entreprise commune, à toutes les parties concernées qui doivent alors notifier conjointement.

L’Autorité publie un communiqué à réception du dossier de notification et en envoie copie un exemplaire au ministre chargé de l’économie2251.

612. Instruction du dossier – L’Autorité de la concurrence doit se prononcer dans un délai de vingt-cinq jours.

En vertu du deuxième paragraphe de l’article L. 430-5 du code de commerce, les parties peuvent s’engager à prendre des mesures pour remédier aux éventuels effets anticoncurrentiels de l’opération. Ces engagements peuvent être pris soit dès la notification, soit au cours de la période d’instruction. Lorsque de tels engagements sont prix, le délai accordé à l’Autorité de la concurrence pour rendre sa décision est alongé de quinze jours.

613. Décision – Trois options s’offrent à l’Autorité de la concurrence à l’expiration du délai d’instruction.

En premier lieu, l’Autorité peut constater que l’opération n’entre pas dans le champ d’application du droit interne des concentrations. En deuxième lieu, elle peut autoriser l’opération, le cas échéant en subordonnant l’autorisation au respect des engagements pris. Enfin, si l’Autorité estime qu’il subsiste un doute sérieux d’atteinte à la concurrence, elle engage un examen approfondi2252.

Si l’Autorité de la concurrence ne prend aucune de ces trois décisions, elle en informe le ministre chargé de l’économie. L’opération est réputée autorisée lorsqu’un délai supplémentaire de vingt-cinq jours s’est écoulé.

614. Examen approfondi – L’Autorité de la concurrence procède à l’examen approfondi de l’opération soit de son propre chef, lorsqu’elle estime qu’il subsiste un doute sérieux d’atteinte à la concurrence, soit sur demande du ministre chargé de l’économie2253.

L’examen approfondi correspond à une analyse des avantages et des inconvénients de l’opération projetée. Par ailleurs, l’Autorité examine si l’opération est de nature à porter atteinte à la concurrence, notamment par création ou renforcement d’une position dominante ou d’une puissance d’achat plaçant les fournisseurs situation de dépendance économique. D’autre part, elle apprécie si l’opération apporte au progrès économique une contribution suffisante pour compenser les atteintes à la concurrence.

L’Autorité doit prendre en principe sa décision dans un délai de soixante-cinq jours à compter de l’ouverture de l’examen approfondi2254. Les parties concernées peuvent prendre des engagements au cours de ce délai.

A l’issue dudit délai, et éventuellement après que les parties ont émis des observations sur le projet de décision, l’Autorité de la concurrence rend une décision motivée par laquel elle interdit l’opération ou donne une autorisation assortie d’injonctions (relatives au maintien de la concurrence) – ou de prescriptions – (relatives au progrès économique à apporter) – à observer. L’Autorité peut également, par décision motivée, autoriser l’opération purement et simplement ou sous réserve du respect des engagements pris par les parties.

Ici encore, en cas d’absence de décision, le ministre est informé, et l’opération réputée autorisée lorsqu’un délai de vingt-cinq jours s’est écoulé.

615. Pouvoir d’évocation du ministre – Le ministre chargé de l’économie peut choisir d’évoquer l’affaire et de statuer sur l’autorisation de l’opération. Il dispose pour évoquer l’affaire d’un délai de vingt-cinq jours à compter de la réception de la décision de l’Autorité.

La décision du ministre n’est pas fondée uniquement sur des considérations relatives à la concurrence. En effet, l’article L. 430-7-1 II du code de commerce lui donne la possibilité de statuer «pour des motifs d’intérêt général autres que le maintien de la concurrence et, le cas échéant, compensant l’atteinte portée à cette dernière par l’opération». L’article précise que ces motifs peuvent tenir au développement économique, à la création ou au maintien de l’emploi, ou encore à la compétitivité des enterprises concernées au niveau international.

Il semble que le pouvoir accordé ainsi au Ministre lui permette non seulement d’autoriser des opérations qui ont été interdites, mais également d’interdire des opérations qui ont été autorisées2255.

2. Sanction du non respect de la procédure

616. Manquements sanctionnés – L’article L. 430-8 du code de commerce prévoit les sanctions applicables au non respect de la procédure décrite ci-dessus. seront ainsi sanctionnés par l’Autorité de la concurrence, la réalisation d’une opération sans notification, la réalisation d’une opération notifiée mais non encore autorisée ou faisant l’objet d’une examen approfondi ou d’une évocation du ministre, la notification inexacte ou lacunaire, et le non respect des injonctions, des prescriptions ou des engagements.

617. Sanctions prononcées– Pour chacune des infractions à la procédure énoncées ci-dessus, l’Autorité de la concurrence pourra prononcer une sanction pécuniaire dont le montant maximum s’élèvera, selon le texte, pour les personnes morales, à 5 % de leur chiffre d’affaires hors taxes réalisé en France lors du dernier exercice clos, augmenté, le cas échéant, de celui qu’a réalisé en France durant la même période la partie acquise et, pour les personnes physiques, à 1,5 million d’euros.

D’autres mesures pourront être prononcées, variant selon l’infraction constatée. Ainsi, lorsque l’autorisation a été donnée au vu d’informations lacunaires ou inexactes, ou accompagnée d’injonctions, de prescriptions ou d’engagements non respectés, l’Autorité pourra la retirer, à moins d’enjoindre aux parties de se conformer aux obligations qu’elles auront souscrites ou qui leur auront été imposées et qu’elles n’auront pas respectées. Lorsque l’opération sera réalisée alors qu’elle faisait l’objet d’un examen approfondi ou d’une évocation par le ministre, l’Autorité enjoindra sous astreinte aux parties de revenir à l’état antérieur.

Lorsque l’autorisation aura été retirée ou n’n’aura pas été donnée faute de notification, les parties devront, soit revenir à l’état antérieur à la concentration, soit procéder de nouveau à la notification, le cas échéant.

§2. Le droit communautaire de la concurrence

618. Application du droit communautaire de la concurrence – La réglementation de la concurrence entre dans le champ des attributions de la Communauté européenne; ainsi, les articles 81 et 822256 du traité instituant la Communauté européenne posent les principes régissant la validité de certaines pratiques au regard du marché commun.

Toutes les opérations de nature anticoncurrentielles commises sur le territoire de ladite Communauté ne sont pas soumises à cette réglementation, faute d’affecter de façon significative le commerce intracommunautaire2257. Néanmoins, le droit communautaire de la concurrence revêt une importance pratique considérable en dehors même de son champ d’application. En effet, le droit interne étudié précédemment est fortement inspiré du droit communautaire, même s’il s’en distingue par quelques différences non négligeables ; par ailleurs, le Conseil de la concurrence s’inspire ouvertement du droit communautaire dérivé dans l’application du droit interne2258.

I. L’interdiction des pratiques anticoncurrentielles

A. La prohibition des ententes

1. Le champ d’application de l’interdiction

a) Les ententes visées

619. Typologie des ententes visées – L’article 81 du traité instituant les communautés européennes n’est pas rédigé dans des termes identiques à ceux employés par l’article L. 420-1 du code de commerce. Dans le cadre du texte communautaire, les pratiques visées sont les accords entre entreprises, les décisions d’associations d’entreprises et les pratiques concertées. Ces trois hypothèses impliquent l’action conjointe d’au moins deux entreprises2259.

L’accord se caractérise par rapport aux deux autres types d’ententes par la rencontre des consentements des parties en vue de coordonner leurs comportements. Il peut être exprès ou tacite. La Cour de justice des communautés européennes définit de longue date la pratique concertée comme «une forme de coordination entre entreprises qui, sans avoir été poussée jusqu’à la réalisation d’une convention proprement dite, substitue sciemment une coopération pratique entre elles aux risques de la concurrence» et «par sa nature même, (…) ne réunit donc pas tous les éléments d’un accord, mais peut notamment résulter d’une coordination qui s’extériorise par le comportement des participants»2260. La pratique concertée, se distinguant ainsi de l’accord, n’implique donc pas la rencontre d’une offre et d’une acceptation.

Contrairement aux deux notions précédemment évoquées, les décisions d’associations d’entreprises impliquent plus qu’une coordination bilatérale: ce type d’ententes se manifeste au sein d’un groupe organisé d’entreprises qui coordonnent leurs comportements. Cette notion est susceptible de correspondre à de multiples situations2261.

b) L’affectation du commerce entre Etats membres

620. Conditions de la prohibition de l’entente – En vertu de l’article 81 traité instituant la Communauté européenne, sont interdites certaines pratiques énumérées par le texte «qui sont susceptibles d’affecter le commerce entre Etats membres et qui ont pour objet ou pour effet d’empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence à l’intérieur du marché commun ». Deux conditions doivent donc être cumulativement réunies pour que la validité d’une clause soit examinée au regard du droit communautaire : l’affectation du commerce communautaire, d’une part, et la restriction du jeu de la concurrence à l’intérieur du marché commun, de l’autre.

621. Principes régissant la caractérisation de l’affectation du commerce entre Etats membres – La Cour de justice des Communautés européennes a jugé à plusieurs reprises que l’affectation du commerce communautaire devait être « sensible », pour que le droit communautaire soit applicable2262. Au sein de ses lignes directrices relatives à la notion d’affectation du commerce figurant aux articles 81 et 82 du traité2263 précitées, la Commission a non seulement indiqué les hypothèses où les ententes ne sont en général pas susceptibles d’affecter sensiblement le commerce entre États membres2264, mais également exposé les principes déterminés par la jurisprudence communautaire en matière de caractérisation de l’affectation du commerce entre Etats membres.

En premier lieu, la Commission rappelle qu’au sens de l’article 81 du traité, c’est l’entente dans son ensemble qui doit être susceptible d’affecter le commerce entre Etats membres, peu important que l’un de ses éléments, et notamment la restriction de concurrence qu’elle peut avoir pour effet d’entraîner, ne soit pas susceptible d’affecter ce commerce2265. Lorsque l’entente dans son ensemble est susceptible d’affecter le commerce entre Etats membres, chacune de ses clauses, qu’elles soient ou non susceptibles d’affecter individuellement ledit commerce, est soumise à l’article 81 du traité. De même, chacune des entreprises parties à l’entente est soumise audit article, peu important que sa propre participation à l’entente n’affecte pas par elle-même le commerce entre Etats membres.

En deuxième lieu, la Commission expose qu’il n’y a pas nécessairement de lien entre l’affectation du commerce et la restriction de la concurrence: des accords non restrictifs peuvent affecter le commerce; néanmoins, l’affectation du commerce ressort parfois de la restriction même de la concurrence2266.

La Commission indique par ailleurs que le commerce entre Etats membres peut être affecté alors même que le marché en cause est national. En particulier, il est souligné que les accords verticaux couvrant l’ensemble d’un Etat membre et contenant une clause d’approvisionnement exclusif sont parfois susceptibles d’entraver l’accès au marché des entreprises des autres Etats membres, opérant ainsi un cloisonnement du marché au niveau national; néanmoins, un tel effet n’est envisageable que lorsque les entreprises en cause couvrent une part importante du marché. Dans le cadre de cette appréciation, il est également tenu compte de l’effet produit par d’autres réseaux parallèles d’accords ayant des effets similaires2267.

622. Notion de «commerce entre Etats membres» – La Commission indique au sein des lignes directrices précitées que la notion de «commerce» n’est pas envisagée ici dans sa définition traditionnelle: elle recouvre toute activité économique internationale, et n’est pas limitée aux échanges transfrontaliers2268. Sont ainsi englobés dans cette notion, outre lesdits échanges, l’établissement d’une entreprise et l’affectation de la structure de la concurrence sur le marché2269.

Le commerce «entre Etats membres», n’est affecté que lorsque les activités économiques transfrontalières sont touchées. Il suffit à ce titre que deux Etats membres – ou une partie de chacun – soient concernés.

623. Indifférence de l’effectivité de l’affectation – Les ententes anticoncurrentielles sont interdites dès lors qu’elles sont «susceptibles d’affecter le commerce entre Etats membres». Il n’est donc pas nécessaire que ledit commerce soit effectivement affecté par l’entente pour que la condition soit remplie; il suffit qu’il le soit potentiellement, avec un degré de potentialité suffisant2270.

624. Notion d’affectation – L’affectation du commerce englobe toute les hypothèses où le commerce est modifié; elle ne se limite pas à celles où le commerce est restreint, mais s’étend également à celles où il est favorisé2271.

c) Le caractère anticoncurrentiel

625. Notion de caractère anticoncurrentiel – Le texte sanctionne les ententes qui «ont pour objet ou pour effet d’empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence à l’intérieur du marché commun». Aucune distinction n’est opérée en jurisprudence entre les notions d’«empêcher», de «restreindre» ou de «fausser»2272 le jeu de la concurrence.

Le texte européen donne une liste non limitative d’effets ou d’objets anticoncurrentiels. Sont ainsi cités à titre d’exemple les ententes qui tendent à:

«a) fixer de façon directe ou indirecte les prix d’achat ou de vente ou d’autres conditions de transaction ;

b) limiter ou contrôler la production, les débouchés, le développement technique ou les investissements ;

c) répartir les marchés ou les sources d’approvisionnement2273 ;

d) appliquer, à l’égard de partenaires commerciaux, des conditions inégales à des prestations équivalentes en leur infligeant de ce fait un désavantage dans la concurrence ;

e) subordonner la conclusion de contrats à l’acceptation, par les partenaires, de prestations supplémentaires qui, par leur nature ou selon les usages commerciaux, n’ont pas de lien avec l’objet de ces contrats».

626. Marché – Les ententes revêtant un caractère anticoncurrentiel ne sont prohibées que lorsqu’elles affectent la concurrence «à l’intérieur du marché commun». La caractérisation de l’infraction implique donc de délimiter le marché sur lequel l’effet anticoncurrentiel est produit ou susceptible de se produire. Cette démarche est également nécessaire pour déterminer si l’entente est d’importance mineure et peut être à ce titre exclue du champ d’application du droit communautaire des ententes2274.

La Commission européenne a apporté d’utiles précisions sur cette question par une communication relative à la définition du marché en cause2275.

Le marché en cause est «déterminé en combinant le marché de produits et le marché géographique»2276. Ces marchés sont définis de la façon suivante: le marché de produits «comprend tous les produits et/ou services que le consommateur considère comme interchangeables ou substituables en raison de leurs caractéristiques, de leur prix et de l’usage auquel ils sont destinés»; le marché géographique «comprend le territoire sur lequel les entreprises concernées sont engagées dans l’offre des biens et des services en cause, sur lequel les conditions de concurrence sont suffisamment homogènes et qui peut être distingué de zones géographiques voisines parce que, en particulier, les conditions de concurrence y diffèrent de manière appréciable».

La Commission expose la démarche suivie2277: sont d’abord pris en considération les produits du même type que ceux vendus par les entreprises en cause, et le territoire sur lequel celle-ci les vend. Il s’agit alors de déterminer si les clients des parties se tourneraient vers des produits de substitution facilement accessibles ou vers des fournisseurs implantés ailleurs, en cas d’augmentation légère (de 5 à 10 %), mais permanente, des prix relatifs des produits considérés dans les territoires concernés. Si un tel comportement de la clientèle suffirait à provoquer un recul des ventes tel qu’il ôterait tout intérêt à une hausse des prix, alors des produits de substitution et des territoires supplémentaires sont intégrés dans le marché en cause. Cette méthode d’analyse se poursuit jusqu’à ce que soit délimité ledit marché, c’est-à-dire «jusqu’à ce que l’ensemble de produits et la zone géographique retenus soient tels qu’il devienne rentable de procéder à des hausses légères mais permanentes des prix relatifs».

La substituabilité des produits est appréciée selon un faisceau d’éléments qui varient selon les produits2278. Il peut s’agir notamment du fait qu’il y ait eu une substitution dans un passé récent, ou des enquêtes réalisées sur l’opinion des clients sur les produits de substitution.

