Déséquilibre significatif et charge de la preuve de la tentative de soumission

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SIMON François-Luc

Avocat Associé-Gérant - Docteur en droit

CA Paris, 16 février 2018, n°16/05737 ; CA Paris, 20 décembre 2017, n°13/04879 (deux arrêts)

Pour caractériser le déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au sens de l’article L.442-6, I, 2° du code de commerce, la soumission ou tentative de soumission, stigmatisée par l’absence de pouvoir réel de négociation, doit être démontrée par la partie qui l’allègue…

Ce qu’il faut retenir : Pour caractériser le déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au sens de l’article L.442-6, I, 2° du code de commerce, la soumission ou tentative de soumission, stigmatisée par l’absence de pouvoir réel de négociation, doit être démontrée par la partie qui l’allègue, notamment en présence d’un contrat d’adhésion ; à défaut, le texte précité ne peut trouver à s’appliquer.

Pour approfondir : Trois éléments doivent être réunis en vue de l’application de l’article L. 442-6, I, 2° du code de commerce relatif au déséquilibre significatif : (i) un partenariat commercial et (ii) une soumission ou tentative de soumission à (iii) des obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties.

La deuxième condition – soumission ou tentative de soumission – est stigmatisée par l’absence de pouvoir réel de négociation, dont l’importance d’en caractériser l’existence a été soulignée par la Cour de cassation (Cass. com., 26 avr. 2017, n°15-27865). La soumission ou tentative de soumission n’est pas un cas de violence qui supposerait nécessairement une pression ou une menace formelle ; dès lors, le constat d’une absence de pouvoir réel de négociation paraît suffire pour caractériser la soumission.

Mais, encore faut-il que l’absence de pouvoir réel de négociation soit tout de même caractérisée …

L’absence de possibilité de négociation pourra résulter tout d’abord du pouvoir de marché de l’un des partenaires (Cass. com., 4 oct. 2016, n°14-28013 ; CEPC, avis n°16-5, relatif à une demande d’avis d’une société sur l’existence d’un délai légal de transmission de nouveaux tarifs à ses clients ; v. aussi, CA Paris, 21 juin 2017, RG n°15/18784). Dans cette hypothèse, un faisceau d’indices est requis pour caractériser l’absence de pouvoir réel de négociation.

L’absence de possibilité de négociation pourra résulter ensuite de la présence d’un contrat d’adhésion, mais encore convient-il alors de vérifier que le contrat n’a pas été négocié parce qu’il n’était pas négociable, ainsi qu’on l’a déjà souligné (v. en ce sens, Déséquilibre significatif – Article L.442-6, I, 2° du code de commerce – Numéro Spécial LDR, 2 octobre 2017 (116 décisions et avis commentés), spéc. §. 19 : « Dans un contrat d’adhésion, cette condition est le plus souvent remplie (CA Paris, 19 avril 2017, RG n°15/24221 : « l’insertion de clauses dans une convention type ou un contrat d’adhésion qui ne donne lieu à aucune négociation effective des clauses litigieuses peut constituer [la soumission ou la tentative de soumission] »), encore qu’il conviendrait de vérifier que le contrat n’a pas été négocié parce qu’il n’était pas négociable… »).

Telle est la solution qui vient d’être consacrée par la Cour d’appel de Paris dans deux affaires récentes qui, ce faisant, se prononce (à juste titre selon nous) sur la question de la charge de la preuve. Cette question se pose en ces termes : s’agissant des clauses qui n’ont pas été modifiées mais dont rien ne prouve qu’elles ne pouvaient l’être, appartient-il au rédacteur de l’acte de prouver que la négociation aurait pu s’exercer sur les conditions non négociées du contrat ; ou appartiendra-t-il (au contraire) au destinataire de l’acte de prouver que la négociation était véritablement exclue ?

La réponse apportée par la Cour d’appel de Paris est claire et logique : l’élément de soumission ou de tentative de soumission de la pratique de déséquilibre significatif implique la démonstration par la partie victime de l’absence de négociation effective des clauses incriminées.

Dans la première espèce (CA Paris, 20 décembre 2017, n°13/04879), la partie poursuivante (ici, le Ministre de l’économie) estime que la soumission et la tentative de soumission sont caractérisées en l’espèce par :

  • l’existence d’un contrat type imposé aux fournisseurs comportant les clauses litigieuses ayant une portée générale et dont la rédaction entraîne une insécurité juridique,
  • l’imposition d’obligations non réciproques, la société défenderesse n’apportant pas la preuve d’un rééquilibrage du contrat,
  • et l’asymétrie du rapport de force en faveur du distributeur et du déséquilibre des clauses au détriment des fournisseurs.

