Location-gérance et dispense d’exploitation personnelle

Cass. com., 13 septembre 2017, n°16-15.049

Dans un arrêt du 13 septembre 2017, la Cour de cassation vient apporter quelques précisions sur l’étendue de la validité d’une dispense d’exploitation personnelle, dans le cadre d’un contrat de location-gérance.

Ce qu’il faut retenir : Dès lors que la dispense d’exploitation personnelle du fonds de commerce accordée sur le fondement de l’article L.144-4 du Code de commerce n’est pas définitive, selon la lettre de l’ordonnance qui l’octroie, la société qui concède la location-gérance doit en réitérer la demande avant la conclusion de chaque nouveau contrat de location-gérance.

Pour approfondir : Dans un arrêt du 13 septembre 2017, la Cour de cassation vient apporter quelques précisions sur l’étendue de la validité d’une dispense d’exploitation personnelle, dans le cadre d’un contrat de location-gérance.

Régie par les dispositions des articles L.144-1 et suivants du Code de commerce, la location-gérance est le « contrat ou convention par lequel le propriétaire ou l’exploitant d’un fonds de commerce ou d’un établissement artisanal en concède totalement ou partiellement la location à un gérant qui l’exploite à ses risques et périls » (art. L.144-1). D’ordre public, l’article L.144-3 du même code impose en principe à toute personne souhaitant concéder la location-gérance de son fonds de commerce d’avoir au préalable exploité personnellement le fonds donné en location pendant deux ans au moins ; à défaut, le contrat encourt la nullité. Des dérogations légales et judiciaires peuvent toutefois l’en dispenser. En l’espèce, c’est l’étendue d’une dispense judiciaire, obtenue sur le fondement de l’article L.144-4 du Code de commerce, qui est en cause.

Dans cette affaire, deux bailleurs ont conclu le 4 juin 2003 un bail commercial avec la société D’ARSINE. Le contrat de bail autorisait la société à mettre en location-gérance le fonds de commerce exploité dans les locaux.

La société D’ARSINE, ayant obtenu une dispense d’exploitation personnelle sur le fondement de l’article L.144-4 du Code de commerce, a concédé à plusieurs reprises la location-gérance de son fonds de commerce, exploitée dans les locaux appartenant aux bailleurs.

En 2011, les bailleurs ont agi en nullité du dernier contrat de location-gérance en cours, estimant que la dispense accordée par le tribunal n’était pas définitive, chaque nouvelle mise en location-gérance supposant l’obtention d’une nouvelle dispense.

La Cour de cassation, suivant en cela le raisonnement des bailleurs, a rejeté le pourvoi de la société D’ARSINE et confirmé la décision de la Cour d’appel de Grenoble ayant prononcé la nullité du contrat de location-gérance.

  • Un régime d’ordre public

Avant de s’intéresser au bien-fondé de l’arrêt de la Haute juridiction, il convient de s’intéresser à la question de la recevabilité de l’action des bailleurs, tiers au contrat de location-gérance dont ils demandent la nullité ; l’effet relatif des contrats semble en effet a priori s’opposer à une telle action.

L’action des bailleurs est néanmoins recevable, ce au regard du caractère d’ordre public du régime de la location-gérance ; il en résulte que la nullité sanctionnant le non-respect des dispositions relatives à l’obligation d’exploitation personnelle du fond est d’ordre public (jurisprudence constante – voir par exemple Com., 13 nov. 1963, Bull. n°475) et peut donc être invoquée par tout tiers intéressé : le bailleur, tiers intéressé, peut invoquer lui-même la nullité du contrat (Com., 4 fév. 1975, Bull. n°34), et toute confirmation ou régularisation est impossible (Com., 9 juin 2004, n°01-15.713 ; voir aussi Com., 4 fév. 1997, n°94-21.510 qui souligne que la dispense judiciaire accordée postérieurement à la conclusion du contrat ne peut en purger la nullité).

La Cour d’appel de Grenoble, dont l’arrêt est ici renvoyé devant la Cour de cassation, a d’ailleurs elle-même souligné les enjeux associés à la nullité de ce contrat : « la nullité de la convention de location-gérance conclue en méconnaissance des délais prévus à l’article L.144-3 et sans autorisation judiciaire est une nullité absolue et d’ordre public qui peut être invoquée par tout intéressé et qui n’est pas susceptible de régularisation ».

En conséquence, dans l’affaire dont il est ici question, l’action des bailleurs en nullité du contrat de location-gérance pour non-respect des dispositions impératives de l’article L.144-3 du Code de commerce est bien recevable, ces derniers ayant effectivement intérêt à agir sur ce fondement.