A ce critère de la substituabilité de la demande, s’ajoute parfois celui de la substituabilité de l’offre2279. Cette substituabilité implique que les entreprises concurrentes puissent adapter leur production à court terme et sans exposer de frais important, pour offrir d’autres produits; c’est notamment le cas dans les secteurs où les entreprises fabriquent des produits de nature similaire mais de qualités différentes, et peuvent donc, selon l’état du marché, augmenter ou diminuer la production de tel ou tel produit.

627. Indifférence de la réalisation concrète de l’effet anticoncurrentiel – L’article 81 du traité instituant la Communauté européenne interdit entre autre les ententes «qui ont pour objet» de restreindre le jeu de la concurrence à l’intérieur du marché commun. Il n’est pas nécessaire que les parties aient atteint leur but, et que leur comportement soit suivi de l’effet poursuivi.

Lorsque l’entente n’a pas d’objet anticoncurrentiel, en revanche, le droit communautaire, à l’inverse du droit interne, n’envisage pas – ou du moins pas expressément – l’effet potentiel, mais seulement l’effet réalisé: le texte européen interdit les ententes «qui ont (…) pour effet» de restreindre le jeu de la concurrence, alors que le texte interne interdit celles qui «peuvent avoir» cet effet. Cependant, la jurisprudence communautaire envisage également l’effet potentiel de l’entente2280.

d) L’exclusion des accords d’importance mineure du champ d’application de l’interdiction

628. Part de marché – La Commission européenne estime que certains accords sont exclus a priori du champ d’application de l’article 81 du traité en raison de la faible importance des entreprises qui y sont parties, faible importance qui fait obstacle tant à l’affectation sensible du commerce communautaire qu’à la restriction de la concurrence.

L’importance des entreprises est appréciée par la Commission selon deux critères, l’un absolu, l’autre relatif. Le premier est le chiffre d’affaire des entreprises concernées ou de l’une d’entre elles. Le second est la part détenue par ces entreprises sur le marché en cause2281.

629. Affectation du commerce communautaire – La Commission européenne a précisé les critères aux moyens desquels il est possible de déterminer si les conditions d’affectation du commerce entre Etats membres et de restriction de la concurrence sont remplies2282.

Le point n°52 des lignes directrices relatives à la notion d’affectation du commerce figurant aux articles 81 et 82 du traité2283énonce, s’agissant des accords verticaux, que « la Commission estime que, en principe, les accords ne peuvent pas affecter sensiblement le commerce entre États membres lorsque les conditions cumulatives suivantes sont remplies:

a) la part de marché totale des parties sur un marché communautaire en cause2284 affecté par l’accord n’excède pas 5 %, et

b) (…) le chiffre d’affaires annuel total réalisé dans la Communauté par le fournisseur2285 avec les produits concernés par l’accord n’excède pas 40 millions d’euros. (…) ».

Par ailleurs, le point 3 de la Communication de la Commission concernant les accords d’importance mineure qui ne restreignent pas sensiblement la concurrence, dite Communication de minimis2286, précise que la Commission «reconnaît (…) que les accords entre petites et moyennes entreprises2287 (…) sont rarement en mesure d’affecter sensiblement le commerce entre États membres».

630. Restriction du jeu de la concurrence – Lorsque le commerce entre Etats membre est affecté par un accord, le point 7 de la Communication «concernant les accords d’importance mineure qui ne restreignent pas sensiblement la concurrence» indique que cet accord, s’il est conclu entre entreprises non-concurrentes, ne restreint pas sensiblement la concurrence «si la part de marché détenue par chacune des parties à l’accord ne dépasse 15 % sur aucun des marchés en cause affectés par l’accord». Ce seuil est cependant abaissé à 5 % «lorsque, sur un marché en cause, la concurrence est restreinte par l’effet cumulatif d’accords de vente de biens ou de services contractés par différents fournisseurs ou distributeurs», étant précisé que les «fournisseurs ou distributeurs individuels dont la part de marché n’excède pas 5 % ne contribuent en général pas d’une manière significative à un effet cumulatif de verrouillage»2288.

Néanmoins, l’accord est considéré comme restrictif de concurrence, nonobstant une part de marché inférieure à ces seuils, lorsqu’il contient l’une des restrictions «flagrantes» de concurrence énumérées au point n°11 de la Communication de minimis. Ces restrictions sont identiques à celles qui font perdre à l’acte qui les contient le bénéfice de l’exemption prévue par le règlement du 22 décembre 19992289. Un tel accord tombera donc sous le coup de la prohibition de l’article 81 paragraphe 1 du traité instituant la Communauté européenne, à condition toutefois que le commerce entre Etats membres soit affecté.

631. Place des contrats de franchise au regard du champ d’application de la prohibition des ententes – On ne peut que constater qu’eu égard aux conditions ci-dessus mentionnées, et notamment celles tenant aux chiffres d’affaires des parties, de nombreux contrats de franchise se situent en dehors du champ d’application de l’article 81 du traité instituant la Communauté européenne, tel qu’il est défini par la Commission au travers de ses communications.

e) Le rôle de l’intention

632. Rôle de l’intention dans la formation de l’entente – Les ententes, même lorsqu’elles entrent dans la catégorie des accords, peuvent être formées par simple négligence2290.

633. Intention des parties et la restriction de la concurrence – Que l’entente litigieuse ait un objet ou un effet anticoncurrentiel, il n’est pas nécessaire de prouver que les parties ont eu l’intention de porter atteinte à la concurrence. L’objet anticoncurrentiel s’entend en effet du but poursuivi par l’entente elle-même: l’entente en cause est interdite lorsque son objet entre en contradiction avec les principes du droit communautaire de la concurrence. Il n’est pas nécessaire que les parties aient eu l’intention de nuire à la concurrence2291.

2. L’exception à la prohibition des ententes

a) Les règlements d’exemption

634. Possibilité d’exemption – Le troisième alinéa du traité instituant la Communauté européenne énonce que certains accords, certaines décisions d’association d’entreprises et certaines pratiques peuvent être exemptés, sous réserve du respect de certaines conditions, s’ils «contribuent à améliorer la production ou la distribution des produits ou à promouvoir le progrès technique ou économique, tout en réservant aux utilisateurs une partie équitable du profit qui en résulte». Ces accords, décisions d’association d’entreprises et pratiques sont exemptés soit individuellement, soit par catégories.

635. Règlements d’exemption par catégories de 1988 et de 1999 – En application de ce texte, la Commission européenne a édicté des règlements d’exemption par catégories. Deux de ces règlements se sont appliqués successivement aux contrats de franchise: le premier, en date du 30 novembre 19882292, consacré exclusivement au contrat de franchise, a été remplacé par le règlement d’exemption du 22 décembre 19992293 qui est toujours en vigueur actuellement; contrairement au précédent, ce texte n’est pas spécifique au contrat de franchise, mais concerne plusieurs catégories d’accords verticaux.

636. Motifs de l’exemption par catégorie – Une catégorie d’accords verticaux est considérée comme répondant aux conditions de l’article 81 paragraphe 3 du traité: il s’agit des «accords verticaux pour l’achat ou la vente de biens ou de services lorsque ces accords sont conclus entre entreprises non concurrentes, entre certaines entreprises concurrentes ou par certaines associations de détaillants de biens», ainsi qu’aux «accords verticaux contenant des dispositions accessoires sur la cession ou l’utilisation de droits de propriété intellectuelle»2294. La Commission européenne considère en effet que les accords répondant à cette description «peuvent améliorer l’efficience économique à l’intérieur d’une chaîne de production ou de distribution grâce à une meilleure coordination entre les entreprises participantes» et «peuvent en particulier entraîner une diminution des coûts de transaction et de distribution des parties et assurer un niveau optimal de leurs investissements et de leurs ventes»2295.

Pour que l’exemption soit légitime et donc accordée, les avantages issus de l’accord doivent pouvoir être présumés supérieurs aux éventuels effets anticoncurrentiels. Deux conditions s’imposent pour que les accords entrant dans la catégorie définie ci-dessus puissent bénéficier d’une telle présomption et soient en conséquence exemptés:

– il faut en premier lieu que le fournisseur détienne une part du marché pertinent d’un maximum de 30 %;

– en second lieu, l’accord ne doit pas contenir de restrictions ayant des effets anticoncurrentiels graves.

637. Etendue de l’exemption – En vertu du raisonnement exposé ci-dessus, l’article 2 du règlement déclare le premier paragraphe de l’article 81 du traité instituant la Communauté européenne inapplicable «aux accords (…) qui sont conclus entre deux ou plus de deux entreprises dont chacune opère, aux fins de l’accord, à un niveau différent de la chaîne de production ou de distribution, et qui concernent les conditions dans lesquelles les parties peuvent acheter, vendre ou revendre certains biens ou service», et précise que cette exemption «s’applique aux accords verticaux contenant des dispositions concernant la cession à l’acheteur ou l’utilisation par l’acheteur de droits de propriété intellectuelle à condition que ces dispositions ne constituent pas l’objet principal de tels accords et qu’elles soient directement liées à l’utilisation, la vente ou la revente de biens ou de services par l’acheteur ou ses clients».

Les articles 3 et 4 du règlement excluent du champ d’application de l’exemption les accords dont il n’est pas possible de présumer que les effets positifs l’emportent sur les effets anticoncurrentiels. Ainsi, l’exemption est exclue par l’article 3 lorsque le fournisseur détient sur le marché pertinent une part supérieure à 30 %2296. Elle est exclue par l’article 4 pour les accords contenant des clauses portant gravement atteinte à la concurrence, dites clauses noires. Les accords verticaux ainsi exclus du bénéfice de l’exemption sont prohibés, à moins de bénéficier d’une exemption individuelle.

Certaines clauses, énumérées à l’article 5 du règlement, sont exclues du champ d’application de l’exemption. Contrairement à celles figurant à l’article 4, elles échappent seules à ce bénéfice, et l’acte qui les contient reste exempté de la prohibition prévue par le premier paragraphe de l’article 81 du traité.

638. Retrait de l’exemption – Les actes bénéficiant de l’exemption sont ainsi présumés valides en vertu de l’article 81 paragraphe 3 du traité. Cette présomption n’est pas irréfragable, et ces accords peuvent faire l’objet d’un retrait d’exemption.

Ce retrait peut être opéré par la Commission si celle-ci constate qu’un accord ne répond pas aux conditions du paragraphe 3 de l’article 81 du traité2297. La Commission peut également, par voie de règlements, exclure du bénéfice de l’exemption les accords verticaux comportant des restrictions concernant un marché couvert à plus de 50 % par des réseaux parallèles de restrictions verticales2298.

Le bénéfice de cette exemption peut également être retiré à des accords par l’autorité compétente d’un Etat membre lorsque «dans un cas déterminé, [ils] produisent des effets incompatibles avec les conditions prévues par l’article 81, paragraphe 3, du traité sur le territoire [de cet Etat], ou sur une partie de ce territoire, qui présente toutes les caractéristiques d’un marché géographique distinct»2299.

b) Les lignes directrices

639. Présentation des lignes directrices – La Commission européenne a émis une communication portant sur les Lignes directrices sur les restrictions verticales2300. Cette communication donne des précisions sur l’application du règlement d’exemption du 22 décembre 1999. En particulier, les Lignes directrices apportent des développements relatifs aux accords verticaux entrant dans le champ d’application du règlement.

Le contrat de franchise est ainsi cité au sein de ces développements comme appartenant à la catégorie des accords verticaux contenant des dispositions relatives aux droits de propriété intellectuelle, visée par le règlement du 22 décembre 1999. A ce titre, les lignes directrices établissent une liste de clauses généralement couvertes par l’exemption2301, parce que nécessaires à la protection des droits de propriété intellectuelle du franchiseur, droits parmi lesquels se trouve le savoir-faire.

Ellesapportent par ailleurs des précisions sur les restrictions caractérisées et les restrictions simples2302.

En outre, elles exposent la politique suivie par la Commission s’agissant des principaux accords verticaux concernés. Les points n°199 et suivants concernent le contrat de franchise2303.

640. Absence de force obligatoire – Les lignes directrices établies par la Commission n’ont aucune force obligatoire et ne s’imposent pas aux juridictions2304. Aussi les Lignes directrices sur les restrictions verticalesn’ont-elles qu’une valeur indicative.

Il apparaît cependant que ce texte revêt une efficacité de fait: le Conseil de la concurrence, lorsqu’il emploie le règlement d’exemption du 22 décembre 1999 comme guide d’analyse du droit interne de la concurrence, applique les règles figurant au sein de cette communication de la Commission2305; les Lignes directrices sur les restrictions verticales sont également prises en compte par les juridictions nationales lorsqu’elles sont amenées à appliquer le droit communautaire2306.

B. La prohibition de l’exploitation abusive d’une position dominante641. Article 82 du traité instituant la Communauté européenne – L’article 82 du traité dispose: «est incompatible avec le marché commun et interdit, dans la mesure où le commerce entre Etats membres est susceptible d’en être affecté, le fait pour une ou plusieurs entreprises d’exploiter de façon abusive une position dominante sur le marché commun ou dans une partie substantielle de celui-ci».

642. Absence d’exemption – Contrairement au droit interne, le droit communautaire ne prévoit pas la possibilité d’exempter les actes constitutifs d’une exploitation abusive d’une position dominante de l’interdiction prévue par l’article 82 du traité reproduit ci-dessus. En effet, la possibilité d’exemption figure au sein du seul article 81 concernant les ententes. Conformément au traité, le règlement d’exemption du 22 décembre 1999 précité indique expressément s’appliquer «sans préjudice de l’application de l’article 82»2307.

Aussi, lorsque l’exploitation abusive d’une position dominante sur le marché commun (ou une partie substantielle de celui-ci) affecte le commerce entre Etats membres, elle est prohibée sans exception.

1. Condition de la prohibition de l’abus de position dominante par le droit communautaire

643. Affectation du commerce entre Etats membres – La condition de l’affectation potentielle du commerce entre Etats membres, qui doit être remplie pour caractériser l’existence d’une infraction à l’article 81 du traité, doit l’être également au regard de l’article 82.

La notion d’affectation du commerce entre Etats membres ayant déjà fait l’objet de développements dans le cadre de l’étude de la prohibition des ententes en droit communautaire, il suffit de préciser ici, s’agissant de l’affectation du commerce entre Etats membres par un abus de position dominante, que lorsque plusieurs comportements sont adoptés par une entreprise en position dominante sur un marché dans un but abusif, l’affectation du commerce par l’un d’entre eux entraîne la prohibition de tous les autres2308.

2. Notion d’exploitation abusive d’une position dominante

a) Position dominante sur le marché en cause

644. Marché en cause – Pour tomber sous le coup de la prohibition posée par l’article 82 du traité, le comportement litigieux doit avoir été commis par une entreprise occupant une position dominante sur le marché commun ou sur une partie substantielle de celui-ci. La détermination du marché en cause est effectuée selon la méthode exposée précédemment2309.

645. Position dominante – La Cour de justice des communautés européennes a donné la définition suivante à la position dominante sur un marché: «la position dominante visée par cet article concerne une position de puissance économique détenue par une entreprise qui lui donne le pouvoir de faire obstacle au maintien d’une concurrence effective sur le marché en cause en lui fournissant la possibilité de comportements indépendants dans une mesure appréciable vis-à-vis de ses concurrents , de ses clients et , finalement , des consommateurs»; elle a ensuite précisé que cette position résultait généralement de plusieurs facteurs2310.

On peut citer par exemple le monopole ou le quasi-monopole de l’entreprise en cause2311 ou, à défaut, la part de marché détenue par ses concurrents, ou encore la dépendance de l’entreprise vis-à-vis d’autres entreprises, fournisseurs ou prestataires de service.

b) Exploitation abusive

646. Notion d’exploitation abusive – Le texte communautaire, pas plus que le texte interne, ne donne de définition de la notion d’exploitation abusive. Les juridictions européennes définissent ce concept de la façon suivante: «la notion d’exploitation abusive est une notion objective qui vise les comportements d’une entreprise en position dominante qui sont de nature à influencer la structure d’un marché où, à la suite précisément de la présence de l’entreprise en question, le degré de concurrence est déjà affaibli et qui ont pour effet de faire obstacle, par le recours à des moyens différents de ceux qui gouvernent une compétition normale des produits ou services sur la base des prestations des opérateurs économiques, au maintien du degré de concurrence existant encore sur le marché ou au développement de cette concurrence»2312.

