Licéité d’un réseau de distribution sélective et compétence du juge des référés

CA Paris, 2 novembre 2017, n°17/03300

Le juge des référés est compétent pour constater la licéité d’un réseau de distribution sélective, au regard des règles établies par le droit communautaire.

Ce qu’il faut retenir : Le juge des référés est compétent pour constater la licéité d’un réseau de distribution sélective, au regard des règles établies par le droit communautaire.

Pour approfondir : Les sociétés Parfums Christian Dior, Guerlain et LVMH Fragrance Brands conçoivent, fabriquent et commercialisent des parfums de luxe et des produits de beauté Dior, Guerlain, Givenchy et Kenzo de renommée mondiale. Suspectant la société Distriparfum de proposer illicitement leurs produits à la vente, par internet, les trois sociétés assignent en référé d’heure à heure la société Aca Fiduciaire mandatée par la société Distriparfum afin de procéder à la réception et à l’encaissement des règlements effectués par les clients français. C’est ainsi que le juge des référés interdit à ladite société Aca Fiduciaire d’encaisser tout nouveau chèque en règlement de la vente de produits Dior, Guerlain, Givenchy et Kenzo.

Suite à l’appel interjeté par la société Aca Fiduciaire, la Cour d’appel de Paris est invitée à se prononcer, sur le fondement de l’article 873 du code de procédure civile sur l’existence d’un trouble manifestement illicite ou d’un dommage imminent que constituerait la commercialisation, par un intermédiaire non agréé, des produits d’un promoteur d’un réseau de distribution sélective.

La Cour énonce dans un premier temps que « le trouble manifestement illicite que constituerait la commercialisation par un intermédiaire non agréé des produits d’un promoteur d’un réseau de distribution sélective, telle que définie à l’article 1- e du règlement d’exemption n°330/2010 susvisé, est subordonné à la licéité de ce réseau au regard des règles du droit de la concurrence qu’il incombe à ce promoteur d’établir avec l’évidence requise en référé ».

Afin que le juge des référés soit en effet compétent, l’évidence s’impose – même en présence de contestations sérieuses (article 873 du Code de procédure civile).

L’existence même des trois réseaux de distribution sélective est établie avec l’évidence requise, ainsi, par le constat du nombre de contrats de détaillants agréés signés pour la France par chacune des sociétés Parfums Christian Dior, Guerlain, Givenchy et Kenzo.

Pour établir ensuite la licéité de ce réseau, la Cour rappelle que la distribution sélective ne relève pas de l’interdiction des pratiques concertées, telle que prévue par l’article 101(1) TFUE, dès lors que plusieurs conditions sont remplies :

  • le promoteur du réseau doit « rapporter la preuve de la légitimité de la distribution sélective de ses produits afin d’en préserver la qualité et d’en assurer le bon usage » (voir déjà ADLC, avis n°12-A-20, 18 sept. 2012),
  • « justifier du caractère strictement nécessaire des critères de sélection des candidats à l’agrément »,
  • « établir que les critères de choix des distributeurs agréés ont manifestement un caractère objectif, n’ont pas pour objet ou pour effet d’exclure certaines formes déterminées de distribution et ne sont pas appliquées de manière discriminatoire ».

Ces différents critères, rappelés ici par la Cour, résultent en réalité d’une jurisprudence à la fois interne et communautaire bien établie (voir déjà CJUE, Pierre Fabre Dermo-Cosmétique, 13 oct. 2011, aff. C-439/09 et notre commentaire ; Cass. com., 18 déc. 2012, n°11-27.342 et notre commentaire ; CA Paris, 30 oct. 2013, n°11/06257 et notre commentaire).

En l’espèce, soulignant les divers éléments factuels à sa disposition, la Cour considère pouvoir à l’évidence constater la licéité du réseau – celui-ci pouvant en outre entrer dans le cadre du règlement n°330/2010 déterminant des exemptions à l’article 101 TFUE, dès lors que les trois fournisseurs de parfums ne représentent pas plus de 30% du marché (soit moins que le seuil fixé par le règlement).

« Eu égard au faisceau d’indices résultant des pièces produites et de ce qui précède, cette production suffit à mettre la cour, juge de l’évidence, en mesure de s’assurer, au provisoire, de la licéité du réseau ».

L’existence du réseau étant elle-même licite, la Cour statuant en référé vérifie que les clauses des contrats de distribution qui en sont issues sont elles aussi licites et ne doivent pas être écartées du bénéfice de l’exemption aux termes du règlement n°330/2010.

La société Aca Fiduciaire soutenait en effet que trois articles des contrats contenaient des dispositions restrictives de concurrence – en particulier celles qui :

  • « restreignent le territoire sur lequel un distributeur peut vendre les produits, sauf exception (article 4 b)) »,
  • restreignent les ventes aux utilisateurs finals (article 4 c)) » (clause interdisant la revente hors réseau),
  • restreignent les ventes entre distributeurs à l’intérieur d’un réseau de distribution (article 4 d) » (clause interdisant la revente des produits nouveaux pendant un an faite à des distributeurs agrées sur un territoire dans lesquels ces produits nouveaux n’ont pas encore été commercialisés).

