La Cour de cassation renforce l’obligation de dépôt des comptes annuels auprès du greffe

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BOUZERAND Alexandra

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Cass. com., 3 mars 2021, n°19-10.086

En cas d’absence de dépôt des comptes annuels au greffe du tribunal de commerce, tout intéressé peut demander au président du tribunal d’enjoindre sous astreinte à une société par actions de procéder à ce dépôt, sans que ne puisse être opposée la prescription triennale.

Toute société régie par le Code de commerce a l’obligation de déposer ses comptes annuels auprès du greffe afin notamment d’en assurer la publicité vis-à-vis des tiers. Seules les sociétés en-dessous de certains seuils de bilan, de chiffre d’affaires et de nombre de salariés peuvent bénéficier de la confidentialité de tout ou partie de leurs comptes, qu’elles sont néanmoins tenues de déposer auprès du greffe.

Les partenaires comme les concurrents d’une société ont ainsi le droit d’accéder à ces informations comptables et, en l’absence d’un dépôt spontané, peuvent contraindre le dirigeant de la société à s’exécuter en agissant sur le fondement de l’article L.123-5-1 du Code de commerce, qui permet à tout intéressé ou au ministère public de demander au président du tribunal de commerce, statuant en référé, d’enjoindre sous astreinte au dirigeant d’une société de procéder au dépôt des pièces et actes au registre du commerce et des sociétés auquel celle-ci est tenue par des dispositions législatives ou réglementaires ou de désigner un mandataire chargé d’effectuer ces formalités.

Une telle action se prescrit toutefois selon les règles applicables.

Dans un intéressant arrêt du 3 mars 2021, la Cour de cassation accepte pour la première fois d’accueillir une action sur le fondement du droit commun de l’article L.232-23 du Code de commerce imposant à toute société par actions de déposer ses comptes auprès du greffe à la suite de leur approbation annuelle, combiné avec l’article 873, alinéa 1, du Code de procédure civile permettant au président du tribunal de prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s’imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite.

Par cette décision inédite, la Cour reconnaît ainsi que l’absence de transparence résultant du non-dépôt des comptes est constitutive d’un trouble manifestement illicite, dont toute personne ayant un intérêt à agir peut demander qu’il y soit mis fin.

Surtout, elle précise que la prescription triennale qui était alléguée ne peut être opposée à une telle demande de dépôt des comptes, qui semble donc pouvoir couvrir l’ensemble des exercices pour lesquels une société serait en défaut. En l’espèce, elle enjoint ainsi la société à déposer ses comptes afférents aux exercices clos du 31 décembre 2008 au 31 décembre 2015.

L’intérêt de cette nouvelle voie d’action est donc évident, même s’il convient de l’inscrire dans les termes de l’article L.232-23 du Code de commerce. Celui-ci visant les seules sociétés par actions (SAS, SA, SCA), il s’agira de confirmer si, comme cela est probable car elles sont soumises aux mêmes obligations de dépôt des comptes, il peut servir de fondement à une action à l’encontre d’une SARL ou d’une SNC.

À noter enfin que, contrairement à l’action fondée sur l’article L.123-5-1 qui doit être intentée contre le dirigeant, c’est la société elle-même qui doit être mise en cause sur le fondement de l’article L.232-23.

Un tel arrêt traduit incontestablement la volonté de donner une effectivité plus grande à l’obligation qui pèse sur les sociétés commerciales de déposer leurs comptes annuels.

À cet égard, on rappellera également que le fait de ne pas satisfaire aux obligations de dépôt prévues à l’article L.232-23 est passible d’une amende de 1.500 euros, portée à 3.000 euros en cas de récidive, et que les dirigeants d’une société par actions peuvent être condamnés à verser une amende de 9.000 euros pour le cas où, pour chaque exercice, ils ne dresseraient pas l’inventaire et n’établiraient pas des comptes annuels et, le cas échéant, un rapport de gestion.

Les dirigeants doivent donc, plus que jamais, veiller au respect des obligations de dépôt des comptes sociaux qui pèsent sur leurs sociétés et sur eux-mêmes.

À rapprocher : Cass. com., 3 avril 2012, n°11-17.310 ; Article L.123-5-1 du Code de commerce ; Article L.232-23 du Code de commerce ; Article L.242-8 du Code de commerce ; Article R.210-18 du Code de commerce ; Article R.247-3 du Code de commerce ; Article 873 du Code de procédure civile ; Article 1844-14 du Code civil

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