Les entreprises détenant une position dominante ont donc à leur charge une obligation de ne pas amoindrir le degré de concurrence existant sur le marché dominé, et de ne pas faire obstacle au développement de ce degré de concurrence autrement que par l’emploi des moyens qui gouvernent une compétition considérée comme normale. L’entreprise en position dominante, libre des contraintes normales de la concurrence, qui sont imposées aux autres entreprises par leurs clients, leurs fournisseurs et leurs concurrents, doit s’autolimiter dans l’usage de son pouvoir. Le fait qu’un comportement qui lui est imputable ait pour effet de porter atteinte à un degré de concurrence déjà faible suffit à entraîner l’application de l’article 82 du traité.

Pour échapper à la prohibition de l’abus de position dominante, l’entreprise doit pouvoir justifier son comportement de manière raisonnable2313. La justification principalement évoquée est la défense par l’entreprise de ses intérêts commerciaux lorsqu’ils sont menacés; la défense de ces intérêts doit néanmoins s’effectuer dans une mesure raisonnable2314.

L’article 82 du traité donne une liste d’exemples de comportements constituant des abus lorsqu’ils sont adoptés par une entreprise placée en position dominante ; ces exemples, au nombre de quatre,ne recoupent pas exactement ceux donnés par l’article L. 420-2 du code de commerce.

647. Imposition de conditions de transaction non équitables – L’hypothèse principale, visée expressément par le texte, est celle des prix d’achat ou de vente inférieurs ou supérieurs à la valeur économique du bien ou du service concerné. La valeur à laquelle et comparé le prix imposé par l’entreprise détenant une position dominante sur le marché considéré peut être le prix pratiqué par les concurrents, ou encore le coût économique de l’opération.

Est également prohibée à ce titre la pratique des prix prédateurs: dans cette hypothèse, l’entreprise en position dominante pratique des prix abusivement bas dans le but d’éliminer la concurrence2315.

648. Limitation de la production, des débouchés ou du développement technique au préjudice des consommateurs – Entrent dans cette catégorie les refus de contracter. Le simple fait qu’un tel refus soit opposé par une entreprise détenant une position dominante n’est pas constitutif d’un abus. Plusieurs conditions doivent être réunies. La Cour de Justice des communautés européennes a ainsi précisé que pour qu’un refus soit considéré comme abusif, il faut qu’il «soit de nature à éliminer toute concurrence sur le marché (…) de la part du demandeur du service et ne puisse être objectivement justifié, mais également que le service en lui-même soit indispensable à l’exercice de l’activité de celui-ci, en ce sens qu’il n’existe aucun substitut réel ou potentiel audit système»2316.Il a par exemple été jugé que le refus, par une entreprise en position dominante, d’octroyer la licence d’un droit de propriété intellectuelle constituait un abus de position dominante2317.

649. Application aux partenaires commerciaux de conditions inégales à des prestations équivalentes – L’entreprise en position dominante se voit ainsi interdire, en particulier, la fourniture de prestations identiques à des prix qui diffèrent, par exemple, selon les Etats membres, à moins que ces variations de prix ne soient justifiées par des conditions de commercialisation ou une intensité de la concurrence différentes. Un tel comportement, lorsqu’il n’est pas justifié, a pour effet de cloisonner les marchés nationaux et de désavantager certains clients2318.

650. Subordination de la conclusion de contrats à l’acceptation de prestations supplémentaires – L’entreprise qui détient une position dominante, et détient ainsi la certitude de disposer d’une clientèle importante, peut vouloir contraindre ladite clientèle à accepter d’autres prestations en subordonnant la conclusion du contrat principal à cette acceptation2319.

La position dominante de l’entreprise mise en cause s’apprécie à l’égard du marché correspondant à l’objet du contrat principal: il n’est pas nécessaire que l’entreprise détienne également une position dominante sur le marché incluant les prestations imposées2320.

Un tel comportement n’est admis de la part d’une entreprise détenant une position dominante sur le marché que s’il existe un lien entre les prestations imposées et l’objet du contrat principal, soit en raison de la nature de ces prestations, soit en raison des usages commerciaux.

651. Autres comportements constituant l’exploitation abusive d’une position dominante – La liste établie par le texte communautaire n’exclut pas que d’autres hypothèses puissent être retenues comme constituant une exploitation abusive d’une position dominante. Tout d’abord, les comportements visés par le texte peuvent être combinés voire, dans certaines circonstances, découler les uns des autres. Ainsi, une vente liée peut avoir pour conséquence l’obstacle fait aux concurrents à l’entrée sur le marché et causer indirectement un préjudice aux consommateurs en limitant le développement technique2321.

Par ailleurs, la liste figurant à l’article 82 du traité n’est pas limitative, comme l’indique l’emploi du terme «notamment». Aussi, d’autres comportements sont-ils parfois sanctionnés au titre de l’abus de position dominante, lorsqu’ils répondent à la définition donnée à cette notion par la jurisprudence communautaire. Une jurisprudence s’est ainsi développée sur les systèmes de rabais accordés aux consommateurs: de tels rabais constituent des abus de position dominante lorsqu’ils tendent «à empêcher, par la voie de l’octroi d’avantages financiers, l’approvisionnement des clients auprès de producteurs concurrents», ce qui est le cas des rabais de fidélité, qui sont octroyés en contrepartie d’un engagement du client de s’approvisionner exclusivement ou quasi exclusivement auprès d’une entreprise en position dominante. Les rabais quantitatifs, en revanche, ne constituent pas des abus de position dominante lorsqu’ils sont exclusivement liés au volume des achats effectués auprès du fournisseur concerné. Celui-ci dispose en effet du droit de répercuter sur sa clientèle les économies faites grâce à la quantité de produits achetés2322.

C. Les sanctions de la violation de la prohibition des pratiques anticoncurrentielles652. Dualité de juridictions – Le règlement relatif à la mise en œuvre des règles de concurrence prévues aux articles 81 et 82 du traité2323 l’indique en son préambule: «pour établir un régime assurant que la concurrence n’est pas faussée dans le marché commun, il y a lieu de pourvoir à l’application efficace et uniforme des articles 81 et 82 du traité dans la Communauté». Or, cette efficacité d’application du droit communautaire de la concurrence passe par sa défense tant par les juridictions de l’ordre communautaire que par celles de l’ordre interne.

Le règlement précité fixe les compétences respectives des autorités communautaires et nationales dans le cadre de la poursuite des infractions au droit communautaire de la concurrence; le code de commerce, quant à lui, renvoie pour l’essentiel, s’agissant de la mise en œuvre des articles 81 et 82 du traité, aux dispositions dudit règlement,et apporte des précisions quant aux modalités de mise en œuvre de sa coopération avec la Commission européenne et les autorités de concurrence des autres Etats membres.

653. Règles communes en matière de preuve – Le règlement du 16 décembre 2002 fixe en outre les principes en matière de preuve, qui sont communs aux poursuites effectuées sur le fondement du droit communautaire de la concurrence devant chacune des autorités de concurrence, au niveau communautaire comme au niveau étatique.

La règle est simple: ainsi, la charge de la preuve de la violation desdits articles incombe à la partie ou à l’autorité poursuivante; la preuve de la réunion des conditions du troisième paragraphe de l’article 81 incombe en revanche à la partie qui l’allègue.

 

1. La sanction de la violation du droit communautaire de la concurrence par les autorités communautaires

a) Commission européenne

654. Décisions rendues par la Commission européenne – Les attributions de la Commission dans le cadre de la sanction de la violation des articles 81 et 82 du traité sont définies par les articles 7 et suivants et 23 et suivants du règlement du 16 décembre 2002; les règles de procédures suivies en la matière ont été précisées par le règlement du 7 avril 20042324.

La Commission peut être saisie d’une plainte par toute personne physique ou morale y ayant un intérêt légitime, par les Etats membres, ou s’autosaisir2325.

Elle peut obliger les entreprises et associations d’entreprises auteur d’une infraction au droit communautaire de la concurrence à y mettre fin, en leur imposant les mesures correctives nécessaires, qu’elles soient structurelles ou comportementales, la priorité devant être donnée à ces dernières. La Commission européenne dispose en outre du pouvoir d’ordonner des mesures provisoires dans l’urgence, pour un temps déterminé et renouvelable, lorsqu’un préjudice grave et irréparable risque d’être causé à la concurrence. Elle peut également accepter et rendre obligatoire les engagements des entreprises, et mettre fin à la procédure. Celle-ci peut être rouverte s’il survient un changement important dans les faits, si les parties n’ont pas tenu leurs engagements, ou si la Commission disposait au moment de la décision d’informations fausses ou lacunaires. Ces décisions (mesures imposées, mesures d’urgence, engagements acceptés) sont le cas échéant assorties d’une astreinte, qui peut être révisée une fois l’obligation exécutée2326.

La Commission peut infliger des amendes aux entreprises (et associations d’entreprises) qui violent l’article 81 ou l’article 82 du traité; elle dispose du même pouvoir à l’encontre des entreprises ou associations d’entreprises qui ne se plient pas aux mesures provisoires ordonnées ou ne tiennent pas leur engagement rendu obligatoire. L’amende prononcée à l’encontre de chaque entreprise (et associations d’entreprises) est égal au maximum à 10 % de son chiffre d’affaires2327. La gravité et la durée de l’infraction sont prises en compte dans la détermination de l’amende.

655. Prescriptions – Les pouvoirs de la Commission en matière de prononcé d’une amende ou d’une astreinte se prescrivent par cinq ans à compter de la commission de l’infraction, ou de sa cessation s’il s’agit d’une infraction continue ou répétée. Ce délai est interrompu par tout acte de la Commission ou d’une autorité de concurrence d’un Etat membre visant à l’instruction ou à la poursuite de l’infraction. L’exécution de l’amende ou de l’astreinte se prescrit dans un délai de cinq ans à compter du jour où la décision est devenue définitive.

656. Comité consultatif – Avant de prendre une décision, la Commission fait appel, selon les modalités définies par l’article 14 du règlement, à un comité consultatif, composé de représentants des autorités de concurrence des Etats membres. Ce comité rend un avis écrit – et motivé si un ou plusieurs membres en font la demande – sur l’avant-projet de décision de la Commission. Le cinquième paragraphe de l’article 14 du règlement énonce que la Commission «tient le plus grand compte de l’avis du comité consultatif», et l’informe même de la façon dont elle a tenu compte de cet avis.

La Commission peut, de sa propre initiative ou à la demande de l’autorité de concurrence d’un Etat membre, inscrire à l’ordre du jour du comité les affaires traitées par une autorité de concurrence nationale au titre des articles 81 et 82 du traité, notamment lorsqu’elle a l’intention d’ouvrir une procédure dans la même affaire. Le comité ne rend pas d’avis sur les affaires traitées par les autorités de concurrence des Etats membres.

657. Procédure de transaction dans les affaires d’ententes – Afin de permettre l’accélération du règlement de certaines affaires d’ententes, une procédure de transaction vient d’être mise en place devant la Commission européenne2328.

Le nouvel article 10 bis du règlement du 7 avril 20042329 prévoit que la Commission peut, après l’ouverture de la procédure, mener, à son initiative, une discussion avec les parties en vue d’une transaction. Elle peut alors communiquer aux parties les griefs qu’elle envisage de formuler ainsi que les pièces venant à leurs appuis, des documents non-confidentiels figurant au dossier et la fourchette des amendes probables. Lorsque les discussions progressent, la Commission invite les parties à émettre une proposition de transaction, qui doit contenir une reconnaissance de leur participation à l’infraction à l’article 81 du traité, et leur responsabilité. Et, si les parties et la Commission aboutissent à un accord, la Commission peut imposer les mesures propres à mettre fin à l’infraction et infliger une amende, conformément aux articles 7 et 23 du règlement précité du 16 décembre 2002, après consultation du Comité.

b) Les voies de recours

658. Tribunal de première instance – Conformément à l’article 3.1.c) de la décision du Conseil l’ayant créé2330, le Tribunal de première instance des communautés européennes connaît en première instance des recours formés par des personnes physiques ou morales contre les décisions par lesquelles la Commission prononce une peine d’amende ou d’astreinte2331. Le Tribunal peut supprimer, réduire ou majorer lesdites sommes.

659. CJCE – En vertu de l’article 225 du Traité de Rome modifié, la Cour de justice des communautés européennes connait des pourvois formés à l’encontre des décisions du Tribunal de première instance, pourvois limités aux questions de droit.

2. La sanction de la violation du droit communautaire de la concurrence par les autorités et juridictions nationales

a) Application du droit communautaire

660. Obligation mise à la charge des autorités nationales compétentes – Les autorités nationales des Etats membres sont compétentes pour appliquer le droit communautaire.

En matière de droit de la concurrence, les autorités et les juridictions des Etats membres sont tenues d’appliquer également le droit communautaire aux faits entrant dans le champ d’application de celui-ci, et auxquels elles appliquent le droit national2332.

661. Articulation des droits interne et communautaire de la concurrence – L’application du droit national ne peut avoir pour effet d’interdire une entente qui, tout en entrant dans le champ d’application du droit communautaire (étant susceptible d’affecter le commerce entre Etats membres), n’est pas prohibée par ce droit, soit qu’elle ne restreigne pas la concurrence au sens de l’article 81 du traité, soit qu’elle bénéficie d’une exemption.

En revanche, le règlement laisse toute liberté aux Etats membres d’encadrer les comportements unilatéraux des entreprises plus strictement que ne le fait le droit communautaire2333.

b) Nature des sanctions infligées par les autorités nationales

α. Nature des sanctions infligées par l’Autorité de la concurrence

662. Domaine de compétence de l’Autorité de la concurrence – Le règlement du 16 décembre 2002 donne aux autorités de concurrence des Etats membre compétence pour appliquer le droit communautaire à des cas individuels.

663. Attributions de l’Autorité de la concurrence – Le règlement énonce que les autorités de concurrence des Etats membres peuvent ordonner la cessation d’une infraction et des mesures provisoires, accepter des engagements et infliger des amendes, astreintes ou toute autre sanction prévue par leur droit national.

Les sanctions pouvant être prononcées par l’Autorité de la concurrence correspondent à celles prévues par le texte européen: injonctions, sanctions pécuniaires et astreintes2334. Par ailleurs, l’Autorité peut être consultée par les juridictions internes sur les pratiques anticoncurrentielles relevant tant des articles L. 420-1 et L. 420-2 du code de commerce que des articles 81 et 82 du traité instituant la Communauté européenne. Selon l’article 15 du règlement européen du 16 décembre 2002, les autorités de concurrence des Etats membres peuvent, dans le cadre de l’application des articles 81 et 82 du traité, soumettre d’office des observations écrites aux juridictions de leur Etat membre respectif et, avec l’autorisation de la juridiction en question, présenter des observations orales. Dans ce cadre, l’autorité de concurrence peut demander à la juridiction transmission de tout document nécessaire à l’appréciation de l’affaire.

664. Recours – A l’instar du recours formé contre les décisions du Conseil – et bientôt de celles de l’Autorité – rendues sur le fondement du droit interne de la concurrence, le recours formé à l’encontre de celles rendues sur le fondement des articles 81 et 82 du traité instituant la Communauté européenne est formé devant la Cour d’appel de Paris.

β. Nature des sanctions infligées par les juridictions nationales

665. Nullité des ententes anticoncurrentielles – Seules les juridictions nationales – compétentes en vertu de l’article 6 du règlement communautaire du 16 décembre 2002 pour appliquer les articles 81 et 82 du traité instituant la Communauté européenne –, peuvent prononcer la nullité des ententes violant le premier paragraphe de l’article 81. Cette nullité constitue l’unique sanction prévue par le traité lui-même, au deuxième paragraphe de cette dernière disposition.

Les juridictions nationales considèrent que cette nullité revêt un caractère absolu2335.

666. Réparation du préjudice – Les juridictions de droit commun peuvent également, comme en matière de droit interne de la concurrence, condamner l’auteur d’un comportement anticoncurrentiel à réparer le dommage issu de ce comportement.