  • Sur la validité de la dispense d’exploitation personnelle du fonds

En l’espèce, postérieurement à la conclusion du contrat de bail commercial la liant aux bailleurs, la société D’ARSINE a obtenu le 6 novembre 2003, en application de l’article L.144-4 du Code de commerce, une dispense du délai d’exploitation de deux ans posé par l’article L.144-3 du même code.

Cette ordonnance prévoyait qu’en conséquence de l’état de santé de la gérante, celle-ci était dans l’impossibilité d’exploiter son fonds personnellement et était « autorisée en conséquence à procéder à cette location-gérance ».

Un premier contrat de location-gérance a été conclu le 4 novembre 2003. Plusieurs autres contrats de location-gérance ont ensuite été conclus, sans que la société D’ARCINE ne sollicite de nouvelle dispense préalablement à la conclusion du chaque nouveau contrat ; les bailleurs poursuivent ici la nullité du dernier contrat de location-gérance conclu en novembre 2011.

Cette affaire soulève deux questions :

  • d’une part, la question de savoir si la première dispense octroyée par l’ordonnance du tribunal de grande instance vaut pour tous les contrats ou le premier seulement,
  • d’autre part, la question incidente de savoir si l’exploitation qui a été faite par le locataire-gérant sur la base de la dispense permet au propriétaire du fonds de « capitaliser » la durée d’exploitation requise, pour lui permettre de s’affranchir à l’avenir de l’obtention d’une dispense ou si, l’exploitation demeurant personnelle, il n’est pas permis de considérer que l’exploitation faite par le locataire-gérant peut être attribuée au propriétaire du fonds de commerce.

Dans sa décision du 13 septembre 2017, la Cour de cassation rejette le pourvoi formé par la société D’ARSINE en décidant :

« qu’après avoir constaté que la dispense de la condition d’exploitation (…) avait été accordée à la société D’ARSINE, qui s’était prévalue de l’état de santé de sa gérante, pour « cette location-gérance », et relevé que cette dispense qui avait été ainsi donnée en considération d’éléments factuels rendant alors impossible l’exploitation personnelle du fonds, n’était pas définitive de sorte qu’il appartenait à la société D’ARSINE d’en réitérer la demande avant la conclusion de chaque contrat de location-gérance, la Cour d’appel a pu en déduire qu’en l’absence de dispense obtenue pour le contrat en cours, celui-ci était nul ».

De prime abord, il semble résulter de cette décision qu’une ordonnance de dispense ne porterait que sur un contrat de location-gérance, celui dont la conclusion a justifié la requête en dispense ; dans ce cas, la conclusion de tout nouveau contrat devra faire l’objet d’une nouvelle demande de dispense préalable.

Néanmoins, cette solution ne parait pas pouvoir être généralisée et apparait spécifique aux faits de l’espèce : dans la présente affaire, les termes même de l’ordonnance autorisant la dispense limitait l’autorisation à la location-gérance objet de la demande en dispense ; en conséquence, la dispense n’était pas « définitive », les éléments factuels en considération desquels la dispense a été prononcée, et plus particulièrement l’état de santé de la gérante, pouvant évoluer.

La lettre de l’ordonnance, qui n’autorisait le non-respect de la condition d’exploitation que pour « cette » location-gérance, en restreint donc la portée, et justifie au regard de la cour, la nécessité pour la société D’ARSINE de demander pour chaque nouveau contrat, une nouvelle dispense.

L’arrêt est clair : il conviendra à l’avenir de faire attention à l’étendue de la dispense même demandée au tribunal, afin d’éviter de devoir la renouveler à chaque nouveau contrat.

Cela est d’autant plus important que la demande de dispense doit être sans cesse renouvelée, et ce sans considération du délai de deux ans potentiellement écoulé en raison de l’exploitation du fonds du fait de la location-gérance. En effet, si l’exploitation personnelle du fonds est requise a minima pour une durée de deux ans préalablement à toute convention de location-gérance, il apparait que la dispense demandée doit l’être tant que ces deux ans d’exploitation personnelle n’ont pas été réalisés. En l’espèce, le contrat, dont la nullité absolue a été prononcée, a été conclu en novembre 2011, soit près de huit ans après l’octroi de la première dispense. Une dispense, même donnée (ou utilisée) pour une location-gérance d’une durée supérieure à deux ans, n’équivaut donc pas à une exploitation personnelle du fonds pour la même durée dont pourrait se prévaloir le propriétaire du fonds.

A rapprocher : CA Paris, 31 mai 2017, RG n°15/15001

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