La société défenderesse souligne que la définition de la pratique de l’infraction de déséquilibre significatif dans le code de commerce englobe une notion de soumission, que le juge se doit de rechercher pour chaque cas et chaque contrat. Elle soutient que le Ministre de l’économie ne rapporte pas en l’espèce la preuve d’une soumission des fournisseurs concernés et soulève l’absence de présomption de soumission dans le secteur de la grande distribution, ainsi que le caractère insuffisant de l’étude du contenu rédactionnel des clauses pour en déduire l’effet de soumission.

A cet égard, la Cour d’appel de Paris retient que si la structure d’ensemble du marché de la grande distribution peut constituer un indice de rapports de forces déséquilibrés, se prêtant difficilement à des négociations véritables entre distributeurs et fournisseurs, cette seule considération ne peut suffire à démontrer l’élément de soumission ou de tentative de soumission d’une clause du contrat signé entre eux, même si ce contrat est un contrat-type. Cet indice doit être complété par d’autres indices. Elle ajoute encore : « La preuve de l’absence de négociation effective peut résulter de la circonstance que des fournisseurs cocontractants ont tenté, mais ne sont pas parvenus, à obtenir la suppression des clauses litigieuses dans le cadre de négociations ou qu’aucune suite n’a été donnée aux réserves ou avenants proposés par les fournisseurs pour les modifier », avant de considérer « qu’en l’espèce, en effet, le ministre n’apporte aucun élément de preuve afférent aux circonstances factuelles dans lesquelles les cinq contrats versés à la procédure ont été conclus. S’il a pu être déduit, dans d’autres cas, un indice de soumission ou de tentative de soumission de déséquilibre significatif, de l’adoption, par un nombre significatif de fournisseurs, de clauses identiques qui leur étaient manifestement défavorables, indice conforté par d’autres indices, tel n’est pas le cas dans la présente espèce ».

L’application de l’article L. 442-6, I, 2° du code de commerce est alors écartée.

Dans la seconde espèce (CA Paris, 16 février 2018, n°16/05737), la société poursuivante soutient que l’insertion de clauses abusives dans un contrat d’adhésion peut constituer une « tentative de soumission » par la société défenderesse.

Or, la société défenderesse indique quant à elle :

  • n’avoir jamais exercé la moindre contrainte sur la société poursuivante ;
  • n’avoir jamais refusé de négocier avec cette dernière les clauses du contrat ;
  • que la société poursuivante ne lui a jamais fait part de sa volonté de négocier les termes du contrat ;
  • que leurs relations contractuelles ne traduisent aucun rapport de force économique en sa faveur puisqu’elle n’est pas un partenaire incontournable pour son cocontractant.

Ce faisant, la Cour d’appel de Paris retient que la société poursuivante « n’établit pas que le contrat lui ait été imposé ni qu’elle n’ait pas eu la possibilité de le négocier » alors qu’elle est une professionnelle avertie de la vente en ligne et qu’elle avait tout loisir d’utiliser d’autres plateformes en l’absence de clause d’exclusivité.

L’application de l’article L. 442-6, I, 2° du code de commerce est également écartée.

La solution ainsi retenue dans ces deux affaires doit être approuvée, pour deux raisons au moins ; la première touche au droit processuel, la seconde au droit substantiel. En premier lieu, il appartient au juge commercial de vérifier que la partie requérante apporte la démonstration de la caractérisation de la pratique qu’il invoque, par des éléments suffisamment probants, conformément à l’article 9 du code de procédure civile, selon lequel « Il incombe à chaque partie de prouver conformément à la loi les faits nécessaires au succès de sa prétention ». En second lieu, la solution retenue par la Cour d’appel de Paris est en adéquation avec la notion même de contrat d’adhésion ; en effet, pour que le contrat soit d’adhésion, la négociation ne doit pas seulement être absente, elle doit être volontairement exclue ! (v. sur ce point, F.-L. SIMON, De la bonne foi et de la loyauté au stade précontractuel, LDR novembre-décembre 2017, spéc. I°-A°-b)). Le seul constat de l’absence de négociation ne saurait donc signifier que la négociation était nécessairement exclue. Il semble donc logique de faire peser sur le demandeur à l’action la charge de la preuve que la négociation était véritablement exclue.

A rapprocher : Cass. com., 26 avr. 2017, n°15-27865 ; v. aussi, pour un Panorama de jurisprudence sur les contours de la notion de déséquilibre significatif : Déséquilibre significatif – Article L.442-6, I, 2° du code de commerce – Numéro Spécial LDR, 2 octobre 2017 (116 décisions et avis commentés (2016-2017) ; v. aussi, Tour d’horizon sur le déséquilibre significatif – LDR janvier-février 2017 – 5 ans de jurisprudence (2011-2016).

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