La nullité et la réparation du préjudice issu de la pratique anticoncurrentielle ne peuvent être prononcées que par les juridictions de droit commun. En effet, à la différence de la Commissionet du Conseil de la concurrence, qui agissent dans l’intérêt public de protection de la concurrence2336, les juridictions civiles ont pour vocation première de sauvegarder les droits des particuliers dans leurs relations réciproques, issus du droit communautaire de la concurrence2337.

3. Les relations entre les autorités internes et la Commission européenne dans le cadre de la sanction de la violation des articles 81 et 82 du traité

a) Litispendance

667. Articulation des poursuites devant la Commission, les autorités de concurrence et les juridictions des Etats membres – La poursuite et la sanction des infractions au droit communautaire de la concurrence appartiennent en priorité à la Commission européenne. Ainsi, lorsqu’une procédure est ouverte devant la Commission, les autorités nationales de concurrence sont, en vertu du règlement du 16 décembre 2002, dessaisies de leur compétence pour appliquer les articles 81 et 82 du traité. La procédure n’est néanmoins ouverte par la Commission qu’après avoir consulté l’autorité nationale déjà saisie d’une affaire.

Par ailleurs, le Conseil peut rejeter la saisine dont il est l’objet lorsque la Commission européenne a traité des mêmes faits. En tout état de cause, dans une telle hypothèse, l’article 16 du règlement du 16 décembre 2002 fait interdiction aux autorités de concurrence des Etats membres de prendre des décisions allant à l’encontre de celle adoptée par la Commission.

S’agissant des poursuites intentées devant les juridictions des Etats membres, l’article précité énonce que lorsque ces juridictions sont saisies de faits relevant du droit communautaire de la concurrence et ayant déjà fait l’objet d’une décision de la Commission, elles ne peuvent statuer dans un sens contraire à celui de la Commission; de même, ces juridictions doivent éviter de prendre des décisions qui iraient à l’encontre de la décision envisagée dans une procédure intentée par la Commission, et peuvent pour ce faire décider de suspendre leur procédure.

668. Articulation des poursuites devant plusieurs autorités de concurrence nationales – En vertu de l’article L. 462-8 du code de commerce et de l’article 13 du règlement du 16 décembre 2002, le Conseil de la concurrence peut également rejeter la saisine dont il est l’objet lorsqu’il est informé qu’une autre autorité nationale de concurrence d’un Etat membre a traité des mêmes faits. Il peut également rejeter la saisine ou suspendre la procédure lorsque ces faits font l’objet d’une procédure pendante devant l’une desdites autorités. L’avant-projet d’ordonnance devant créer l’Autorité de la concurrence maintient ces facultés au profit de ladite autorité.

b) Coopération

669. Etroite coopération – La coopération entre la Commission européenne et les autorités de concurrence des Etats membres est régie par les articles 11 et suivants du règlement du 16 décembre 2002. Le premier paragraphe de l’article 11 affirme avec force le principe régnant sur la matière: «la Commission et les autorités de concurrence des Etats membres appliquent les règles communautaires de concurrence en étroite collaboration»2338.

Dans ce cadre, l’article 12 du règlement indique qu’«aux fins de l’application des articles 81 et 82 du traité, la Commission et les autorités de concurrence des Etats membres ont le pouvoir de se communiquer (…) tout élément de fait ou de droit, y compris des informations confidentielles»2339.

670. Information transmise par la Commission européenne aux autorités de concurrence et aux juridictions des Etats membres – La Commission européenne transmet d’office aux autorités de concurrence des Etats membres une copie des pièces les plus importantes qu’elle a recueillies dans le cadre de la poursuite des infractions aux articles 81 et 82 du traité instituant la Communauté européenne.

Lesdites autorités de concurrence peuvent demander copie des autres pièces à la Commission. La Commission peut également mettre à leur disposition les documents relatifs aux poursuites engagées devant l’une d’entre elles sur le fondement du droit communautaire de la concurrence et qui lui sont remis en application des troisième et quatrième paragraphes de l’article 11 du règlement2340.

Les juridictions des Etats membres qui mettent en œuvre les articles 81 et 82 du traité peuvent demander à la Commission de leur communiquer les informations se trouvant en sa possession.

Par ailleurs, les autorités de concurrence et les juridictions des Etats membres peuvent consulter la Commission sur tout cas impliquant l’application du droit communautaire. La Commission peut soumettre d’office des observations écrites aux juridictions des Etats membres et, avec l’autorisation de la juridiction en question, présenter des observations orales. Dans ce cadre, la Commission peut demander à la juridiction concernée transmission de tout document nécessaire à l’appréciation de l’affaire.

671. Information transmise par les autorités de concurrence et les juridictions des Etats membres à la Commission européenne – L’article 11 du règlement du 16 décembre 2002 fait obligation aux autorités de concurrence des Etats membres connaissant de poursuites exercées sur le fondement des articles 81 et 82 du traité d’en informer la Commission avant ou dès l’initiation de la première mesure formelle d’enquête. Par ailleurs, l’autorité de concurrence doit, au plus tard trente jours avant de rendre sa décision, communiquer à la Commission un résumé de l’affaire ainsi que la décision envisagée ou à défaut tout document exposant l’orientation envisagée.

En outre, l’autorité concernée doit, sur demande de la Commission, tenir à la disposition de celle-ci d’autres documents en sa possession nécessaires à l’appréciation de l’affaire. Le troisième alinéa de l’article L. 462-9 I du code de commerce précise que le secret professionnel auquel sont tenus les membres du Conseil – et à compter, au plus tard, du 1 janvier 2009, les membres de l’Autorité de la concurrenceer – ne s’oppose pas à la transmission de ces informations.

Les juridictions étatiques doivent, quant à elles, transmettre à la Commission copie de tout jugement écrit qu’elles ont rendu sur le fondement de l’article 81 ou de l’article 82 du traité, dès notification écrite aux parties.

672. Utilisation des informations échangées – La Commission et les autorités internes de concurrence peuvent utiliser comme moyen de preuve tous les éléments de fait et de droit qui leur ont été transmis, y compris les informations confidentielles; le droit d’utiliser ces éléments est limité à l’application des articles 81 et 82 du traité.

Néanmoins, les autorités internes de concurrence peuvent les employer aux fins de l’application du droit national de la concurrence, lorsque celui-ci est appliqué à une affaire parallèlement au droit communautaire et a le même effet que celui-ci.

L’emploi des éléments transmis comme moyen de preuve à l’encontre de personnes physiques est strictement encadré. Cet emploi est en effet soumis en principe à la condition de l’existence d’une réciprocité de sanctions: il faut, pour que cet emploi par l’autorité destinataire de l’information soit autorisé, que l’autorité expéditrice prévoit, en cas de violation du droit communautaire de la concurrence, des sanctions similaires à celle de ladite autorité destinataire. Dans le cas contraire, les informations transmises ne pourront être employées à titre de preuve si la manière dont elles ont été recueillies n’assure pas une protection des droits de la défense des personnes physiques égale à celle qui est reconnue par le droit de l’autorité destinataire ; par ailleurs, elles ne pourront être employées par cette dernière pour infliger des peines privatives de liberté.

673. Coopération entre les autorités de concurrence des Etats membres – Le règlement du 16 décembre 2002 permet aux autorités nationales de concurrence d’échanger entre elles les informations nécessaires à l’appréciation d’une affaire qu’elles traitent en vertu du droit communautaire de la concurrence2341. En droit français, cette faculté est aménagée par le premier alinéa de l’article L. 464-9 I du code de commerce: le Conseil de la concurrence, auquel se substituera d’ici le 1 janvier 2009 l’Autorité de la concurrence, peut procéder à une telle communication après en avoir informé le ministre chargé de l’économie, sous réserve de réciprocité, et à condition que l’autorité destinataire des documents soit soumise à une obligation de secret professionnel selon les mêmes garanties qu’en Franceer. Néanmoins, cette transmission d’informations est refusée «lorsque l’exécution de la demande est de nature à porter atteinte à la souveraineté, à la sécurité, aux intérêts économiques essentiels ou à l’ordre public français ou lorsqu’une procédure pénale a déjà été engagée en France sur la base des mêmes faits et contre les mêmes personnes, ou bien lorsque celles-ci ont déjà été sanctionnées par une décision définitive pour les mêmes faits».

Par ailleurs, le code de commerce prévoit que le Conseil de la concurrence, bientôt relayé par l’Autorité de la concurrence, peut conclure avec ses homologues européens des conventions particulières pour organiser leur collaboration.

II. Le contrôle des concentrations674. Règlement du Conseil du 20 janvier 2004 – Le règlement du 21 décembre 19892342 relatif aux opérations de concentration en entreprise ayant fait l’objet de nombreuses modifications, le droit communautaire des concentrations a fait l’objet d’une refonte qui a abouti à un nouveau règlement, en date du 20 janvier 20042343.

A. Notion de concentration au sens du droit communautaire675. Définition positive – La notion de concentration est définie par l’article 3 du règlement de 2004. Selon cet article:

«1. Une concentration est réputée réalisée lorsqu’un changement durable du contrôle résulte :

a) de la fusion de deux ou de plusieurs entreprises ou parties de telles entreprises, ou

b) de l’acquisition, par une ou plusieurs personnes détenant déjà le contrôle d’une entreprise au moins ou par une ou plusieurs entreprises, du contrôle direct ou indirect de l’ensemble ou de parties d’une ou de plusieurs autres entreprises, que ce soit par prise de participations au capital ou achat d’éléments d’actifs, contrat ou tout autre moyen.

2. Le contrôle découle des droits, contrats ou autres moyens qui confèrent, seuls ou conjointement et compte tenu des circonstances de fait ou de droit, la possibilité d’exercer une influence déterminante sur l’activité d’une entreprise, et notamment :

a) des droits de propriété ou de jouissance sur tout ou partie des biens d’une entreprise ;

b) des droits ou des contrats qui confèrent une influence déterminante sur la composition, les délibérations ou les décisions des organes d’une entreprise.

3. Le contrôle est acquis par la ou les personnes ou entreprises:

a) qui sont titulaires de ces droits ou bénéficiaires de ces contrats, ou

b) qui, n’étant pas titulaires de ces droits ou bénéficiaires de ces contrats, ont le pouvoir d’exercer les droits qui en découlent.

4. La création d’une entreprise commune accomplissant de manière durable toutes les fonctions d’une entité économique autonome constitue une concentration au sens du paragraphe 1, point b)».

On le voit, les définitions données par les droits interne et communautaire à la notion de concentration sont très comparables, voire semblables; le législateur de 2001 a en effet délibérément calqué presque mot pour mot la définition figurant dans le règlement du 21 décembre 1989,dans le but d’éviter «des différences d’appréciation entre l’autorité nationale et la Commission et les cas de double contrôle qui pourraient s’ensuivre»2344; or, la définition communautaire a peu évolué avec le nouveau règlement. Cette similitude de définition permet à la DGCCRF d’apporter des précisions relatives à la mise en œuvre du droit interne tant à la lumière de la pratique interne qu’à celle de la pratique communautaire2345.

676. Définition négative – Le droit communautaire exclut expressément certaines opérations de la notion de concentration. Ainsi, ne constituent pas des opérations de concentration:

la détention de participations à titre temporaire par certains types d’établissements, dont l’activité normale comprend la transaction et la négociation de titres2346;

l’acquisition du contrôle par une personne dans le cadre d’une procédure collective;

les opérations visées au paragraphe 1, point b) réalisées par les sociétés dont l’objet unique est la prise de participations dans d’autres entreprises ainsi que la gestion et la mise en valeur de ces participations2347.

B. Champ d’application du droit communautaire des concentrations1. Définition du champ d’application

677. Dimension communautaire – Les opérations répondant à la définition des concentrations sont soumises au droit communautaire des concentrations si elles revêtent une dimension communautaire. En vertu de l’article 1 du règlement du 20 janvier 2004, une concentration revêt une telle dimension lorsqu’elle remplit l’une des deux séries de conditions énoncées respectivement par les paragraphes 2 et 3 dudit article, toutes relatives au chiffre d’affaires réalisé par les entreprise concernéeser.

Dans une première approche, le chiffre d’affaires réalisé au sein de la communauté est pris en compte de façon globale. Dans ce cadre, une concentration est de dimension communautaire lorsque :

le chiffre d’affaires total réalisé sur le plan mondial par l’ensemble des entreprises concernées représente un montant supérieur à 5 milliards d’euros, et

le chiffre d’affaires total réalisé individuellement dans la Communauté par au moins deux des entreprises concernées représente un montant supérieur à 250 millions d’euros.

La dimension communautaire n’est cependant pas atteinte lorsque chacune des entreprises concernées réalise plus des deux tiers de son chiffre d’affaires total dans la Communauté à l’intérieur d’un seul et même Etat membre.

Si l’opération ne correspond pas à ces critères, une seconde approche est adoptée, dans laquelle le chiffre d’affaires pris en compte est celui réalisé dans chacun de trois des Etats membres. Une concentration revêt ainsi une dimension communautaire lorsque:

le chiffre d’affaires total réalisé sur le plan mondial par l’ensemble des entreprises concernées représente un montant supérieur à 2,5 milliards d’euros,

dans chacun d’au moins trois des États membres, le chiffre d’affaires total réalisé par toutes les entreprises concernées est supérieur à 100 millions d’euros,

dans chacun d’au moins trois des États membres inclus aux fins du point b), le chiffre d’affaires total réalisé individuellement par au moins deux des entreprises concernées est supérieur à 25 millions d’euros, et

le chiffre d’affaires total réalisé individuellement dans la Communauté par au moins deux des entreprises concernées représente un montant supérieur à 100 millions d’euros

Néanmoins, ici encore, la dimension communautaire n’est pas atteinte lorsque chacune des entreprises concernées réalise plus des deux tiers de son chiffre d’affaires total dans la Communauté à l’intérieur d’un seul et même Etat membre.

2. Extension de l’application en dehors du champ défini

678. Demande d’un ou plusieurs Etats membres – Lorsqu’une concentration n’atteint pas une dimension communautaire, elle peut néanmoins être soumise au droit communautaire si un ou plusieurs Etats membres, en application de l’article 22 du règlement, en font la demande dans un délai de quinze jours à compter de la notification, et que deux conditions sont remplies: la concentration doit affecter le commerce entre Etats membres et menacer d’affecter de manière significative la concurrence sur le territoire du ou des États membres demandeurs. La Commission peut elle-même inviter les Etats à formuler une telle demande si elle estime qu’une concentration remplit ces conditions.

Les autres Etats membres peuvent se joindre à la procédure et disposent pour ce faire d’un délai de quinze jours à compter du jour où ils sont avertis de la demande.

Si la Commission décide d’examiner la concentration, celle-ci se voit appliquer le régime des concentrations de dimension communautaire. Les Etats demandeurs cessent alors l’application du droit national.

 

C. Modalités du contrôle des concentrations1. Procédure de contrôle

679. Présentation – La procédure de contrôle des concentrations est menée par la Commission, organe chargé de la prise de décision en la matière; elle est encadrée dans des délais qui sont définis pour l’essentiel par l’article 10 du règlement. Le règlement de 2004 est emprunt d’une volonté marquée de transparence : les entreprises et les Etats concernés, ainsi que les Etats membres étrangers à la concentration sont informés régulièrement des évolutions de la procédure (notification, renvoi de l’examen à un Etat membre, notamment). Les autorités de concurrence des Etats membres reçoivent également copie des notifications et des pièces essentielles du dossier.

a) Procédure préalable à la décision

680. Notification – Les concentrations de dimension communautaire doivent faire l’objet d’une notification à la Commission et d’une autorisation par cette autorité avant leur réalisation, sauf exception2348. S’agissant des fusions et des créations d’entreprises communes, la notification est effectuée conjointement par les parties. Dans les autres hypothèses, elle est effectuée par la personne ou l’entreprise qui acquière le contrôle en question.

