Vice du consentement et absence de remise du Document d’Information Précontractuelle

CA Paris, 5 juillet 2017, n°15/05450

L’obligation de remise d’un document d’information précontractuelle (DIP) « doit être appréciée au regard de l’activité exercée au titre du contrat de master concession et non pas de l’activité globale du candidat à la concession ».

Ce qu’il faut retenir : L’obligation de remise d’un document d’information précontractuelle (DIP) « doit être appréciée au regard de l’activité exercée au titre du contrat de master concession et non pas de l’activité globale du candidat à la concession ».

Par ailleurs, et conformément à une jurisprudence constante de la Cour de cassation, l’absence de remise du DIP n’entraine la nullité du contrat qu’en cas de démonstration d’un vice du consentement.

Pour approfondir : La société X est spécialisée dans le domaine de la fabrication de vêtements et exploite sous l’enseigne « Tara Jarmon » un réseau de magasins détaillants de vêtements de prêt-à-porter féminin. Le 30 mars 2006, la société X a conclu avec la société Y un contrat de concessions pour l’exploitation sur le territoire russe d’un magasin sous enseigne Tara Jarmon à Moscou. Le 4 juillet 2011, les associés de la société Y ont transféré son activité au sein d’une nouvelle société Z et ont poursuivi l’activité de la société Y par le biais d’une nouvelle société Z.

Les sociétés X et Z ont collaboré pendant 2 ans sans formaliser de contrat écrit.

Le 31 octobre 2013, les sociétés X et Z ont conclu un contrat de master concession, d’une durée de 3 ans, sans possibilité de tacite reconduction, pour l’exploitation par des sous concessionnaires de droit russe, de magasins sous enseigne Tara Jarmon en exclusivité dans les villes de Moscou, Saint Pétersbourg et Surgut. La société X se réservait le droit, à l’intérieur de ces territoires, de commercialiser les produits de la marque par « des canaux différents des magasins à enseigne, tels que grands magasins et e-commerce (article 1) ».

Des différends sont survenus entre les sociétés X et Z et en février 2014, la société X a proposé à la société Z la conclusion d’un protocole d’accord prévoyant une résiliation anticipée du contrat à l’issue d’un préavis d’un an. La société Z a refusé la conclusion de ce protocole et les relations entre les parties se sont dégradées.

Le 28 mars 2014, la société X a fait grief à la société Z d’avoir décidé « brusquement et unilatéralement de ne pas venir signer vos commandes pour la saison Hiver 214/2015, en violation manifeste du contrat ».

La société X a signifié la résiliation du contrat de master concession aux torts et griefs exclusifs de la société Z, la société X rappelant dans son courrier les manquements de la société Z justifiant cette résiliation.

Le 8 avril 2014, la société X a assigné la société Z devant le Tribunal de grande instance de Versailles lui reprochant divers manquements et « lui faisant grief d’être à l’origine de la rupture de leurs relations commerciales et contractuelles ».

Concomitamment la société Z et les consorts S ont introduit une instance devant le Tribunal de commerce de Paris. La société X s’est désistée de son instance devant le Tribunal de grande instance de Versailles.

Par jugement du 10 février 2015, le Tribunal de commerce de Paris a notamment « débouté la société Z et M. S de leurs demandes de condamnation de la société X à leur payer diverses sommes en réparation du préjudice subi du fait de la rupture brutale des relations commerciales et constaté la résiliation du contrat de master concession du 31 octobre 2013 à la date du 1er avril 2014 aux torts de la société Z et de son garant M. S ».

La société Z a fait appel de ce jugement demandant, entre autres, à ce que la Cour d’appel de Paris prononce la nullité du contrat de master concession conclu le 31 octobre 2013. La société Z affirme que le contrat de master concession a été signé « sous la pression à l’issue de manœuvre équivalentes au dol » et n’avoir « reçu aucune information précontractuelle (DIP), contrairement à la prescription de l’article L330-3 du code de commerce, alors qu’il existait un engagement d’exclusivité ou de quasi exclusivité et que leur situation était différente de celle des années précédentes de telle sorte que s’ils avaient eu ces informations, ils n’auraient pas conclu le contrat ».

La société X affirme quant à elle que « l’engagement d’exclusivité visé à l’article L330-3 du code de commerce pesait sur elle qui s’engageait à concéder de manière exclusive la concession de la distribution sur une partie du territoire russe à la société Z, à l’exception des grands magasins, tandis que la société Z pouvait distribuer des collections d’autres clients dans le prêt-à-porter ».

Par un arrêt en date du 5 juillet 2017, la Cour d’appel de Paris a considéré quant à elle que « la notion d’exclusivité au sens de l’article L. 330-3 du code de commerce doit être appréciée au regard de l’activité exercée au titre du contrat de master concession et non pas de l’activité globale du candidat à la concession. Si, en l’espèce, la société [Z] disposait de la faculté d’exploiter d’autres activités concurrentes et notamment de distribuer d’autres marques de prêt-à-porter concurrentes, elle était tenue pour les produits Tara Jarmon couverts par le contrat de master concession à une exclusivité. La société [X] avait donc l’obligation de lui remettre un DIP, ce qu’elle n’a pas fait. Néanmoins, l’absence de remise de ce document est insuffisante à elle seule à établir l’existence d’un vice du consentement. ». La Cour d’appel a dans un second temps relevé que le « contrat de master concession n’est que la reprise des caractéristiques fondamentales du contrat de concession antérieurement conclu le 30 mars 2006 qui a été exécuté pendant 8 ans par M. S. en qualité de gérant de la société Y », « les appelants ne [justifiant] de l’existence d’aucune modification substantielle du marché qu’il soit local, national et international et du réseau lesquels sont nécessairement en évolution incessante (ouvertures et fermetures de boutiques et de corners ), intervenue lors de la conclusion du contrat de master concession ». La Cour d’appel de Paris en conclu que les appelants « ne démontrent ni même n’allèguent avoir été induits en erreur sur la rentabilité du concept. En conséquence de ces éléments, les appelants échouent à démontrer l’existence d’un vice du consentement du fait de l’absence de remise du document d’information pré contractuelle. Ce moyen de nullité sera donc écarté. » 

Cet arrêt vient confirmer la jurisprudence existante en matière de document d’information précontractuelle : le prononcé de la nullité du contrat pour défaut de remise d’un DIP, conformément à l’article L.330-3 du code de commerce suppose la démonstration d’un vice du consentement. La Cour de cassation réaffirme constamment sa position.

A rapprocher : Article L.330-3 du Code de commerce

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