Pourtant, la clause faisant obligation aux membres des comités d’entreprise et des collectivités de se déplacer individuellement chez le distributeur pour effectuer leurs achats n’est pas écartée par application de l’article 4b du règlement, dès lors que la Commission de la concurrence n’a soulevé aucune objection à ce type de clause proposée par la Fédération française de l’industrie de la parfumerie et qu’une telle obligation « est motivée par la nature luxueuse des parfums, justifiant avec l’évidence requise en référé un accompagnement personnalisé et la possibilité de disposer de conseils particuliers pour en préserver l’image de marque ».

La clause interdisant la revente hors réseau n’est pas illicite aux termes de l’article 4c, puisque « cette clause est à l’évidence de l’essence même d’un réseau de distribution sélective dont elle permet d’assurer l’étanchéité »

Enfin, la clause interdisant la revente des produits nouveaux pendant un an faite à des distributeurs agréés sur un territoire dans lesquels ces produits nouveaux n’ont pas encore été commercialisés « comporte une limitation quant à l’objectif poursuivi qui tend à tester un produit pendant une période limitée sur un territoire déterminé », et est, partant, licite.

Ainsi, la Cour conclut que « la licéité manifeste du réseau de distribution sélective des sociétés Parfums Christian Dior, Guerlain et LVMH Fragrance Brands est établie avec l’évidence requise en référé, de sorte que l’atteinte qu’y porte la société Distriparfum qui vend hors réseau leurs produits sur son site [internet], avec la complicité de la société Aca Fiduciaire (…), constitue un trouble manifestement illicite. En conséquence, il appartient au juge des référés de le faire cesser en confirmant les mesures conservatoires ordonnées par l’ordonnance ».

La société Aca Fiduciaire doit donc, sous astreinte, cesser d’encaisser toute somme en règlement de la vente de produits Dior, Guerlain, Givenchy et Kenzo ; il est d’ailleurs ordonné que soit supprimée du site internet toute mention de la possibilité de régler les commandes de ce type. Enfin, elle se voit condamnée au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Si la décision ici commentée ne semble proposer aucune réelle nouveauté au regard de la jurisprudence antérieure, elle permet néanmoins d’illustrer la possibilité pour le juge des référés lui-même, juge de l’évidence, de constater la licéité d’un réseau de distribution sélective et des clauses imposées dans ses contrats (voir déjà CA Paris, 2 févr. 2016, n°15/01542 qui, en référé, juge que la commercialisation de produits par une plateforme tierce en violation des conditions de fonctionnement d’un réseau de distribution sélective ne constitue pas un trouble manifestement illicite dès lors qu’une telle interdiction n’est justifiée par aucun élément objectif, et notre commentaire).

A rapprocher : CJUE, Coty Germany c. Parfümerie Akzente, aff. C-230/16

Sommaire

Autres articles

some
La résiliation en trois clics c’est désormais possible !
La résiliation en trois clics c’est désormais possible ! Ce qu’il faut retenir : Afin de respecter les exigences de la réglementation relative à la résiliation en trois clics et ainsi, éviter toute sanction à ce titre, vous devez notamment :…
some
Le cumul des sanctions administratives validé par le Conseil constitutionnel
Cons. const., décision n°2021-984 QPC, 25 mars 2022 Le Conseil constitutionnel déclare conformes à la Constitution les dispositions de l’article L. 470-2 VII du Code de commerce relatif au cumul de sanctions administratives relevant de pratiques anticoncurrentielles. Partant, une même…
some
Clause de non-concurrence et justification du savoir-faire du franchiseur
CA Paris, Pôle 5, Chambre 4, 30 mars 2022, n°20/08551 La Cour d’appel de Paris est venue préciser la jurisprudence antérieure relative à l’application d’une clause de non-concurrence au sein d’un contrat de franchise. Elle a considéré que la clause…
some
Validité de l’acte de cautionnement comportant des termes non prévus par la loi
Cass. com., 21 avril 2022, n°20-23.300 Le fait que la mention manuscrite apposée sur l’acte de cautionnement comporte des termes non prescrits par l’article L.341-2 du Code de la consommation dans son ancienne rédaction n’affecte aucunement de manière automatique la…
some
Le règlement d’exemption, quel impact pour les réseaux ?
Retrouvez François-Luc Simon dans le podcast "Le Talk Franchise" lors de Franchise Expo Paris.
some
Rupture brutale et reprise d’activité par un tiers : de nouvelles précisions
La partie qui s’estime victime d’une rupture brutale des relations commerciales établies ne peut se prévaloir de la relation qu’elle avait nouée antérieurement à un plan de cession, sauf à démontrer l’intention du tiers cessionnaire de poursuivre les...