681. Renvoi à un Etat membre – Lorsque la Commission constate, de sa propre initiative ou après en avoir été averti par les parties ou un Etat membre, que la concentration projetée risque d’affecter de manière significative la concurrence sur un marché a priori distinct à l’intérieur d’un Etat membre, à moins – dans l’hypothèse où l’initiative vient des parties – que l’Etat concerné ne le refuse, elle peut renvoyer l’examen de la concentration ou de l’une de ses parties à l’autorité de concurrence de cet Etat membre qui applique alors le droit national2349.

b) Instruction

682. Demande de renseignement – La Commission peut demander aux parties concernées des renseignements supplémentaires, soit par simple demande, soit par décision. La demande formulée par décision peut faire l’objet d’un recours. La Commission peut également demander aux gouvernements et autorités de compétence des Etats membres tout renseignement nécessaire au contrôle des concentrations, et entendre toute personne physique ou morale acceptant d’être interrogée.

683. Inspections – La Commission peut exécuter ou faire exécuter par les autorités de concurrence des Etats membres les inspections qu’elle juge nécessaires. Les pouvoirs de la Commission en matière d’inspection sont précisés dans l’article 13 du règlement. Lorsque la Commission ordonne une inspection par décision, les entreprises sont tenues de s’y soumettre.

684. Observations – A tout stade de la procédure, les personnes, entreprises et associations d’entreprises peuvent faire entendre leurs observations sur les objections faites à leur encontre. Les tiers justifiant d’un intérêt suffisant peuvent également être entendus.

685. Avis du Comité consultatif – La Commission doit, à moins d’avoir pris une décision favorable à la concentration dès l’examen de la notification, soumettre son projet de décision à un comité consultatif, composé de représentants des autorités de concurrence des Etats membres. Le Comité consultatif rend un avis joint ultérieurement à la décision.

c) Décisions relatives à la compatibilité au marché commun

686. Moment de la prise de décision – La décision peut être prise dès après l’examen de la notification, et sans procédure ultérieure, lorsque la concentration n’entre pas dans le champ d’application du droit communautaire, ou lorsque la compatibilité de la concentration avec le marché commun ne présente pas ou plus (en raison de modifications au projet) de doute sérieux. Dans tous les autres cas, elle est rendue après avis du comité consultatif.

687. Critères de décision – L’article 2 du règlement énonce en son premier alinéa: «les concentrations visées par le présent règlement sont appréciées en fonction des objectifs du présent règlement et des dispositions qui suivent en vue d’établir si elles sont ou non compatibles avec le marché commun». L’article poursuit en établissant les critères dont la Commission doit tenir compte dans le cadre de sa prise de décision, et qui sont, d’une part, la nécessité de préserver et de développer une concurrence effective dans le marché commun et, d’autre part, la position sur le marché des entreprises concernées et leur puissance économique et financière.

Lorsqu’une entreprise commune constitue une entente au sens de l’article 81 § 1 du traité, la compatibilité avec le marché commun est appréciée au regard des conditions du paragraphe 3 dudit article.

688. Options offertes à la Commission – Lorsque la concentration ne revêt pas une dimension communautaire, la Commission le constate par décision.

Lorsqu’elle constate qu’une concentration – le cas échéant après que des modifications y ont été apportées –, n’entrave pas pas de manière significative une concurrence effective dans le marché commun ou une partie substantielle de celui-ci, elle prend une décision déclarant la concentration compatible avec le marché commun. Cette autorisation peut être assortie de charges ayant pour but la garantie du respect des engagements pris.

Lorsque la Commission constate qu’une concentration entrave de manière significative une concurrence effective dans le marché commun ou une partie substantielle de celui-ci, notamment du fait de la création ou du renforcement d’une position dominante, elle prend une décision déclarant la concentration incompatible avec le marché commun.

Si une concentration déjà réalisée est incompatible avec le marché commun, soit parce qu’elle a fait l’objet d’une décision en ce sens, soit parce que la compatibilité avec le marché était subordonnée à une obligation qui n’a pas été remplie, la Commission peut ordonner aux entreprises en cause de la dissoudre.

689. Recours – Les décisions rendues par la Commission peuvent faire l’objet d’un recours devant la Cour de justice des communautés européennes.

2. Sanction du non respect de la procédure

690. Révocation de la décision – La décision constatant que la concentration est compatible avec le marché, qu’elle soit prise dès après l’examen de la notification ou après une enquête plus approfondie, peut être révoquée lorsqu’elle repose sur des informations fausses ou si les obligations dont est assortie l’autorisation ne sont pas respectées.

691. Amendes – La Commission peut condamner les parties à la concentration à payer une amende équivalente au maximum à 1 % du chiffre d’affaires total réalisé par l’entreprise ou l’association d’entreprises concernée lorsque, volontairement ou par négligence, elles fournissent des informations fausses ou ne se soumettent pas à une inspection. L’amende peut s’élever jusqu’à 10 % du chiffre d’affaires total réalisé par les entreprises concernées lorsque la concentration est réalisée sans notification, avant autorisation, alors que la concentration a été déclarée incompatible avec le marché commun, ou sans respecter les conditions dont était assortie l’autorisation.

Le montant de l’amende est fixé en fonction de la nature, de la gravité et de la durée de l’infraction.

692. Astreintes – La Commission peut assortir certaines de ses décisions d’astreintes pouvant aller jusqu’à 5 % du chiffre d’affaires total journalier moyen de l’entreprise ou association d’entreprises concernée. Sont notamment concernés les renseignements demandés par décision et la soumission aux inspections.

Section 2 : L’impact du droit de la concurrence sur la franchise

§1. L’incidence du droit de la concurrence sur les relations entre les parties

I. La validité des clauses du contrat de franchise au regard du droit de la concurrence694. Qualification du contrat de franchise au regard du droit de la concurrence – Le contrat de franchise entre dans la catégorie des conventions dans le cadre du droit interne des ententes, et dans celles des accords dans le cadre du droit communautaire. Aussi entre-t-il dans le champ d’application de l’un ou de l’autre lorsqu’il revêt une importance suffisante.

Lors de la première confrontation jurisprudentielle du contrat de franchise avec le droit de la concurrence communautaire, dans la célèbre affaire Pronuptia précitée, la Cour de jusitice des communautés européennes à souligné que « la compatibilité des contrats de franchise de distribution avec l’article 85, paragraphe 1, ne peut être appréciée de façon abstraite, mais qu’elle est fonction des clauses contenues dans ce ces contrats ». La Cour s’était alors attachée, à juste titre, à distinguer les clauses n’entraînant pas l’invalidité du contrat, de celles qui l’entraînaient. Aujourd’hui, le règlement d’exemption de 1999, éclairé par les lignes directrices sur les restrictions verticuales, permet de séparer les clauses susceptibles de figurer dans le contrat de franchise en trois catégories :

– certaines sont expressément présumées valides ;

– d’autres, qui constituent des restrictions caractérisées, entraînent au contaire par leur simple présence dans un contrat la nullité de celui-ci ;

– les dernières sont incompatibles avec le droit de la concurrence et doivent être écartées, sans pour autant entraîner la nullité du contrat.

A. Les clauses expressément présumées valides695. Lignes directrices – Aucune disposition du droit interne ne contient une liste de clauses répondant a priori aux critères de l’article L. 420-4. Le règlement communautaire d’exemption du 22 décembre 1999 n’est pas plus explicite en la matière.

En revanche, les Lignes directrices sur les restrictions verticales, qui n’ont, rappelons le, aucune valeur obligatoire, mais sont notamment prises en compte par le Conseil de la concurrence dans ses décisions, contiennent une liste de clauses qui, liées à des droits de propriété intellectuels – parmi lesquels figure, au sein desdites lignes directrices, la protection du savoir-faire – sont « généralement considérées comme nécessaires à la protection des DPI du franchiseur et, si elles relèvent de l’article 81, paragraphe 1, également couvertes par le règlement d’exemption par catégorie». Ces obligations sont les suivantes :

« a) l’obligation pour le franchisé de ne pas exercer, directement ou indirectement, une activité commerciale similaire ;

b) l’obligation pour le franchisé de ne pas acquérir, dans le capital d’une entreprise concurrente, des participations financières qui lui donneraient le pouvoir d’influencer le comportement économique d’une telle entreprise ;

c) l’obligation pour le franchisé de ne pas divulguer à des tiers le savoir-faire fourni par le franchiseur aussi longtemps que ce savoir-faire n’est pas tombé dans le domaine public ;

d) l’obligation pour le franchisé de communiquer au franchiseur toute expérience acquise dans le cadre de l’exploitation de la franchise et de lui accorder, ainsi qu’à d’autres franchisés, une licence non exclusive pour le savoir-faire résultant de cette expérience ;

e) l’obligation pour le franchisé d’informer le franchiseur des contrefaçons des DPI octroyés sous licence, d’intenter une action contre les contrefacteurs ou d’assister le franchiseur dans une action en justice engagée contre un contrefacteur ;

f) l’obligation pour le franchisé de ne pas utiliser le savoir-faire concédé sous licence par le franchiseur à d’autres fins que l’exploitation de la franchise ;

g) l’obligation pour le franchisé de ne pas céder les droits et obligations résultant de l’accord de franchise sans le consentement du franchiseur ».

Parmi les obligations fréquemment mises à la charge du franchisé, sont ainsi présumées valables les clauses de non-concurrence applicables pendant la période d’exécution du contrat2383, les clauses de confidentialité, les clauses imposant aux franchisés de faire bénéficier le réseau des améliorations du savoir-faire auxquelles il a procédé, les clauses imposant au franchisé des obligations dans le cadre de la défense des signes distinctifs du réseau, l’obligation d’exclusivité d’utilisation du savoir-faire, et les clauses d’agrément du cessionnaire2384.

B. Les restrictions caractérisées696. Règlement d’exemption – Si les obligations présumées valides sont énumérées dans les lignes directrices sur les restrictions verticales, texte sans force obligatoire, les clauses prohibées le sont, elles, dans le règlement d’exemption, qui s’impose dans le cadre de l’application du droit communautaire et est employé comme guide d’analyse par le Conseil de la concurrence dans le cadre de l’application du droit interne de la concurrence2385.

Parmi les obligations énumérées par le règlement d’exemption et l’article L. 464-6-2 du code de commerce, il en est deux qui sont susceptibles d’être prévues dans un contrat de franchise : l’imposition des prix et l’interdiction des ventes passives.

A. Les prix imposés

a) Les limites légales à l’étendue de l’obligation pesant sur le franchisé en matière de prix

697. Prohibition des prix imposés – Outre que la pratique des prix imposés est incompatible avec le principe de l’indépendance du franchisé, et peut donner lieu à l’application de l’article L.7321-2 du code du travail2386, voire à la requalification du contrat de franchise en contrat de travail par le jeu de l’article L.123-3 du même code, l’imposition du prix étant un indice de subordination2387, cette pratique heurte les principes du droit de la concurrence. L’alinéa 1er de l’article L. 410-2 du code de commerce dispose en effet : « sauf dans les cas où la loi en dispose autrement, les prix des biens, produits et services relevant antérieurement au 1er janvier 1987 de l’ordonnance n°45-1483 du 30 juin 1945 sont librement déterminés par le jeu de la concurrence », le prix étant « évidemment l’un des éléments essentiels de la concurrence entre acteurs économiques »2388. Aussi les droits interne2389 et communautaire de la concurrence prohibent-ils les prix fixes ou minima imposés au titre des ententes faussant le jeu de la concurrence, prohibition qui n’emporte pas l’approbation de l’unanimité de la doctrine2390.

Un auteur a en particulier souligné qu’il y avait une nette contradiction entre l’expression « prix imposés » et la notion d’ « entente », et que cette antinomie aurait pu faire obstacle à la sanction des prix imposés au nom de la prohibition des ententes2391. Cependant, tant la Cour de cassation2392 que le Conseil de la concurrence2393, devant lesquels de tels moyens étaient avancés, ont justifié cette assimilation : le prix imposé suppose non seulement la volonté du fournisseur, mais également l’accord des distributeurs ou, au moins, de certains d’entre eux2394.

Une atteinte à cette interdiction ne saurait être justifiée, même sous prétexte de respecter l’interdiction de la revente à perte2395 ou de maintenir l’image de la marque2396.

Ainsi qu’il ressort notamment des termes des articles L. 442-5 du code de commerce et 4 du règlement d’exemption de 1999, il est utile de préciser que la prohibition des prix imposés s’attache au prix de revente des produits par le distributeur. En conséquence, cette prohibition ne s’applique pas lorsque le fournisseur reste propriétaire des biens vendus2397. De même, la constatation d’une entente au sens du droit de la concurrence nécessite que les partenaires soient autonomes l’un de l’autre2398.

698. Licéité des prix conseillés et du maximum imposé – Le règlement d’exemption de 1999 indique que le fournisseur peut « imposer un prix de vente maximal ou (…) recommander un prix de vente »2399. Le droit français n’interdit pas non plus la pratique des prix maximum2400 ou conseillés2401.

Cette liberté connaît une limite : le prix conseillé ou maximum ne doit pas cacher un prix fixe ou minimum imposé, une entente passée entre le franchiseur et ses franchisés2402

b) La preuve de l’étendue de l’obligation pesant sur le franchisé en matière de prix699. Charge de la preuve – Il appartient au franchisé de prouver que le franchiseur lui impose les prix qu’il doit pratiquer à l’égard de sa clientèle2403.

La question de la charge de la preuve ne se pose en réalité que lorsqu’une telle obligation ne ressort pas sans ambiguïté des termes même du contrat.

700. Preuve découlant de la rédaction du contrat – L’obligation de pratiquer un prix déterminé ou minimum peut figurer textuellement dans les termes du contrat2404, ou en découler indirectement2405.

Les Lignes directrices sur les restrictions verticales donnent quelques exemples d’actes imposant indirectement un prix fixe ou minimum2406. Le prix imposé indirectement par le contrat peut découler par exemple de l’indication d’un prix conseillé assorti :

– d’une clause interdisant aux revendeurs toute remise promotionnelle sur les produits de la marque sans le consentement du concédant et d’une politique de refus systématique de telles remises2407;

– d’une clause imposant aux franchisés d’une même ville, en cas de désaccord sur la politique tarifaire à suivre, de s’en remettre à la décision du franchiseur2408 ;

– d’une clause interdisant au distributeur de pratiquer une politique de prix nuisant à l’image de la marque, accompagnée d’une clause de sanction en cas de non respect de cette interdiction2409.

En revanche, le prix conseillé ne peut être interprété comme un prix imposé du seul fait que le contrat comprend une clause d’objectif2410.

Le Conseil de la concurrence, considère, à juste titre, que l’obligation de pratiquer un prix fixé par le fournisseur peut ressortir non seulement du contrat lui-même, mais également de ses annexes, qui ont valeur contractuelle2411. De même, cette obligation peut ressortir de contrats postérieurs au contrat de distribution2412.

Il a été jugé que la clause par laquelle le franchisé s’engage à appliquer strictement les éléments de stratégie du franchiseur, notamment quant aux tarifs, n’est pas contraire aux dispositions de l’article L. 420-1 du code de commerce qui sanctionne les pratiques anticoncurrentielles, dès lors que le contrat précise que les tarifs du franchiseur sont purement indicatifs et que le franchisé conserve la liberté de fixer ses prix de vente « en veillant à ne pas porter atteinte à l’image de marque du réseau »2413.

701. Preuve découlant du comportement des parties lors de l’exécution du contrat – Le règlement d’exemption du 22 décembre 1999 a prévu le cas où le contrat paraît ne prévoir qu’un prix maximal ou conseillé, mais où le fournisseur, par incitations ou par pressions, impose en pratique à l’acheteur un prix fixe ou minimum2414. Là encore, des exemples de pressions sont donnés par les lignes directrices : menaces, intimidations, avertissements, sanctions, retards ou suspensions de livraison, résiliation du contrat2415. Ces lignes directrices indiquent certaines pratiques pouvant augmenter l’efficacité des prix imposés par la détection des distributeurs ne pratiquant pas le prix imposé (système de surveillance des prix ou obligation pour le détaillant de dénoncer les autres membres du réseau).

Le Conseil de la concurrence, approuvé par la Cour d’appel de Paris2416, indique qu’il prend en compte trois critères cumulatifs2417, dont la présence est constatée à l’aide d’un faisceau d’indices, pour retenir l’existence d’une entente sur les prix, lorsque cette entente ne ressort pas des termes mêmes du contrat2418 :

– les prix ont été évoqués au cours de négociations commerciales entre le fournisseur et ses distributeurs ;

– une police de contrôle des prix a été mis en place par le fournisseur ;

– les prix ainsi déterminés ont été effectivement pratiqués par ces distributeurs, révélant l’existence d’un accord de volontés, donc d’une entente2419.

Ces critères permettent au Conseil de la concurrence de caractériser « l’accord des volontés entre le fournisseur et les distributeurs, sur la politique de prix imposés »2420 : les deux premiers ont trait à la volonté du fournisseur (manifestation extérieure de la volonté, et contrôle de son accomplissement) et le dernier à celle du distributeur.

Par ailleurs, la Chambre des appels correctionnels de la Cour d’appel de Paris, statuant sur le fondement de l’article 34 de l’Ordonnance du 1er décembre 1986 (devenu l’article L. 442-5 du code de commerce), a retenu – préalablement à la systématisation, par le Conseil de la concurrence, de la preuve des prix imposés par la démonstration des trois catégories d’indices citées ci-dessus – des critères similaires pour caractériser l’infraction pénale des prix imposés : l’évocation du prix et le respect de celui-ci par les franchisés constituaient l’élément matériel de l’infraction tandis que le contrôle et les rappels à l’ordre auxquels procédait le franchiseur permettaient d’en établir l’élément moral2421.

Evocation des prixEn vertu de l’interprétation qui est faite par le Conseil de la concurrence de ce premier critère, celui-ci se trouve vérifié dès lors qu’un prix est conseillé. En effet, si les prix doivent avoir été évoqués lors des négociations, il n’est pas nécessaire que ces négociations aient porté sur ces prix eux-mêmes2422. Par ailleurs, cette évocation ne ressort pas nécessairement d’un prix conseillé expressément désigné : il a par exemple été jugé que la preuve de l’évocation des prix pouvait découler notamment « de courriers entre le fabricant et ses distributeurs ou de compte-rendus de réunions entre les parties mentionnant un taux de remise maximum, se référant nécessairement à un prix de vente préalablement conseillé »2423, ou encore de notes, correspondances ou télex2424, etc.

Les deux autres conditions supposent des investigations souvent plus poussées.

Application par les distributeurs des prix évoquésPour déterminer si les distributeurs pratiquent effectivement les prix « évoqués » par le fournisseur2425, le Conseil de la concurrence procède par sondages. Lorsque le prix conseillé (ou soi-disant tel) par le fournisseur est respecté par 80 % des revendeurs ou plus, le Conseil considère que le critère est vérifié.

Cependant, lorsque ce taux n’est pas atteint, l’éventualité que cette condition soit remplie n’est pas automatiquement écartée : le Conseil procède alors à une analyse plus poussée2426en recherchant, à l’aide d’un graphique, la proportion des distributeurs pratiquant un prix non pas identique, mais très proche du prix conseillé2427. Si l’application par les distributeurs du prix conseillé – ou soit disant tel – par le fournisseur est de loin le mode le plus fréquent de la caractérisation de l’accord desdits distributeurs sur ces prix, cet accord peut également se manifester par d’autres moyens. Ainsi, le Conseil de la concurrence a-t-il pu relever, dans le cadre d’un contrat de distribution de raquettes à neige, la pratique suivante : une chaîne de magasins pratiquant un prix inférieur à celui qui était indiqué par le fournisseur, ce dernier avait incité d’autres revendeurs (qui appliquaient le prix suggéré), à acheter à ladite chaîne son stock de raquettes ; les magasins sollicités avaient obtempéré, matérialisant ainsi leur acquiescement à l’invitation du fournisseur2428.

Police de contrôle des prixLe Conseil de la concurrence précise qu’il n’est pas nécessaire que la police de contrôle aille jusqu’aux représailles, celles-ci ne constituant que « le type le plus manifeste des actes de cette police, parmi un large éventail allant des simples contrôles de prix, aux pressions, menaces de rétorsions et représailles effectives »2429.

Le « simple contrôle », effectué le plus souvent par le fournisseur lui-même ou ses agents2430, peut également être réalisé par les distributeurs eux-mêmes sur les autres commerçants vendant les mêmes produits2431. Ce contrôle ne constitue pas un élément de l’imposition du prix de revente lorsqu’il est légitimé, par exemple, par le souci de protéger les consommateurs contre les manœuvres du distributeur2432 voire le franchisé lui-même2433 ou lorsqu’il constitue une part accessoire dans le cadre du contrôle normal pratiqué par le franchiseur dans le point de vente du franchisé2434.

Les pressions peuvent consister, par exemple, en l’ordre de pratiquer un prix minimum2435ou en des rappels à l’ordre2436, plus indirectement en l’interdiction de pratiquer une remise à un taux déterminé2437, en des remises consenties aux distributeurs respectant les prix conseillés2438voire en des avantages destinés exclusivement aux clients acquérant le produit au prix conseillé par le fournisseur2439, en l’impossibilité technique de modifier les prix en raison du système informatique du réseau2440.

Hypothèse proche des pressions, l’incitation est également susceptible de faire basculer un prix présenté comme conseillé dans la catégorie des prix fixes ou minima imposés. Il faut cependant que cette incitation revête une intensité importante2441. Ainsi en est-il parfois lorsque les produits qui sont livrés sont étiquetés au prix prétendument conseillé2442, que ces prix sont préenregistrés sur les caisses enregistreuses sans que le franchisé puisse les modifier2443, ou lorsque les prix sont portés sur des documents destinés à la clientèle2444. Le Conseil de la concurrence a considéré en outre que lorsqu’un prix était indiqué dans les catalogues ou la publicité du réseau, il devait être précisé que ce prix avait un caractère conseillé ou maximum2445, à moins que les distributeurs n’aient été par ailleurs informés de leur liberté de pratiquer un autre prix2446 ; la Cour d’appel de Paris considère néanmoins que l’absence d’indication du caractère conseillé ou maximum du prix ne suffit pas en lui-même à caractériser l’imposition du prix2447. Il arrive enfin que l’interdiction de la revente à perte soit employée pour inciter les distributeurs à pratiquer un prix minimal ; le mécanisme consiste à consentir de prétendues remises qui en réalité ne sont soumises qu’à des conditions fictives, ce qui a pour effet de faire apparaître un prix d’acquisition auprès du fournisseur supérieur au prix réel, et donc d’élever artificiellement le seuil de la revente à perte2448.

Les menaces2449, quant à elles, sont caractérisées lorsque le fournisseur avertit le distributeur qu’il interviendra immédiatement en cas de non respect du prix indiqué2450 ou, de façon plus circonstanciée, que le contrat sera résilié2451 ou non renouvelé2452 s’il ne respecte pas la politique de prix. La prévision, à titre de sanction, de la suppression des remises2453, de retards et erreurs répétées de livraison2454, voire de la rupture des approvisionnements constituent également des menaces2455.

2. Les restrictions relatives à la vente702. Etendue de l’interdiction – La restriction concernant le territoire dans lequel, ou la clientèle à laquelle, le distributeur peut vendre les biens ou les services objets du contrat est en principe interdite par le règlement communautaire de 1999.

Des exceptions à ce principe sont néanmoins prévues par le texte lui-même ; le contrat de franchise est susceptible de bénéficier de la première. Est en effet autorisée « la restriction des ventes actives vers un territoire exclusif ou à une clientèle exclusive réservés au fournisseur ou concédés par le fournisseur à un autre acheteur, lorsqu’une telle restriction ne limite pas les ventes de la part des clients de l’acheteur ». Lorsque ces conditions sont remplies, seules l’interdiction des ventes passives est prohibée au regard du droit de la concurrence.

Deux types de clauses susceptibles d’être insérées dans des contrats de franchise sont prohibés en vertu de l’interdiction des restrictions relatives aux ventes passives : la clause interdisant au franchisé de vendre les produits ou services objets de la franchise à une clientèle située hors de la zone qui lui est conférée en exclusivité, et celle lui interdisant d’effectuer de telles ventes via Internet.

a) La clause d’interdiction de vente hors du territoire concédé703. Prohibition de l’interdiction des ventes passives – Aucune exception n’étant prévue au principe de l’interdiction des restrictions relatives à la vente au profit des ventes passives en présence d’une clause d’exclusivité territoriale, les clauses interdisant de telles ventes hors du territoire concédé entraînent la perte du bénéfice de l’exemption pour le contrat les contenant.

Les clauses limitant l’interdiction des ventes en dehors de la zone concédée en exclusivité aux ventes actives peuvent néanmoins être valables.

704. Historique – Précédemment à l’adoption des règlements de 1988 et de 1999, il a été jugé, au regard du droit communautaire de la concurrence, que la clause « qui oblige[ait] le franchisé à ne vendre les marchandises visées au contrat qu’a partir du local désigné dans celui-ci [et] interdi[sait] au franchisé d’ouvrir un second magasin », accompagnée de « l’engagement que pren[ait] le franchiseur à l’égard du franchisé d’assurer à celui-ci, dans un certain territoire, l’exclusivité de l’utilisation du signe concédé » aboutissait « à un certain partage de marchés entre le franchiseur et les franchisés ou entre les franchisés et restrei[gnait] ainsi la concurrence à l’intérieur du réseau » et « constitu[ait] une limitation de concurrence au sens de l’article 85, paragraphe 1, dès lors qu’il concern[ait] un signe déjà très répandu »2456. Peu après, la Commission a validé une clause d’exclusivité territoriale, en considérant que « la concession d’un territoire exclusif aux franchisés, combinée à l’interdiction de s’établir en dehors de ce territoire, permet à ceux-ci de conduire une politique de vente plus intensive des produits X… par la concentration de leurs activités sur le seul territoire concédé, laquelle est en l’occurrence facilitée par le caractère unimarque de la formule de distribution Yves Rocher. Par ailleurs, l’exclusivité territoriale permet d’assurer la planification et, par conséquent, la continuité de l’approvisionnement par le producteur »2457. Ces deux décisions illustraient l’équilibre, voulu par le droit de la concurrence, entre la nécessité de prohiber des ententes faussant le jeu de la concurrence, et celle de favoriser celles qui contribuent à promouvoir le progrès économique2458.

Elles ont été suivies de quelques arrêts, rendus par les juridictions internes, validant des clauses n’opérant pas de partage de marché, soit en se fondant sur les critères dégagés par l’arrêt Pronuptia du 28 janvier 19862459, soit en considérant que dans l’espèce qui leur était soumise, « le marché (…) rest[ait] (…) largement ouvert à un grand nombre d’entrepreneurs »2460, ou que le réseau concerné ne représentait pas « par sa densité et son étendue une entrave significative au jeu normal de la concurrence » dans le secteur considéré2461.

705. Droit positif – L’interdiction des ventes actives dans les territoires concédés (en exclusivité aux autres franchisés) ou conservés (en exclusivité par le franchiseur) bénéficie en principe de l’exemption prévue par le règlement du 22 décembre 1999 à condition de ne pas limiter les ventes effectuées par les clients du franchisé2462. Cependant, le règlement d’exemption par catégories du 22 décembre 1999 donne à la distribution sélective2463 une définition qui parait selon certains auteurs pouvoir englober le contrat de franchise2464; or, le même règlement exclut de l’exemption, s’agissant de la distribution sélective, les restrictions des ventes actives comme celle des ventes passives2465. Aussi, une partie de la doctrine incite à la prudence et recommande de ne pas interdire aux franchisés la vente active sur le territoire exclusif des autres franchisés2466.

L’interdiction des ventes passives est quant à elle prohibée.

L’état du droit positif impose donc de distinguer la vente active de la vente passive. Les lignes directrices ont défini en leur paragraphe 50 ce qu’il faut entendre par ces termes :

« – par « ventes actives », on entend : le fait de prospecter des clients individuels à l’intérieur du territoire exclusif ou parmi la clientèle exclusive d’un autre distributeur, par exemple par publipostage ou au moyen de visites, le fait de prospecter une clientèle déterminée ou des clients à l’intérieur d’un territoire donné concédés exclusivement à un autre distributeur, par le biais d’annonces publicitaires dans les médias ou d’autres actions de promotion ciblées sur cette clientèle ou sur les clients situés dans ce territoire, ou encore l’établissement d’un entrepôt ou d’un point de vente à l’intérieur du territoire exclusif d’un autre distributeur,

– par « ventes passives », on entend le fait de satisfaire à des demandes non sollicitées, émanant de clients individuels, en assurant la livraison des biens ou la prestation des services demandés par ces clients (…).»

b) L’interdiction faite au franchisé de vendre sur Internet706. Position du problème – Le franchisé peut vouloir développer son activité marchande via Internet ; or, cette démarche est susceptible d’entrer en conflit avec les intérêts du franchiseur et des autres franchisés, notamment lorsque ceux-ci bénéficient d’une exclusivité territoriale. La défense de ces intérêts peut conduire le franchiseur à vouloir imposer au franchisé un certain nombre de contraintes afin d’aménager, de limiter, voire de faire obstacle à sa faculté de vente par Internet.

Cependant, le principe demeure la liberté de la concurrence. Le droit de la concurrence est donc a priori hostile à la création des obligations de ne pas faire qui peuvent être imposées au franchisé dans le cadre de son activité marchande sur Internet2467. Par conséquent, il ne sera pas possible, lors de l’établissement d’un contrat de franchise, de prévoir de telles obligations sans respecter quelques précautions. Le point n°51 des lignes directrices sur les restrictions verticales, relatif à l’utilisation d’Internet par les distributeurs dans le cadre de la publicité et de la vente, apporte des précisions utiles à cet égard.

707. Prohibition de l’interdiction des ventes passives via Internet – La prohibition de l’interdiction des ventes passives s’étend à la vente effectuée par Internet. Aussi les lignes directrices indiquent-elles, dans leur point n°51 : « une restriction à l’utilisation d’internet par les distributeurs ne serait compatible avec le règlement d’exemption par catégorie que dans la mesure où la promotion ou les ventes via internet entraînent la réalisation de ventes actives vers les territoires exclusifs ou aux clientèles exclusives d’autres distributeurs ».

La définition des ventes passives réalisées via Internet donnée par les lignes directrices est plus large que celle relative aux ventes réalisées hors Internet : « toute publicité ou action de promotion générale, soit dans les médias, soit sur internet, qui atteint des clients établis sur les territoires exclusifs d’autres distributeurs(…) mais qui est un moyen raisonnable d’atteindre des clients situés en dehors de ces territoires, par exemple pour toucher des clients situés sur des territoires non exclusifs ou sur son propre territoire, est considérée comme une vente passive »2468.

De ce fait, la marge de manœuvre du franchisé en matière de vente par Internet est très large2469. Par ailleurs, ces mêmes lignes directrices énoncent que le recours à Internet est, en général, « un moyen raisonnable d’atteindre tous les clients », et poursuivent : « si un client visite sur internet le site d’un distributeur et prend contact avec ce dernier et si ce contact débouche sur une vente, et aussi une livraison, il s’agit là d’une vente passive »2470.

Ainsi, la vente opérée par le franchisé via Internet est dans de très nombreuses hypothèses une vente passive, et, lorsqu’elle constitue une telle vente, ne peut en principe lui être interdite.

708. Interdiction du monopole du franchiseur dans le cadre de la vente et de la publicité sur Internet – Le point n°51 des lignes directrices sur les restrictions verticales indique in fine : « quoi qu’il en soit le fournisseur ne peut se réserver les ventes ou la publicité sur internet ». Le Conseil de la concurrence semble avoir adopté cette position2471, approuvé en cela par la Cour d’appel de Paris2472.

Ainsi, le franchiseur ne peut se réserver le monopole de la vente et de la publicité sur Internet : aucune exception à cette règle n’est prévue.

709. Tolérance de l’interdiction des ventes actives sur Internet – D’après le point n°51 des lignes directrices, et conformément à l’article 4 a) du règlement d’exemption du 22 décembre 1999, l’interdiction des ventes actives sur Internet par le distributeur est compatible avec ledit règlement.

Les lignes directrices définissent la notion de vente active dans le cadre de la vente sur Internet : constitue dans cette hypothèse une vente active « un message non sollicité, transmis par courrier électronique à des clients individuels ou à un groupe de clientèle déterminé » ou encore un site spécialement conçu pour viser en premier lieu une clientèle déterminée « par exemple en utilisant des bandeaux publicitaires ou des liens dans les pages de fournisseurs d’accès visant spécifiquement la clientèle concédée ».

Il est ainsi possible d’interdire au franchisé d’effectuer des ventes actives, via Internet, sur le territoire exclusif des aux autres franchisés2473.

710. Possibilité d’imposer des normes de qualité – Un site Internet mal tenu par un franchisé peut dégrader l’image du réseau tout comme une publicité qui ne serait pas en harmonie avec cette image ou que le non-respect du savoir-faire. Aussi est-il légitime, conformément à ce que reconnaissent les lignes directrices2474, que le franchiseur impose aux franchisés souhaitant développer leur activité sur Internet, notamment par l’établissement d’une charte graphique, des normes de qualité et d’esthétique garantissant la conformité du site à l’image du réseau2475.

Il est également possible d’encadrer cette forme de distribution, en la soumettant à autorisation ou agrément2476. Dans le même ordre d’idées, le franchiseur peut créer un site du réseau comprenant une page d’accueil renvoyant par les liens hypertextes aux distributeurs locaux2477.

Le Conseil de la concurrence estime que les limites apportées à la liberté des distributeurs dans la vente via Internet doivent être proportionnées au but poursuivi2478 et, en particulier, ne pas « vider la vente sur Internet de son contenu »2479.

711. Tolérance de l’interdiction catégorique de vendre sur Internet soumise à des justifications objectives – Les lignes directrices sur les restrictions verticales indiquent que « l’interdiction catégorique de vendre sur internet ou sur catalogue n’est admissible que si elle est objectivement justifiée ». A contrario, l’interdiction de vendre sur Internet est admissible si elle est objectivement justifiée. Le Conseil de la concurrence a adopté ce raisonnement2480.

Il semble, a priori, qu’en matière de franchise, l’interdiction catégorique de vendre sur Internet puisse être parfois objectivement justifiée non seulement au regard de la nature des produits mais également au regard du savoir-faire : si la vente sur Internet est incompatible avec la mise en œuvre du savoir-faire sur lequel la franchise est fondée, si la réitération de la réussite du franchiseur ne peut se faire à travers Internet, alors il est logique de penser que le franchiseur pourra légitimement interdire aux franchisés la vente des produits ou des services par Internet2481. Cependant, le Conseil de la concurrence parait vouloir limiter la légitimité de cette interdiction au plus petit nombre possible des hypothèses : cette autorité a indiqué – dans des décisions relatives à la distribution sélective mais qui laissent à penser qu’une solution semblable serait adoptée en matière de franchise – que l’interdiction catégorique de vendre sur Internet ne pouvait être justifiée que par des « circonstances exceptionnelles »2482, et donné comme exemple les raisons de sécurité2483. Le Conseil a plus particulièrement relevé la différence qu’il existe entre la vente via Internet et la vente par catalogues : « la vente par correspondance sur catalogue ne peut offrir au consommateur ni la vitrine de présentation, ni l’interaction, au travers notamment de l’existence d’une « hot line » et de l’utilisation de films, qu’est susceptible d’offrir un site de vente en ligne »2484. La légitimation d’une interdiction catégorique de vente sur Internet nécessiterait donc la démonstration de l’incompatibilité de ce type de commerce avec les produits ou services commercialisés ou encore le savoir-faire malgré la vitrine de présentation et l’interaction offertes par Internet.

Dans le cas où une telle justification serait démontrée, elle s’opposerait également à l’ouverture d’un site marchant par le franchiseur. Rappelons en effet que le franchiseur « ne peut se réserver les ventes ou la publicité sur internet ».

Enfin, il faut souligner que le franchisé qui choisit de créer un site Internet marchant devra se conformer à la législation protectrice du consommateur et en particulier à la loi sur la confiance en l’économie numérique dite « LCEN »2485.

3. La sanction en cas de présence d’une restriction caractérisée712. Perte du bénéfice de l’exemption – Comme cela a été indiqué plus haut s’agissant du droit communautaire de la concurrence, la présence d’une clause noire dans un contrat entrant dans le champ d’application de l’article 81 du traité instituant la Communauté européenne fait perdre à l’intégralité de ce contrat le bénéfice de l’exemption prévue par le règlement du 22 décembre 1999. S’agissant des contrats entrant dans le champ d’application du droit interne, la politique du Conseil de la concurrence consistant à l’utilisation du règlement d’exemption comme guide d’analyse du droit interne conduit à faire perdre audit contrat le bénéfice de l’exemption prévue par l’article L. 420-4 du code de commerce.

Par conséquent, le contrat est en principe nul de plein droit, par application, selon le cas, du deuxième paragraphe de l’article 81 du traité, ou de l’article L. 420-3 du code de commerce ; comme on l’a déjà indiqué, la sanction dépend en réalité de l’autorité qui statue2486 : la nullité du contrat contenant une clause noire est prononcée par les juridictions internes2487.

Des précisions doivent néanmoins être apportées s’agissant du champ d’application du droit interne de la concurrence en matière de clauses noires : la présence de telles clauses fait obstacle, en vertu de l’article L. 464-6-2 du code de commerce, à la faculté dont dispose le Conseil de la concurrence de ne pas poursuivre la procédure lorsque l’accord concerné revêt une importance mineure.

Par ailleurs, s’agissant de l’applicabilité de l’article L. 420-1 du code de commerce, le Conseil a affirmé à plusieurs reprises, à propos des prix imposés, que « la fixation concertée de prix de revente par des commerçants indépendants regroupés sous une même enseigne ne constitu[ait] pas une pratique prohibée par les dispositions de l’article 420-1 du code de commerce lorsque ces commerçants ne se situent pas sur les mêmes zones de chalandise »2488. Le Conseil a explicité son raisonnement dans une décision de 20032489 : la pratique des prix imposés prive l’accord de l’exemption prévue par le règlement du 22 décembre 1999 (employé ici comme guide d’analyse), ce qui a pour conséquence l’application du droit commun à cet accord ; or, la prohibition prévue par le droit commun suppose une situation de concurrence, et donc que les distributeurs qui pratiquent le même prix soient situés dans la même zone de chalandise.

Cependant, plus récemment, la même autorité – sans pour autant revenir expressément sur sa position antérieure –, se fondant là encore sur le règlement d’exemption de 1999 employé comme « guide d’analyse » du droit interne, a relevé que les prix imposés figuraient au sein de ce texte parmi les « clauses noires », et en a conclu que les prix imposés dans le cadre d’une entente verticale « ont nécessairement un objet anticoncurrentiel, sans qu’il soit besoin de mesurer leurs effets concrets ». Aussi le Conseil en a-il conclu que les effets de ladite entente ne devaient être pris en compte que dans le cadre de l’évaluation du montant de la sanction2490.

713. Sanction pénale de la pratique des prix imposés – Le fait d’imposer un prix de vente minimal est puni d’une amende de 15 000 € en vertu de l’article L. 442-5 du code du commerce. Il doit être précisé que l’entente caractérisée par la pratique des prix imposés est distincte du délit de prix imposés ; par conséquent, l’existence d’une instance pénale en cours sur le fondement dudit délit n’oblige pas les autorités régulatrices de la concurrence à surseoir à statuer2491.

C. Les restrictions simples

1. La clause d’approvisionnement exclusif

a) Validité de la clause d’approvisionnement exclusif au regard du droit communautaire

714. Règlement d’exemption – Le règlement d’exemption du 22 décembre 1999 fait échapper les clauses d’approvisionnement exclusif à la nullité prévue par le traité, sous certaines réserves.

Tout d’abord, l’exemption prévue par le règlement ne s’applique que si « la part du marché détenue par le fournisseur ne dépasse pas 30 % du marché pertinent sur lequel il vend les biens ou services contractuels »2492. Dans le cas contraire, la clause d’approvisionnement exclusif tombe sous la prohibition de l’article 81 du traité instituant la Communauté européenne. Si l’exemption s’applique, deux hypothèses doivent être distinguées.

Lorsque la clause impose au franchisé un approvisionnement à une proportion pouvant aller jusqu’à 80 % de ses achats auprès du franchiseur, elle est exemptée sans autre condition.

Au-delà de ce seuil, elle constitue, au sens du règlement, une obligation de non-concurrence2493. En tant que telle, elle ne bénéficie de l’exemption qu’à la condition de ne pas être prévue pour une durée supérieure à cinq ans ou indéterminée, étant précisé qu’une obligation de non-concurrence tacitement renouvelable au-delà d’une durée de cinq ans est considérée comme conclue pour une durée indéterminée2494.

715. Lignes directrices – Par ailleurs, les lignes directrices sur les restrictions verticales du 13 octobre 2000 précisent : « Une obligation de non-concurrence relative aux biens ou services achetés par le franchisé ne relèvera pas de l’article 81, paragraphe 1, lorsqu’elle est nécessaire au maintien de l’identité commune et de la réputation du réseau franchisé. Dans de tels cas, la durée de l’obligation de non-concurrence n’est pas un facteur pertinent au regard de l’article 81, paragraphe 1, pour autant qu’elle n’excède pas celle de l’accord de franchise lui-même »2495.

716. Synthèse – La position du droit communautaire au regard de la clause d’approvisionnement contenue dans un contrat de franchise peut être ainsi résumée :

– lorsque l’accord n’affecte pas sensiblement le commerce entre Etats membres et/ou ne restreint pas le jeu de la concurrence dans le marché commun, la validité de la clause ne peut pas être discutée au regard du droit communautaire, l’article 81 § 1 du traité n’étant pas applicable ;

– lorsque l’accord affecte sensiblement le commerce entre Etats membres et restreint le jeu de la concurrence dans le marché commun, la clause imposant une obligation d’approvisionnement inférieure ou égale à 80% des achats du franchisé est exemptée de nullité par le règlement du 22 décembre 1999 ;

– lorsque l’accord affecte sensiblement le commerce entre Etats membres et restreint le jeu de la concurrence dans le marché commun, la clause qui impose une obligation d’approvisionnement supérieure à 80 % est valable quelle que soit sa durée si elle est nécessaire au maintien de l’identité du réseau2496 et, dans le cas contraire, exemptée de nullité par le règlement de 1999 à la condition d’être prévue pour une durée inférieure à 5 ans.

b) Validité de la clause d’approvisionnement exclusif au regard du droit interne717. Plan – La validité des clauses précédemment évoquées a été étudiée simultanément au regard du droit communautaire et du droit interne ; la politique du Conseil de la concurrence consistant à s’inspirer du règlement communautaire d’exemption pour appliquer l’exemption prévue par le droit interne rend en effet inutile un exposé distinct de la validité des clauses au regard de ces deux corps de règles.

Cependant, la validité de la clause d’approvisionnement exclusif a fait l’objet d’un grand nombre de décisions rendues tant par le Conseil de la concurrence que par les juridictions internes, lesquels ont au fur et à mesure forgé un régime de validité de ce type de clause qui doit faire l’objet de développements distincts ; il est néanmoins permis de se demander si ce régime ne sera pas remis en cause par l’adoption du règlement communautaire de 1999 comme guide d’analyse du droit interne.

α Position traditionnelle de la jurisprudence718. Présentation générale des conditions de validité de la clause d’approvisionnement exclusif ou quasi-exclusif – La position traditionnelle de la jurisprudence interne découle indirectement de l’arrêt Pronuptia rendu par la Cour de justice des communautés européennes.

Par l’arrêt Pronuptia2497, la Cour de justice des communautés européennes a en effet été la première à se prononcer, au regard du droit de la concurrence, sur la validité d’une clause d’approvisionnement exclusif comprise dans un contrat de franchise. Selon cet arrêt, une telle clause est justifiée par la nécessité, pour que le système de la franchise fonctionne, de permettre au franchiseur de « prendre les mesures propres à préserver l’identité et la réputation du réseau qui est symbolisé par l’enseigne »2498. Encore faut-il, cependant, pour que l’exclusivité d’approvisionnement soit nécessaire à la préservation de cette réputation, qu’il soit « impraticable (…) de formuler des spécifications de qualité objectives » ou que le fait de « veiller au respect de ces spécifications, en raison du grand nombre de franchisés, [entraîne] un coût trop élevé ». En tout état de cause, la clause ne peut pas interdire au franchisé de se fournir auprès de ses co-franchisés2499.

La solution de l’arrêt Pronuptia a été reprise dans une grande mesure par le règlement n°4087/88 du 30 novembre 1988, remplacé par le règlement de 1999 précité.

Sous l’influence de ce texte, les juridictions françaises et le Conseil de la concurrence ont développé une jurisprudence relativement importante. Ainsi, la Cour de cassation, par un arrêt de 1995, a exigé des juridictions du fond qui déclaraient valable une clause d’approvisionnement exclusif qu’elles démontrent « concrètement en quoi la clause litigieuse était indispensable pour préserver l’identité et la réputation du réseau de franchise »2501. La Cour de cassation, en exigeant ainsi que l’exclusivité d’approvisionnement soit justifiée, a souligné que le principe était celui de la liberté de la concurrence2502, soit du respect de l’indépendance du franchisé dans son approvisionnement. Par ailleurs, la Cour indique que la justification de la clause doit être « concrètement », soit au cas par cas2503, démontrée. L’emploi du terme « indispensable » au lieu de celui de « nécessaire » a soulevé des inquiétudes chez certains auteurs en raison du fait qu’il semblait restreindre la possibilité d’une telle démonstration2504, même si ces deux termes ont en réalité des significations très proches.

La nécessité ou le caractère indispensable de la clause au regard du maintien de « l’identité commune et [de] la réputation du réseau franchisé »2505 suppose, en toute logique, d’une part, que les produits visés par cette clause soient liés à cette réputation, c’est-à-dire au savoir-faire ou à l’image du réseau et, d’autre part, que les franchisés ne puissent pas se procurer des produits de qualité similaire par un autre moyen, en raison de l’impossibilité de définir des critères objectifs ou d’en contrôler le respect. A cette condition s’ajoute parfois celle de l’avantage concurrentiel procuré au franchisé.

719. Condition tenant au lien avec le savoir-faire du franchiseur ou l’image du réseau – La clause d’approvisionnement exclusif (ou quasi-exclusif) peut concerner des produits extrêmement variés : le franchisé peut s’être engagé, par le contrat, à se fournir auprès de la centrale d’achat du franchiseur ou auprès de fournisseurs référencés, non seulement pour les produits qui seront revendus à la clientèle – dans le cas d’une franchise de distribution – ou utilisés à l’occasion de la prestation de service, mais encore pour le matériel voire le mobilier employé dans l’établissement franchisé. Quelle que soit la nature de ces produits, ils doivent, pour que la clause soit valable, être liés au savoir-faire du franchiseur ou à l’image du réseau.

Ont ainsi été estimées licites les clauses d’approvisionnement exclusif ou quasi-exclusif lorsque :

– « la nature même de la formule de distribution » concernée est de permettre « à des commerçants indépendants de vendre la gamme complète des produits » portant la marque du franchiseur2506 ;

– le savoir-faire du franchiseur, en matière de franchise de service, a été élaboré en fonction de produits définis, et qu’il est établi que l’utilisation d’autres produits comportant les mêmes composantes ne permet pas d’aboutir au même résultat2507;

– dans le cadre d’une franchise dont la particularité consiste en la modération du prix des produits, la clause permet « d’assurer la cohérence de fonctionnement de la franchise, une certaine homogénéité de son offre dans l’ensemble des magasins et une bonne diffusion, auprès de toute la clientèle, des gains financiers obtenus de cette manière »2508 ou « a pour objet la négociation avec les fournisseurs de remises et de ristournes fondées sur les volumes de vente potentiels et la garantie de paiement du franchiseur »2509 ;

– la société franchiseur « était le fabriquant exclusif des produits textiles qu’elle distribuait, que la fabrication de ces produits s’effectuait selon des procédés spécifiques obéissant à un cahier des charges précis et contraignant, d’où il est résulté un savoir-faire dont elle était seule détentrice »2510 ;

– lorsque les produits et le matériel de réparation d’automobiles (pare-brise, lunette arrière, glace latérale, outillage et résine de réparation, produits de collage…) doivent répondre à des normes de sécurité, « exigence qualitative de sécurité contribu[ant] à l’image et à l’identité du réseau »2511 ;

– lorsque les produits (confiseries au chocolat) sont « fabriqués, distribués, référencés et/ou commercialisés par le franchiseur (… )»2512 ;

En revanche, ont été considérées comme sans lien avec le savoir-faire ou l’image de la marque et donc illicites les clauses d’approvisionnement concernant :

– du matériel d’entretien d’automobiles, lorsque les franchisés pouvaient se procurer par d’autres voies le même matériel, issu du même fabricant, ce qui excluait la nécessité de la clause fondée sur « la spécificité des matériels en cause et l’exigence de qualité du service et de l’image du réseau »2513 ;

– des caisses enregistreuses2514 ;

– des imprimantes2515.

Il ressort des décisions précitées que le lien avec le savoir-faire du franchiseur ou avec l’image du réseau est constaté, par exemple, lorsque les produits concernés sont fabriqués par le franchiseur selon des procédés spécifiques, lorsqu’ils portent sa marque, lorsque le savoir-faire a été élaboré à partir desdits produits et ne peut être réitéré à l’aide d’autres produits, ou lorsqu’ils répondent à une exigence d’homogénéité ressortant du savoir-faire.

On observe par ailleurs que la validité des clauses d’approvisionnement varie selon les biens visés. En effet, cette validité est plus souvent admise lorsque ces clauses sont relatives aux produits objets de la franchise . Au contraire, le lien entre le mobilier ou le matériel et le concept franchisé est plus difficilement admis2516.

720. Condition tenant à l’impossibilité de définir des critères objectifs de qualité ou de contrôler leur respect – Lorsque les biens faisant l’objet de l’exclusivité d’approvisionnement sont en lien avec l’image ou la réputation du réseau, la clause imposant ladite exclusivité peut être valable, à condition qu’il soit impossible de définir des critères objectifs de qualité ou, si lorsque de tels critères peuvent être définis, qu’il soit très difficile d’en contrôler le respect.

Ainsi, il a été estimé impossible de définir des critères objectifs de qualité ou d’en contrôler le respect :

– s’agissant d’articles de mode2517, en particulier parce que ces articles sont « soumis à renouvellement fréquent »2518 ;

– s’agissant de recharges de testeur de produits cosmétiques, celles-ci étant également des produits « soumis à renouvellement fréquents »2519 ;

– en matière de produits utilisés dans la coiffure, en raison du grand nombre de produits de ce type présentant des qualités variables qui ne sont pas toutes compatibles avec le savoir-faire du franchiseur2520 ;

– lorsque « le réseau de distribution s’inscrivait dans un secteur concurrentiel avec de nombreux fournisseurs offrant des produits similaires ou identiques, que compte tenu de la gamme des marchandises proposées ainsi que de l’évolution constante et rapide des techniques de fabrication, la formulation des spécifications objectives de qualité que les franchisés pourraient eux-mêmes appliquer s’est révélée impraticable de même que la mise en place d’un contrôle effectif auprès de chacun des points de vente »2521;

– concernant du matériel informatique « compte tenu du nombre élevé de franchisés (…) et de l’inexpérience en matière informatique de la plupart d’entre eux, ainsi que de problèmes de compatibilité des matériels et de maintenance, des dysfonctionnements et des retards qui pouvaient en résulter »2522 ;

– lorsque le contrôle du respect des critères de qualité entraînerait un coût très élevé en raison de l’importance du réseau2523.

Il ressort de ces arrêts que l’impossibilité de définir des critères objectifs ou d’en contrôler le respect est susceptible de ressortir du renouvellement fréquent des articles, du grand nombre de fournisseurs offrant des produits similaires (à condition, bien entendu, que la condition relative au lien avec la réputation du réseau soit remplie), ou du trop grand coût qu’entraînerait le contrôle. L’impossibilité de définir de tels critères peut également être intrinsèque au secteur concerné, comme, par exemple, en matière de mode.

Une telle impossibilité n’a pas été constatée :

– en matière de vins et de spiritueux2524 ;

– en matière d’articles à caractères publicitaire et de faible valeur destinés à fidéliser la clientèle2525 ;

– en matière de matériel de sport2526 ;

– en matière d’aménagement intérieur du magasin lorsque « l’identité du réseau était protégée par l’agrément par le franchiseur de chaque magasin et des aménagements qui y étaient effectués »2527 ; (cependant, le fait d’imposer aux franchisés un architecte conseil n’est pas excessif lorsque cet architecte et les franchisés sont libres de s’adresser aux entreprises de leur choix2528) ;

– en matière de matériel informatique2529 ;

– en matière de fournitures2530 (documents publicitaires, cartes de visite, papier à lettre, documents contractuels, bolducs, sacs papiers, étiquettes…) ;

– en matière d’ameublement du local2531;

– en matière de produits verriers et mastics utilisés dans la fabrication de vitrages isolants2532 ;

– en matière de tenue vestimentaire du personnel2533.

Le fait que des clauses concernant certains produits n’aient pas été considérées comme valables dans les espèces susmentionnées n’implique pas que, dans d’autres cas, des clauses intéressant des produits similaires ne seraient nécessairement pas validées : tout dépend de la démonstration de l’impossibilité de fixer des critères objectifs dans l’hypothèse envisagée. Il suffit, pour s’en convaincre, d’observer les décisions relatives au matériel informatique qui, selon le cas, valident2534 ou non2535 la clause.

On voit transparaître dans certains arrêts une idée de proportionnalité. En effet, les juridictions relèvent parfois, à côté des éléments montrant que les conditions de lien avec le concept franchisé, et d’impossibilité de définir des critères objectifs de qualité, la particulière souplesse de la clause d’approvisionnement : moins le franchiseur est exigeant en matière d’approvisionnement, plus il est probable que la clause échappera à la nullité2536. En outre, il a été jugé, dans le cadre d’une franchise de distribution d’articles de mode, qu’à défaut de laisser aux franchisés la liberté dans l’assortiment des produits qu’ils acquéraient, une clause d’approvisionnement particulièrement stricte était léonine2537.

β. Evolutions de la jurisprudence ?721. Incertitudes – Ainsi qu’il l’a été précisé précédemment, la jurisprudence exposée ci-dessus s’est développée sous l’influence du droit communautaire en vigueur en 1995, année du fameux arrêt Phildar rendu par la Cour de cassation, c’est-à-dire en s’inspirant du règlement d’exemption de 1988. Ce règlement a été remplacé en 1999 par le règlement nº 2790/1999 concernant l’application de l’article 81, paragraphe 3, du traité à des catégories d’accords verticaux et de pratiques concertées. Or, ce dernier règlement cesse toute référence au caractère nécessaire – ou indispensable – de la clause au regard du maintien de l’identité du réseau, et substitue à cette condition un critère objectif : seules sont exclues de l’exemption les clauses imposant à une partie de s’approvisionner à plus de 80 % auprès du fournisseur ou d’une entreprise désignée par lui, prévue pour une durée indéterminée ou supérieure à cinq ans. La solution traditionnelle a-t-elle pour autant été remise en cause par la jurisprudence française ?

Comme il l’a été exposé plus haut, le Conseil de la concurrence indique depuis l’année 2000 que le règlement du 22 décembre 1999 constitue un « guide d’analyse utile » dans le cadre de l’application du droit interne de la concurrence, donc de l’article L. 420-1 du code de commerce. Une telle politique, si elle est adoptée par l’Autorité de la concurrence, devrait conduire cette autorité à abandonner les critères de validité des clauses d’approvisionnement inspirés du règlement de 1988 au profit de ceux prévus par le règlement de 1999.

En conséquence, les clauses prévoyant un approvisionnement à une hauteur inférieure ou égale à 80 % d’une part, et celles prévoyant un approvisionnement supérieur à ce seuil mais prévue pour une durée inférieure ou égale à cinq ans2538 de l’autre, seraient validées dans tous les cas, et quel que soit leur lien avec le savoir-faire. En revanche, les clauses d’approvisionnement prévoyant un approvisionnement supérieur à 80 % et prévues pour une durée indéterminée ou supérieure à cinq ans ne seraient exemptées que si elles sont nécessaires au maintien de l’identité du réseau2539 ; la jurisprudence traditionnelle relative à la nécessité de la clause d’approvisionnement au regard du maintien de l’identité du réseau, sans être abandonnée, ne trouverait donc à s’appliquer que dans cette dernière hypothèse.

Il semble que ce soit là la position adoptée d’ores et déjà par le Conseil de la concurrence. En effet, le rapport d’activité de 2003, précise que «lorsqu’il apparaît que certaines clauses d’un contrat sont prohibées au regard [des principes dégagés au cours des années précédentes par la jurisprudence relative aux accords verticaux], le Conseil considère, si la part du fournisseur sur le marché pertinent est inférieure à 30 %, que ces clauses n’ont ni objet, ni effet anticoncurrentiel, à condition, toutefois, qu’elles ne relèvent pas des exceptions prévues par le règlement (clauses de prix imposés ou de protection territoriale absolue) ou ne viennent pas au soutien de pratiques relevant de ces exceptions ». Ainsi, dans une affaire datant de la même année2540 concernant un contrat de franchise signé avant l’entrée en vigueur du règlement de 1999, cette autorité a décidé : « les sociétés mises en cause ne détenant pas plus de 30 % de parts de marché, les seules pratiques susceptibles de faire perdre à l’accord dans son ensemble (franchise et référencement) le bénéfice de l’exemption prévue par le règlement du 22 décembre 1999, sont uniquement celles relevant de restrictions caractérisées, soit en l’espèce, celles relatives aux prix imposés ». Ce contrat contenait cependant une clause imposant au franchisé de s’approvisionner exclusivement en produits référencés par le franchiseur ; la validité de cette clause était contestée en ce qu’elle avait « pour effet de limiter la liberté commerciale des franchisés au-delà de ce qui est nécessaire au maintien de l’identité commune du réseau ». Le Conseil n’a pas discuté de la validité de cette clause qui, n’appartenant pas à la liste des « restrictions caractérisées » figurant à l’article 4 du règlement de 1999, n’était pas « susceptible de faire perdre à l’accord (…) le bénéfice de l’exemption ».

Dans une décision datant de 20072541, le Conseil de la concurrence a validé une clause d’approvisionnement exclusif aux motifs que « l’ensemble des obligations ainsi imposées aux franchisés [étaient] nécessaires pour assurer l’identité, l’unité et la réputation du réseau et de la marque ». En l’absence de précision de la source ayant inspiré cette décision, deux éventualités sont envisageables : soit cette solution constitue une survivance de l’ancienne position du Conseil, soit elle est due à l’utilisation en tant que guide du règlement de 1999 interprété à la lumière des lignes directrices sur les restrictions verticales2542.

En revanche, les juridictions auxquelles est soumise la validité de clauses d’approvisionnement ne semblent pas avoir adopté les critères de validité prévus par le règlement de 1999. Si, en effet, la Cour d’appel de Paris, statuant en tant que juridiction d’appel des décisions rendues par le Conseil de la concurrence, a estimé que ce dernier était en droit d’employer ledit règlement comme guide dans le cadre de l’interprétation de l’article L. 420-1 du code de commerce2543, cela n’implique pas que les juridictions de droit commun suivent une logique similaire. Ainsi, l’arrêt rendu par la Cour d’appel de Riom en 20072544 semble s’en tenir à la solution classique. La Cour de cassation, quant à elle, ne s’est pas prononcée en la matière depuis la décision du 2 juillet 2002 précitée2545, approuvant une cour d’appel d’avoir annulé le contrat contenant une clause d’approvisionnement qui n’était pas nécessaire au maintien de l’identité du réseau.

2. Les clauses de non-concurrence et de non réaffiliation post contractuelles722. Atteinte au principe de la liberté du commerce – Si les clauses de non-concurrence applicables pendant les relations contractuelles voient leur légitimité et leur validité reconnue sans encombre et sans condition, il n’en est pas de même de la clause de non-concurrence ou de non-réaffiliation post-contractuelle. La validité d’une telle clause est soumise à des conditions strictes et cumulatives, tant en droit interne qu’en droit communautaire.

En dépit de ces conditions strictes, qui comprennent notamment la proportionnalité de la clause de non-concurrence aux intérêts légitimes du créancier, la doctrine n’est pas unanime sur la validité du principe même de ce type de clause : si certains auteurs – qui dénoncent le fait que le franchisé risque de perdre une partie voire la totalité de sa clientèle et d’être confronté à des difficultés en raison de la durée et de la destination des locaux définis dans son bail commercial –, y sont très réticents 2546, il est permis d’être d’un avis contraire, dès lors en effet que la clause de non-concurrence est l’une des contreparties des avantages que le franchisé a retiré de son appartenance au réseau pendant l’exécution du contrat de franchise2547.

723. Distinction des clauses de non-concurrence et de non-réaffiliation – L’atteinte à la liberté commerciale apportée par la clause de non-réaffiliation est nettement moins importante, au moins en théorie, que celle imposée par la clause de non-concurrence2548 : le franchisé conserve la « liberté dans la solitude »2549. Les clauses de non-réaffiliation sont néanmoins soumises aux même conditions que les clauses de non-concurrence, et n’échappent par conséquent pas au contrôle du juge2550 ; le caractère moins restrictif de concurrence de la clause de non-réaffiliation est cependant susceptible d’intervenir dans le cadre de l’appréciation de la proportionnalité de la clause2551, à moins que la clause de non-réaffiliation en cause n’ait les mêmes effets qu’une clause de non-concurrence2552. Ainsi en est-il lorsque l’affiliation à un réseau est nécessaire à l’exercice de l’activité concernée2553.

Il ressort de la comparaison des droits interne et communautaire en la matière que les conditions exigées par ces deux corps de règles pour le bénéfice de l’exemption soient comparables dans leur principe ; le droit communautaire est cependant plus restrictif2554.

724. Présentation générale des conditions de validité au regard des droits communautaire et interne – La clause de non-concurrence figure au sein de l’article 5 du règlement d’exemption de 19992555 : elle échappe à l’exemption prévue par l’article 2 dudit règlement – et est donc soumise à l’article 81 du traité CE si elle affecte le commerce communautaire – mais ne fait pas perdre le bénéfice de l’exemption au contrat qui la contient.

Néanmoins, une telle clause bénéficie de l’exemption si elle est limitée à la fois quant à son objet (aux biens ou services qui sont en concurrence avec l’ancienne activité du distributeur), quant à sa durée (à un an à compter de l’expiration du contrat) et quant au territoire concerné (au local et aux terrains où le distributeur exerçait son activité). Par ailleurs, elle doit être indispensable à la protection du savoir-faire.

En droit interne, la validité des clauses de non-concurrence est appréciée à la fois au regard du droit commun des contrats et du droit de la concurrence2556. Les conditions de validité issues du droit commun ont été dégagées par la jurisprudence à propos de clauses similaires, contenues dans des contrats de travail ; ces clauses se retrouvant à l’identique dans les contrats commerciaux, les juridictions saisies de la question de la validité de clauses de non-concurrence figurant dans des contrats de distribution ont appliqué des critères identiques à ceux déjà appliqués en droit du travail2557. Les conditions de validité issues du droit de la concurrence, bien qu’ayant une source distincte2558, sont similaires à celles qui sont issues du droit commun2559. Trois conditions doivent ainsi être réunies. La restriction d’activité doit en premier lieu être limitée quant au genre d’activité concernée. En deuxième lieu, la clause doit être limitée dans le temps et dans l’espace. Enfin, la restriction de concurrence doit être proportionnée aux intérêts légitimes du créancier de l’obligation, au regard de l’objet du contrat2560.

725. Condition tenant au caractère limité de la clause – Une clause d